TRANSMISSION DES SAVOIRS

DEUXIÈME PARTIE - LE PROGRAMME 224 « TRANSMISSION DES SAVOIRS ET DÉMOCRATISATION DE LA CULTURE »
LES GRANDES LIGNES DU PROGRAMME 224 POUR 2018

Le programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture », géré par le Secrétariat général du ministère de la culture, finance :

- les politiques culturelles transversales conduites par le ministère, c'est-à-dire celles menées en faveur de l'enseignement supérieur culture (ESC), de la démocratisation culturelle et de l'accès à la culture, de l'action culturelle internationale, ainsi que du développement et de la professionnalisation de l'emploi dans le spectacle ;

- les fonctions de soutien du ministère , parmi lesquelles les ressources humaines, les dépenses immobilières ou frais liés aux locaux, les systèmes d'information, ou les dépenses de communication.

Comme en 2017, le programme 224 est, des trois programmes qui composent la mission « Culture », celui qui connaîtra, en 2018, la progression la plus sensible de ses crédits . Ils sont portés à 1 331 324 411 euros en autorisations d'engagement (AE) et à 1 265 842 507 euros en crédits de paiement (CP), soit une hausse de plus 65 millions d'euros en AE (+ 5,16 %) et de plus de 32,5 millions d'euros en CP (2,64 %) .

La majorité des crédits demeure constituée par les dépenses de personnel (titre 2), qui s'élèvent à 710 523 328 € (+ 2 %), soit environ 55 % des crédits du programme . La progression des crédits s'explique par une hausse des crédits accordés à la formation et à l'action sociale et par l'octroi d'une nouvelle enveloppe de près de 10 millions d'euros pour financer des mesures de revalorisation indiciaire et des mesures indemnitaires destinées à favoriser les carrières et à renforcer l'attractivité des métiers. Le ministère de la culture souligne sa participation à l'effort de maîtrise des effectifs de la fonction publique , avec une baisse de ses effectifs de 110 emplois temps plein (ETP), répartis entre administration centrale (- 60 ETP), directions régionales des affaires culturelles (- 25 ETP) et établissements publics et services à compétence nationale (- 25 ETP). Cet effort reste néanmoins modéré, puisqu'il ne correspond qu'à 0,5 % de son plafond d'emplois sur titre 2. Les opérateurs sont également concernés, avec la suppression de 50 ETP.

Le ministère de la culture a également décidé, avant même l'annonce officielle du programme « Action publique 2022 », de rationaliser son parc immobilier. Sur les sept bâtiments dans lesquels sont implantés les services de l'administration centrale, il a annoncé sa décision de ne pas reconduire le bail du site de la rue Beaubourg et de céder deux bâtiments dont il est propriétaire.

Le Gouvernement met en avant la hausse de 5,2 % des crédits de paiement hors titre 2 . Ce chiffre doit néanmoins être relativisé, car il prend en compte les crédits qui ont été transférés depuis d'autres programmes et missions. Dans les faits, la croissance des crédits de paiement hors titre 2, avant transferts, s'élève à 2,1 % .

Conformément aux priorités gouvernementales, les actions 2 « Soutien à la démocratisation et à l'éducation artistique et culturelle » et 6 « Action culturelle internationale » sont celles qui profitent le plus de ces progressions de crédits , avec une croissance respective de leurs crédits de paiement, après transferts, hors titre 2, de l'ordre de 56 % et de 17 % (cf. tableau ci-dessus). L'accès de tous à la culture et la dimension européenne et internationale figuraient parmi les six objectifs assignés à la politique culturelle par le Premier ministre dans sa feuille de route adressée à la ministre chargée de la culture, Françoise Nyssen, en août dernier.

C'est pourquoi le projet annuel de performances (PAP) pour 2018 mentionne désormais spécifiquement, parmi les priorités du programme, la valorisation de l'attractivité de la culture française à l'international , aux côtés de la nécessité de favoriser l' accès à la culture sur l'ensemble du territoire, d'améliorer l' attractivité de l'enseignement supérieur culture , d' optimiser la gestion des fonctions de soutien du ministère et de pérenniser l'emploi dans les entreprises du spectacle vivant et enregistré, qui figuraient déjà dans le PAP pour 2017. Les crédits de l'action 6 sont abondés d'1,3 million d'euros par rapport à 2017 dans l'objectif, en particulier, de renforcer les actions internationales conduites par les directions générales des affaires culturelles (DRAC).

