3. Le destin contrarié de CASSIOPEE
A l'issue de ses derniers déplacements dans des juridictions, votre rapporteur juge préoccupante la mise en oeuvre de certains projets informatiques du ministère de la justice. Il souligne en particulier que le projet CASSIOPEE (Chaîne Applicative Supportant le Système d'Information Opérationnel Pour le Pénal et les Enfants) entraîne d'importantes difficultés au sein des juridictions, obligeant, ici, les greffiers à saisir le même dossier plusieurs fois, engendrant, ailleurs, des incohérences dans les affaires traitées ou ignorant, encore, certains aspects de la procédure pénale.
Aussi paraît-il pertinent d'étudier de façon plus approfondie le sort contrarié de cette application dont la Chancellerie paraît attendre des avancées significatives.
Dans l'attente du déploiement général de l'application CASSIOPEE, le domaine judiciaire pénal est composé des applications de la chaîne pénale « micro-pénale », « mini-pénale » (qui équipent encore 124 tribunaux de grande instance) et NCP (« nouvelle chaîne pénale », pour les 7 parquets des tribunaux de grande instance de la région parisienne), ainsi que des applications destinées aux juges d'instruction (WINSTRU-INSTRU) et aux juges des enfants (WINEURS).
Les magistrats rencontrés par votre rapporteur ont tous expliqué que ces applications, éprouvées, apportaient une entière satisfaction quant à leur adaptation à la procédure pénale. Elles sont toutefois marquées par une faiblesse fondamentale résidant dans leur multiplicité et leur spécialisation, alors que CASSIOPEE constituerait un outil « universel ».
Cette application centralisée couvre en effet l'ensemble des services de la chaîne pénale, y compris les services de l'instruction et des mineurs. Au sein des services pénaux d'un tribunal de grande instance, seul le service de l'application des peines disposera de son propre système, partagé avec l'administration pénitentiaire (APPI) qui fera l'objet d'une interface avec CASSIOPEE avant la fin de cette année.
CASSIOPEE a donc vocation à remplacer les applications pénales existant aujourd'hui dans les 181 TGI de province et d'Île-de-France. Elle se substituera tant à des logiciels nationaux (Micro-pénale, Mini-pénale et EPWIN) qu'à des applications d'initiative locale (INSTRU, WINSTRU, WINEURS). Elle a pour objet de permettre :
- la fin des saisies multiples (informations identiques antérieurement reportées manuellement d'une application à l'autre) ;
- la limitation des sources d'erreurs ;
- une ergonomie unique et homogène ;
- l'accès au bureau d'ordre national automatisé prévu par la loi du 9 mars 2004 ;
- l'alimentation d'un infocentre national ;
- une maintenance facilitée car centralisée ;
- la réduction des charges de maintenance applicative en juridictions ;
- la mise en place d'échanges avec les autres applications du système d'information justice, facilitée notamment grâce à l'utilisation du système de référence (SRJ), ainsi qu'avec des applications tierces (police / gendarmerie, Trésor public).
En 2009, les dépenses prévisionnelles liées au déploiement de CASSIOPEE s'élèvent à :
- 5,42 millions d'euros pour la maintenance de l'application et la première partie de son déploiement (formation, reprise des données) ;
- 1,2 million d'euros d'assistance à maîtrise d'ouvrage, expertises techniques et audits ;
- 0,20 million d'euros d'équipements matériels et logiciels ;
En 2010, les dépenses prévisionnelles sont de :
- 2,6 millions d'euros pour le déploiement de l'application et de l'infocentre ;
- 1,2 million d'euros pour le support aux sites ;
- 1,55 million d'euros pour la maintenance évolutive et corrective ;
- 0,8 million d'euros d'assistance à maîtrise d'ouvrage, expertises techniques et audits ;
- 1 million d'euros d'équipements matériels et logiciels.
CASSIOPEE constitue le support technologique du Bureau d'ordre national automatisé des procédures judiciaires , instauré par l'article 48-1 du code de procédure pénale dans sa rédaction issue de la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007, qui permet le partage entre les différentes juridictions d'informations essentielles à la conduite de l'action publique.
