B. NE PAS SACRIFIER LES OUTILS PERFORMANTS DE PROTECTION DES oeUVRES
1. La Hadopi : la valeur n'attend pas le nombre des années
Le piratage d'oeuvres protégées a longtemps relevé de la seule lutte contre la contrefaçon et, de fait, des condamnations pénales applicables à ce type de délit aux termes du code de la propriété intellectuelle. Puis, au regard de la massification des pratiques de téléchargement, s'est progressivement imposée l'idée d'une réponse plus systématique, mais également moins sévère , à ces comportements avec l'installation, en janvier 2010, de la Haute autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) et de sa mission la plus symbolique : la réponse graduée. Les missions de la Haute Autorité sont triples :
- encourager le développement de l'offre légale et observer l'utilisation licite et illicite des oeuvres auquel est attaché un droit d'auteur ou un droit voisin sur Internet.
Aux termes de l'article L. 331-13 du code de la propriété intellectuelle, il s'agit ici de publier des indicateurs du développement de l'offre légale, d'attribuer un label permettant aux internautes de l'identifier, d'en gérer un portail de référencement, d'évaluer les expérimentations conduites dans le domaine des technologies de reconnaissance de contenus et de filtrage, mais également d'identifier et d'étudier les modalités techniques permettant un usage illicite des oeuvres protégées ;
- protéger ces mêmes oeuvres par le biais de la réponse graduée.
Confiée à la Commission de protection des droits, la réponse graduée constitue un outil pédagogique d'avertissement destinée à rappeler aux titulaires d'un abonnement à Internet utilisé pour télécharger ou mettre à disposition une oeuvre protégée leur obligation de surveillance à cet accès. En cas de manquement réitéré, après l'envoi, par courrier électronique puis par courrier recommandé, de deux recommandations , la Commission de protection des droits peut saisir le procureur de la République au titre de la contravention de 5 ème classe de négligence caractérisée . Pour un particulier, l'amende encourue peut s'établir à 1 500 euros, mais le juge peut également prononcer une peine complémentaire de suspension de l'accès Internet pour une durée maximale d'un mois.
Il convient toutefois de préciser que cette peine complémentaire a été supprimée par le décret n° 2013-596 du 8 juillet 2013 , limitant la sanction à son seul aspect pécuniaire ;
- enfin, réguler et assurer une veille dans le domaine des mesures techniques de protection et d'identification des oeuvres protégées par un droit d'auteur ou un droit voisin.
Pour mener à bien ses missions, la Hadopi emploie 61 agents , contractuels ou fonctionnaires détachés, dont six magistrats et fonctionnaires de l'ordre judiciaire. Rapidement, les résultats de son action ont été encourageants.
S'agissant de sa mission en matière de développement de l'offre légale, la Haute Autorité a mis en place une procédure de labellisation des sites proposant une offre culturelle légale . À ce jour, soixante-et-onze plateformes, répondant à une grande diversité d'offres et de modes de diffusion, ont obtenu ce label.
Un portail de référencement des offres légales a également été créé (www.pur.fr). Son existence reste toutefois confidentielle, puisqu'il ne comptabilise qu'environ 10 000 visites par mois. Des efforts demeurent donc nécessaires pour faire connaître l'offre culturelle légale.
Répartition des plateformes labellisées par secteur culturel
Source : Rapport d'activité 2012-2013, Hadopi
Pour ce qui concerne la réponse graduée, selon les derniers chiffres transmis par la Haute Autorité à votre rapporteur, l'activité de la Commission de protection des droits au mois de septembre 2013 s'établit, depuis sa création à :
- 2 084 847 premières recommandations envoyées ;
- 210 603 secondes recommandations envoyées ;
- 710 délibérations de la Commission de protection des droits ;
- 54 transmissions aux procureurs de la République ;
- 13 décisions de justice.
