B. SOUTENIR LES LIBRAIRIES EN DIFFICULTÉ
1. Un état des lieux contrasté mais préoccupant
Le réseau de détaillants présente, sur le territoire national, de multiples visages et une santé financière très variable.
La Fnac, avec une part de marché de 16 % tous circuits de vente confondus, représente le premier libraire de France, malgré une diminution de 1,5 % de son chiffre d'affaires en 2012, toutefois conforme à la moyenne nationale.
L'enseigne est directement concurrencée par la chaîne Cultura, qui se développe en périphérie des grandes villes, et par les espaces culturels des grandes surfaces Leclerc, dont le chiffre d'affaires a crû de 6 % pendant la même période. Créés en 1989, ces points de vente, installés dans des zones de chalandise importantes, sont désormais au nombre de 215, contre 90 magasins Fnac et 52 pour Cultura, et proposent près de 60 000 titres.
Les 3 000 librairies indépendantes, si elles réalisent encore 45 % des ventes au détail, ne sont pas toutes logées à la même enseigne . Les plus importantes, comme le Furet du Nord dans le Nord-Pas-de-Calais, tirent parfaitement leur épingle du jeu. C'est également le cas de grandes librairies de centre-ville : Ombres Blanches à Toulouse, Le Failler à Rennes, Gibert à Paris ou encore Mollat à Bordeaux, qui misent sur un nombre élevé de références en littérature, visent les familles et développent des politiques actives d'animation. La vente des librairies Chapitre et le recours au chômage partiel dans le réseau Decitre constituent des contre-exemples inquiétants.
Les petites et moyennes librairies de quartier , dont les charges sont élevées, sont quant à elles bien souvent menacées . Elles doivent faire face aux charges de personnel et de loyer, à l'augmentation des frais de transport, ainsi qu'à des difficultés de trésorerie structurelles liées à l'étendue et à la nature de leurs stocks de livres, souvent à rotation lente. Charlotte Valois, gérante de la librairie Tirloy de Lille, auditionnée par votre rapporteur pour avis, a ainsi résumé sa situation et celle de nombre de ses collègues.
Outre la concurrence au sein du réseau physique, les librairies, quelle que soit leur taille, subissent la détermination d'Amazon à s'établir comme acteur majeur de la vente de livres . À l'heure où la vente en ligne représente la seule source de croissance des ventes -le e-commerce réalise à ce jour 12 % des ventes de livres papier-, Amazon y détient près de 70 % des parts de marché.
Les libraires ont tenté de réagir à cette invasion en développant leur présence sur Internet -500 librairies proposent aujourd'hui un service de vente et de réservation en ligne-, mais la concurrence d'Amazon, qui poursuit une stratégie d'optimisation fiscale en matière de TVA, grâce à une installation au Luxembourg, tout en offrant les frais de port cumulés à la remise de 5 % prévue par la loi de 1981, semble extrêmement difficile à contenir. Preuve en est l'échec de l'aventure du site 1001libraires.com, en raison de difficultés de gouvernance, d'un nombre trop peu important de titres proposés, de l'absence d'un service de livraison à domicile et d'un sous-investissement chronique.
L' absence de capacités d'investissement compromet aujourd'hui l'avenir de nombreux commerces : face au tassement du marché du livre, à la diminution du nombre de grands lecteurs, à la concurrence de la grande distribution et d'Internet et à l'envolée des charges, l'économie de la librairie est de plus en plus fragile. Ainsi, avec une rentabilité nette moyenne divisée par trois en moins de dix ans, pour s'établir à 0,6 % du chiffre d'affaires, la librairie constitue le secteur le moins rentable du commerce de détail.
En conséquence, certaines villes moyennes, comme Boulogne-sur-Mer, risquent prochainement de se voir privées de librairies et certaines régions rurales, à l'instar du Limousin, en manquent déjà cruellement. C'est également le cas dans les périphéries urbaines défavorisées : on compte ainsi une librairie pour 46 000 habitants en Seine-Saint-Denis, rappelait Vincent Monadé, président du CNL, à votre rapporteur pour avis, soit une proportion dix fois moindre qu'à Paris. Ce constat pose question au regard des objectifs de maillage du territoire et d'égal accès de tous à la lecture poursuivis par les pouvoirs publics.
La situation de fragilité économique de la librairie indépendante constitue également un frein puissant à sa modernisation , ainsi que le constatait en novembre 2012 la mission confiée à l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) sur la librairie indépendante et les enjeux du commerce électronique.
