II. EXAMEN DU RAPPORT
Réunie le mercredi 8 novembre 2017, la commission a examiné le rapport pour avis sur les crédits « Transports ferroviaires, collectifs et fluviaux » de la mission « Écologie, développement et mobilité durables ».
M. Hervé Maurey , président . - Je donne la parole à M. Gérard Cornu, pour nous présenter les crédits du projet de loi de finances pour 2018 consacrés aux transports ferroviaires, collectifs et fluviaux.
M. Gérard Cornu , rapporteur pour avis . - Je remercie Jean-Pierre Corbisez pour sa présentation de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), qui me permettra d'abréger mon propos sur cette agence. Après une présentation des crédits consacrés aux transports ferroviaires, collectifs et fluviaux du projet de loi de finances pour 2018, je vous ferai un rapide exposé sur la situation et les perspectives du fret ferroviaire.
Pour revenir d'abord sur le budget de l'Afitf, il est toujours très difficile de se prononcer au moment des débats relatifs à la loi de finances, car le budget définitif n'est arrêté qu'en décembre.
Le ministère en charge des transports, qui en a la tutelle, nous a indiqué que le budget annoncé de 2,4 milliards d'euros devrait suffire pour 2018, à condition d'échelonner certains paiements ou de retarder la mise en oeuvre de certains projets. Mais, dans ce cas, il faut bien noter qu'on ne fait que reporter dans le futur les difficultés budgétaires de l'agence, qui sont réelles.
Je rappelle que l'Afitf avait encore, à la fin de l'année 2016, une dette de 447 millions d'euros vis-à-vis de SNCF Réseau, dont 37 millions au titre des pénalités. Ce montant est en diminution, mais il n'est pas négligeable et mérite d'être souligné.
En réalité, l'Afitf doit assumer de nombreux engagements pris par le passé, sans avoir les ressources correspondantes. Dans ce contexte, je suis extrêmement favorable à la démarche engagée par la Ministre Élisabeth Borne pour redéfinir, avec le Parlement, les priorités et les inscrire dans une loi de programmation, en garantissant leurs financements. Nous devons, à l'avenir, être plus rationnels dans nos choix d'investissements, en nous assurant de leur faisabilité financière.
J'en viens aux crédits du programme 203. Dans le domaine ferroviaire, les dépenses de l'État se composent essentiellement de la contribution de l'État à SNCF Réseau, fixée en 2018 à 2,4 milliards d'euros, un montant très proche de celui retenu en 2017. Pour vous donner une idée de la répartition entre les crédits de l'État et ceux de l'Afitf, je vous indique que la contribution de l'Afitf pour les transports ferroviaires devrait s'élever à 1 milliard d'euros. La contribution du programme 203 finance 1,67 milliard d'euros de redevance d'accès au réseau pour les TER, qui est prise en charge par l'État, 528 millions d'euros de redevance d'accès au réseau pour les trains d'équilibre du territoire, et 224 millions d'euros pour le financement de l'utilisation du réseau par les trains de fret.
S'ajoutent à cette enveloppe deux dépenses d'un montant beaucoup plus limité : 1,25 million d'euros pour financer l'exploitation et la maintenance de la ligne à grande vitesse Perpignan Figueras, qui a été reprise par une filiale de la SNCF et de son homologue espagnol à la suite de la liquidation du concessionnaire et 1 million d'euros pour améliorer la robustesse du GSMR, le système de communication du réseau ferroviaire qui assure les liaisons radio sol-train, perturbé par les émissions des opérateurs de réseaux.
Pour soutenir les transports collectifs, l'État versera 20 millions d'euros à SNCF Mobilités pour compenser les tarifications sociales nationales qu'il lui impose. Il s'agit par exemple des billets « familles nombreuses ». Cette enveloppe est en diminution ces dernières années, en raison des évolutions de la tarification chez l'opérateur, qui multiplie les offres promotionnelles en parallèle de ces tarifs sociaux. Près de 5 millions d'euros seront versés à la région Grand Est pour compenser l'impact de la mise en service du TGV sur les services ferroviaires régionaux, conformément à ce que prévoit la loi SRU. Enfin, l'État soutient l'ensemble des transports collectifs en finançant des enquêtes et des études, ou des expériences innovantes, à hauteur de 1,75 million d'euros. De plus, 450 000 euros sont destinés au développement de l'usage du vélo.