L'action internationale du ministère de la culture

L'action européenne et internationale du ministère de la culture comprend plusieurs priorités :

- contribuer à la relance de l'Europe par le biais de la culture . Les initiatives destinées à adapter les politiques culturelles à l'ère du numérique dans le respect du droit des créateurs et de la diversité culturelle entrent dans ce cadre, de même que les actions destinées à améliorer la prise en compte de la dimension culturelle dans les programmes existants, à renforcer des programmes culturels comme « Europe créative » ou à développer un programme de mobilité des professionnels de la culture pour favoriser la circulation des artistes, des commissaires d'exposition et des conservateurs, qui pourrait prendre le nom d'Erasmus Culture ;

- promouvoir le dialogue des cultures à travers la langue française , sa diffusion, son partage, sa promotion, les idées et les valeurs qu'elle véhicule, et en encourageant la traduction du et vers le français ;

- valoriser l'expertise, l'innovation, le savoir-faire et les créations françaises à l'étranger , par l'accueil de professionnels de la culture et d'artistes étrangers, le développement de réseaux de professionnels susceptibles d'accroître l'influence et le rayonnement de la culture française dans le monde, la mise en oeuvre de programmes de coopération culturelle et l'élaboration de projets de jumelage ;

- intervenir en faveur du patrimoine en péril compte tenu des destructions et pillages, ainsi que du trafic de biens culturels causés par les cataclysmes et les conflits armés ;

- promouvoir le tourisme culturel avec, en particulier le lancement, en 2018, d'une Saison culturelle pour la deuxième année consécutive destinée à mettre en avant la diversité de la programmation culturelle de notre pays, la richesse de son patrimoine et l'excellence de sa création.

L'action 6 du programme 224 ne rassemble pas la totalité des crédits budgétaires du ministère en faveur de l'action extérieure . Les programmes 131 « Création », 180 « Presse » et 334 « Livre et industries culturelles » financent diverses actions destinées à soutenir la diffusion à l'étranger des industries culturelles, des artistes et des spectacles, en plus des soutiens spécifiques à l'audiovisuel extérieur de la France.

Par ailleurs, les opérateurs du ministère (musées, établissements d'enseignement supérieur...) comme les réseaux labellisés (Centres dramatiques nationaux, centres chorégraphiques nationaux, scènes nationales...) conduisent également des actions internationales financées sur leurs budgets propres, alimentés par les subventions du ministère. Un rapport de l'inspection générale des affaires culturelles évalue son montant cumulé à 25 millions d'euros.

A ces crédits s'ajoutent 62,4 millions d'euros inscrits sur le programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence » géré par le ministère de l'Europe et des affaires étrangères et destinés à la coopération culturelle et à la promotion du français.

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication du Sénat
à partir des documents transmis par le ministère de la culture

L'accompagnement des artistes et techniciens du spectacle fragilisés dans leur parcours professionnel constitue une autre nouvelle priorité du programme, compte tenu du transfert des crédits destinés au Fonds de professionnalisation et de solidarité, autrefois rattachés au programme 131 « Création ». Ce transfert paraît cohérent au regard de la budgétisation du Fonds pour l'emploi pérenne dans le spectacle (FONPEPS) sur le programme 224 au moment de sa création l'an dernier. Votre commission avait d'ailleurs soutenu, dans son avis sur le projet de loi de finances pour 2017, le principe de ce rattachement, compte tenu de la transversalité des actions financées, comme de leur diversité : plusieurs d'entre elles dépassent le cadre du seul spectacle vivant pour s'étendre au cinéma, à l'audiovisuel et à la production radiophonique.

I. L'ACCÈS DE TOUS À LA CULTURE : PRIORITÉ AFFICHÉE DU QUINQUENNAT, MAIS QUI RESTE À CONFIRMER

A. UN EFFORT CONCENTRÉ SUR LA MISE EN oeUVRE DES ENGAGEMENTS PRÉSIDENTIELS

1. Généraliser l'accès à l'éducation artistique et culturelle : un chantier de longue haleine

L'éducation artistique et culturelle est devenue, en quelques années, le vecteur privilégié de la démocratisation culturelle. Cette tendance devrait se poursuivre dans les années à venir pour donner corps à l'engagement, pris par le Président de la République, que 100 % des enfants aient accès, d'ici 2020, aux actions d'éducation artistique et culturelle , entendues dans une triple dimension recouvrant la pratique artistique, la fréquentation des oeuvres et la rencontre avec les artistes, et l'acquisition de connaissances dans le domaine des arts et de la culture. L'éducation artistique et culturelle est en effet appréhendée comme un moyen de faire tomber, pour reprendre les mots de la ministre chargée de la culture, les « barrières géographiques, sociales, économiques et mentales » qui entravent l'accès à la culture de nombreux Français.

