B. GRISE MINE POUR L'EMPLOI CULTUREL
1. Des crédits revus à la baisse
Si la loi de finances pour 2017 faisait de l'emploi l'une des priorités, après une année 2016 marquée par la conclusion d'un nouvel accord relatif à l'assurance-chômage des intermittents du spectacle et l'engagement de nouvelles mesures pour lutter contre la précarisation des salariés du spectacle, le projet de loi de finances pour 2018 ne paraît plus porter le même degré d'ambition. Le développement et la professionnalisation de l'emploi dans le spectacle demeurent pourtant annoncés comme l'une des cinq priorités du programme, sans que les crédits soient nécessairement au rendez-vous.
Les crédits de l'action 8 sont réduits à 25 millions d'euros en crédits de paiement , contre 55 millions en 2017 (- 55 %) , et sont stables à 90 millions d'euros en autorisations d'engagement.
Cette réduction des crédits est d'autant plus importante que le périmètre de l'action 8 a été élargi par rapport à la précédente loi de finances. Alors que les crédits ne devaient couvrir que le Fonds pour l'emploi pérenne dans le spectacle (FONPEPS) l'an dernier, ils devraient concerner deux autres dispositifs en 2018 :
- le groupement d'intérêt public Cafés cultures, qui pilote un fonds d'aide destiné à favoriser l'emploi artistique dans les cafés et restaurants ;
- le volet social et professionnel du fonds de professionnalisation et de solidarité. Ce volet, dont la gestion a été confiée à Audiens, vise à aider les artistes et techniciens du spectacle rencontrant des difficultés à poursuivre ou à renouer avec une carrière professionnelle. Jusqu'en 2017, la subvention de l'État, d'un montant de 2,3 millions d'euros, était inscrite sur les crédits du programme 131 « Création ». Le fonds de professionnalisation et de solidarité comporte également un volet indemnisation, géré par Pôle emploi, qui soutient les artistes et techniciens arrivant au terme de leurs droits à l'assurance chômage par le biais d'un complément d'indemnisation ou d'allocations spécifiques. Ce volet finance également les deux mesures que le Gouvernement s'était engagé à prendre en charge dans le cadre de l'accord du 28 avril 2016 sur l'assurance chômage : l'allocation journalière plancher et l'assimilation à du temps de travail des périodes d'arrêt maladie de longue durée ou des congés maternité. Les crédits de ce volet sont intégralement inscrits sur le programme 102 « Accès et retour à l'emploi » géré par le ministère chargé du travail.
Qu'est-ce que le FONPEPS ? Il s'agit d'un fonds, dont le principe a été lancé en septembre 2016 , dont la vocation est de soutenir l'emploi pérenne dans le secteur du spectacle vivant et enregistré, au sein des structures publiques comme privées. Destiné aux entreprises du spectacle et aux artistes et techniciens qu'elles emploient, le fonds doit encourager la création d'emplois durables. Il est composé de neuf mesures, dont certaines ne sont toujours pas entrées en vigueur , faute de mesures d'application correspondantes : - une aide à l'embauche du premier salarié en contrat à durée indéterminée (CDI). Cette aide vise à faciliter l'embauche d'un premier salarié en CDI dans une entreprise de spectacle. Elle est d'un montant de 1 000 euros par trimestre, soit 4 000 euros par an pendant deux ans. Elle est organisée par le décret n° 2016-1764 du 16 décembre 2016 ; - une prime à l'emploi pérenne des salariés du spectacle (décret n° 2016-1765 du 16 décembre 2016). Cette prime vise à encourager l'embauche en CDI de tout salarié intermittent du spectacle et dont la rémunération est inférieure à trois SMIC mensuels. Son montant est dégressif sur quatre ans (10 000 euros la première année, 8 000 euros la seconde, 6 000 euros la troisième et 4 000 euros la dernière) ; - une prime au contrat de longue durée dans le secteur du spectacle , dont les caractéristiques sont précisées par le décret n° 2016-1766 du 16 décembre 2016. Cette aide vise à allonger la durée des contrats. Elle est octroyée aux entreprises de moins de 100 salariés en équivalent temps plein qui embaucheraient en contrats à durée déterminée de longue durée des salariés dont la rémunération est inférieure à trois SMIC. L'aide est de 500 euros pour un contrat de deux mois, de 800 euros pour un contrat de trois mois, de 1 800 euros pour un contrat de six mois, de 4 000 euros pour un contrat d'un an ; |
