4. L'acclimatation progressive des juridictions à l'utilisation de la visioconférence
• Une politique volontariste du ministère de la justice
Depuis une décennie, le ministère de la justice s'est engagé dans la voie de la visioconférence à la faveur des premières dispositions normatives de 1998 et des premiers équipements déployés en 2000 au profit de Saint-Pierre et Miquelon.
Depuis lors, le ministère de la justice, s'est efforcé de favoriser le recours à la visioconférence. Ainsi, depuis 2003, plus de 7 millions d'euros ont été consacrés à la dotation en matériel des juridictions et des établissements pénitentiaires.
Aujourd'hui, l'ensemble des juridictions de premier ressort et d'appel est équipé d'au moins un appareil de visioconférence, parfois de plusieurs matériels (au total, plus de 500 appareils, dont une partie pour des besoins administratifs).
Par ailleurs, le programme de déploiement des équipements de visioconférence dans les établissements pénitentiaires a permis d'équiper 120 établissements dont 9 dans les départements et collectivités d'outre-mer, couvrant d'ores et déjà plus de 80 % de la population carcérale. Soixante établissements pénitentiaires restent à équiper et le seront pour une partie importante en 2010.
Selon la Chancellerie, la visioconférence constitue l'un des outils les plus novateurs et les plus performants mis à la disposition des juridictions et des établissements pénitentiaires, en raison de la qualité des échanges qu'elle permet, des économies en temps, en frais de déplacement qu'elle génère, la diminution des transferts et extractions judiciaires qu'elle induit, de sa facilité d'utilisation et de la sécurité qu'elle apporte.
Elle permet, à l'évidence, d'alléger les charges supportées par les escortes de police et de gendarmerie et génère ainsi de substantielles économies en terme de personnel.
La visioconférence est envisageable dans des cadres procéduraux variés en matière pénale, tels que la phase de l'instruction préparatoire, les contentieux de la détention provisoire, de l'exécution des peines, de l'application des peines, la prolongation des gardes à vue, ou encore l'audition de témoins, experts ou parties civiles devant la formation de jugement.
Elle est également possible, selon des règles spécifiques, en matière de prolongation en rétention administrative ou en zone d'attente, ou encore, depuis la loi du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit, en matière civile.
• Une progression rapide, motivée par des objectifs chiffrés
L'utilisation de la visioconférence fait l'objet d'un objectif de performance. En effet, l'objectif n°5 du programme « justice judiciaire » porte sur le développement de la communication électronique et se compose de l'indicateur 5.1, relatif au nombre d'utilisations de la visioconférence. Ce nombre devrait atteindre en 2009, selon la prévision figurant dans le projet annuel de performance, 2.800 dans les cours d'appel et 4.800 dans les tribunaux de grande instance. La cible est fixée en 2011, pour ces deux degrés de juridiction, à 3.220 et 6.000.
Ainsi, pour l'année 2009, de janvier à août, plus de 5000 visioconférences ont été réalisées, toutes activités juridictionnelles confondues, en matière civile comme en matière pénale dont les deux tiers, soit plus de 3 400, en lien avec les détenus.
Ces chiffres de 2009 qui représentent une augmentation de 400 % par rapport à la même période de 2008, sont en augmentation mensuelle constante et rapide. Selon la Chancellerie, ils s'expliquent d'une part par un équipement désormais important des juridictions et des établissements pénitentiaires, et d'autre part, par une prise en considération des objectifs chiffrés, fixés au ministère de la justice, d'une réduction de 5 % du nombre des extractions judiciaires pour l'année 2009 et de 5 % pour l'année 2010.
Pour atteindre cet objectif, le ministère de la justice et des libertés entend essentiellement intensifier le recours à la visioconférence en lien avec les détenus dans le cadre des activités juridictionnelles concernées par les extractions judiciaires et éligibles à cette technologie.