Deux priorités , autour desquelles les efforts doivent essentiellement se porter, ont été définies : favoriser la pratique artistique , notamment dans le domaine de la musique et du théâtre, d'une part, et susciter le goût du livre et de la lecture , d'autre part. Dans sa présentation du budget, la ministre chargée de la culture cite pour exemples l'installation d'une chorale dans chaque établissement scolaire, le soutien au développement de ciné-clubs, l'encouragement aux résidences d'artistes, les dispositifs de découverte des lieux culturels ou la poursuite des chantiers de restauration du patrimoine. Lors de son audition devant votre commission le 22 novembre dernier, la ministre de la culture, Françoise Nyssen, a apporté des précisions au sujet du plan « chorales ». Elle a indiqué l'objectif qu'un établissement sur deux soit doté d'une chorale à la rentrée de septembre 2018, contre un établissement sur quatre aujourd'hui, et que l'ensemble des établissements soient concernés à la rentrée 2019. Elle a également fait part de son souhait qu'une « Fête de la musique à l'école » voie le jour, avec une première édition dès le 21 juin prochain.

Pour 2018, le Gouvernement annonce déjà un objectif très ambitieux : celui d' atteindre 80 % des enfants , alors que seuls 49 % d'entre eux, d'après les prévisions, seraient concernés en 2017, soit plus de 3 millions de jeunes supplémentaires . Il compte à la fois sur une augmentation significative des crédits et sur un changement de méthode pour y parvenir.

a) Une augmentation des crédits significative

D'après le projet annuel de performances, les crédits consacrés à l'éducation artistique et culturelle devraient être portés à 114 millions d'euros au total , soit une hausse revendiquée de 47 %. À ces dépenses de fonctionnement s'ajoutent deux millions d'euros de crédits d'investissement pour la poursuite du projet de construction de l'établissement public Atelier Médicis à Clichy-Montfermeil , installé dans l'ancienne tour Utrillo, qui aura vocation à accueillir des artistes en résidence.

Cette forte progression des crédits en faveur de l'éducation artistique et culturelle doit cependant être relativisée.

D'abord, les chiffres sont à manier avec précaution . En effet, la hausse intègre le transfert de 15,4 millions d'euros de crédits inscrits, jusqu'en 2017, sur les crédits d'autres programmes ou missions budgétaires et qui financent des actions d'éducation artistique et culturelle en lien avec le livre et la lecture, des dispositifs d'éducation à l'image dans les domaines du cinéma, des médias et de l'information, ou encore des chantiers de découverte du patrimoine. L'objectif de ces transferts est d'assurer « un pilotage plus cohérent des crédits de façon à obtenir des effets de levier plus forts » en regroupant tous les crédits en fonction du bénéficiaire final, à savoir les jeunes, et non pas selon l'opérateur ou le domaine de l'action.

Certains transferts en provenance du programme 131 « Création » laissent les acteurs perplexes. C'est le cas par exemple du transfert du soutien aux ateliers de fabrication artistique, alors que l'activité de ces structures, entièrement tournée vers la création, ne se limitait pas jusqu'ici à la jeunesse.

En fin de compte, les nouveaux crédits par rapport à 2017 s'élèvent à 34,6 millions d'euros , soit une augmentation des crédits de l'éducation artistique et culturelle de près de 44 % , une évolution qui reste considérable.

Ensuite, le périmètre de l'éducation artistique et culturelle n'est pas forcément évident à appréhender et peut varier entre les exercices budgétaires . Le montant de 114 millions d'euros intègre aussi bien le soutien aux pratiques artistiques et culturelles en milieu scolaire, hors temps scolaire et pendant les vacances scolaires, la création d'un fonds pour favoriser l'accès au spectacle vivant des enfants en situation de handicap, le soutien aux initiatives en faveur de l'entrepreneuriat culturel, la formation des acteurs de l'éducation artistique et culturelle (enseignants, artistes, médiateurs, animateurs) que l'aide de l'État aux conservatoires ainsi que les crédits pour l'amorce du Pass'culture.

L'évolution de la présentation du projet annuel de performances rend de toute façon impossible toute comparaison des crédits entre 2017 et 2018 , conduisant le lecteur à s'en remettre aux montants - trop globaux - indiqués et à prendre pour argent comptant toute annonce de nouveaux crédits, sans toujours être en mesure de savoir s'il s'agit véritablement de crédits nouveaux par rapport à 2017, d'un transfert venant d'un autre programme ou de l'amplification d'un dispositif existant. Alors que le projet annuel de performances décomposait en 2017 les crédits de l'éducation artistique et culturelle entre projets de classes, projets d'établissements, projets de territoire et formation et ressources documentaires, le projet annuel de performances attaché au projet de loi de finances pour 2018 répartit désormais les crédits entre six axes stratégiques d'intervention.

