III. LES CRÉDITS HORS TITRE 2 : L'AMBITIEUX PARI D'ÉCONOMIES SUR LE FONCTIONNEMENT, DANS UN CONTEXTE DE CONTRAINTE BUDGÉTAIRE TENDU

A. LA LPM FIXE UN CAP TRÈS VOLONTARISTE D'ÉCONOMIES DANS LE SOUTIEN

1. Le pari ambitieux d'économies supplémentaires dans le fonctionnement du ministère de la défense

Le rapport annexé au projet de loi de programmation militaire indique que des efforts d'économies seront entrepris pour réduire les coûts de structure du ministère de la défense. De tels efforts doivent permettre de les limiter (hors OPEX) à 3,5 milliards d'euros courants en moyenne par an .

C'était déjà le pari - qui n'a pas été totalement atteint - de la précédente loi de programmation : arriver à dégager des économies dans le soutien, de sorte à donner la priorité, à enveloppe budgétaire contrainte, à l'équipement et à l'opérationnel.

Cette stabilisation des dépenses de fonctionnement à 3,5 milliards d'euros va en effet se traduire par une baisse en volume de 12% sur la période de la loi de programmation, soit environ 100 millions d'euros par an, après une baisse de 7% des crédits de fonctionnement en 2013.

100 millions d'euros d'économies supplémentaires sont à trouver dès le projet de loi de finances pour 2014.

En termes d'effectifs, une des priorités du projet de loi de programmation étant de préserver les forces opérationnelles, la plus grande part des déflations (14 500) devrait provenir de la transformation de l'environnement des forces et en particulier du soutien.

L'équation est compliquée car les dépenses de fonctionnement sont soit très rigides, soit -encore pire- naturellement orientées à la hausse, soit elles affectent directement les conditions de vie des personnels :

- le tiers d'entre elles concerne l'activité opérationnelle des forces (carburants, entraînement,...) que le gouvernement entend, à juste titre, sanctuariser ;

- le soutien courant des structures (520 M€ en 2013), est notamment constitué des coûts des fluides et de l'énergie (qui représentent 40% des dépenses des bases de défense) ;

- un peu moins de 20% touche à la condition des personnels militaires (compensation SNCF, alimentation, etc...), un peu plus de 20% sont constitués d'engagements contractuels (comme la convention SNCF signée pour la période 2012-2017 ou contrats d'externalisation de prestations), qui « rigidifient » les budgets ;

- les « frais généraux » ne constituent donc en réalité que moins de 30% du total des dépenses de fonctionnement, et le ministère de la défense y subit des hausses de coûts, comme par exemple en matière de mise aux normes des bâtiments et des dépenses d'entretien immobilier.

2. Des dépenses qui souffraient déjà d'une sous-estimation récurrente de leur enveloppe

Les objectifs du projet de loi de programmation sont extrêmement ambitieux compte tenu des efforts déjà accomplis dans ce domaine ces dernières années.

Ils interviennent en effet dans un contexte marqué, sous l'impulsion tant de la révision générale des politiques publiques (RGPP) que de la précédente loi de programmation militaire, par la réorganisation totale, depuis 2008, des fonctions de soutien, avec, notamment, la création des bases de défense (en 2011) et la mutualisation du soutien entre les unités, sur une base géographique.

La seule création des bases de défense aura ainsi permis d'« économiser » 10 000 postes au sein du ministère de la défense. Une grande part des 37 projets conduits dans le cadre de la RGPP portaient sur le soutien.

Plusieurs rapports (Cour des comptes, Sénat 7 ( * ) , puis Assemblée nationale) ont mis en lumière non seulement le bouleversement total - et le véritable le choc culturel - qu'ont vécu, à la suite de ces réorganisations, les personnels en charge du soutien, mais aussi la difficulté à contraindre l'accroissement des dépenses de fonctionnement malgré une action résolue dans ce sens.

