C. FRANCHIR UNE NOUVELLE ÉTAPE EN MATIÈRE DE RÉDUCTION DES RISQUES ET FAIRE ÉVOLUER LA RÉPONSE PÉNALE

1. Surmonter les derniers obstacles à l'ouverture d'une salle de consommation à moindre risque

Depuis plusieurs années, la politique de réduction des risques 5 ( * ) en France est caractérisée par son immobilisme. Au vu de ses enjeux sanitaires et sociaux, il est indispensable de sortir de cette situation. Le principal chantier reste l'expérimentation d'une salle de consommation à moindre risque (SCMR), que votre rapporteure appelle de ses voeux depuis deux ans. Il s'agit d'un engagement de campagne de François Hollande, auquel le Président de la République a réaffirmé son soutien le 26 novembre 2013 à l'occasion des 25 ans de l'Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS).

A Paris, les associations ainsi que la municipalité sont prêtes. La Mildt et le Gouvernement le sont également. Plusieurs réunions de concertation ont eu lieu avec tous les acteurs concernés, y compris les riverains. Toutefois, le Conseil d'Etat a rendu le 8 octobre 2013 un avis négatif sur un projet de décret « relatif aux expérimentations locales en matière de réduction des risques en direction des usagers de drogues » qui devait autoriser l'ouverture de SCMR. Cet avis soulève une question juridique mais ne remet pas en cause le bien-fondé de cette mesure . Celui-ci est notamment démontré dans l'expertise collective qu'a réalisée l'Inserm sur la réduction des risques infectieux chez les usagers de drogues en 2010, à la demande du gouvernement alors en place.

Le blocage actuel n'est que temporaire, et votre rapporteure ne doute pas que les dispositions législatives nécessaires à l'ouverture d'une telle salle seront prises dans un délai qui se doit d'être court. Il faut dépassionner le débat : l'objectif est bien ici d'améliorer la situation sanitaire des usagers de drogues , en réduisant les risques de surdose et d'infections, et de diminuer les nuisances que subissent les riverains du fait d'une consommation qui, trop souvent, se fait dans l'espace public. Il s'agit également d'établir un contact avec des personnes marginalisées et les accompagner, si elles le souhaitent, vers le sevrage ou un traitement de substitution.

Contrairement à ce que l'approche de cette question par les médias pourrait laisser penser, les Français ne sont pas opposés aux SMCR ; ils y sont même favorables. Selon l'enquête sur les représentations, opinions et perceptions sur les psychotropes (Eropp) 6 ( * ) de l'OFDT, conduite en décembre 2012, ils sont 83 % à être favorables au principe même de la réduction des risques et 58 % à soutenir l'ouverture d'une SCMR. Il est donc temps que le Parlement autorise cette expérimentation.

2. Prendre conscience du poids des addictions sans substance

La Mildt doit également faire face à de nouveaux défis en matière de lutte contre les conduites addictives. C'est le cas des addictions comportementales, « sans substance », qui ne sont véritablement prises en compte que depuis moins de dix ans.

Leur impact est pourtant loin d'être négligeable : le jeu pathologique concerne 200 000 personnes en France, tandis qu'on dénombre 400 000 joueurs « à risque modéré », soit 1,3 % de joueurs problématiques parmi la population. Les dommages individuels, familiaux et sociaux sont très importants : surendettement, séparation voire pratiques délictuelles (vol, escroquerie). Les comorbidités avec l'alcool, le tabac et des troubles psychiatriques sont avérées. Moins de 10 % des personnes concernées demandent des soins . L'absence d'évaluation du coût social du jeu problématique constitue un handicap à la définition d'une politique publique ciblée auquel il faudrait, sous l'impulsion de la Mildt, remédier.

Il en va de même pour la cyberdépendance , phénomène émergeant encore trop méconnu des professionnels. Sur ces deux points, les compétences des médecins doivent être développées.