La répartition des crédits de l'éducation artistique et culturelle prévue par le projet de loi de finances pour 2018

Les crédits de l'éducation artistique et culturelle devraient se répartir en 2018 de la manière suivante :

- 44,5 millions d'euros pour le développement de la pratique artistique et culturelle , aussi bien dans le domaine de la musique, du théâtre, du cinéma, de l'écriture, de l'architecture ou du patrimoine. Ces crédits financeront le renforcement des moyens des conservatoires territoriaux, le programme Demos, le soutien aux diverses activités de pratique artistique et culturelle organisées à l'école, en dehors du temps scolaire et pendant les vacances scolaires, la création d'un fonds, doté d'un million d'euros, pour favoriser l'accès des jeunes en situation de handicap au spectacle vivant et l'équipement en dispositifs adaptés des structures accueillant des enfants sous mains de justice ou hospitalisés. Sur ces 44,5 millions d'euros, 11,5 millions d'euros seraient des crédits nouveaux par rapport à 2017 ;

- 13,4 millions d'euros pour encourager le goût de la lecture . Ces crédits, annoncés en hausse de 8,4 millions d'euros par rapport à 2017, seront utilisés pour renforcer les actions de soutien à la lecture et à l'écriture dans les écoles, pour lancer, en janvier 2018, la deuxième édition de la « Nuit de la lecture » dans les bibliothèques et les librairies partenaires de l'événement, dont la création avait été proposée par votre rapporteure pour avis dans le cadre de son rapport sur l'adaptation et l'extension des horaires des bibliothèques, pour amplifier le dispositif « Premières pages » destiné à sensibiliser les familles, notamment les plus fragiles et les plus éloignées du livre, à l'importance de la lecture dès le plus jeune âge, pour accroître le soutien au projet « Des livres à soi », qui forme les parents à la lecture pour prévenir l'illettrisme chez les enfants, ou encore pour développer les contrats territoires-lecture avec les collectivités territoriales, qui permettent à l'État, depuis 2010, d'accompagner des projets pluriannuels menés par des collectivités territoriales autour du développement de la lecture ;

- 13,1 millions d'euros pour aider les jeunes à mieux décrypter le monde et pour digitaliser la médiation , dont 5,1 millions d'euros décrits comme des crédits nouveaux par rapport à 2017. Il s'agit de crédits qui seront consacrés aux actions d'éducation à l'image, aux médias et à l'information menées notamment en lien avec les médias professionnels et les médias de proximité, ainsi qu'au dispositif « Journalistes en résidence », initié après l'attentat contre Charlie Hebdo pour faciliter l'éducation aux médias dans les établissements scolaires par le biais de la présence de journalistes professionnels. Ces crédits devraient également soutenir des initiatives en faveur de l'entrepreneuriat culturel ;

- 11 millions d'euros pour former les acteurs de l'éducation artistique et culturelle, notamment sur les territoires les moins irrigués . Ces crédits, annoncés en hausse de 5 millions d'euros par rapport à 2017, sont destinés à soutenir le recrutement de chargés de développement de l'éducation artistique et culturelle, pour faciliter la conclusion de nouvelles conventions avec les collectivités territoriales, à renforcer le soutien aux services éducatifs des institutions labellisées, à soutenir la formation des professionnels de la culture et de l'éducation et à accompagner la confection d'outils pédagogiques et de ressources numérique ;

- 23 millions d'euros pour nouer des partenariats avec les collectivités territoriales, avec une priorité donnée aux territoires et aux publics les plus éloignés de la culture dans une optique de rattrapage. Ces crédits, qui seraient confortés de 11 millions d'euros par rapport à 2017, comprennent les mesures destinées à poursuivre les conventionnements avec des collectivités territoriales, le soutien aux projets encourageant la mobilité des oeuvres et des artistes dans les zones les plus éloignées de la culture, à savoir les zones rurales isolées, les quartiers prioritaires de la politique de la ville et les Outre mers, la mise en place d'un plan en faveur de la petite enfance ou encore l'élaboration d'un plan en direction des enfants les plus éloignés de la culture du fait de leur handicap, d'un séjour à l'hôpital ou d'un placement sous mains de justice ;

- 5 millions d'euros pour les opérations relatives au lancement du Pass'Culture ;

- et 4 millions d'euros au titre de la compensation de la gratuité d'accès des enseignants aux établissements culturels patrimoniaux.

Source : Commission de la culture, de l'éducation et de la communication à partir des informations fournies par le ministère de la culture

La question de l'implication des collectivités territoriales dans le dispositif se pose de manière particulièrement aigue. Elles sont aujourd'hui l'un des principaux contributeurs financiers aux actions d'éducation artistique et culturelle, dans le cadre de la mise en oeuvre des rythmes scolaires, avec les activités organisées sur le temps périscolaire ou pendant les vacances scolaires. Il est donc essentiel de veiller à ce que les crédits étatiques puissent créer des effets de levier .

