N° 157

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2014-2015

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 décembre 2014

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République (PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE),

Par Mme Valérie LÉTARD,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Claude Lenoir , président ; Mmes Élisabeth Lamure, Delphine Bataille, MM. Alain Bertrand, Martial Bourquin, Gérard César, Alain Chatillon, Daniel Dubois, Joël Labbé, Michel Le Scouarnec, Yannick Vaugrenard , vice-présidents ; M. Marc Daunis, Mme Valérie Létard, M. Bruno Sido , secrétaires ; MM. Gérard Bailly, Jean-Pierre Bosino, Henri Cabanel, François Calvet, Roland Courteau, Alain Duran, Mmes Frédérique Espagnac, Dominique Estrosi Sassone, M. Daniel Gremillet, Mme Annie Guillemot, MM. Michel Houel, Serge Larcher, Jean-Jacques Lasserre, Daniel Laurent, Philippe Leroy, Mmes Marie-Noëlle Lienemann, Anne-Catherine Loisier, MM. Michel Magras, Franck Montaugé, Robert Navarro, Jackie Pierre, Ladislas Poniatowski, Mme Sophie Primas, MM. Yves Rome, Henri Tandonnet .

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

636 (2013-2014), 140 , 150 et 154 (2014-2015)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le 5 novembre dernier la commission des affaires économiques s'est saisie pour avis du projet de loi (n° 636, 2013-2014) portant nouvelle organisation territoriale de la République déposé en première lecture au Sénat, conformément à la tradition. Ce texte vise principalement à renforcer l'efficacité de l'action des collectivités territoriale en substituant à la clause de compétence générale, qui suscitait jusqu'à présent des « doublons », une répartition des tâches plus précise par niveaux de collectivité.

La commission a décidé de centrer son approche sur deux principaux volets, l' économie et le tourisme , plus particulièrement traités dans 7 articles de ce projet qui en comporte 37 : les articles 2 et 3, qui donnent à la région le premier rôle dans le soutien au développement économique, l'article 4 consacré au tourisme, l'article 6 sur le schéma régional d'aménagement et développement durable du territoire, pour son impact économique, les articles 18, 19 et 20 qui renforcent le bloc des compétences obligatoires des intercommunalités en matière de tourisme et l'article 28 qui prévoit la création de guichets uniques en matière de tourisme.

Votre rapporteure pour avis a procédé à plusieurs séries d'auditions et de consultations tout en participant aux travaux de la commission des lois où des points de vue très divers se sont exprimés. Sept rapporteurs relevant de six commissions interviendront sur ce texte : MM. Jean-Jacques Hyest et René Vandierendonck, pour la commission des lois ; M. Charles Guené pour la commission des finances ; Mme Catherine Morin-Desailly pour la commission de la culture ; M. Rémy Pointereau pour la commission du développement durable et M. René-Paul Savary pour la commission des affaires sociales.

Dans ce contexte, la commission des affaires économiques, sur proposition de votre rapporteure pour avis, a adopté des amendements qui s'ordonnent autour d'un message simple : c'est l'analyse des transformations économiques et sociales  de terrain - et non pas l'esprit de système - qui doit guider l'adaptation du cadre juridique des interventions économiques des collectivités locales. Seul le réalisme peut permettre, sur nos territoires, l'efficacité économique, la cohésion sociale et la préservation de l'enthousiasme des élus pour répondre aux attentes des entreprises et des citoyens.

I. LE CADRE JURIDIQUE, ÉCONOMIQUE ET TERRITORIAL DES INTERVENTIONS ÉCONOMIQUES DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES.

Observation liminaire sur la notion d'intervention économique des collectivités territoriales - Au cours des auditions, certains intervenants ont fait observer qu'il n'est pas simple, dans la réalité, de distinguer parmi les interventions des collectivités territoriales celles qui sont de nature purement économique. Pour clarifier ce point, il convient de rappeler que les collectivités territoriales, comme l'État, sont, par l'exercice direct de leurs compétences, des agents économiques de premier plan en tant qu'acheteurs et en tant qu'employeurs. Cependant, dans la logique juridique, ce rôle doit être distingué de celui d'intervenant au profit des entreprises du secteur marchand.

A. L'ÉVOLUTION DU CADRE JURIDIQUE DES INTERVENTIONS ÉCONOMIQUES DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

? Tout d'abord, le principe de la liberté du commerce et de l'industrie, édictée par la loi des 2 et 17 mars 1791, a été longtemps interprété comme excluant l'intervention des collectivités locales. L' histoire démontre que c'est au moment des guerres et des crises économiques des années 1920-1930 que les interventions des collectivités sont nées.

- L'interventionnisme local s'est imposé en fait et a été admis par la jurisprudence du Conseil d'État avant d'être consolidé par les décrets des 5 novembre et 26 décembre 1926 autorisant les régies industrielles et commerciales.