3. Faire évoluer la réponse pénale à l'usage de stupéfiants

Le régime juridique de la consommation de stupéfiants est toujours issu de la loi du 31 décembre 1970 7 ( * ) , désormais codifiée au sein du code de la santé publique. Selon l'article L. 3421-1 de ce code, « l'usage illicite de l'une des substances ou plantes classées comme stupéfiants est puni d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende ». Quel que soit le produit, le délit est le même. Depuis la loi du 5 mars 2007 8 ( * ) , le juge a également la possibilité de condamner, à titre de peine complémentaire, tout usager de drogue à accomplir un stage de sensibilisation aux « dangers de l'usage de produits stupéfiants ».

En vigueur depuis maintenant plus de quarante ans, le traitement pénal de la consommation de drogues a démontré son échec. L'effet dissuasif de la sanction, une peine de prison ferme qui est dans les faits peu appliquée, est inexistant. Les statistiques retraçant l'évolution de cette consommation n'y sont pas corrélées. Cette infraction mobilise d'importantes ressources policières et judiciaires qui pourraient sans nul doute être utilisées à meilleur escient, et notamment dans la lutte contre les trafics. Sur les 198 000 interpellations pour des infractions à la législation sur les stupéfiants (ILS) réalisées en 2012, 161 500 relevaient de l'usage simple. A l'opposé, les forces de police, de gendarmerie et la douane ont saisi cette même année 51 tonnes de cannabis, 5,3 tonnes de cocaïne et 521 kg d'héroïne.

Ce système est un « échec cuisant », selon l'expression employée devant votre rapporteure par l'une des personnes auditionnées. Depuis sa mise en place, la consommation de produits illicites s'est répandue tandis que les trafics se sont développés au point d'avoir mis certains quartiers sous leur coupe.

Comme l'an dernier, votre rapporteure se prononce donc en faveur d'une dépénalisation de l'usage de drogue . Aujourd'hui, seule la Suisse continue à considérer la consommation du cannabis comme une infraction pénale, contrairement à l'Allemagne, au Royaume-Uni, à l'Espagne ou encore au Portugal. Il ne s'agit pas pour autant d'aller vers la légalisation de la vente de ces produits . L'interdit doit absolument être maintenu et articulé avec la politique de prévention, en particulier en direction des plus jeunes.

D'autres pistes ont été évoquées par les personnes auditionnées, telle que la contraventionnalisation de l'usage, qui doit être recherchée . Ainsi, le rapport 9 ( * ) sur la refondation de l'action publique, remis par la commission de modernisation de l'action publique à la garde des sceaux, ministre de la justice le 28 novembre 2013 et rédigé sous la direction de Jean-Louis Nadal, observe que la mise en place d'une amende forfaitaire pour l'usage illicite de stupéfiants serait de nature à améliorer l'efficacité de la réponse judiciaire à ces comportements. Soulignant que l'interdit pénal serait ainsi maintenu et que la sanction financière serait dissuasive pour les consommateurs, il précise qu'une telle réforme « ne serait pas susceptible de nuire, par ailleurs, aux enquêtes pour trafic de stupéfiants dès lors qu'une mesure de placement en garde à vue pourrait être prise, en tant que de besoin, sous la qualification de détention de produits stupéfiants ». L'un des principaux arguments des défenseurs de la pénalisation de l'usage se trouve ainsi invalidé. Considérant que la politique pénale en matière de produits stupéfiants doit être traitée globalement, le rapport Nadal se refuse néanmoins à aller au-delà de ce constat et à faire une proposition allant dans ce sens. Il n'en reste pas moins qu'il en démontre le bien-fondé. Votre rapporteure y est favorable.


* 5 Dont l'article L. 3121-4 du code de la santé publique définit l'objet. Elle vise à « prévenir la transmission des infections, la mortalité par surdose par injection de drogue intraveineuse et les dommages sociaux et psychologiques liés à la toxicomanie par des substances classées comme stupéfiants ».

* 6 Tendances ; Perceptions et opinions des Français sur les drogues, OFDT, octobre 2013.

* 7 Loi n° 70-1320 du 31 décembre 1970 relative aux mesures sanitaires de lutte contre la toxicomanie et à la répression du trafic et de l'usage illicite des substances vénéneuses.

* 8 Loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, article 48.

* 9 Jean-Louis Nadal (dir.), Refonder l'action publique, Commission de modernisation de l'action publique, rapport à la garde des sceaux, ministre de la justice, novembre 2013, p. 55.

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