Les travaux de votre commission, et ceux de l'Assemblée nationale, ont mis en lumière une certaine « paupérisation » (pour reprendre un terme utilisé par les députés) des bases de défense, sous-dotées budgétairement, qui pèse forcément sur les conditions de vie quotidienne du personnel (en particulier dans le domaine du soutien vie, de l'entretien immobilier courant, voire de l'entraînement).

Le rapport d'information de votre commission avait notamment mis en lumière dès juillet 2012 la mécanique perverse consistant à sous-estimer, en construction, les coûts du soutien, occasionnant impasses budgétaires, report de charges, ré-abondement in extremis en gestion voire « resoclage » de l'enveloppe budgétaire.

Ainsi en a-t-il été par exemple des dotations de fonctionnement des bases de défense en 2012. Faisant le constat, après une série de visites sur place, de l'« étranglement financier » des bases de défense, votre commission chiffrait ainsi, à l'été 2012, l'impasse budgétaire à 130 millions d'euros pour la seule année 2012, soit le quart de l'enveloppe. Un audit du ministère de la défense confirmait par la suite ce constat, conduisant à un « resoclage » de l'enveloppe en loi de finances initiale pour 2013 (crédits portés de 630 à 720 millions d'euros).

Les effets de cette pénurie de crédits sont doubles : d'une part elles induisent des reports de charge qui mettent en péril les exécutions budgétaires futures, d'autre part elles conduisent à des économies forcées qui démotivent les personnels en charge du soutien, et discréditent la nouvelle organisation du soutien aux yeux des formations soutenues.

Par ailleurs, on ne connaît que trop les conséquences de la politique tendant à ne pas assurer, faute de crédits, « l'entretien du propriétaire » en matière immobilière : faute de maintenance préventive, voire tout simplement d'entretien courant, les travaux nécessaires par la suite n'en sont que plus lourds. À cet égard il faut relever que les crédits que le ministère de la défense consacrera à l'entretien de son patrimoine immobilier représenteront 4 euros par mètre carré, là où le ratio couramment admis pour l'entretien du propriétaire est de 11 euros au mètre carré...

3. Le prix à payer : une nouvelle réorganisation des fonctions « soutien », déjà déstabilisées par l'empilement et le rythme des précédentes réformes

Atteindre ces objectifs ambitieux en termes de réductions des coûts passe nécessairement par une nouvelle réorganisation du soutien, alors que les réformes liées à la précédente loi de programmation, qui ont profondément perturbé les modes d'action des agents du ministère sans pour autant dégager toutes les économies attendues, ne sont pas encore totalement « digérées ».

La tâche sera d'autant moins aisée que la précédente loi de programmation a déjà vu se mettre en place les mesures de rationalisation les plus évidentes, à savoir la mutualisation des soutiens et la professionnalisation des différentes fonctions.

Il faudra donc désormais rechercher les gains de productivité par un examen en profondeur de l'efficacité de chaque processus et mode de travail. C'est nécessairement une démarche plus complexe : le plus aisé a déjà été fait lors de la mise en oeuvre de la précédente loi de programmation.

Devant votre commission, le Secrétaire général pour l'administration a décrit en ces termes ce qui s'apparente à ses yeux à un « véritable défi » : « un travail d'identification des points de progrès, processus par processus, et des simplifications qui permettront de gagner en efficacité sans dégrader la qualité du service . ».

Dans le domaine des soutiens, l'objectif est de simplifier l'organisation. Il faut relever que plusieurs propositions du rapport d'information précité du Sénat de juillet 2012, tendant à simplifier un environnement très complexe de la chaîne du soutien, seront mises en oeuvre, comme la suppression des états-majors de soutien de défense (EMSD) ou la réaffirmation d'une organisation ministérielle « métiers » se traduisant par le contrôle de bout en bout des services de soutiens spécialisés. Le Service du commissariat des armées se verra confier la responsabilité de l'administration et des soutiens communs (groupements de soutien des bases de défense, GSBDD), le commandant de base de défense étant recentré sur des fonctions de pilotage et d'arbitrage.