Les représentants des libraires, le Syndicat de la librairie française (SLF), dans une présentation institutionnelle, comme Charlotte Valois à titre plus personnel, ont indiqué à votre rapporteur pour avis que les librairies ont un grand besoin de quatre catégories d'aides :
- des aides à l'investissement (création, extension, déménagement, informatisation des commerces) : ce sont aujourd'hui les plus efficacement développées par le CNL, les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et l'Association pour le développement de la librairie de création (ADELC). Elles pourraient utilement être complétées par une aide à la modernisation sur le modèle existant pour les salles de cinéma, comme le propose la mission de l'IGAC précitée ;
- des aides à la transmission : les crédits mobilisables dans le cadre des dispositifs du CNL et de l'ADELC sont désormais insuffisants au regard de la multiplication des dossiers ;
- des aides à la trésorerie : aucun dispositif n'existe à ce jour malgré des cycles de trésorerie traditionnellement tendus en raison de la faible rotation des stocks ;
- enfin, des aides à l'amélioration des marges : sur le modèle des aides aux salles d'art et d'essai, l'exercice de son métier par le libraire pourrait être défini par différents critères (implantation, formation, concurrence, diversité de l'assortiment, présence sur Internet) et aidé en conséquence.
2. Un nouvel élan en faveur des librairies
Annoncé à l'occasion du salon du livre au mois de mars puis dévoilé le 3 juin 2013 lors des rencontres nationales de la librairie par la ministre de la culture et de la communication, le « plan librairie » , qui s'inspire largement des conclusions de la mission confiée à Serge Kancel sur le soutien aux entreprises de librairie rendues publiques en janvier 2013, prévoit le versement de 9 millions d'aides supplémentaires aux librairies indépendantes . Dans ce cadre, 5 millions d'euros seront consacrés, par l'IFCIC, à des prêts de trésorerie à court terme, et 4 millions d'euros s'ajouteront aux aides à la transmission gérées par l'ADELC. Par ailleurs, le CNL augmentera son soutien aux commerces de 2 millions d'euros. Le SNE accompagnera ce plan en versant des contributions volontaires d'éditeurs en 2014 au profit des librairies via l'ADELC .
Si le plan annoncé peut être qualifié de satisfaisant, trois sujets , non pris en compte, demeurent préoccupants et mériteraient d'être prochainement traités :
- le relèvement du seuil de procédure d'appel d'offres de 15 000 à 50 000 euros, afin de permettre aux collectivités d'organiser la mise en concurrence entre les librairies de leur territoire. Il convient de rappeler, à cet égard, que les marchés publics représentent entre 15 et 25 % du chiffre d'affaires des librairies ;
- la limitation de l'augmentation des loyers avec, éventuellement la création d'un droit de préemption sur les locaux commerciaux pour permettre leur location à des librairies ;
- l' amélioration des marges commerciales .
Par ailleurs, on peut regretter que les conclusions de la mission Kancel relatives au ciblage des aides dans une logique d'offre territoriale n'aient pas été suivies d'effet, de même qu'aucune réflexion n'ait été menée sur sa proposition de création d'un fonds de soutien à la librairie, dotée d'une dizaine de millions d'euros, comme il en existe pour d'autres industries culturelles.
Outre le « plan librairie », deux dispositions législatives permettant de renforcer l'application des lois de 1981 et de 2011 relatives au prix du livre ont été introduites par le Gouvernement lors de la discussion, en septembre, en première lecture du projet de loi consommation : la création d'un médiateur du livre , instance de conciliation des litiges pouvant survenir entre les acteurs de la chaîne du livre, et l'assermentation d'agents du ministère de la culture et de la communication pour constater d'éventuelles infractions , notamment sur les sites de e-commerce.
De fait, le développement des ventes de livres d'occasion sur Internet conduit à contourner la loi sur le prix unique du livre : de grands sites de vente de livres présentent ainsi des livres neufs (au prix unique fixé par l'éditeur) aux côtés de livres d'occasion « à l'état neuf » à un prix sensiblement inférieur, ce qui a pour conséquence de brouiller la perception du prix par le consommateur et à le détourner de l'achat en librairie.
Il faudra toutefois attendre le vote définitif de la loi, après une seconde lecture par les deux chambres, pour voir s'appliquer ces nouveaux dispositifs et aboutir les premières investigations.
En cours de discussion parlementaire également, la proposition de loi visant à ne pas intégrer la prestation de la livraison à domicile dans le prix unique du livre , adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale au mois d'octobre à l'initiative du groupe UMP, concentre également les espoirs des libraires.
Le dispositif prévu par l'article unique du texte supprime, dans le cadre de la vente en ligne, la possibilité d'appliquer un rabais de 5 % sur le prix unique du livre. Ce rabais ne pourra alors plus être porté que sur les frais de port, même s'il n'est pas prévu, à ce stade et au grand regret des représentants des libraires, d'en interdire la gratuité.
Malgré cette lacune, qui pourrait être prochainement comblée par le Sénat lors de l'examen du texte, la proposition de loi répond à une préoccupation forte des éditeurs et des libraires de rétablir des conditions équitables entre tous les revendeurs de livres et à éviter des pratiques de dumping de nature à éteindre la concurrence. Ainsi, si le libraire choisit d'appliquer le rabais de 5 % à sa clientèle, il sera désormais moins cher que les géants de la vente en ligne.