- Ces interventions se sont ensuite développées pendant la reconstruction, suscitant alors le décret du 20 mai 1955 qui présentait encore les possibilités d'intervention des collectivités comme exceptionnelles et soumises à l'approbation préfectorale ;

Parallèlement, le traité de Rome du 25 mars 1957 a , dans ses articles 92 à 94, posé à son tour le principe de la neutralité d'action des États membres et des collectivités de la Communauté. Tout ce qui était susceptible d'affecter le libre jeu de la concurrence des entreprises dans les échanges entre ces États était prohibé ; des dérogations étaient expressément prévues par le traité pour certains types d'aides considérées comme compatibles avec l'existence d'un marché commun. Malgré cette conception essentiellement fondée sur le souci de la concurrence équitable entre les entreprises, la Commission des communautés européennes a été conduite, par des "communications", à introduire des politiques publiques, en faveur de l'aménagement du territoire communautaire comme du soutien à certaines initiatives et mutations économiques, ainsi que de l'emploi.

- puis elles se sont banalisées depuis les années 1970, au moment des chocs pétroliers.

Le droit s'est adapté à cette nécessité, la plupart du temps avec un certain retard et un certain décalage par rapport au réel.

? Depuis 1982, le cadre juridique des interventions économiques en faveur des entreprises accordées par les collectivités territoriales a évolué selon trois phases .

- Un premier régime issu de la loi de décentralisation du 2 mars 1982 et de la loi de plan du 7 janvier 1982 a introduit la notion de primauté de la région en matière d' aides directes et une grande liberté de toutes les collectivités pour les aides indirectes jusqu'en 2002.

- La loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité a ensuite institué le rôle de « chef de file » de la région. Le chef de filât s'exprime principalement par l'obligation de conventionnement pour certaines types d'aide et par la nécessité d'obtenir l'accord de la région si une collectivité infra-régionale souhaite créer un dispositif propre . Par ailleurs, la définition des aides directes et indirectes a également évolué puisque la loi a supprimé les primes régionales à l'emploi (PRE) et les primes régionales à la création d'entreprises (PRCE) en leur substituant la notion plus large de « subventions »;

- Le droit en vigueur est issu de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, qui a supprimé la distinction entre aides directes et indirectes pour adapter le droit français aux exigences de celui de l'Union européenne. Le régime actuel ne traduit pas de choix tranché en faveur d'une région chef de file incontestable en matière d'interventions économiques. Ainsi les aides indirectes libres ont disparu mais le nombre d'aides à l'immobilier que les collectivités peuvent octroyer sans accord de la région s'est accru .

? Dans ce cadre, les aides publiques aux entreprises font aujourd'hui l'objet d'un contrôle et d'une évaluation très stricts , permettant de s'assurer de leur ciblage et de leur efficience. Le contrôle de l'efficience des aides se fait à deux stades :

- avant l'octroi de l'aide, lors de l'instruction de la demande, les financeurs publics sont tenus de mettre en évidence une défaillance du marché justifiant l'intervention publique. Ils doivent ensuite démontrer l'effet d'incitation de l'aide sur le comportement de l'entreprise en déterminant ce que, en l'absence d'aide publique, l'entreprise aurait effectué sur la thématique ou l'investissement projeté. Cette analyse est multicritères, financiers, de risques, d'impact sur l'environnement, sur la création d'emplois etc. Enfin, l'aide ne doit pas favoriser l'entreprise au détriment de ses concurrents ;

- après l'octroi de l'aide, un suivi à échéance régulières et contractuelles vérifie l'incitativité de l'aide au travers de la réalisation des objectifs du projet et de ses effets. Si les conditions d'incitativité ne sont pas respectées, les financeurs publics peuvent mettre fin à l'aide avant le terme du projet et réclamer le remboursement des indus.

Un rapport annuel est transmis à la Commission européenne le 30 juin de chaque année par chaque État membre, sur l'application des régimes d'aide et les aides individuelles ayant fait l'objet d'une notification à la Commission européenne ou ayant été pris dans le cadre du règlement général d'exemption (RGEC). En outre, des évaluations des dispositifs d'aides sont menées régulièrement par la Cour des comptes, le Conseil des prélèvements obligatoires et l'Inspection générale des finances.

L'APPLICATION DE LA RÈGLE DE MINIMIS

Conçue par l'Union Européenne pour encadrer le fonctionnement des aides aux entreprises, la règle de minimis prévoit qu'une même entreprise ne peut pas recevoir plus de 200 000 euros d'aides dites de minimis pendant une période de trois exercices fiscaux, ce plafond étant ramené à 100 000 euros pour les entreprises du transport. Ce maximum tient compte de l'ensemble des aides de minimis allouées à l'entreprise, quelle que soit leur forme.

L'entreprise doit surveiller sa situation à l'égard de ce plafond et son dossier de demande d'aide doit récapituler celles qui ont été perçues.

La première conclusion à tirer de cette évolution est que le présent projet de loi ne doit pas décourager le dynamisme des collectivités qui s'investissent dans le développement économique au moment où notre pays en a le plus besoin et où les attentes à l'égard des élus n'ont jamais été aussi fortes, en particulier, sur les territoires que la désindustrialisation et la montée du chômage contribuent à déstructurer.

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