L'impact de la réforme des rythmes scolaires sur l'éducation artistique et culturelle reste encore difficile à appréhender. On peut d'ailleurs regretter que le décret du 27 juin 2017 autorisant les dérogations à l'organisation de la semaine scolaire dans les écoles maternelles et élémentaires publiques, dit décret « Blanquer », ait été pris sans évaluation préalable de l'impact sur les enfants des rythmes scolaires. Si on estime généralement que la réforme des rythmes scolaires a favorisé la mise en oeuvre des actions d'éducation artistique et culturelle, elle a pu accroître les inégalités d'accès à la culture entre les territoires urbains et les territoires ruraux . La réduction de la durée des plages horaires disponibles constitue un frein à la fréquentation des établissements culturels pour les jeunes situés en zone rurale, les distances ne pouvant plus être parcourues dans le temps imparti. Il serait important que la réflexion actuellement engagée sur les rythmes scolaires prenne en considération leur incidence sur les parcours d'éducation artistique et culturelle.

b) Un changement de méthode attendu, mais qui reste à démontrer

« Mobilisation générale » : c'est ce que souhaite le Gouvernement pour permettre à tous les enfants et les jeunes situés sur notre territoire de bénéficier, d'ici trois ans, de l'éducation artistique et culturelle dans ses trois dimensions.

Les opérateurs culturels et les acteurs culturels dans leur ensemble devraient être désormais mobilisés dans la mise en oeuvre des actions d'éducation artistique et culturelle pour décupler l'efficacité de cette politique. Dans le dossier de presse consacré au budget de la culture pour 2018, il est indiqué que 30 millions d'euros seront consacrés, au sein des subventions des opérateurs culturels , à la mise en oeuvre d'actions d'éducation artistique et culturelle.

Tous les dispositifs conventionnels du ministère chargé de la culture devraient désormais obligatoirement comporter une clause dédiée à l'éducation artistique et culturelle pour contraindre les acteurs du champ culturel, quel que soit leur domaine d'intervention (patrimoine, spectacle vivant, arts plastiques, audiovisuel, livre...), à tisser des partenariats avec les établissements scolaires. Ils devraient également comporter une clause de solidarité pour engager les acteurs culturels à aller au-devant des personnes les plus éloignées de la culture.

Les collectivités territoriales devraient également être sollicitées , compte tenu de leur position de partenaire privilégié dans ce domaine. Le Gouvernement a fait part de son intention de s'appuyer largement sur l'échelon territorial. La grande majorité des crédits de l'éducation artistique et culturelle devrait être déconcentrée auprès des directions régionales des affaires culturelles (DRAC) afin de répondre le plus finement aux besoins, en partenariat étroit avec les rectorats et les collectivités territoriales. D'après les informations communiquées à votre rapporteure pour avis, les crédits ne seraient plus fléchés. Chaque DRAC, sur la base des orientations stratégiques en matière d'éducation artistique et culturelle transmises par le Gouvernement, aurait pour tâche de répartir les crédits.

Les contrats locaux ou territoriaux d'éducation artistique et culturelle (CLEA ou CTEA), qui organisent les politiques locales dans ce domaine de manière à bâtir une offre cohérente, devraient être généralisés sur tout le territoire. La représentation des collectivités territoriales a été élargie au sein du Haut Conseil de l'éducation artistique et culturelle par le décret n° 2017-1045 du 10 mai 2017 relatif à la composition et au fonctionnement de cette instance pour intégrer des représentants des intercommunalités et des métropoles au travers de l'Association des communautés de France et de France Urbaine.

Surtout, un nouveau partenariat avec le ministère chargé de l'éducation nationale serait en train de prendre forme .

Depuis plusieurs années, votre commission défend l'importance d'une collaboration étroite entre les ministères chargés de la culture et de l'éducation nationale pour garantir l'efficacité de la politique d'éducation artistique et culturelle. Seule une véritable implication du ministère de l'éducation nationale peut permettre que l'ensemble des enfants accède à l'éducation artistique et culturelle. Il n'y a qu'à l'école que l'on peut avoir la certitude de toucher tous les enfants, ce qui est essentiel pour que cette politique s'inscrive sous le signe de l'égalité .

Il est vrai que la rivalité qui oppose traditionnellement les deux ministères semble peu à peu céder la place, au moins en apparence, à une gouvernance conjointe et une coopération sur le sujet de l'éducation artistique et culturelle. Le 14 septembre dernier , Françoise Nyssen et Jean-Michel Blanquer ont présenté, en conseil des ministres, une feuille de route commune pour atteindre l'objectif de 100 % des enfants et des jeunes bénéficiaires des actions d'éducation artistique et culturelle. Des binômes composés d'agents de chacun des ministères auraient été formés sur la question de l'évaluation de l'impact des actions sur les jeunes, sur les actions visant à favoriser la pratique artistiques, sur les actions autour du livre et de la lecture, sur les actions de formation et sur les outils pédagogiques et numériques et l'éducation à l'image.