Recommandations envoyées entre le 1 er juillet 2012 et le 30 juin 2013
Source : Rapport d'activité 2012-2013, Hadopi
Nombre de délibérations relatives
à des dossiers de réponse graduée
entre le
1
er
juillet 2012 et le 30 juin 2013
Source : Rapport d'activité 2012-2013, Hadopi
Au cours de la procédure, le dialogue avec les internautes est privilégié, méthode qui a, sans conteste, fait la preuve de son efficacité : les réitérations constatées sont très peu nombreuses , comme le prouve le nombre résiduel de dossiers transmis aux procureurs de la République comparé au nombre de recommandations envoyées. En réalité, la très grande majorité des internautes solennellement avertis ne se voient plus reprocher de comportements illicites. Le nombre de téléchargements de pair à pair a d'ailleurs diminué, en trois ans, de 25 %.
Votre rapporteur pour avis estime donc que, bien que certainement encore perfectible, la pédagogie mise en oeuvre par la Commission de protection des droits a fait montre d'une efficacité véritable en matière de lutte contre le téléchargement illégal d'oeuvres protégées.
2. Une institution en sursis financier et institutionnel
Le budget de la Hadopi représente une sous-action de l'action n° 2 « Industries culturelles » du programme 334 « Livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles ».
La loi de finances pour 2013 a attribué 8 millions d'euros à l'institution afin d'assurer aussi bien ses missions que son fonctionnement. Cette somme était inférieure de 27,3 % à celle allouée en 2012, qui pourtant avait déjà accusé une diminution de 3,5 %. La dotation pour 2013 a en outre connu diverses modulations peu favorables à l'institution : si le ministère de la culture et de la communication s'était engagé à abonder la somme initiale d'un million d'euros supplémentaires en cours d'exercice, un gel budgétaire de 6,36 % puis une nouvelle diminution de 17 % décidée au mois de juillet ont ramené la dotation annoncée à 7 millions d'euros .
Pour assurer un fonctionnement de qualité, la Hadopi a puisé dans son fonds de roulement et affiché un budget en déficit de 1,8 million d'euros. Elle a également pris les mesures nécessaires à la réduction de ses frais de fonctionnement , dans le souci de maintenir parallèlement l'exercice de ses missions : non remplacement ou mutualisation de certains postes, réduction des achats et services extérieurs, report de certains investissements.
Dans ces conditions, on imagine combien le projet de loi de finances pour 2014, avec 6 millions d'euros alloués à la Haute Autorité au lieu des 9 millions d'euros demandés par l'institution, n'est pas à la hauteur des enjeux. Pour maintenir son activité, le fonds de roulement sera ramené à la fin de 2014 à son seuil prudentiel (2,2 millions d'euros) et le déficit prévisionnel devrait s'établir à 3,3 millions d'euros.
Un tel régime ne pourra, en tout état de cause, être maintenu en 2015 , la Hadopi ne pouvant plus guère réguler ses frais de fonctionnement, composés à plus de 50 % des dépenses de personnel, à un rythme aussi soutenu, ni réduire encore ses investissements, qui représentent déjà à peine 1 % de son budget.
L'année 2014 devra donc voir la fin des hésitations gouvernementales relatives à l'avenir de la Haute Autorité , que soient ou non suivies d'effet les propositions de la mission Lescure, chargée de dresser le bilan de la réponse graduée.
S'agissant de l'effet dissuasif immédiat du dispositif sur le téléchargement illégal de pair à pair, la mission a considéré que la réponse graduée constituait un dispositif dissuasif efficace contre les pratiques qu'elle cible . Ce résultat encourageant semble toutefois plus incertain s'agissant des 15-24 ans, qui sont moins nombreux à cesser le téléchargement illicite après réception d'une recommandation de la Hadopi mais également plus enclins à utiliser le streaming .