J'en viens aux crédits consacrés aux transports combinés, qui sont effectués par la route mais utilisent, sur une partie de leur parcours, un mode alternatif, qu'il soit ferroviaire, fluvial ou maritime. Ils s'élèvent à 22 millions d'euros en crédits de paiement et 77 millions d'euros en autorisations d'engagement. Parmi ces crédits, 60 millions d'euros correspondent au nouveau contrat de concession conclu pour l'exploitation de l'autoroute ferroviaire alpine.
Enfin, pour le transport fluvial, la subvention versée par l'État à Voies navigables de France est fixée à 251 millions d'euros, un montant proche de celui adopté l'an dernier.
Le programme 203 comprend également des dépenses transversales au titre des fonctions support, pour la réalisation d'études et les dépenses de logistique de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer (DGITM) ou des services qui lui sont rattachés. Ils s'élèvent à 15,6 millions d'euros, un montant en diminution de 3 % par rapport à l'année dernière.
Je vais désormais vous présenter les dernières évolutions relatives aux trains d'équilibre du territoire, et le compte d'affectation spéciale qui les finance. À la suite d'un rapport de la Cour des comptes encourageant l'État à mieux exercer son rôle d'autorité organisatrice, le Ministre Alain Vidalies avait mis en place une commission sur l'avenir de ces trains, présidée par Philippe Duron. Il avait également confié au Préfet François Philizot la mission de discuter avec les régions des évolutions de desserte à mettre en oeuvre, en articulation avec les services de TER.
Ces travaux ont abouti, d'une part, à la réduction de l'offre gérée par l'État, désormais composée de six lignes de jour, considérées comme structurantes, et de deux lignes de nuit, d'autre part, au transfert d'un certain nombre de lignes aux régions, en l'échange d'une participation de l'État au renouvellement du matériel roulant et à la couverture d'une partie de leur déficit d'exploitation. Vous trouverez dans mon rapport écrit le détail de ces accords. L'État a signé, pour les services qu'il continue à gérer, une nouvelle convention avec SNCF Mobilités, dans laquelle il exige des gains de productivité. Des matériels roulants neufs ont aussi été commandés pour certains de ces services.
Malgré cette reconfiguration des services, les crédits du compte d'affectation spéciale, qui finance l'exploitation des trains d'équilibre du territoire, continuent d'augmenter. Ils passeront de 358 millions d'euros en 2017 à 383 millions d'euros en 2018. De fait, le transfert des lignes aux régions, qui a commencé en 2017 pour certaines d'entre elles, s'échelonnera sur plusieurs années, jusqu'à 2020. Dans l'intervalle, l'État continuera à financer leur exploitation. En outre, le compte d'affectation spéciale financera, à hauteur de 73 millions d'euros, les premières compensations versées aux régions en contrepartie du transfert de certaines lignes. Je précise en revanche que le compte d'affectation spéciale ne financera pas le renouvellement du matériel roulant, qui sera pris en charge par l'Afitf.
Du côté des recettes, le compte est essentiellement alimenté par deux taxes applicables à SNCF Mobilités - la contribution de solidarité territoriale et la taxe sur le résultat des entreprises ferroviaires -. S'y ajoute une fraction de la taxe d'aménagement du territoire imposée aux sociétés concessionnaires d'autoroutes. Mais, en 2018, la contribution de la SNCF sera réduite, comme l'État s'y est engagé : elle passera de 316 à 242 millions d'euros. La fraction de la taxe d'aménagement du territoire revenant au compte d'affectation spéciale sera augmentée en conséquence.
La refonte de l'offre des trains d'équilibre du territoire était très attendue et va dans le sens suggéré par la Cour des comptes. Mais plusieurs points de vigilance demeurent. Tout d'abord, il est indispensable que l'État exerce pleinement son rôle d'autorité organisatrice et effectue un suivi des performances demandées à SNCF Mobilités. Si elles ne sont pas respectées, il devra en tirer les conséquences.