- une aide à l'insertion sur le marché du travail des jeunes artistes diplômés, prévue par le décret n° 2017-57 du 19 janvier 2017 instituant une aide à l'embauche des jeunes artistes diplômés. Elle est de 1000 € par mois pendant quatre mois pour tout contrat de plus de quatorze mois conclu avec de jeunes artistes, issus des établissements de l'enseignement supérieur culture. La liste des diplômes ouvrant droit à cette aide a été fixée par un arrêté du 19 janvier 2017 ; - un fonds assurantiel des groupements d'entreprises de la culture . Ce fonds vise à garantir, pendant six mois, la perte d'un participant à un groupement d'employeurs, en cas de défaillance de l'une des entreprises et dans l'attente d'une nouvelle adhésion. Cette disposition n'est pas encore entrée en vigueur ; - une aide à la garde d'enfant , versée jusqu'aux douze mois de l'enfant à tout artiste ou technicien du spectacle après un congé maternité, un congé paternité ou un congé d'adoption, à hauteur au maximum de 50 % du coût en raison du crédit d'impôt sur l'emploi à domicile, sous réserve qu'il ait un contrat de travail et ne bénéficie pas des aides de la Caisse d'allocations familiales. Cette aide n'est pas encore active ; - un dispositif de soutien de l'emploi dans les cafés-culture . Ce dispositif vise à favoriser l'emploi direct d'artistes dans les bars, cafés, lieux ou salles de spectacle non professionnels jusqu'à 200 places. Une partie du salaire versé aux artistes est remboursée a posteriori par le fonds. Ce dispositif n'est pas encore opérationnel ; - un dispositif de soutien de l'emploi dans les petits lieux de diffusion de musique, de théâtre ou de danse . Il concerne les salles de musique jusqu'à 300 plaes et les salles de théâtre et de danse jusqu'à 100 places. Ce dispositif n'est pas encore entré en vigueur ; - un dispositif de soutien à l'emploi dans le secteur de l'édition phonographique . Ce dispositif vise à favoriser l'emploi direct d'artistes pour des séances d'enregistrement en vue de la production d'un enregistrement phonographique. Il profite aux labels indépendants et aux enregistrements de de jazz ou de musique contemporaine. Cette mesure est financée paritairement par le ministère chargé de la culture et par les professionnels du secteur de l'édition phonographique. Elle serait en cours de déploiement. Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication |
Le ministère chargé de la culture invoque les retards pris dans la mise en oeuvre des différentes mesures du FONPEPS, les lacunes en matière de communication et une montée en puissance des dispositifs plus lente que dans les projections pour justifier la décision d'abaisser le niveau des crédits l'an prochain. Seules cinq des neuf mesures qui composent le FONPEPS sont, à présent, entrées en vigueur, en raison de difficultés juridiques et techniques présentées par la mise en oeuvre des quatre autres (voir encadré).
D'après les informations communiquées à votre rapporteure pour avis, 2 millions d'euros seulement, sur les 55 millions d'euros initialement prévus au titre de l'année 2017, auraient été consommés à la fin du mois d'octobre. L'essentiel de ces crédits aurait été consommé au titre de la prime à l'embauche d'un premier salarié. L'objectif de développer des emplois pérennes et durables ne serait pas pour autant abandonné, comme en témoigne le maintien de 90 millions d'euros de crédits en autorisations d'engagement. Pour autant, il est pour le moins surprenant que le Gouvernement ait décidé de réduire la voilure du FONPEPS avant même que l'ensemble des mesures fussent effectives .
L'inadéquation des mesures du FONPEPS pourrait toutefois être en cause dans ce bilan mitigé . Les contrats longs ne se prêtent pas nécessairement à un secteur caractérisé par une activité marquée par de grandes fluctuations. Par ailleurs, le principe de la mensualisation a pu inquiéter des professionnels habitués jusqu'ici à une rémunération fondée sur le cachet. Le Syndicat des entreprises artistiques et culturelles (SYNDEAC) avait fait valoir, à l'occasion des négociations autour du fonds, que la durée des dispositifs et la hauteur des aides ne permettrait pas aux mesures d'être saisies efficacement, ni par les établissements, ni par les équipes artistiques. Le ministère lui-même a reconnu à demi-mot que les mesures, élaborées à un niveau interministériel, n'étaient pas forcément parfaitement adaptées. Dans un rapport de préfiguration du Fonds pour l'emploi dans le spectacle réalisé en avril 2016 par l'inspection générale des finances, l'inspection générale des affaires sociales et l'inspection générale des affaires culturelles, les trois inspecteurs déconseillaient les mesures destinées à l'allongement de la durée des contrats qui, pour la plupart, auraient été des mesures de soutien à l'activité (accroissement du nombre de représentations, augmentation de la durée des tournées, organisation de représentations à l'étranger) et non des mesures d'aides à l'emploi direct, auraient suscité des effets d'aubaine et auraient favorisé principalement les grandes structures au détriment des petites.