A ce titre, elle a été instituée par le décret en Conseil d'Etat n° 2009-528 du 11 mai 2009, pris après avis de la CNIL en application des dispositions précitées.
Elle offrira un infocentre (statistiques) dont la première version a été livrée septembre 2009. Elle est interopérable avec des applications internes au ministère, notamment le casier judiciaire national, mais également externes comme les services de la police et de la gendarmerie.
Après une phase pilote (tribunaux de grande instance d'Angoulême, de Caen et de Rouen) et de pré-généralisation (autres tribunaux de grande instance des cours d'appel de Rouen et de Caen ainsi que le tribunal de grande instance de Bordeaux), la généralisation de CASSIOPEE a commencé en avril 2009, au rythme de 3 à 4 juridictions par semaine. En juillet 2009, 50 tribunaux de grande instance ont été équipés de CASSIOPEE.
L'objectif est d'atteindre plus de 90 juridictions au 31 décembre 2009 en vue de terminer le déploiement pour la province au troisième trimestre 2010 et d'engager l'implantation des grands tribunaux de grande instance de la région parisienne (fin 2010/premier semestre 2011).
L'application devrait également être déployée dans les départements d'outre mer. Une étude de faisabilité technique est actuellement en cours pour la dotation des juridictions des territoires et collectivités d'outre mer.
Les premiers échanges entre CASSIOPEE et le casier judiciaire national doivent pouvoir être mis en oeuvre en décembre 2009.
Par ailleurs, afin de renforcer l'efficacité et l'effectivité des sanctions pénales, une interface entre CASSIOPEE et le logiciel des services de l'application des peines a été réalisée et doit être mise en production d'ici la fin 2010. A cette même échéance les premiers échanges entre CASSIOPEE et le Casier Judiciaire National devraient être opérationnels.
S'agissant des échanges inter-applicatifs avec la police et la gendarmerie, les travaux de conception sont conduits sous l'égide d'un comité de pilotage tripartite.
L'objectif est non seulement de récolter en « entrée » les données structurées des procédures transmises par les services enquêteurs à la justice, mais également d'automatiser « en sortie » la mise à jour des fichiers de police.
Le calendrier de mise en service de ces échanges inter-applicatifs dépend du délai de réalisation du flux, d'une part, et du déploiement des applications ARDOISE (police) et ARIANE (police et gendarmerie), d'autre part.
L'objectif est de pouvoir mettre en production courant 2010, à titre expérimental, des échanges entre des juridictions et les services de gendarmerie. D'autres échanges externes devraient ensuite être programmés, tout particulièrement avec le trésor public pour la gestion des amendes.
Toutefois, devant l'ampleur des difficultés provoquées par la mise en place de cette application (nécessité de saisir plusieurs fois le même dossier, erreurs...), le secrétaire général du ministère de la justice a décidé, à l'automne 2009, de suspendre son installation pendant six semaines, afin de permettre aux juridictions de retrouver un fonctionnement normal.
En effet, l'utilisation de CASSIOPEE, dont de nombreux magistrats et greffiers reconnaissent qu'elle constituera, à terme, une application stratégique, a entraîné dans certaines juridictions d'importants retards de traitement des dossiers. Il semble toutefois que certaines juridictions commencent à percevoir les fruits de l'investissement consenti.
Il semble néanmoins que la définition de CASSIOPEE n'a pas suffisamment pris en compte des applications existantes qui , en dépit de leurs limites, avaient apporté des satisfactions. Ainsi, pour une affaire de vol avec dégradation, l'utilisation de CASSIOPEE peut porter à 11 heures le temps nécessaire pour enregistrer la procédure, alors que les anciennes applications permettent de réaliser cet enregistrement en une heure.
Les magistrats rencontrés par votre rapporteur ont en outre souligné que toute donnée enregistrée dans CASSIOPEE ne pouvait ensuite plus être modifiée, pour des motifs de sécurité, si bien qu'une erreur saisie au départ demeure dans l'application jusqu'au terme de la procédure.
Votre rapporteur souligne que le ministère de la justice devrait accorder davantage d'attention à la conception des nouvelles applications et les soumettre à des tests avant de les implanter dans les juridictions, où les défauts de conceptions se traduisent rapidement par une désorganisation de l'activité.