Ensuite, deux régions ne sont pas assurées que les engagements pris par l'État pour le renouvellement des matériels roulants seront respectés : les régions Centre-Val de Loire et Hauts de France, à qui l'État avait promis respectivement 480 et 250 millions d'euros au moment du transfert des lignes. D'après le ministère, la « confirmation précise » de ces crédits « dépendra des financements mobilisables sur le budget de l'Afitf » , ce qui n'est pas très rassurant. Or, ces engagements faisaient partie des accords globaux par lesquels les régions ont accepté de récupérer des lignes. Sans ces nouveaux matériels, il sera impossible de les rendre attractives et leur déficit va se creuser, au préjudice des deux régions.
J'ai préparé cette intervention avant l'audition de la Ministre qui, tout à l'heure, s'est engagée sur le déblocage de ces crédits au début de l'année 2018. C'est une très bonne nouvelle : si la Ministre s'engage ainsi devant la représentation nationale, nous pouvons être rassurés sur ce point.
J'ai terminé la présentation des crédits et voudrais désormais aborder avec vous la question du fret ferroviaire. La Cour des comptes a récemment réalisé une série d'enquêtes sur l'activité de transport de marchandises du groupe SNCF, et adressé un référé à ce sujet aux ministres Nicolas Hulot et Élisabeth Borne. J'ai jugé intéressant de porter ce travail à votre connaissance, après avoir entendu deux magistrats de la Cour.
Au sein de SNCF Mobilités, l'activité « fret » est partagée entre Fret SNCF, qui est une composante de l'établissement public à caractère industriel et commercial SNCF Mobilités, et VFLI, une filiale de droit privé de SNCF Mobilités. Cette filiale a été créée en 2008 pour que l'entreprise puisse s'adapter au nouveau contexte de l'ouverture à la concurrence du fret, effective depuis 2006.
Après avoir bénéficié d'une recapitalisation de 1,4 milliard d'euros en 2005, Fret SNCF a fait l'objet d'un travail important de réorganisation : son personnel a quasiment été divisé par deux entre 2008 et 2015 ; une grande partie de son matériel roulant a été vendue ; et ses activités ont été rationalisées pour subir moins de pertes. Mais il reste très pénalisé par le coût et le régime de travail de ses personnels. Par rapport à un opérateur privé, le surcoût lié à l'organisation du temps de travail est de 20%, voire de 30% si l'on prend en compte l'absentéisme très élevé qu'il subit ! C'est colossal.
Ainsi, malgré les efforts évoqués plus haut, Fret SNCF a continué à perdre des parts de marché et accumulé les pertes, son endettement atteignant 4 milliards d'euros en 2014. Il n'est aujourd'hui toujours pas en mesure d'obtenir des résultats équilibrés. Dans ce contexte, la question d'une nouvelle recapitalisation risque de se poser. Pour obtenir l'autorisation de Bruxelles, il faudra au préalable que SNCF Mobilités améliore son référentiel comptable, pour éviter tout soupçon de financements croisés. Or, ce référentiel a été rejeté à deux reprises par l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières.
Dans tous les cas, l'État devrait imposer à Fret SNCF des gains significatifs de productivité. Or, dans le contrat pluriannuel signé avec SNCF Mobilités, les engagements pris dans ce domaine restent très généraux, sans indicateur de suivi.
À l'inverse, et cette fois-ci c'est une bonne nouvelle, la filiale de SNCF Mobilités VFLI a connu de très bons résultats, grâce à la souplesse de son offre et de son cadre social.
De façon plus générale, la Cour des comptes a relevé les incohérences de l'État dans le domaine du fret ferroviaire qui, s'il affirme régulièrement son soutien au fret ferroviaire, a pris plusieurs décisions qui le pénalisent fortement ces dernières années, comme l'abandon de l'écotaxe ou l'autorisation de circulation donnée aux poids lourds de 44 tonnes. Plus récemment, les négociations sur le cadre social commun prévu par la loi de réforme ferroviaire d'août 2014 ont alourdi les contraintes des opérateurs privés, ce qui a encore augmenté leurs coûts. La situation est pire pour Fret SNCF, dont le régime de travail a été rigidifié, alors que c'était l'inverse qui était recherché.
Il faut également signaler qu'à l'avenir, les entreprises de fret seront confrontées à une augmentation des péages, qui sont aujourd'hui sous-évalués par rapport à ce que prévoit le droit européen. Une partie de cette augmentation dépendra de l'amélioration de la qualité des sillons proposée par SNCF Réseau. L'activité de fret est en effet la première impactée lorsque le gestionnaire de réseau réalise des travaux ou annule des sillons.