Il n'en demeure pas moins que l'engagement des deux ministères concernant le parcours d'éducation artistique et culturelle paraît aujourd'hui encore déséquilibré. Seuls 3 millions d'euros sont spécifiquement inscrits pour le parcours d'éducation artistique et culturelle de l'élève au sein de la mission « enseignement scolaire », preuve de l'importance toute relative de cet axe pour le ministère chargé de l'éducation nationale.

2. Le Pass'Culture : oui à un instrument au service d'une politique culturelle claire, non à un simple « chèque en blanc »
a) Un dispositif dont les contours restent flous

5 millions d'euros sont inscrits l'an prochain pour permettre la mise en place du Pass'Culture, conçu comme l'aboutissement du parcours d'éducation artistique et culturelle dont les jeunes auront bénéficié de leur plus jeune âge à leur majorité. Promesse de campagne du Président de la République, il s'agit d'un « pass de 500 € [octroyé à] tous les jeunes de 18 ans, qui leur permettra, via une application, d'accéder aux activités culturelles de leur choix », si l'on se fie aux informations qui figurait dans son programme. Il doit permettre de faire perdurer les pratiques artistiques chez les jeunes à un âge auquel elles sont souvent abandonnées.

Cette enveloppe de cinq millions d'euros ne devrait pas servir à financer le pass proprement dit, mais à préparer son introduction . D'après les informations recueillies par votre rapporteure pour avis, ces crédits sont destinés à couvrir :

- les coûts de consultation des jeunes sur la définition de l'offre qui leur sera proposée et sur l'objet final. Le souhait de la ministre chargée de la culture serait d' élaborer le pass en étroite association avec les jeunes , d'où la volonté de faire remonter leurs besoins et leurs préférences en amont. Un hackaton pourrait également être organisé pour définir la forme de la future plateforme. Ces coûts devraient également englober les frais de recherche de partenaires, à savoir les opérateurs culturels du ministère, mais aussi les acteurs publics et privés ou les innovateurs ;

- les coûts d'élaboration de la plateforme de gestion en ligne . À titre d'information, ils auraient été légèrement inférieurs à 1 millions d'euros pour le « Bonus cultura » en Italie. D'après les indications données par la ministre de la culture, Françoise Nyssen, lors de son audition devant votre commission le 22 novembre dernier, il devrait s'agir d'une application mobile, proposant aux jeunes un accès géolocalisé à l'offre de spectacles, aux différents biens culturels et aux pratiques artistiques ;

- les coûts des expérimentations pour tester le dispositif à la fois sur différents types d'offres et sur différents territoires. Elles devraient avoir lieu au second semestre de l'année 2018.

On voit mal comment la mise en service pourrait véritablement débuter avant 2019, tant de nombreuses incertitudes demeurent quant aux contours et au financement du nouvel instrument. Les documents budgétaires apportent peu d'éléments. Ils évoquent un dispositif qui « permettra aux bénéficiaires, via une plateforme dédiée, de financer des biens et services culturels variés à travers, d'une part, la fréquentation d'oeuvres dans les lieux culturels et les festivals, et d'autre part, l'acquisition de livres ou l'accès à des oeuvres cinématographiques, audiovisuelles et musicales » et reconnaissent que « son champ doit encore être précisément défini ».

L'inspection générale des affaires culturelles conduit actuellement une mission, dont les conclusions devraient être rendues avant la fin de l'année 2017, pour faire le bilan des expériences de pass pour les jeunes mis en place dans quatre régions (Auvergne-Rhône-Alpes, Normandie, Occitanie et Provence-Alpes-Côte d'Azur) et formuler des préconisations relatives à la forme et aux modalités que pourrait prendre le futur pass national.

Les modalités précises de financement du dispositif sont encore méconnues . Les évaluations qui ont été réalisées montrent que la mesure pourrait coûter, à plein régime, entre 400 et 420 millions d'euros chaque année . En Italie, 290 millions d'euros étaient budgétés la première année et, malgré un taux d'inscription très inférieur aux prévisions, 115 millions d'euros ont été consommés entre septembre 2016 et septembre 2017.

L'État ne devrait pas financer seul le Pass'culture . Il est prévu que sa part dans le dispositif fasse l'objet d'une montée en charge progressive pour atteindre 140 millions d'euros en fin de quinquennat . Aucun détail n'est communiqué à ce stade sur les éléments sur lesquels se fonderait une montée en charge progressive : s'agit-il des publics bénéficiaires, des territoires concernés ou du type d'offres accessible ? Les deux autres tiers des financements proviendraient, à égalité, des GAFA et des distributeurs physiques (grandes surfaces, librairies...).

b) Une expérience italienne à relativiser

L' exemple italien du « Bonus Cultura » qu'Emmanuel Macron mettait en avant en janvier dernier, alors qu'il était candidat à la magistrature suprême, pour annoncer son intention de le dupliquer en France, fait plutôt figure de contre-exemple, tant le succès n'a pas été au rendez-vous .

