III. UNE POLITIQUE DE L'IMMIGRATION ENCORE COUTEUSE MALGRÉ DES INFLEXIONS OPPORTUNES
A. UNE SITUATION TOUJOURS DIFFICILE POUR LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES
1. Des juridictions encore confrontées à une forte augmentation du contentieux des étrangers
Dans son rapport budgétaire consacré au projet de loi de finances pour l'année 2013, votre rapporteuse avait souligné les conséquences de la législation sur le droit des étrangers sur l'activité des juridictions administratives.
En 2012, le contentieux des étrangers reste le principal contentieux auquel est confrontée la juridiction administrative : près de 31,8 % des affaires enregistrées en 2012 relèvent de ce contentieux, soit une augmentation de 6,2 % . Cette hausse est en réalité assez modérée après la hausse observée en 2011 (+ 11 % au 1 er semestre, et + 25 % au second semestre). En 2012, 44 % des affaires enregistrées par les cours administratives d'appel concernent ce contentieux 22 ( * ) .
Lors de leur audition par votre rapporteuse, MM. Serge Goues et Gil Cornevaux, représentants du Syndicat de la juridiction administrative, ont fait part, en premier lieu, de la charge que représente pour les magistrats ce contentieux abondant.
En second lieu, ils se sont interrogés sur l'effectivité des solutions mises en oeuvre pour y faire face.
La faiblesse des ressources informatiques rend difficile la mise en oeuvre du télé-recours. En tout état de cause, si ce procédé était généralisé, la question se posera pour les étrangers retenus qui devront alors bénéficier d'un accès à Internet.
Ils ont également fait valoir le caractère peu satisfaisant de la possibilité d'une dispense des conclusions du rapporteuse public, permise par l'article 188 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit, en raison de l'importance pour le demandeur de bénéficier de l'explication la plus complète de son affaire.
Dans son rapport sur le projet de loi de finances pour 2013, votre rapporteuse avait souligné que le contentieux des titres de de séjour était alimenté par la brièveté de leur durée de validité.
Or, en application des recommandations du rapport du député Matthias Fekl, précité, consacré à la sécurisation des parcours des étrangers en France 23 ( * ) , la généralisation des titres de séjour pluriannuels permettrait certainement de désengorger les tribunaux administratifs.
Votre rapporteuse souligne aussi que l'encombrement des tribunaux administratifs est en partie dû au refus de certaines préfectures d'appliquer les jugements rendus. Le contentieux en matière de titres de séjour relevant du contentieux de l'excès de pouvoir, il n'est pas possible d'enjoindre la délivrance du titre de séjour. Votre rapporteuse suggère ainsi de modifier la nature de ce contentieux pour en faire un contentieux de pleine juridiction. Elle a déposé en ce sens une proposition de loi le 24 juillet 2013 24 ( * ) .
Lors de son audition par la commission des lois pour le projet de loi de finances pour 2013 25 ( * ) , M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, avait estimé que la juridiction administrative ne pourrait pas faire l'économie d'une réflexion sur le passage d'un contentieux de la légalité à un plein contentieux 26 ( * ) .
Votre rapporteuse souligne que dans les cas où la loi le permet déjà, des instructions ont recommandé de généraliser la délivrance des titres de séjour pluriannuel s'agissant par exemple des étudiants en master et doctorat et des chercheurs. C'est une démarche opportune mais qui ne concerne malheureusement que trop peu de titres de séjour.
2. Un contentieux de l'éloignement encore important, malgré une inflexion bienvenue de la politique d'interdiction de retour
Dans le contentieux des étrangers, le contentieux de l'éloignement a pris une importance particulière depuis la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité, en raison de la complexité introduite par cette loi : en effet, il existe depuis cette date une grande variété de décisions pouvant être prise pour prononcer un éloignement du territoire, comme le soulignait votre rapporteuse dans son rapport pour le projet de loi de finances pour l'année 2013 27 ( * ) . Chaque acte administratif comporte ainsi plusieurs décisions, pouvant elles-mêmes faire l'objet de recours. Les arrêtés préfectoraux sont donc plus longs, plus complexes et peuvent être plus facilement annulées partiellement.
Le contentieux des obligations de quitter le territoire français (OQTF) présente ainsi des caractéristiques particulières :
- un taux de satisfaction élevé des étrangers devant le tribunal administratif, sur les trois dernières années, puisque ce taux est passé de 25,4 % en 2011 à près de 31,2 % en 2012 ;
- un taux d'appel élevé des décisions ;
- une diminution du taux de réformation en appel : en 2012, 83 % des jugements sont confirmés par les cours administratives d'appel ;
- une augmentation du taux de succès de l'administration en appel, sur les trois dernières années ;
Votre rapporteuse s'était interrogée dans son rapport pour l'année 2013 sur la pratique de certaines préfectures consistant à assortir quasi systématiquement les obligations de quitter le territoire français (OQTF) d'une interdiction de retour ce qui générait un contentieux abondant.