Enfin, ce dispositif repose essentiellement sur une facturation ex-post du ministère de la justice et des libertés consistant en une responsabilisation financière au profit du ministère de l'intérieur . Ainsi, en cas de sous-performance par rapport aux 5 % initialement fixés, le ministère de la justice devrait rembourser au ministère de l'intérieur des ETPT qui n'auraient pas été économisés, faute d'avoir limité les extractions judiciaires. La cible en jeu est de l'ordre de 60 EPTP. Elle correspond à 5 % des 1.270 EPTP qui constituent la somme des forces de l'ordre consacrée chaque année aux extractions judiciaires.
Pour mettre en oeuvre ce dispositif, les cours d'appel ont été informées de l'objectif fixé, de la responsabilisation du ministère en cas de non respect de l'objectif chiffré, responsabilisation qui serait déclinée au niveau des cours d'appel en fonction de leur performance en matière de recours à la visioconférence pour réduire les extractions .
Ainsi, deux indicateurs de performance ont été mis en place :
- le premier consiste à évaluer au niveau national le nombre des extractions judiciaires à partir de l'application informatique GIDE gérée par l'administration pénitentiaire. Ces extractions ont été ainsi été évaluées à 150.401 extractions judiciaires pour la métropole, correspondant au nombre de détenus ayant fait l'objet d'extractions judiciaires pour l'année 2008.
Le ministère de la justice a donc pour objectif de réduire en 2009 de 5 % le nombre d'extractions judiciaires évaluées en 2008 en métropole, soit une cible de 7 520 extractions judiciaires. Cette évaluation a été partagée avec le ministère de l'intérieur à l'occasion des réunions du groupe de travail. Au début de l'année 2010, l'évaluation 2009 permettra de déterminer si l'objectif a été atteint.
- le second consiste à évaluer, chaque mois, au niveau de chaque cour d'appel, le nombre de visioconférences en matière juridictionnelle et plus particulièrement celles en lien avec les détenus, qui ont très majoritairement pour effet de limiter les extractions judiciaires.
En cas de sous-performance constatée à partir du premier indicateur, les cours d'appel seront mises à contribution sur leurs crédits vacataires. La performance des cours les unes par rapport aux autres tiendra compte du nombre des visioconférences réalisées dans les activités remplissant la double condition d'être éligibles à cette technologie et fortement concernées par les extractions judiciaires.
Il s'agit essentiellement des activités devant les chambres de l'instruction, les juges des libertés et de la détention, les juges d'instruction, et les formations pénales de jugement statuant en matière de contentieux de la détention. Ces résultats seront pondérés par le nombre de matériels déployés dans les établissements pénitentiaires visés par ces extractions c'est-à-dire les maisons d'arrêt et quartiers maisons d'arrêt des centres pénitentiaires.
La Chancellerie estime que l'objectif de diminution du nombre d'extractions judiciaires de 5 % devrait être respecté en 2009. Si cet objectif était dépassé, le dispositif d'intéressement au profit du ministère de la justice pourrait être activé . Le ministère disposerait alors d'un transfert d'emplois sous forme de crédits de vacataires de la part du ministère de l'intérieur. Ces crédits de vacataires seraient affectés aux cours d'appel les plus performantes.
Cette montée en puissance du dispositif de la visioconférence et par voie de conséquence, de la limitation des extractions judiciaires, va être renforcée par le déploiement, courant 2010, de nouveaux matériels destinés à compléter le parc d'équipements des petites et moyennes maisons d'arrêt et à renforcer les grands établissements pénitentiaires par le doublement ou triplement des capacités existantes.
Les juridictions au travers des magistrats spécialisés dans les matières pénales (instruction, juge des libertés et de la détention) bénéficieront aussi de matériels susceptibles de faciliter le recours à la visioconférence pour limiter les extractions.
• Une technologie diversement reçue dans les juridictions
Aux termes des textes normatifs, la mise en oeuvre de la visioconférence en matière pénale est laissée à l'appréciation des magistrats. Le ministère de la justice recourt cependant à des dispositifs de sensibilisation et de responsabilisation afin de convaincre les juridictions de s'approprier cet outil.