Pour l'instant, l'État prend en charge une partie de ces péages, par la « compensation fret », qui représentera 79 millions d'euros en 2018. Mais cette compensation devrait progressivement diminuer. L'équation deviendra donc de plus en plus compliquée pour le fret, si l'on n'élabore pas de stratégie globale pour le défendre face à la route.
Je vous rappelle enfin que nous devrons traiter un sujet majeur l'année prochaine : l'ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs. Comme vous le savez, notre Président a déposé une proposition de loi, avec notre ancien collègue Louis Nègre, pour accélérer la mise en oeuvre de cette réforme. Les TER et TET devront en effet être ouverts à la concurrence à partir du 3 décembre 2019, et les TGV à partir de décembre 2020, ce qui suppose l'adoption d'une loi dès l'année prochaine. L'étude sur le fret que je viens de vous exposer démontre les gains de productivité que nous pouvons attendre d'une telle réforme. Il nous reviendra donc de suivre avec attention le résultat de la mission confiée à Jean-Cyril Spinetta, et de veiller à ce que le cadre juridique de cette réforme soit correctement défini, pour garantir les conditions d'une concurrence effective, libre et loyale entre les différents opérateurs.
Pour conclure, le budget proposé pour 2018 comporte des éléments positifs, comme l'augmentation du budget de l'Afitf - même s'il faut garder en tête qu'elle ne lève pas tous les doutes sur la soutenabilité financière de l'agence, et que l'agence devra continuer en 2018 à retarder certains engagements ou certains paiements, comme les années précédentes.
Ces sujets seront néanmoins bientôt abordés dans le cadre de la loi sur les mobilités annoncée par le Gouvernement. Cette loi doit permettre de repenser la stratégie de notre pays en matière d'infrastructures de transport, dans un cadre pluriannuel et en accord avec le Parlement. C'est une démarche que je soutiens, car nous ne pouvons plus continuer, comme par le passé, à promettre la réalisation de projets sans avoir vérifié leur faisabilité financière. Nous examinons donc cette année un budget de transition.
J'ai par ailleurs été rassuré par la Ministre sur le respect de l'engagement de l'État concernant le renouvellement des trains d'équilibre du territoire en Centre-Val de Loire et dans les Hauts-de-France.
Je vous propose donc d'émettre un avis favorable à l'adoption de ces crédits.
De grands chantiers nous attendent, et la Ministre a montré sa volonté d'associer le Parlement. Nous sommes trois sénateurs à siéger au Conseil d'orientation des infrastructures, avec notamment le Président Maurey. La démarche va dans le bon sens et fait montre de pragmatisme. Nous ne pouvons plus continuer à faire des annonces, qui certes font plaisir, mais ne sont pas soutenables sur le plan financier.
M. Hervé Maurey , président . - M. Michel Dagbert siège aussi au Conseil d'orientation des infrastructures, de même que trois députés. Nous y avons fait valoir la nécessité d'inscrire le critère de l'aménagement du territoire comme une priorité pour les choix qui devront être faits.
Je vous remercie pour ce rapport très clair et précis, sur un sujet qui se caractérise par des enchevêtrements de crédits très compliqués, et pas toujours rationnels.
Comme me le disait la Ministre tout à l'heure, on exige souvent de la SNCF qu'elle se comporte en vraie entreprise. Mais pour cela, il faudrait que l'État la traite comme une vraie entreprise. En ce qui concerne le financement des missions de service public et d'aménagement du territoire, le dispositif actuel revient à ce que la SNCF finance elle-même les contraintes qui lui sont imposées. Lorsque l'on évoquait le souhait de prise en compte, par l'État et par la SNCF, du critère de l'aménagement du territoire, les charges qui en découlent ne doivent pas être supportées par l'entreprise, mais par l'État.
M. Benoît Huré . - Merci pour cet exposé, et d'avoir précisé que lorsque nous avons des ambitions d'aménagement du territoire, il faut déterminer qui les porte. La clarté acquise dans ce domaine pourrait ouvrir de nouvelles perspectives à la SNCF.