En fonctionnement depuis 2016, ce dispositif pourrait ne pas être reconduit en 2018 . La première année, seuls 61 % des jeunes nés en 1998 se seraient inscrits pour bénéficier de leur bon de 500 euros, preuve du désintérêt d'une partie des jeunes si ce n'est pour la culture, du moins pour ce type de dispositif. Pour les jeunes qui se sont inscrits sur la plateforme, les bons auprès des commerces physiques auraient majoritairement servi pour l'achat de livres (77 %) ou de places de cinéma (18 %). Les bons consommés en ligne l'auraient également très majoritairement été pour l'achat de livres (80 %) et de places de concert (17 %). Cette utilisation des bons, particulièrement concentrée autour du livre , étonne d'autant plus que le dispositif est également destiné à financer l'accès des jeunes aux événements culturels, aux musées, dans les monuments historiques, aux théâtres, aux spectacles de danse ou encore aux cours de musique, de théâtre ou de langues étrangères.

Au-delà de cette utilisation partielle des possibilités offertes par le bon, des effets pervers se sont également fait jour . Beaucoup de jeunes Italiens auraient utilisé la somme qui leur était octroyée, non à des fins culturelles, mais pour acheter leurs livres de cours. Un marché noir serait également apparu, dont témoignerait la publication fréquente sur les réseaux sociaux d'annonces de jeunes proposant de revendre leurs bons. Des cas de fausses factures de livres pour l'acquisition d'ordinateurs ou de tablettes ou même de commerçants complaisants acceptant de remettre 500 euros en liquide en échange du bon ont également été signalés.

Le « Bonus Cultura » n'est pas un cas isolé. Le bilan mitigé des expérimentations conduites en Bretagne pour développer un pass en direction de la jeunesse avait conduit à renoncer à sa mise en oeuvre.

Votre rapporteure pour avis regrette de ne pas disposer d'éléments d'analyse de nature sociologique permettant d'appréhender le type de jeunes ayant participé au dispositif italien et l'utilisation qu'ils ont faite de leurs bons. Ces éléments seraient importants pour saisir le rôle qu'a pu jouer cet instrument en termes de démocratisation et de diversification culturelles.

c) Un dispositif coûteux à bien calibrer avant de le mettre en place

Aussi séduisante qu'elle puisse paraître de prime abord, l'idée d'un Pass'culture n'est pas sans risque , comme le montre l'exemple italien. Le fait que le Gouvernement ne soit pas tout à fait au clair sur l'objectif qui sous-tend sa création accroît aujourd'hui les inquiétudes.

S'agit-il d' assurer un simple accès à la culture , quel qu'il soit, à chaque jeune ? C'est ce que les propos de la ministre chargée de la culture, il y a quelques mois, laisseraient supposer. Lors de son audition devant l'Assemblée nationale en juillet dernier, Françoise Nyssen indiquait, alors qu'elle était interrogée sur les modalités d'utilisation de l'enveloppe par les bénéficiaires, « nous laisserons les jeunes décider, sans juger de l'emploi qu'ils feront de la somme allouée. Cela va dans le sens de la société de confiance que nous voulons instaurer ». S'il est compréhensible de laisser le choix au jeune, il convient de porter une vive attention à la promotion de la diversité artistique et culturelle, à la nécessité de soutenir les esthétiques les plus fragiles, de découvrir et fréquenter les équipements culturels, les commerces culturels tels les librairies ou les disquaires , des enjeux majeurs auxquels devraient tendre les politiques culturelles. Sans aucun encadrement de son utilisation, le Pass'Culture est susceptible de créer des effets d'aubaine . Le risque est grand qu'une majorité de jeunes utilise son « porte-monnaie électronique » en direction de ce qu'elle connaît, sans s'ouvrir à des expériences culturelles qui lui sont jusqu'ici inconnues, et que l'argent public bénéficie, en fin de compte, essentiellement à des acteurs privés , en particulier aux GAFA.

S'agit-il plutôt d' éveiller le goût de la culture chez les publics qui en sont les plus éloignés ? Alors, le Pass'Culture doit être pensé différemment, dans une logique de démocratisation culturelle afin que les personnes qui n'ont aucune habitude en matière culturelle en fassent usage , pour éviter l'écueil du cas italien, où près de 40 % des jeunes ne se sont même pas inscrits pour accéder à la plateforme. Les expériences montrent qu'un accompagnement , qu'il soit le fait d'un parent ou d'un enseignant, est souvent nécessaire pour que les jeunes participent à une activité culturelle. Au final, il serait plus efficace de mettre en place des actions ciblées en direction de ces publics si tel était l'objectif. D'autre part, le Pass'culture pourrait reproduire les inégalités territoriales dans l'accès à la culture . Aucune solution n'est jusqu'ici évoquée pour garantir aux jeunes situés en zone rurale une offre culturelle équitable, compte tenu de leur situation d'éloignement géographique par rapport aux équipements culturels.