Si, au cours de ses déplacements effectués dans les juridictions en 2008, votre rapporteur avait recueilli des avis négatifs sur l'utilisation de la visioconférence, il apparaît en 2009 que ce procédé est progressivement mieux accepté par les magistrats, certains allant même jusqu'à en promouvoir l'utilisation.
M. Philippe Jeannin, président du tribunal de grande instance de Bobigny, et M. François Molins, alors procureur près le même tribunal, ont relevé le caractère à la fois incitatif et coercitif de l'objectif de 5 % de réduction du nombre d'extractions, sous peine d'une diminution des crédits de vacataires, alors que l'usage de la visioconférence suppose une acculturation progressive des magistrats.
La cour d'appel de Bordeaux, dans laquelle votre rapporteur s'est rendu le 9 novembre 2009, apparaît comme pionnière dans l'utilisation de la visioconférence. Elle a réalisé, entre janvier et août 2009, 476 visioconférences, soit le nombre le plus élevé de toutes les cours d'appel. Ces visioconférences ont essentiellement été conduites par la chambre de l'instruction (247) et par le juge des libertés et de la détention (181).
Les magistrats de la cour d'appel ont évoqué les nombreux avantages qu'ils ont découverts dans l'utilisation de la visioconférence. Ainsi, ils ont expliqué que les détenus étaient plus calmes lors des audiences réalisées par visioconférence, car ils sont installés dans une salle de la maison d'arrêt ou du centre pénitentiaire, dépourvue du décorum impressionnant du palais de justice et sans public. Ils ont déclaré avoir été surpris de constater que certains détenus s'exprimaient plus librement dans le cadre d'une visioconférence que s'ils avaient été conduits au palais de justice.
De plus, les détenus n'ayant pas à effectuer des déplacements jusqu'au palais de justice, ils n'ont pas à subir les fouilles à corps au départ et à l'arrivée, et peuvent poursuivre, dans la journée, des activités que le déplacement les aurait empêchés d'effectuer (parloir, travail, sport...).
Les magistrats de la cour d'appel de Bordeaux ont indiqué qu'ils ne faisaient quasiment plus procéder à aucune extraction de détenu. Considérant que la visioconférence engendrait très peu de problèmes techniques, ils ont souligné qu'elle supposait toutefois une organisation dynamique de l'audience. En effet, cinq maisons d'arrêt sont situés dans le ressort de la cour d'appel de Bordeaux, si bien que le greffe doit assurer un travail de préparation important pour programmer les communications nécessaires à la visioconférence avec chaque maison d'arrêt.
Ainsi, la visioconférence permet de réaliser d'importantes économies en matière d'extractions judiciaires, mais requiert l'emploi d'un assistant technique au sein du greffe, dont le coût est cependant largement compensé.
Enfin, votre rapporteur a pu observer que le recours à la visioconférence permettait d'épargner aux détenus de longues heures d'attente au sein du palais de justice, dans des locaux souvent exigus, avant leur passage à l'audience.
Les magistrats ont cependant relevé que l'usage de la visioconférence pouvait présenter plus de difficultés dans le cadre des audiences de prolongation de la détention, devant le juge des libertés et de la détention, la loi ne prévoyant aucun délai pour que l'avocat indique s'il souhaite être auprès de son client à la maison d'arrêt ou au palais de justice. En effet, si l'avocat choisit de se trouver auprès de son client, la copie de l'intégralité du dossier doit être mise à sa disposition dans les locaux de détention.
La cour d'appel de Bordeaux se situe donc en pointe dans l'utilisation de la visioconférence. Seules 7 autres cours d'appel ont eu recours au moins à cent reprises à la visioconférence entre janvier et août 2009.
Votre rapporteur estime que ce procédé pourrait à l'avenir connaître un développement important, si les magistrats, qui restent libres d'y recourir, en découvrent les avantages pratiques.