De fait, sans contester le lien entre la mise en oeuvre, depuis 2010, de la réponse graduée et le recul observé des téléchargements de pair à pair, il serait malhonnête de ne pas rappeler non seulement que cette tendance précède l'entrée en vigueur du dispositif, mais également qu'elle a été pareillement constatée, sur la même période, dans des pays où aucune mesure similaire n'existe, à l'instar des États-Unis. De fait, il convient de garder à l'esprit combien se développent, notamment auprès des jeunes internautes, d' autres techniques de consommation des oeuvres , et notamment le téléchargement direct ou, plus particulièrement pour les oeuvres audiovisuelles et cinématographiques, le streaming .
Par ailleurs, la mission Lescure n'a pas jugé absolument inopérantes les actions menées en faveur du développement d'une offre légale, tant il est incontestable que les usages licites des biens culturels ont connu une louable croissance grâce au développement d'une l'offre légale plus variée et financièrement accessible . C'est en particulier le cas de la musique et, dans une moindre mesure, de l'audiovisuel et du cinéma.
La mission Lescure conclut de ce constat qu' « il serait illogique d'abroger purement et simplement la réponse graduée, alors qu'elle fonctionne depuis moins de trois ans et qu'elle a d'ores et déjà produit, sur le périmètre qu'elle couvre, des effets certes modestes mais non négligeables. En outre, une suppression « sèche » serait perçue par les internautes et par les titulaires de droits comme un signal négatif , pouvant laisser croire que l'État se désintéresse du droit d'auteur. »
Tout en prônant le maintien du dispositif existant, le rapport Lescure appelle de ses voeux un allègement des sanctions. Plus grave pour le renforcement de l'offre légale, il est proposé de ne conserver des missions initialement confiées à l'institution que la réponse graduée. Enfin, la réflexion de la mission s'achève par une proposition proprement assassine consistant à confier le dispositif au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).
3. Un transfert à risques
Votre rapporteur pour avis est extrêmement dubitatif sur l'intérêt du transfert de la Hadopi au CSA , dans son principe comme dans ses conséquences pratiques.
Dans son principe tout d'abord, il déplore que la réforme envisagée fasse fi inexplicablement des deux autres missions, pourtant essentielles, confiées à la Haute Autorité . Il estime, en outre, que le CSA, en tant que régulateur de l'audiovisuel, ne dispose ni de l'état d'esprit ni des compétences nécessaires pour élargir son champ d'action à l'Internet, qui ne peut ni ne doit être régulé.
La seule solution pour donner ces capacités au CSA consisterait à lui transférer intégralement les personnels de la Hadopi, reconnus pour leurs compétences dans les domaines d'activité très spécialisés qui sont les leurs. Le CSA bénéficierait alors de leur expertise mais, a contrario , tomberait l'argument des défenseurs du transfert relatif aux économies d'échelle engendrées par la suppression de la Hadopi.
Il convient également de réfléchir aux conséquences pratiques d'une telle réforme sur l'efficacité des actions mises en oeuvre . Il est ainsi certain que le transfert ou, plus justement, l'intégration de toute ou partie de la Hadopi au CSA nécessitera des études préalables et un temps d'adaptation nuisible au bon fonctionnement du dispositif de la réponse graduée.
Déjà, l'incertitude du Gouvernement quant à l'avenir de la Hadopi depuis le discours de campagne de François Hollande pèse tant sur la motivation du personnel de l'institution , au risque de voir se perdre des compétences en raison de départs précipités, que sur l'attitude des internautes qui, dans un sentiment d'impunité grandissant, développent leurs pratiques de piratage . Ce constat est partagé par nombre d'acteurs des industries culturelles : auditionné par votre rapporteur pour avis, le SNEP a confirmé une reprise du piratage de musique depuis le printemps.
Il est donc urgent de trancher ce débat , une fois réfléchies les différentes options relatives au périmètre et au principe même du transfert. Pour ce qui le concerne, votre rapporteur pour avis appelle de ses voeux la conservation de la Hadopi, dotée des moyens convenables de fonctionnement en 2015 et d'outils modernisés.