S'agissant de l'incidence de l'autorisation de circulation donnée aux poids lourds de 44 tonnes, a-t-on une idée de la captation du trafic que cette mesure a engendrée au détriment de la SNCF ? Je rappelle que cette autorisation était surtout réclamée dans les territoires frontaliers, pour éviter des distorsions de concurrence. Dans les Ardennes, qui ont plus de 170 kilomètres de frontières avec la Belgique, nous voyions des entreprises de transport ardennaises s'installer de l'autre côté pour bénéficier de cette autorisation de circulation et rouler sur nos propres routes.
M. Jérôme Bignon . - Je vous remercie pour la clarté de cet exposé, sur un sujet complexe. J'émettrai aussi un avis favorable à l'adoption de ces crédits, compte tenu des explications apportées par la Ministre, qui a l'air de vouloir faire avancer les choses dans le bon sens. À budget de transition, vote favorable de transition.
Puisque nous avons la chance d'avoir avec nous les trois sénateurs qui siègent au Conseil d'orientation des infrastructures, pourriez-vous nous en dire plus sur le calendrier et les perspectives de ce travail, si cela n'est pas couvert par une obligation de confidentialité ?
M. Michel Vaspart . - Il y a une dégradation impressionnante du service proposé par la SNCF, sur les lignes secondaires, voire sur les TGV, sans parler du fret. Il y a de plus en plus d'incidents et de difficultés. Au-delà de ce qu'a pu faire l'État en matière d'infrastructures - ou ce qu'il n'a pas pu faire et fait financer par la SNCF -, il y a un réel problème de gestion et de management de cette entreprise. C'est le constat que je fais depuis que je suis ici, soit depuis trois ans.
Lors de mes nombreux trajets en train, je traverse des espaces avec de plus en plus de matériels roulants laissés à l'abandon, avec des vitres cassées, des tags, etc. Qu'en est-il de la filière de déconstruction de ces matériels du côté de la SNCF, en sachant que les entreprises privées ont, quant à elles, des obligations dans ce domaine ?
M. Gérard Cornu , rapporteur pour avis . - Monsieur Huré, je n'ai pas encore approfondi la question de l'impact de l'autorisation de circulation donnée aux 44 tonnes. Les questions de distorsion de concurrence sont toujours très compliquées. À cet égard, la pause et la réflexion initiée par la Ministre sur les systèmes de transport dans leur globalité me semblent importantes.
Pour répondre à Jérôme Bignon, je me félicite tout d'abord que les trois membres du Conseil d'orientation des infrastructures soient issus de notre commission. Ce n'était pas évident. Nous sommes la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable et nous avons imposé l'aménagement du territoire parmi les critères de sélection des projets, au même titre que le critère économique. Le Conseil est présidé par Philippe Duron, qui connaît bien ces sujets. Le travail à réaliser est important, alors que les délais sont courts : nous devions initialement remettre nos conclusions à la mi-décembre, mais aurons un mois supplémentaire pour le faire. Nous avons un programme extrêmement dense, mais sommes attachés à ce que la voix du Sénat soit représentée, en particulier sur l'aménagement du territoire. Nous avons commencé par une série d'auditions générales, mais il faudra ensuite aborder les projets un par un.
M. Hervé Maurey , président . - La tâche la plus compliquée de ce Conseil sera d'établir un ordre de priorité pour les grandes infrastructures.
M. Gérard Cornu , rapporteur pour avis . - Avec des engagements qui ont déjà été pris : je pense aux projets bénéficiant de financements européens, tels que la ligne Lyon-Turin. Ce ne sera pas simple.
Pour répondre à M. Michel Vaspart, il existe un vrai problème de gestion à la SNCF. Mais il ne faut pas trop charger l'entreprise. Guillaume Pépy avait essayé de progresser sur le cadre social, mais il a été désavoué par le Gouvernement, dans le contexte des manifestations autour de la loi El Khomri. L'État a donc sa part de responsabilité.
En ce qui concerne la filière de déconstruction, je n'ai pas encore abordé le sujet. Les trains abandonnés ou en très mauvais état ne donnent pas une très bonne image de la France. Le sujet est important, je le regarderai et nous l'aborderons à nouveau. Le sujet du fret ferroviaire m'a paru prioritaire, compte tenu de la volonté du public à le voir se développer.
