B. DES JURIDICTIONS POUR MINEURS CONFRONTÉES À DES DÉFIS MULTIPLES
La justice pénale des mineurs se distingue par une organisation judiciaire qui lui est propre mais aussi par sa politique pénale mise en oeuvre par les parquets. Celle-ci se caractérise par une réponse pénale systématique adaptée à la nature et à la gravité des faits et à la situation des mineurs en cause.
1. Une politique pénale caractérisée par une réponse pénale systématique
En 2014, sur les 183 000 affaires de mineurs traités par les parquets, 75 % étaient susceptibles de recevoir une réponse pénale, soit 137 400 affaires. Le taux de réponse pénale s'établit à 93,5 % contre 88,5 % pour les majeurs.
57,1 % des affaires poursuivables, soit 78 500 affaires, ont été classées après la réussite d'une procédure d'alternative aux poursuites. Ces mesures peuvent consister en une mesure de réparation pénale (elle concerne 9 132 mineurs en 2014), une injonction thérapeutique ou une régularisation. 2 400 affaires, soit 1,8 % des affaires poursuivables, ont fait l'objet d'une composition pénale réussie. Seules 8 900 affaires (6,5 %) ont fait l'objet d'un classement sans suite pour inopportunité des poursuites.
Cette réponse pénale doit s'analyser au regard du types d'actes reprochés aux mineurs, majoritairement mis en cause pour des faits d'atteintes aux biens de faible gravité et des usages de stupéfiants.
Structure des affaires poursuivables
Source : ministère de la justice
Ce sont donc 47 606 affaires (34,6 % des affaires poursuivables) et 61 644 mineurs délinquants qui ont été poursuivis devant les juridictions pour enfants, soit un nombre de mineurs délinquants inférieur de 3,7 % à celui de 2013. Ainsi, chaque affaire a concerné 1,3 mineur en moyenne.
Orientations données aux affaires pénales concernant des mineurs en 2014
Source : ministère de la Justice/SG/SDSE - Exploitation statistique des cadres du parquet puis système d'information décisionnel pénal (SID) depuis 2012
2. L'activité pénale soutenue des juridictions pour mineurs
Le nombre de mineurs délinquants dont les juridictions pour enfants sont saisies baisse continûment depuis 2006. Aussi, après une augmentation en 2013 du nombre de jugements rendus dans l'année, l'année 2014 est marquée par une légère diminution du nombre de mineurs jugés (- 4,9 % par rapport à 2013).
Les procédures rapides de poursuite et de jugement demeurent les plus utilisées par les parquets . Seuls 2 256 mineurs ont été renvoyés en 2014 devant le juge des enfants après saisine d'un juge d'instruction et ouverture d'une information judiciaire.
Évolution des modes de saisine du juge des enfants
Source : commission des lois du Sénat à partir des questionnaires budgétaires
Votre rapporteure constate que la circulaire de politique pénale du 19 septembre 2012, qui invitait les parquets à privilégier les modes de poursuite impliquant l'intervention au stade présentenciel du juge des enfants habituellement compétent, a conduit une majorité de parquets à délaisser les procédures de présentation immédiate (seulement 459 mineurs en 2014 contre 769 en 2012) pour lui préférer la saisine sur requête pénale avec défèrement.
La césure dans le procès pénal Afin de permettre un jugement plus rapide sur la culpabilité et l'action civile, tout en donnant le temps nécessaire à la juridiction pour recueillir les éléments de personnalité nécessaires au prononcé d'une réponse pénale adaptée, l'article 50 de la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 relative à la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs a introduit dans l'ordonnance du 2 février 1945 plusieurs dispositions dans un chapitre III ter intitulé « De la césure du procès pénal des mineurs ». L'article 24-5 de l'ordonnance prévoit la possibilité de prononcer un ajournement en chambre du conseil (et non plus seulement devant le tribunal pour enfants), de faire porter l'ajournement sur des sanctions éducatives (et non plus seulement les mesures éducatives et les peines), et de prononcer un ajournement quand des investigations supplémentaires sur la personnalité sont nécessaires. L'article 24-7 rend obligatoire la procédure d'ajournement lorsque le parquet a directement saisi le tribunal pour enfants alors que le mineur n'a pas fait l'objet de mesures d'investigations dans une précédente procédure datant de moins de 12 mois. Ces dispositions restent peu appliquées en raison de l'obligation de procéder à une instruction préalable de toutes les affaires. Nécessitant une audience supplémentaire, elles allongent les délais de jugement. De plus, en cas de renvoi devant le tribunal pour enfants, le juge qui a procédé à la mise en examen ne peut présider la juridiction de jugement en application de la décision du Conseil constitutionnel du 8 juillet 2011 qui exclut la possibilité pour un juge d'instruction d'être juge de jugement, dès lors qu'une peine peut être prononcée. La réforme de l'ordonnance du 2 février 1945, annoncée par la garde des sceaux, pourrait supprimer la phase d'instruction préalable et prévoir la réalisation de l'enquête sur la personnalité entre les deux audiences, ce qui permettrait au juge des enfants de suivre l'affaire de bout en bout. Cette procédure permettrait au juge de statuer dans des délais rapides sur la culpabilité et les intérêts civils, puis de décider de la mesure éducative ou de la peine la plus adéquate. |
Si la délinquance des mineurs se stabilise, voire diminue, les juridictions pour mineurs restent en tension comme en atteste la durée de procédure des mineurs jugés. En 2014, le délai qui s'écoule entre la saisine et le jugement prononcé s'établit en audience de cabinet à 12,4 mois , soit un délai stable depuis trois ans. Il est néanmoins de 6 mois devant le tribunal pour enfants, un délai en hausse depuis 2009.