Une vision d'ensemble des réformes envisagées figure dans l'encadré ci-dessous :

RÉFORMES ENVISAGÉES POUR FAIRE DES ÉCONOMIES DE FONCTIONNEMENT

(SOURCE : MINISTÈRE DE LA DÉFENSE, RÉPONSE ÉCRITE AU QUESTIONNAIRE SUR LA LPM)

Couvrant l'ensemble du périmètre ministériel, près de cinquante projets sont aujourd'hui conduits, concernant la rationalisation des structures et l'optimisation des fonctions et processus.

1. La rationalisation des structures

Les pistes de chantiers de rationalisations comprennent en particulier :

- l'optimisation de la fonction « santé », en poursuivant la réforme du service de santé des armées ;

- la rationalisation des administrations centrales, incluant les commandements organiques d'armées et des états-majors interarmées ;

- dans le domaine de la logistique, la gestion des stocks de munitions et de rechanges et les stocks pétroliers ;

- la rationalisation des postes permanents à l'étranger ;

- quant au stationnement sur le territoire, le mouvement de resserrement et de densification sera poursuivi.

2. L'optimisation des fonctions et processus

L'ensemble des fonctions et processus seront revus, notamment :

- la rationalisation des fonctions de soutien, notamment les fonctions administratives mais également l'« habillement » et l'« alimentation-hébergement-loisir » ;

- la poursuite de la rationalisation de la formation initiale et continue, en privilégiant les mutualisations entre armées et au sein des armées ;

- une rationalisation plus poussée de la communication et de la fonction SIC ;

- une optimisation de la chaîne d'exécution financière et de traitement des factures, de la fonction achats et des processus administratifs RH ;

- la poursuite de la rationalisation de l'organisation du maintien en condition opérationnelle (MCO) ;

- la rationalisation de la fonction infrastructures ;

Ces économies structurelles, qui ne produiront tous leurs effets qu'à moyen-long terme, ont été complétées par une réduction volontariste des dépenses dans la plupart des secteurs : limitation des frais de déplacement, des dépenses de formation, réduction supplémentaire du parc de véhicules de la gamme commerciale (qui passe de 17 000 à 12 130 à horizon 2015), baisse des dépenses de communication, extension de la stratégie d'optimisation des achats, réduction des frais généraux...

Ces réformes auront naturellement un impact non négligeable sur les personnels en charge du soutien, qui ont déjà dû vivre un véritable empilement de réformes, à un rythme soutenu. Votre commission a tout particulièrement attiré l'attention du ministre de la défense sur ce point.

En particulier, les déflations complémentaires dans le soutien se traduiront par :

- la poursuite de la rationalisation des bases de défense sur certaines fonctions, dans une logique de « bout-en-bout » ;

- la poursuite des simplifications et de l'harmonisation des processus ;

- l'achèvement du déploiement des systèmes d'informations.

Il va de soi que la déflation des effectifs prévue au niveau du ministère tout entier, en plus des économies en masse salariale qu'elle génère directement, se traduit par ailleurs par une diminution des dépenses de fonctionnement en matière de « coûts liés au soutien de l'homme » (alimentation, habillement, compensatrice SNCF).

« Par ailleurs, une révision de la cartographie des bases de défense pourrait être nécessaire, pour accompagner les évolutions du plan de stationnement des forces et des volumes à soutenir, pouvant se traduire par la suppression de certaines antennes de groupements de soutien des bases de défense, ou le regroupement de certaines bases de défense limitrophes et concernées par la restructuration de formations majeures, afin de leur conserver une taille critique en termes d'effectifs soutenus. 8 ( * ) »

Questionné à ce sujet par votre commission lors de son audition sur la loi de programmation militaire, le ministre de la défense a indiqué que les arbitrages n'étaient pas encore pris . Il va de soi que votre commission suivra avec une particulière attention ce dossier sensible tant pour les personnels de la défense que pour les collectivités locales concernées.