L'année 2013 marque une forte inflexion des pratiques des préfectures en la matière, ce dont se félicite pleinement votre rapporteuse : du 18 juillet 2011, date d'entrée en vigueur de la loi du 16 juin 2011, au mois de juin 2012, 8754 interdictions de retour ont été prononcées sur les 77 323 OQTF, soit 11,32 % des cas. Mais si la période considérée est étendue à juin 2013, ce taux n'atteint que 6,56 % des cas sur toute cette période 28 ( * ) .
6 derniers mois 2011 |
Année 2012 |
6 premiers mois 2013 |
|||
OQTF prononcées |
Interdictions de retour prononcées |
OQTF prononcées |
Interdictions de retour prononcées |
OQTF prononcées |
Interdictions de retour prononcées |
35 024 |
4 271 |
82 441 |
5 393 |
44 449 |
965 |
3. Le bilan de la loi du 31 décembre 2012 créant une nouvelle procédure de retenue pour les étrangers en situation irrégulière
Par deux arrêts, El Dridi , du 28 avril 2011 et Achughbabian , du 6 décembre 2011, la Cour européenne des droits de l'homme a considéré que la directive « Retour » du 16 décembre 2008, qui permet aux États membres de prendre des mesures administratives ou coercitives pour assurer l'éloignement d'un étranger en situation irrégulière, ne permet cependant pas aux États membres de sanctionner les étrangers en situation irrégulière d'une peine de prison.
En conséquence, la Cour de cassation, dans trois arrêts du 5 juillet 2012 a jugé que les services de police et de gendarmerie n'avaient plus la possibilité de placer en garde à vue un étranger au seul motif du caractère irrégulier de son séjour.
Or, le placement en garde à vue était la principale mesure utilisée pour étudier la situation de l'étranger et, le cas échéant, décider son placement en rétention administrative, en vue de son éloignement.
La loi n° 2012-1560 du 31 décembre 2012 relative à la retenue pour vérification du droit au séjour et modifiant le délit d'aide au séjour pour en exclure les actions humanitaires et désintéressées a comblé ce vide juridique en créant un mécanisme spécifique, la retenue aux fins de vérification du droit de circulation et de séjour sur le territoire français.
Cette mesure, d'une durée de 16 heures maximum, est placée sous le contrôle du procureur de la République. Elle diffère de la garde-à-vue dans la mesure où elle ne permet pas la réalisation d'actes d'enquête tels que la fouille à corps, la perquisition et la signalisation. Pour autant, elle est accompagnée des mêmes droits (avis à famille, examen médical et présence de l'avocat).
Le dispositif de la retenue a été complété par le décret n° 2013-481 du 7 juin 2013 relatif à la rétribution, au titre de l'aide juridique, de l'avocat assistant l'étranger retenu aux fins de vérification de son droit de circulation ou de séjour sur le territoire français. Le décret a ainsi notamment fixé le montant de la rétribution allouée à l'avocat assistant l'étranger retenu à 61 euros, lorsque cette assistance intervient dans le cadre de l'entretien de trente minutes prévu par la loi et à 150 euros pour une assistance concernant également les auditions.
Au premier semestre 2013, 15 329 étrangers interpellés ont été retenus aux fins de vérification de leur droit de circulation et de séjour.
L'entrée en vigueur de la loi a ainsi rendu aux services opérationnels en charge de la lutte contre le séjour irrégulier les moyens juridiques nécessaires pour agir.
* 22 Conseil d'État, rapport public 2013, Activités juridictionnelle et consultative des juridictions administratives, p. 22.
* 23 http://www.interieur.gouv.fr/Publications/Rapports-de-l-IGA/Immigration/Securiser-les-parcours-des-ressortissants-etrangers-en-France .
* 24 http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl12-806.html.
* 25 http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20121029/lois.html.
* 26 « (...) Mais peut-être le juge devrait-il statuer sur le fond également, sur la possibilité pour l'étranger d'obtenir un titre de séjour ? La tâche du magistrat en serait alourdie, mais quelle économie en procédures, en va et vient entre le tribunal et les préfectures ! Nous devrons mener cette réflexion, qui relève de la représentation nationale. Quant à nous, nous pouvons évaluer la soutenabilité d'une telle réforme. Je n'en fais pas une proposition, mais les réexamens imposés aux préfectures à la suite d'annulations sont des exercices administratifs assez improductifs ! ».
* 27 p. 22.
* 28 Sur cette période, 10 629 interdictions de retour ont été prononcées sur les 161 914 obligations de quitter le territoire français prises.