M. Hervé Maurey , président . - Je partage tout à fait les propos du rapporteur sur la SNCF. Je disais tout à l'heure que l'État aussi devait traiter la SNCF comme une entreprise. Vous avez bien fait de rappeler les événements de l'année dernière, qui démontrent l'attitude criminelle du Gouvernement envers la SNCF, en l'obligeant à abandonner sa réforme sociale pour des raisons purement politiques et conjoncturelles : la loi El Khomri et le championnat d'Europe de football. Je rappelle également qu'à l'époque, le Premier ministre avait annoncé, en compensation, qu'il s'intéresserait à la question de la reprise de la dette. Or, à peine deux mois plus tard, est sorti un rapport du Gouvernement préconisant de reporter le sujet à plus tard, à une échéance de trois ou quatre années. L'État a été totalement irresponsable dans son rapport avec la SNCF et on ne peut qu'espérer que le Gouvernement actuel ait une position différente.
M. Jean-Marc Boyer . - Merci pour les explications très claires de votre exposé. Comme nous avons trois sénateurs et trois députés membres du Conseil dont vous avez fait état, je souhaiterais connaître la définition de l'aménagement du territoire que vous retenez. Est-ce bien essayer de mettre tous les territoires au même degré de qualité, de maillage en termes de service public, et de faire en sorte que les territoires les plus éloignés puissent bénéficier du même service que les autres territoires, plus proches de grandes ou moyennes villes ? Est-ce bien la définition défendue par la commission ? Sur nos territoires, notamment le territoire auvergnat, on a vu des travaux importants réalisés sur certaines lignes. Or, on y observe de moins en moins de voyageurs et de fret, et quasiment plus de trafic ferroviaire. Les habitants et les élus s'interrogent, ils se demandent pourquoi autant d'investissements - de 3 à 5 millions d'euros - ont été réalisés. C'est pourquoi je partage l'interrogation de notre collègue M. Michel Vaspart sur la gestion de l'ensemble des infrastructures.
M. Gérard Cornu , rapporteur pour avis . - Je suis d'accord avec votre définition de l'aménagement du territoire, tout en sachant qu'on ne pourra pas avoir de lignes TGV partout. La priorité des transports quotidiens irriguant tout le territoire est une préoccupation essentielle. Il s'agit de trouver un juste milieu entre l'aménagement du territoire au plus profond des territoires, d'une part, et l'activité économique, d'autre part. Cela est conciliable. C'est pourquoi il était important d'avoir trois sénateurs au sein du conseil d'orientation des infrastructures.
M. Jean-Claude Luche . - Je souhaiterais réagir aux propos de notre collègue Jean-Marc Boyer. Pour moi, l'aménagement du territoire, notamment dans un département rural, doit, certes, concerner le train, mais également l'avion et la route. Il faut arriver à croiser ces trois modes de déplacements pour apporter à nos concitoyens le meilleur service. Dans certains départements et dans certaines régions, cela peut être le train ou le TGV, dans d'autres, l'avion. Je sais pertinemment que dans mon département, l'Aveyron, je n'aurai jamais le TGV. Il faut donc que nous imaginions comment compenser ce handicap par des accès routiers dignes de ce nom, voire - et le sujet a été abordé par Madame la Ministre - des lignes aériennes dignes de ce nom. Or, aujourd'hui, parfois, les billets d'avion pour ces destinations peuvent être très élevés : un billet Paris-Rodez peut coûter trois fois le prix d'un billet Paris-New York ! Pendant des décennies, quel que soit le Gouvernement en place, nous avons totalement oublié cette vision de l'aménagement du territoire. Je veux bien recevoir des milliers de touristes dans mon département en juillet et en août. Mais pour les recevoir dans de bonnes conditions, nous avons besoin d'un minimum de services pour ceux qui y résident aux mois de janvier et février. Ce serait un juste équilibre.
M. Benoît Huré . - Le moment est venu, peut-être au sein de cette commission, de nous remettre d'accord sur ce que nous entendons par l'aménagement du territoire. Il y a parfois beaucoup de démagogie sur le sujet. Pour moi, il consiste à permettre à des personnes qui habitent dans des espaces excentrés, par nécessité ou par choix, de pouvoir accéder à la « moyenne » des services offerts aux populations. Vouloir la même chose que dans une grande métropole n'est pas possible. C'est de la démagogie. Cela pourrait être l'occasion d'un séminaire de réflexion pour notre commission.
