B. COLLECTIONS PUBLIQUES : LES ALTERNATIVES À LA PROGRESSION DES ACQUISITIONS

1. La circulation des oeuvres : vers une nouvelle dynamique ?

L'État a développé une politique de prêts et dépôts en direction de tous les territoires, favorisant ainsi un meilleur accès de tous à la culture ainsi qu'un enrichissement du patrimoine muséal ne reposant pas uniquement sur les crédits d'acquisition. Cette dynamique devrait se développer, comme l'y incite le rapport d'Alain Seban remis à la ministre de la culture en mai 2013 intitulé : « Dynamiser la circulation des collections publiques sur l'ensemble du territoire national ».

a) La politique des prêts et dépôts en faveur de tous les territoires

La politique des prêts et dépôts portée par le ministère de la culture et de la communication se développe de manière constante autour des axes suivants :

- les antennes des musées nationaux en région ;

- des dépôts et des prêts à moyen terme pour compléter des collections existantes ;

- la réévaluation des dépôts postérieurs à 1910 dans le cadre du récolement général des dépôts ;

- le transfert de propriété aux collectivités des dépôts antérieurs à 1910.

1. Les partenariats stratégiques des musées nationaux en région

Le ministère de la culture et de la communication mène une politique de partenariat de grands musées nationaux en région (Centre Pompidou Metz, Louvre-Lens, tous deux établissements publics de coopération culturelle) ; il a lancé également la création d'un grand musée national en région, le musée des civilisations de l'Europe et de la Méditerranée (MuCEM) à Marseille, ouvert en juin 2013. Le ministère s'attache à faire vivre ces établissements, qui rencontrent un fort succès en termes de fréquentation, en respectant son engagement de prêts nombreux et significatifs.

Les partenariats mis en place par certains musées nationaux avec des collectivités territoriales sont également encouragés, tel celui noué entre le musée d'Orsay et le musée des impressionnismes à Giverny ainsi que le musée Bonnard au Cannet, ou encore le partenariat de dix ans signé entre la Région Nord-Pas-de-Calais, la ville d'Arras et l'établissement public du château de Versailles pour organiser au musée municipal des beaux-arts d'Arras (palais Saint-Vaast), à compter de 2012, cinq grandes expositions de longue durée (18 mois). Ce partenariat s'est concrétisé en 2012 par l'exposition « Roulez carrosses ! » , constituée principalement d'oeuvres issues des collections du château de Versailles.

L'expérience entamée en 2011 par le centre national d'art et de culture-Georges Pompidou (CNAC-GP) et intitulée « Centre Pompidou mobile », consistant à proposer aux collectivités territoriales qui le souhaitent d'exposer pendant trois mois une quinzaine de ses chefs-d'oeuvre au sein d'une structure mobile et démontable, s'est poursuivie en 2012 et 2013.

Après plusieurs années de travaux, le Louvre-Lens a été inauguré en décembre 2012. Plus de sept cents oeuvres des collections nationales y sont exposées autour de trois expositions et un espace de réserves « visitables » où sont présentées 233 oeuvres. Un partenariat entre le musée du Louvre avec la ville d'Autun pour l'organisation de cinq expositions temporaires entre 2012 et 2020 au musée Rolin a été lancé à l'automne 2012 avec l'exposition « Bologne et le pontifical d'Autun » (12 septembre - 9 décembre 2012).

Le musée national Picasso de Paris, engagé dans une importante itinérance internationale de ses collections pendant la durée de rénovation de l'hôtel Salé a fait une exception au gel provisoire de ses prêts en participant en 2012 à l'exposition « Picasso, les chemins du Sud » (1 er juillet 2012 - 30 septembre 2012) à Cannes (musée de La Malmaison). La perspective de sa réouverture prévue en 2014 a mis fin à cette itinérance et devra favoriser les prêts aux musées français. Le musée pourra ainsi reprendre un rythme régulier de coopération avec les musées de France tout en continuant à répondre aux sollicitations des musées étrangers.

2. Les dépôts et les prêts à moyen terme

La loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales pose le principe d'une politique de prêts et de dépôts par l'État d'oeuvres significatives de ses collections, pour des durées déterminées, aux musées de France relevant des collectivités territoriales. Ainsi, les musées nationaux répondent aux demandes des musées territoriaux souhaitant compléter des fonds déjà existants ou renouveler leur programme muséographique, notamment dans le cadre de travaux de rénovation.