D'après les informations recueillies par votre rapporteure pour avis, un groupe de travail, dont les premières réunions viennent de débuter, a été mis sur pied pour examiner l'opportunité de retravailler les mesures afin de les rendre plus opérantes avec les demandes de la profession. Les professionnels confirment que les mesures gagneraient en efficacité si elles étaient affinées en fonction des métiers et que les structures ont besoin d'être accompagnées dans la mensualisation. Il ne faudrait pas que cette remise à plat aboutisse en fin de compte sur l'abandon d'un dispositif obtenu à l'issue d'âpres discussion. Si le FONPEPS doit être revu, il doit être néanmoins préservé et non sacrifié .
2. Un contexte marqué par de fortes préoccupations autour de l'emploi
La diminution des crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2018 au titre de l'action 8 interpelle d'autant plus sur les intentions du Président de la République et du Gouvernement vis-à-vis des professionnels de la culture que le contexte de ces derniers mois a été marqué par de fortes préoccupations autour de l'emploi dans le secteur culturel.
L'annonce d'une nette réduction du nombre des contrats aidés fragilise les structures culturelles . Le secteur de la culture, essentiellement constitué de très petites structures, a toujours largement utilisé les possibilités offertes par les différents types de contrats aidés. Même si le nombre de contrats aidés dans le secteur est impossible à chiffrer, on sait qu'il s'agit d'une ressource précieuse pour permettre aux établissements culturels de développer leurs activités.
La direction générale de la création artistique a évalué le nombre de contrats aidés à 100 dans les FRAC et les centres d'art, à 81 dans les SMAC, à 43 dans les scènes nationales et à 60 pour les arts de la rue et du cirque, sans pour autant être en mesure de chiffrer parmi eux ceux qui viennent d'être ou seront supprimés. Elle évoque également le recensement de quelques mille contrats aidés parmi les 550 entreprises du spectacle vivant, un chiffre qui témoigne à la fois de l'ampleur du recours aux contrats aidés dans le secteur de la création et du rôle structurant qu'ils jouent pour les entreprises culturelles .
L'Union fédérale d'intervention des structures culturelles (UFISC) dresse le même constat, en observant que le premier permanent au sein des structures a souvent été recruté sur la base d'un contrat aidé. D'après les résultats d'une enquête menée auprès de 500 adhérents, 300 d'entre eux emploieraient en tout 555 personnes en contrats aidés, dont 260 ne devraient pas être renouvelés au dernier trimestre 2017.
La disparition progressive des contrats aidés pourrait, quoi qu'il en soit, menacer la survie de certaines structures culturelles et avoir des conséquences très lourdes pour les compagnies . Elle pourrait également avoir un impact sur les actions d'éducation artistique et culturelle , de nombreuses collectivités territoriales ayant recruté leurs médiateurs sur la base de contrats aidés. Ses conséquences sur le maillage culturel du territoire seront terribles , beaucoup de structures ayant recours aux emplois aidés. Le risque est grand de voir disparaître des acteurs culturels primordiaux, souvent implantés dans des zones déjà fortement dépourvues. La brutalité de cette décision, annoncée sans concertation avec les premiers concernés et les collectivités territoriales, a des conséquences concrètes qui commencent déjà à se faire ressentir, singulièrement au niveau des lieux de proximité.
La réforme de l'assurance chômage en préparation constituera également un point de vigilance . Les orientations du Premier ministre laissent jusqu'ici entendre que le système de garanties adaptées en matière d'indemnisation du chômage des intermittents devrait être préservé.
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Compte tenu de ces observations, votre rapporteure pour avis propose à la commission d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture » de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2018.
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La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2018.