S'agit-il sinon de diversifier les pratiques culturelles des jeunes ? D'après les informations recueillies par votre rapporteure pour avis, l'un des objectifs du Pass'culture serait effectivement d'élargir le champ de vision culturel du jeune. À cette fin, la plateforme serait éditorialisée. Chaque utilisateur devrait renseigner son profil afin de faire part de ses habitudes et de ses préférences en matière culturelle. La plateforme lui proposerait ensuite un choix d'offres culturelles, sur la base d'un algorithme susceptible d'inverser ses préférences ou, du moins, d'élargir son horizon culturel. Même si votre rapporteure pour avis souscrit à cet objectif de diversification culturelle, elle s'interroge sur le risque posé par une labellisation des offres culturelles par l'État . La puissance publique est-elle fondée à dire quel spectacle voir, quel livre lire, quel film visionner, quel artiste écouter ? Sans évoquer les difficultés soulevées par le stockage de données personnelles relatives aux préférences culturelles de chacun des bénéficiaires.

Quel que soit l'objectif retenu, les écueils sont nombreux. La mise en place d'un pass national pourrait par ailleurs rendre caduques les initiatives similaires mises en place au niveau local, qui jouent pourtant un rôle significatif pour ancrer les jeunes dans le territoire dans lequel ils vivent. Quid de l'articulation avec les dispositifs existants ?

Donner aujourd'hui un blanc-seing en faveur de la création du Pass'Culture pose également question au regard du montant considérable qu'il est prévu d'investir dans le dispositif . Aucune indication n'a jusqu'ici été donnée concernant les modalités de financement des 140 millions d'euros susceptibles d'être inscrits à cet effet en fin de quinquennat : s'agira-t-il de crédits nouveaux ou d'un redéploiement au moins partiel de crédits au sein de la mission « Culture » ? Face au manque de moyens chronique dont souffrent la plupart des équipements culturels, on peut s'interroger sur l'opportunité de débloquer une enveloppe d'un tel montant, d'autant plus si elle se traduit par une réduction des moyens alloués aux équipements culturels de proximité, alors même qu'ils seront sollicités pour accueillir les bénéficiaires du pass.

Quant au financement des deux autres tiers du dispositif, votre rapporteure pour avis juge dangereux de s'appuyer sur des partenariats avec les GAFA ou les opérateurs privés du spectacle vivant pour donner vie au Pass'culture, compte tenu des menaces que l'abandon de la culture à la sphère privée fait peser sur la diversité culturelle . Il est à craindre que ces entreprises conditionnent leur participation financière à la présence et à la valorisation de leurs offres sur la plateforme, au détriment des objectifs qu'aurait pu remplir ce passeport culturel de promotion des jeunes créateurs ou de soutien à des esthétiques moins représentées.

La question se pose enfin de savoir si les jeunes de 18 ans sont, en termes de public, celui pour lequel les besoins de démocratisation culturelle se font les plus pressants. Sans être nécessairement tous des adeptes de la culture dite « cultivée », les jeunes sont plutôt de grands consommateurs culturels. Quid des adultes dont les besoins sont spécifiques ou de ceux situés dans des « zones blanches de la culture » ?

In fine , le Pass'Culture devra parvenir à allier deux principes qui peuvent aller en sens contraire : d'une part, la liberté de choix du jeune et, d'autre part, la promotion de la diversité culturelle . Afin qu'il ne se résume pas à un simple « chèque en blanc », mais constitue un réel instrument au service d'une politique publique en faveur de l'accessibilité et de la diversité culturelles, il pourrait peut-être être pertinent de décomposer en deux temps ce dispositif :

- dans un premier temps, une partie de l'enveloppe serait débloquée (250 euros par exemple), mais le contenu des offres serait éditorialisé, conditionné et inviterait le jeune à ouvrir ses horizons (achats de livres dans les librairies indépendantes locales, places de théâtre, etc.) ;

- dans un second temps, le reliquat pourrait être utilisé totalement librement par le jeune.

C'est une proposition parmi d'autres qui présente l'avantage de combiner les deux principes précités et ferait du Pass'Culture un instrument qui s'inscrit dans une politique culturelle cohérente, soucieuse de la diversité culturelle ainsi que des acteurs territoriaux qui la font vivre .

Page mise à jour le

Partager cette page