Évolution des délais entre la saisine et le jugement des mineurs délinquants
Source : commission des lois du Sénat à partir des questionnaires budgétaires
Selon une exploitation statistique du casier judiciaire national, devant les juges et tribunaux pour enfants, la durée entre la commission des faits et le jugement définitif s'établit à 19,9 mois en 2013 , un délai en hausse depuis 2011. Ce délai est plus long devant le tribunal pour enfants (21,1 mois). Cette tendance semble se confirmer en 2014 avec une estimation d'un délai moyen de 19,9 mois et de 21,5 mois devant le tribunal pour enfants.
Évolution de la durée moyenne des
jugements aboutissant
à une condamnation devant les juridictions pour
enfants
Source : commission des lois du Sénat à partir des questionnaires budgétaires
Cet allongement général des délais de jugement, qui concerne également les juridictions pour majeurs, est particulièrement prononcé par les juridictions pour mineurs.
Ces juridictions souffrent de vacances de postes importantes notamment au sein des postes de greffe. Par ailleurs, en sus des 170 000 enfants délinquants suivis par les juridictions, les juges pour enfants doivent également se consacrer aux procédures de 260 000 mineurs en danger, selon les statistiques de 2013.
3. Une articulation difficile entre prescription et exécution des mesures
En 2014, les juges pour enfants ont prononcé 31 294 mesures présentencielles , dont 17,3 % de mesures judiciaires d'investigation éducatives (MJIE) . Les mesures d'investigation, ordonnées par les juges des enfants en matière pénale comme en matière civile, constituent un soutien essentiel à la décision des magistrats.
L'ensemble des magistrats rencontrés par votre rapporteure se sont cependant plaint d'un important retard accumulé dans l'exécution de ces mesures d'investigations . Ainsi, il a été rapporté à votre rapporteure des retards allant jusqu'à 250 mesures judiciaires d'investigation éducative en attente d'être exécutées, soit un retard d'un an. Au 31 décembre 2014, 898 mesures d'investigation, dont 392 pénales et 506 au titre de l'enfance en danger étaient en attente d'exécution dans le secteur public . À la même date, 5 915 mesures étaient en cours d'exécution. 15 % des mesures civiles et pénales étaient ainsi en attente d'exécution.
Nombre de mesures présentencielles prononcées (mineurs délinquants)
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
|
Mineurs dont le juge des enfants a été saisi |
78 809 |
77 731 |
76 164 |
71 871 |
65 530 |
64 013 |
61 644 |
Mesures présentencielles prononcées |
34 060 |
36 056 |
37 156 |
36 304 |
29 894 |
32 919 |
31 294 |
Enquête sociale, IOE, expertise, RRSE, MJIE |
7 989 |
8 178 |
7 560 |
7 605 |
5 274 |
5 680 |
5 416 |
Placement, liberté surveillée, réparation |
20 580 |
22 203 |
22 883 |
21 602 |
18 929 |
20 705 |
19 569 |
Contrôle judiciaire |
4 449 |
4 828 |
5 694 |
5 808 |
4 453 |
5 117 |
4 811 |
Détention provisoire |
1 042 |
847 |
1 019 |
1 289 |
1 238 |
1 417 |
1 498 |
Source : commission des lois du Sénat à partir des questionnaires budgétaires
Le délai moyen entre la décision d'une mesure d'investigation (civile ou pénale) et la prise en charge par le service de la PJJ s'élève à 8,8 jours en 2014. Cette moyenne masque des disparités fortes entre les territoires : on constate ainsi un délai de 50,7 jours dans le secteur public de la direction interrégionale Sud pour la prise en charge d'une mesure d'investigation au titre de l'enfance en danger.
Ces délais et la configuration des services du secteur public de la DPJJ peuvent encourager les magistrats à affecter l'exécution des MJIE davantage au secteur associatif habilité, en particulier pour les mesures d'investigation civiles. En effet, les mesures judiciaires d'investigation éducative peuvent être réalisées par le secteur public, à savoir les services de milieu ouvert de la DPJJ, ou par des associations habilitées.
Cependant, ces magistrats sont limités dans leur pouvoir d'appréciation par la définition de quotas affectés au secteur associatif habilité.
Une capacité budgétaire définie a priori détermine un plafond de mesures pouvant être demandées et financées au secteur associatif habilité. Dans le contexte budgétaire actuel, la marge de manoeuvre est particulièrement réduite. Certains départements atteignent parfois en cours d'année leur capacité budgétaire maximale. La situation est ainsi particulièrement tendue en Île-de-France mais également dans le Sud-Ouest où la capacité maximale est régulièrement atteinte.