4. Un défi « majeur et immédiat »

Les différents chefs d'état-major n'ont pas caché la difficulté de l'exercice qui leur était demandé s'agissant des économies de fonctionnement à trouver dès 2014, compte tenu de l'exécution passée de ces crédits.

L'Amiral Édouard GUILLAUD, chef d'état-major des armées, a déclaré, lors de son audition devant votre commission sur le projet de loi de finances pour 2104 :

« S'agissant du fonctionnement, vous le savez, l'année 2014 s'annonce très difficile : les économies programmées par le PLF sont supérieures de 30 M€ aux 70 M€ que le ministère de la défense avait prévus au titre de la LPM, et ces 70 M€ représentaient déjà un effort considérable. Sachez, à titre d'exemple, que pour cette année 2013, les budgets de fonctionnement de nos bases de défense seront sans doute consommés dès novembre, et devront donc être abondés en fin de gestion. Les économies réalisées sur le soutien courant sont en effet absorbées par des facteurs haussiers, telle que la hausse du coût des fluides et de l'énergie, qui représente 40% des dépenses des bases de défense.

« L'identification des gisements d'économie pour atteindre l'objectif des 100 M€ d'économies qui nous est assigné dès 2014 est donc un défi majeur et immédiat. À cet égard, les restructurations programmées en 2014 permettront d'y contribuer, mais elles seront largement insuffisantes. À titre d'exemple, la fermeture d'un régiment ne permet d'économiser qu'un peu plus de 2 M€ de fonctionnement en année pleine.

« Par conséquent, seules des réorganisations couplées à des optimisations de fonctions très volontaristes, en plus des fermetures d'emprises, permettront d'atteindre l'objectif recherché. À défaut, les économies seront « saupoudrées » sur toutes les bases de défense, en prolongeant ou en amplifiant des mesures qui ont déjà été mises en oeuvre au niveau local : réduction de la période de chauffage (à Nancy par exemple, région où il ne fait pas particulièrement chaud, la période de chauffage a été retardée de 15 jours et raccourcie de 15 jours supplémentaires), fermeture de bâtiments (toujours à Nancy, le gymnase a été fermé par exemple) ou absence d'entretien locatif de bâtiments, limitation des services de nettoyage, abandon de l'entretien de certains espaces verts, non renouvellement du mobilier, etc... »

Le Général RACT-MADOUX, chef d'état-major de l'armée de terre, a confirmé cette analyse lors de son audition 9 ( * ) : « S'agissant du soutien de l'homme, le cadrage budgétaire du projet de loi de programmation militaire pourrait obliger à revoir à la baisse le standard d'équipement du combattant (les tenues de combats, les équipements individuels et les éléments de protection) et à diminuer ses droits à dotation. Cela se traduit aussi par des tensions sur notre capacité à équiper les forces, risquant de créer une situation de pénurie temporaire en cas de déclenchement d'une intervention d'urgence.

« Les mesures d'économie sur le fonctionnement touchent également les conditions de vie et d'exercice du métier dans le domaine de l'alimentation et de la formation. J'ai ainsi été amené en 2013 à réduire, pour l'armée de Terre, le coût des denrées par repas à 3,20 euros. S'agissant de la formation, une mesure envisagée de suppression du stage de nos jeunes officiers au centre d'aguerrissement du désert de Djibouti et au centre d'aguerrissement en forêt équatoriale de Guyane les priverait d'évidence d'une expérience opérationnelle pourtant indispensable.

« Au bilan, il faut éviter que la dégradation des conditions de vie et de travail et que l'enchaînement des réformes n'affectent la motivation et la satisfaction que leur engagement procure à nos soldats. ».


* 7 Rapport d'information de MM. Gilbert ROGER et André DULAIT, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées n° 660 (2011-2012) - 11 juillet 2012

* 8 Source : réponse écrite à la question n°67 de votre commission sur le projet de loi de programmation militaire

* 9 18 septembre 2013

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page