M. Hervé Maurey , président . - Nous ne referons pas, ce matin, le débat sur l'aménagement du territoire. Je vous rappelle que nous devons nous prononcer sur les crédits des transports ferroviaires, collectifs et fluviaux.
M. Michel Dagbert . - Je souhaiterais ajouter quelques mots sur le besoin de clarifier l'aménagement du territoire et, autant que faire se peut, de partager la même définition. Je suis très attentif à ce qui vient d'être dit. En effet, on a parfois une lecture un peu punitive de celles et ceux qui, par nécessité ou par choix, vivent dans les espaces ruraux. En conséquence, un certain nombre de services leur sont facturés plus cher, sous prétexte qu'ils y vivent. La bonne grille de lecture serait sans doute la méthodologie que nous avons utilisée dans nombre de départements pour élaborer le schéma départemental pour améliorer l'accessibilité des services au public. Les départements ont joué un grand rôle dans cette opération, que ce soit pour les infrastructures routières, ou l'ingénierie, qu'ils mettent à disposition des élus locaux. Ils sont arrivés à la conclusion que, depuis des décennies, l'État « déménage » son territoire là où les collectivités territoriales s'efforcent de l'aménager. La bonne grille de lecture est l'analyse des services que nos concitoyens arrivent à trouver dans des rayons de dix à quinze minutes, de trente minutes ou dans un temps plus long. Cette grille de lecture a été utilisée pour les infrastructures de transport, en cherchant à savoir quelle distance les populations étaient prêtes à parcourir pour atteindre l'arrêt de bus, la gare ou l'aéroport les plus proches. Nous pourrions réussir à trouver un consensus sur la définition de ce que nous souhaitons en matière d'aménagement du territoire, à condition qu'il ne soit pas punitif à l'égard de ceux qui vivent dans les espaces ruraux.
Mme Nelly Tocqueville . - Sur la notion d'aménagement du territoire, je souhaiterais prendre l'exemple du projet de la Ligne Nouvelle Paris-Normandie (LNPN), devenue totalement indispensable compte tenu des difficultés qui s'y multiplient presque quotidiennement. Si la nécessité de cette ligne est avérée, elle ne devra pas être réalisée à n'importe quel prix. Une approche de l'aménagement du territoire doit prévaloir dans la réflexion d'organisation de la desserte des territoires et notamment des territoires ruraux. Il s'agit, d'une part, ne pas faire passer des trains sur des espaces agricoles, dont on sait que le besoin va se faire de plus en plus sentir, d'autre part, de créer des dessertes pour ces mêmes territoires, qui en ont également besoin.
M. Olivier Léonhardt . - Je souhaiterais alerter la commission sur le fait que l'organisation des Jeux olympiques à Paris en 2024 entraîne déjà des phénomènes de ponction sur les crédits alloués à des projets de transport en région parisienne. Par exemple, dans l'Essonne, il vient d'être annoncé que le projet de tram-train, pourtant très ancien, qui doit permettre d'avoir une liaison transversale, va être reporté de deux ans, compte tenu des investissements nécessaires à déployer pour l'organisation des jeux olympiques de Paris. Pourrait-on interroger le Gouvernement à ce sujet ?
M. Gérard Cornu , rapporteur pour avis . - Je constate que nous partageons presque tous la même idée sur l'aménagement du territoire, quelle que soit notre orientation politique. En tant que sénateurs, nous avons tous « viscéralement » en charge l'aménagement du territoire. Nous devons rester vigilants sur le fait que la haute administration de l'État ne partage pas nécessairement cette préoccupation.
S'agissant des Jeux olympiques, nous souhaiterions en effet que les financements de l'Afitf soient plus importants mais il semble inévitable que l'organisation des Jeux conduira à différer certains projets d'aménagement. Je ne vois pas comment nous pourrions faire autrement.
M. Benoît Huré . - Sur ce dernier point, il serait utile d'entendre les responsables du Grand Paris. Si je comprends bien, nous décalerions des ordres de priorités.
M. Hervé Maurey , président . - Nous avons déjà organisé des auditions sur le Grand Paris, mais nous pourrions organiser une table ronde, comme nous allons en faire une prochainement sur le Canal Seine-Nord Europe. Nous pourrions la programmer pour le début de l'année 2018.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits « Transports ferroviaires, collectifs et fluviaux » de la mission « Écologie, développement et mobilité durable » du projet de loi de finances pour 2018.