Les nouveaux dépôts consentis au cours de l'année 2012 bénéficiaient à 17 collectivités territoriales. Ces dépôts s'ajoutent à l'ensemble des dépôts antérieurement accordés. Les plus importants sont le dépôt consenti par le musée d'Orsay au musée d'art et d'archéologie de Besançon d'un tableau de Claude Monet « Le jardin de l'artiste à Giverny » et le dépôt par le musée du Louvre, au bénéfice du musée de Richelieu, d'un ensemble de trois importants Antiques : « Apollon Sauroctone », « Tête du Diadumène », « Tête de Faustine ».

Parallèlement à ces dépôts, les musées nationaux poursuivent une politique de prêts temporaires. En 2012, 449 prêts ont été consentis auprès de musées de France relevant de collectivités territoriales. Ces prêts portent sur 3 632 oeuvres des collections nationales pour une valeur globale d'assurance de 2,54 milliards d'euros.

À ces prêts, il convient d'ajouter ceux du musée national d'art moderne (MNAM/ CNAC-GP) : 1 266 oeuvres ont été prêtées en France par cette institution, soit un total de 4 898 oeuvres prêtées par les musées nationaux aux musées territoriaux pour l'année 2012 .

Parmi les expositions concernées par ces prêts, seize ont reçu le label « exposition d'intérêt national » qui récompense chaque année les manifestations les plus remarquables par leur qualité scientifique, leurs efforts en matière de médiation culturelle et leur ouverture à un large public. Elles contribuent à la politique de diffusion et d'élargissement des publics et bénéficient d'une subvention exceptionnelle de 10 000 à 50 000 euros attribuée par le ministère de la culture et de la communication .

3. Les transferts de propriété des dépôts de l'État antérieurs à 1910

Depuis la publication de la loi de 2002 relative aux musées de France, qui a fixé le principe du transfert de propriété des dépôts de l'État d'avant 1910 aux collectivités territoriales (art. L. 451-9 du code du patrimoine), la priorité a été accordée aux dépôts provenant des musées nationaux et ceux du Fonds national d'art contemporain.

Près de 300 collectivités territoriales sont concernées par des dépôts de l'État avant 1910. Toutefois, une cinquantaine de dépositaires ne peuvent bénéficier d'un quelconque transfert de propriété tel qu'il est défini par l'article L. 451-9 du code du patrimoine, soit en raison de leur statut (cas des musées associatifs) ou de leur fonctionnement (musée fermé), soit en raison du statut particulier des collections déposées (legs ou don). Ce sont donc 251 collectivités qui sont éligibles à une proposition de transfert de propriété.

En 2012, l'État a fait 15 nouvelles propositions de transfert aux collectivités territoriales (Béziers, Bourg-en-Bresse, Gray, Laval, Menton, Nîmes, Niort, Pézenas, Poitiers, Quimper, Roanne, Saint-Brieuc, Sète, Vannes, Villefranche-sur-Saône), représentant 661 oeuvres. Neuf collectivités (Angers, Béziers, Bourg-en-Bresse, Châteauroux, Le Mans, Menton, Moissac, Nîmes, Saint-Brieuc) ont, pour leur part, adressé à l'État leurs délibérations acceptant le principe des transferts d'oeuvres.

En 2012, 20 arrêtés ont été publiés correspondant au transfert de propriété de 1 007 oeuvres . Il concerne les villes suivantes : Arras, Baugé, Bordeaux, Brest, Bourgoin-Jallieu, Carcassonne, Carpentras, Châteauroux, Digne-les-Bains, Dinan, Fontenay-le-Comte, La Roche-sur-Yon, Le Mans, Limoux, Lorient, Montpellier, Tourcoing, Vienne et Villeneuve-lès-Avignon. Deux villes ont accepté un transfert partiel (Tourcoing et Châteauroux).

Au total, depuis le début de la procédure en 2008, 182 dossiers de transfert à des collectivités territoriales ont été instruits : 140 d'entre elles ont accepté le transfert, 2 l'ont refusé totalement ; 40 n'ont pas encore répondu à la proposition qui leur a été faite. Le nombre total d'oeuvres transférées au 31 décembre 2012 s'élevait à 6 455.

b) Le rapport d'Alain Seban : vers une nouvelle dynamique ?

Dans le rapport qu'il a remis en mai 2013 à la ministre de la culture et de la communication, Alain Seban, formule douze propositions visant à « dynamiser la circulation des collections publiques sur l'ensemble du territoire national ».

