3. L'impératif de sauvegarde de la médecine scolaire
Votre rapporteure s'est inquiétée de la recrudescence des maladies infectieuses dans certains territoires défavorisés, dont la presse s'est fait l'écho. Malheureusement, le recueil d'activité des médecins scolaires, tel qu'il ressort d'une enquête réalisée à l'initiative louable du syndicat majoritaire, confirme ses craintes. Les médecins scolaires sont de plus en plus sollicités pour des maladies transmissibles graves comme la méningite ou la tuberculose. Le nombre de sollicitations a presque doublé sur un an . Même si ce taux basé sur un recueil d'activités ne peut constituer une mesure exacte, l'évolution est nette et préoccupante. Parallèlement, la teigne et la gale réapparaissent dans certaines écoles, signe d'une grave dégradation des conditions de vie de la population environnante. La médecine scolaire, pourtant en première ligne sur ces problèmes généraux de santé publique, n'a plus les moyens suffisants pour y faire face.
Le corps des médecins de l'éducation nationale comptait 1 314 agents au 1 er avril 2011, dont 116 agents sur emploi de médecin conseiller-technique. Cet effectif représente un ratio d'environ 1 200 médecins pour 12 millions d'élèves, soit 1 médecin pour 10 000 élèves . Cette proportion est manifestement dérisoire si on la confronte non seulement à l'ampleur des missions de prévention, de veille et de soins qui incombent aux médecins scolaires, mais aussi à l'extension normale de la patientèle d'un généraliste qui s'occupe d'environ 1 000 personnes. Dans les académies rurales, la circonscription d'un médecin scolaire peut couvrir tout un département ce qui impose des trajets longs et fréquents, alors même que les frais de déplacement budgétés sont insuffisants.
Le corps des médecins scolaires est donc manifestement sous-dimensionné , ce qui, nonobstant la qualité et le dévouement incontestables des personnels, menace à terme de dégrader l'état de santé général des élèves. D'ores et déjà, le bilan de santé à 6 ans ne peut être réalisé, faute de moyens, systématiquement sur l'ensemble des élèves. En Seine-Saint-Denis, le bilan est réalisé par exemple sur 20 % des enfants. En bons professionnels, les médecins scolaires ont décidé de cibler les enfants aux besoins prioritaires , en se coordonnant avec les infirmiers, les psychologues scolaires et les assistants sociaux. Il n'en demeure pas moins qu'ils ont été amenés à prendre la responsabilité de la reconfiguration de leur mission, en l'absence de tout pilotage stratégique par le ministère de l'éducation nationale .
Les réformes menées depuis 2006 par le ministère ont tendu à simplifier les modalités de recrutement et de formation des médecins de l'éducation nationale pour résoudre les problèmes de recrutement dans ce corps. Ainsi, à compter de la session 2009, en lieu et place de trois concours, un concours unique de recrutement sur titres et travaux est instauré, complété par une épreuve orale. Ce n'était pas une mesure à la hauteur du problème si bien que le nombre de postes restés vacants à l'issue des opérations d'affectation n'a cessé de croître pour atteindre 140 postes vacants à la rentrée 2010, essentiellement en raison de l'assèchement du vivier de candidats et du renoncement au bénéfice du concours.
RECRUTEMENT PAR CONCOURS DES MÉDECINS SCOLAIRES DEPUIS 2006
Année |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
Nombre postes offerts |
105 |
100 |
100 |
49 |
40 |
100 |
Nombre postes pourvus |
105 |
68 |
54 |
26 |
25 |
- |
% couverture |
100 % |
68 % |
54 % |
53 % |
62 % |
- |
Source : MEN
En 2011, le syndicat national des médecins scolaires et universitaire, (SNMSU-UNSA), majoritaire, reçu en audition par votre rapporteure, estime à 200 postes les vacances sur l'ensemble du territoire national , ce qui représenterait environ 17 % de l'effectif du corps. Par exemple, 19 postes sont vacants dans le seul département de Seine-Saint-Denis dans l'académie de Créteil alors que les difficultés sociales qui y sont concentrées se doublent fréquemment de problèmes sanitaires chez des populations souvent éloignées du soin.