Comparaison de la capacité maximale potentielle
des MJIE
dans le secteur associatif habilité (SAH) avec sa
réalisation en 2014
Source : commission des lois du Sénat à partir des questionnaires budgétaires
Lorsque les capacités budgétaires du SAH en matière de MJIE sont saturées, les magistrats sont contraints de faire appel au secteur public, accumulant déjà d'importants retards et qui n'est pas toujours le plus à même d'évaluer la situation d'un mineur ( cf. supra à propos des nourrissons).
Ces mesures d'investigation sont pourtant essentielles à la protection des enfants et à la bonne prise en charge des mineurs délinquants. Ces restrictions budgétaires apparaissent par ailleurs contre-productives puisqu'elles entrainent un allongement des délais de prise en charge des mineurs et réduisent l'efficacité de son suivi.
La question de l'exécution des mesures d'investigation s'intègre dans une réflexion globale sur l'exécution des mesures présentencielles et des mesures et sanctions éducatives.
La question est d'autant plus cruciale concernant les mesures et sanctions définitives prononcées à la suite d'un jugement de culpabilité que le retard dans l'exécution de celle-ci participe de la perte de crédibilité de l'institution judiciaire.
Les données statistiques produites par la DPJJ ne permettent pas de mettre en évidence un retard significatif dans l'exécution des mesures . Néanmoins, comme le soulignait la Cour des comptes, « les statistiques produites par la PJJ souffrent en effet non seulement d'une insuffisance de fiabilité et d'exhaustivité des saisies, mais aussi du caractère conventionnel et peu stabilisé des méthodes de calcul. Le début d'exécution de la mesure est en effet assimilé à la date d'attribution de la mesure à un service ou de saisie dans l'applicatif informatique de la PJJ. Or cette dernière ne coïncide pas nécessairement avec le début effectif de la mesure. »
Nombre de mesures et sanctions définitives prononcées
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
|
Mineurs délinquants jugés |
76 778 |
73 958 |
70 814 |
73 116 |
50 817 |
55 547 |
52 881 |
Décisions rejetant la poursuite |
9 202 |
8 912 |
7 634 |
7 625 |
6 295 |
7 129 |
6 976 |
Mesures et sanctions éducatives |
74 864 |
70 908 |
67 334 |
64 993 |
53 124 |
57 586 |
54 701 |
Mesures éducatives |
42 273 |
41 672 |
38 948 |
36 056 |
28 721 |
31 795 |
29 935 |
Sanctions éducatives |
2 180 |
1 963 |
1 922 |
2 292 |
1 724 |
1 943 |
1 763 |
Peines (TIG, stage de citoyenneté) |
4 826 |
4 721 |
4 641 |
4 885 |
4 338 |
4 501 |
4 255 |
Autres peines (emprisonnement) |
25 285 |
22 552 |
21 823 |
21 760 |
18 341 |
19 347 |
18 748 |
Source : commission des lois du Sénat à partir des questionnaires budgétaires
Enfin, les relations entre l'autorité judiciaire, prescriptrice de mesures, et les services de la PJJ semblent souffrir de l'absence d'évaluation de la qualité des dispositifs proposés par cette dernière.
Le ministère de la justice ne dispose d'aucune statistique permettant de mesure l'efficacité des placements en centre éducatif fermé, par exemple. Comme le relevait la Cour des comptes, « l'exécution des mesures attribuées aux éducateurs ne fait l'objet d'aucun suivi régulier permettant d'apprécier leur évolution et la progression du mineur 19 ( * ) ». À cet effet, la DPJJ travaille à modifier le logiciel « Gestion de l'activité des établissements et services » (GAME 2010) afin de permettre le suivi quantitatif des mesures confiées à la PJJ mais également de recueillir des éléments qualitatifs quant à l'évolution du mineur.
Par ailleurs, l'indicateur de performance globale du programme - le nombre de mineurs n'ayant ni réitéré ni récidivé dans l'année suivant leurs poursuites ou leurs mesures alternatives aux poursuites - reste très perfectible. Il semble nécessaire de travailler à l'évaluation des trajectoires individuelles des mineurs , en comparant les réponses en début et fin de prise en charge, en reliant la décision fondant la prise en charge au motif de l'infraction et en la contextualisant dans le parcours éducatif du mineur. Votre rapporteure encourage la DPJJ à déployer en 2016 les outils statistiques permettant de mesurer l'impact de la prise en charge éducative sur le parcours des jeunes.
La DPJJ envisage également la réalisation d'un dispositif longitudinal de cohorte afin de dégager une typologie des trajectoires typiques et d'obtenir une évaluation de l'impact de mesures éducatives de milieu ouvert ou de placement. Un appel d'offres pour une étude de faisabilité d'une étude longitudinale de cohorte a été publié à cette fin le 29 avril 2015. Infructueux, l'appel d'offres a été relancé en juillet 2015.
* 19 Cour des comptes, La protection judiciaire de la jeunesse, enquête demandée par la commission des finances du Sénat, octobre 2014, page 9.