Ses préconisations s'appuient notamment sur la commission de récolement des dépôts d'oeuvres d'art dont les missions pourraient être étoffées, pour comprendre un rôle de pilotage d'une nouvelle politique des dépôts. Un bilan annuel devrait permettre une meilleure traçabilité des prêts et dépôts, qui devraient moins dépendre des personnalités à la tête des musées pour devenir une politique plus systématique : elle devrait viser tous les territoires et être opérée par vagues.

Parmi les mesures envisagées figure la circulation des oeuvres en dehors des institutions muséales. L'expérimentation en entreprise est notamment recommandée. Le ministère mène actuellement une réflexion avec les comités d'entreprises des industries électriques et gazières afin de déterminer les conditions de réalisation d'expositions d'oeuvres d'art dans l'enceinte d'entreprises privées.

Ce rapport ne devrait pas manquer de se traduire par une nouvelle dynamique en matière de circulation des oeuvres, avec des vertus pédagogiques évidentes, compte tenu de l'évolution des crédits destinés aux acquisitions. C'est en tout cas ce que souhaite le ministère de la culture d'après les informations recueillies par votre rapporteur pour avis.

2. Récolement et origine des oeuvres

Le récolement, pratique très ancienne, est la vérification de la présence des oeuvres à partir des inventaires. Il est la conséquence de l'existence d'un domaine public (de l'État et des collectivités territoriales) dont il sert à vérifier l'intégrité.

Ainsi, en application de la loi n° 2002-5 du 4 janvier 2002 relative aux musées de France, précisée par l'arrêté du 25 mai 2004 relatif à l'inventaire des collections et par la circulaire du 27 juillet 2006 relative au récolement, tous les musées de France doivent procéder à l'inventaire et au récolement de leurs collections tous les dix ans. La prochaine échéance est prévue en juin 2014.

Ce récolement permet d'effectuer ou de compléter l'inventaire des collections des musées, étape indispensable pour envisager une nouvelle dynamique dans la circulation des collections publiques évoquées ci-dessus. C'est également l'occasion de faire un état complet des collections et de mettre en place d'éventuels chantiers de restauration ou de rassemblement des objets. Le récolement peut être l'occasion d'informatiser l'inventaire afin de faciliter la gestion, l'accès, la diffusion, le prêt ou le traitement des oeuvres.

La dynamique recherchée pour une meilleure circulation des oeuvres devrait également être l'occasion de faire un bilan sur les oeuvres spoliées pendant la Seconde Guerre mondiale. Comme l'a montré notre collègue Corinne Bouchoux dans une communication devant votre commission de la culture en janvier 2013 5 ( * ) , les musées de France ont aujourd'hui la gestion des 2 143 Musées nationaux récupération (MNR), oeuvres récupérées après l'Occupation et dont les ayants droit n'ont jamais été identifiés. Outre ces oeuvres listées précisément par la mission présidée par Jean Mattéoli en 2000, on suppose l'existence d'un certain nombre d'oeuvres aux origines « douteuses », comme l'a illustré le cas du tableau « l'Homme à la guitare » acquis par le Centre Pompidou en toute bonne foi et dont l'indemnisation a mobilisé l'équivalent de trois années du budget d'acquisition du centre.

« L'affaire Cornelius Gurlitt », chez qui l'on a retrouvé plus de 1 406 oeuvres d'art dont une bonne partie proviendrait de spoliations de Juifs, doit être perçue comme un appel à la vigilance pour les collections publiques françaises. Interrogée par votre rapporteur pour avis, la directrice en charge des musées de France a indiqué qu'un groupe de travail s'était constitué à la suite de la publication des travaux de votre commission. Réunissant le service des musées de France, celui des Archives, des historiens, la Commission d'indemnisation de victimes de spoliations (CIVS) ainsi que la Fondation de la Shoah, ce groupe s'est réuni huit fois et a débuté ses travaux par l'étude des 120 oeuvres qualifiées par la mission Mattéoli d'« oeuvres spoliées avec certitude ou forte présomption ». Une dizaine de pistes d'ayants droit auraient été identifiées, ce qui sera précisé dans un premier rapport remis à la ministre de la culture au début de l'année 2014.


* 5 Note de synthèse « OEuvres d'art spoliées par les nazis : donner une nouvelle impulsion à la recherche de provenance » de Mme Corinne Bouchoux en date du 30 janvier 2013.

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