Il faut considérer que, sur de nombreux points du territoire, la médecine scolaire répond aux besoins essentiels de santé de la population, qu'elle est une médecine de proximité, de première intention et constitue un filet de sécurité sanitaire essentiel . Beaucoup d'enfants ne disposent pas d'un suivi médical, n'ont pas de médecin traitant et vont de service d'urgences en service d'urgences. La médecine scolaire agit comme un révélateur des problèmes parce qu'elle est parfois le seul contact de ces jeunes avec la santé et qu'elle joue un rôle crucial de diagnostic et d'accompagnement des familles vers le soin.
À ces vacances importantes, aux inégalités territoriales qui pénalisent les zones urbaines difficiles et les zones rurales isolées - elles aussi souvent coupées du soin et d'un accès facile à la santé - il faut encore ajouter un facteur aggravant : 42 % du corps pourrait être parti à la retraite d'ici 2019. L'avenir de la médecine scolaire s'est assombri.
Devant la gravité de l'enjeu, votre rapporteure est convaincue que la passivité n'est plus de mise et qu' il faut renforcer l'attractivité de la profession en agissant simultanément sur l'élévation de la grille des rémunérations, la consolidation du statut et la clarification des missions de la médecine scolaire.
La question salariale est la plus urgente, à la fois en termes de niveau absolu de la rémunération et de différences de traitement avec les autres médecins, y compris ceux de la fonction publique . Un médecin scolaire commence sa carrière avec un traitement mensuel brut de 1 754,88 euros, soit une somme inférieure à ce que reçoit un interne en 3 e année. En fin de carrière, un médecin scolaire reçoit 3 801,47 euros mensuels bruts, soit encore 174 euros de moins que les médecins de prévention chargés des personnels de l'éducation nationale. Les différences de rémunération ont été cruellement révélées lors des opérations de vaccination contre la grippe A. D'après les informations reçues par votre rapporteure, les heures de vaccination étaient rémunérées à environ 66 euros pour les médecins libéraux, 33 euros pour les médecins salariés et environ 15 euros par les médecins scolaires. Le geste était pourtant le même et tous avaient la qualité de médecin.
Si, parallèlement, la rémunération des vacataires n'est pas améliorée pour demeurer compétitive par rapport à ce que propose la protection maternelle et infantile (PMI) ou les centres de santé locaux, les ressources de la médecine scolaire sont condamnées à l'attrition et son vivier de recrutement à l'assèchement, sans aucun apport de sang neuf.
Les questions de grille doivent aussi être envisagées du point de vue de la progression au cours de la carrière. Or, les médecins scolaires parviennent rapidement en bout de grille sans possibilité de progression pour le reste de leur carrière : c'est le cas de 65 % des médecins de 1 re classe. Considérant l'accumulation de ces considérations de salaire et de carrière, on peut légitimement comprendre la frustration de médecins scolaires, qui sont de plus en plus nombreux à faire des demandes de détachements ou qui repassent d'autres concours pour être intégrés dans d'autres corps. L'utilisation par le ministère du levier de l'indemnité de sujétion spéciale n'est pas adéquate, ne serait-ce que parce que l'application du coefficient multiplicateur est laissée à l'initiative des recteurs. Il faut plutôt une politique nationale globale agissant sur la grille et le statut, si l'on cherche l'efficacité et l'équité.
Une solution devrait être explorée : l'alignement des médecins scolaires sur les médecins-inspecteurs de santé publique (MISP) , d'autant que ces professionnels faisaient tous partie du même corps avant 1991.
Rénover la médecine scolaire nécessitera également de réfléchir :
- à des dispositifs permettant aux médecins un exercice mixte combinant sur une carrière des périodes libérales et des périodes salariées dans la fonction publique ;
- à des voies de collaboration plus étroite avec les agences régionales de santé (ARS) et avec les collectivités territoriales afin d'intégrer la médecine scolaire à une politique de santé globale et cohérente à l'échelle d'un bassin de population.