B. L'AUGMENTATION DU NOMBRE DE PLACES EN CENTRES DE RÉTENTION ADMINISTRATIVE (CRA) : DES COÛTS DIRECTS ET INDUITS CONSIDÉRABLES, UN DÉFI BUDGÉTAIRE ET HUMAIN LOIN D'ÊTRE GAGNÉ

L'administration peut placer les étrangers en instance d'éloignement dans un centre de rétention administrative (CRA) 43 ( * ) ou les assigner à résidence 44 ( * ) .

Ces deux dispositifs ne visent normalement pas les mêmes publics : l'assignation à résidence doit être privilégiée lorsque l'étranger en situation irrégulière présente des garanties de représentation effectives, propres à prévenir le risque de soustraction.

a) Des dispositifs de rétention très fortement sollicités

Au 30 juin 2018, le parc des centres de rétention administrative (CRA) était constitué de 25 centres (dont 21 en métropole et 4 outre-mer), représentant une capacité de 1 564 places en métropole et 227 outre-mer.

Le PLF pour 2019 prévoit des crédits pour le fonctionnement de ces locaux (35,56 millions d'euros), la prise en charge sanitaire des personnes accueillies (16,32 millions d'euros) et leur accompagnement social, humanitaire et juridique (8,10 millions d'euros).

Le taux d'occupation des centres de rétention administrative a très fortement progressé depuis 2016, particulièrement depuis l'attaque commise à Marseille, gare Saint-Charles, par un étranger en situation irrégulière et les instructions d'extrême fermeté diffusées par le ministre de l'intérieur 45 ( * ) ; il s'établit à près de 80 % en moyenne sur le premier semestre 2018 (contre 68 % sur l'ensemble de l'année 2017), et s'accompagne d'une gestion des escortes à flux tendu pour trouver des places disponibles et transférer les retenus vers les centres les moins saturés, parfois à travers la France.

Taux d'occupation moyen et durée moyenne de la rétention
dans les centres de rétention administrative

2016

2017

6 mois 2018

Nombre de
personnes retenues

Métropole

22 730

26 003

13 245

Outre-mer

16 890

17 388

5 877

Nombre de mineurs accompagnants

Métropole

181

308

106

Outre-mer

4 285

2 602

536

Taux d'occupation moyen

Métropole

60,9 %

67,9 %

78,7 %

Outre-mer

24,6 %

22,6 %

36,6 %

Durée moyenne de
la rétention (en jours)

Métropole

12,2

12,4

14

Outre-mer

0,9

0,9

2,2

Source : DSED/DGEF/Ministère de l'intérieur

b) Une hausse des crédits concentrée sur la rénovation et la construction de centres de rétention administrative

Les dispositions de la loi « asile immigration intégration » du 10 septembre 2018 prévoyant le doublement de la durée maximale de rétention (de 45 à 90 jours, voire jusqu'à 135 jours dans certains cas) entreront en vigueur dans quelques mois, dès le 1 er janvier 2019.

La rétention administrative à compter du 1 er janvier 2019 :
une durée maximale allongée et un séquençage remanié

La loi du 10 septembre 2018 a porté de 45 à 90 jours la durée maximale de rétention, dans le cas ordinaire, en adoptant désormais le séquençage suivant :

- le placement initial en rétention est décidé par le préfet, pour une durée ne pouvant excéder 48 heures ;

- la première prolongation de la rétention, au-delà de 48 heures, ne peut être autorisée que par l'autorité judiciaire, saisie par l'autorité administrative 46 ( * ) , pour une durée ne pouvant excéder 28 jours ;

- une deuxième prolongation peut, en outre, être autorisée pour 30 jours , sous certaines conditions 47 ( * ) ;

- enfin, deux prolongations supplémentaires de 15 jours chacune sont prévues, en vue de faire échec à certains comportements dilatoires 48 ( * ) .

Le contexte de forte pression migratoire et les effets attendus de la hausse de la durée de rétention font présager une augmentation des placements en rétention et imposent au Gouvernement d'augmenter les capacités des CRA.

Le PLF pour 2019 comporte à ce titre des crédits d'investissement immobilier en forte hausse : 39,20 millions d'euros en CP et 56,30 millions d'euros en AE (contre 5,10 millions d'euros en AE et 5,30 millions d'euros en CP en LFI 2018) destinés à financer la rénovation des bâtiments actuels et la construction de nouveaux locaux en vue de l'aménagement en 2019 de 450 nouvelles places 49 ( * ) , soit une hausse de capacité près de 30 %.

Votre rapporteur s'interroge néanmoins sur l'exacte prise en compte par le Gouvernement des conséquences matérielles, budgétaires et opérationnelles de l'allongement de la durée de rétention et sur l'état de préparation du Gouvernement à aussi brève échéance. Lors de la discussion de ces dispositions législatives au Sénat, il l'avait pourtant alerté sur les coûts en cascade qu'une telle mesure - à l'utilité discutable - était susceptible d'engendrer.

Sur le plan des ressources humaines, se pose d'abord la question du financement de l'encadrement des retenus par les personnels des CRA. À l'heure actuelle, certains centres de rétention administrative ne peuvent déjà pas être pleinement occupés par manque de personnel de la PAF en nombre suffisant (10 % des places de CRA se trouvent ainsi « neutralisées »).

Avec un taux d'encadrement moyen tournant autour de 1,5-1,7 agent par place occupée (selon la DCPAF), il faudrait donc recruter entre 700 et 800 ETP pour accompagner les 450 nouvelles places créées dans des conditions d'encadrement inchangées. Or, selon les informations fournies par la DCPAF lors de son audition, seule la moitié de ces renforts en effectifs sera disponible au 1 er janvier 2019 (et environ 600 ETP au total devraient avoir été recrutés à la fin 2019).

Enfin, alors que la rétention est désormais susceptible de durer jusqu'à 3 mois, seuls 2 millions d'euros sur les presque 40 millions prévus en dépenses d'investissement pour les CRA seront destinés à « l'amélioration du cadre de vie » (activités de loisirs dites « occupationnelles ») dans des établissements qui n'étaient destinés, lors de leur construction, à accueillir du public que pour quelques semaines.


* 43 Articles L. 551-1 à L. 556-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 44 Articles L. 561-1 à L. 561-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

* 45 Instruction n° NORINTK17018905 du 16 octobre 2017 relative à l'éloignement des personnes représentant une menace pour l'ordre public et des sortants de prison. À la suite de l'attentat de Marseille du 1 er octobre 2017, le ministre de l'intérieur a rappelé aux agents de l'État la nécessité de contacter « le centre de rétention administrative le plus proche afin de vérifier ses disponibilités » lorsqu'un étranger en situation irrégulière ne présente pas suffisamment de garanties de représentation. De même, « si le placement dans (ce centre) n'est pas possible, vous rechercherez les possibilités de placement dans d'autres CRA en sollicitant à cet effet le référent régulation rétention de la direction zonale de la police aux frontières ».

* 46 Elle vise l'étranger sous le coup d'une décision d'éloignement qui ne présente pas de garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque qu'il s'y soustraie.

* 47 « En cas d'urgence absolue ou de menace d'une particulière gravité pour l'ordre public », ou « lorsque l'impossibilité d'exécuter la mesure d'éloignement résulte de la perte ou de la destruction des documents de voyage de l'intéressé, de la dissimulation par celui-ci de son identité ou de l'obstruction volontaire faite à son éloignement », ou encore « lorsque la mesure d'éloignement n'a pu être exécutée en raison du défaut de délivrance des documents de voyage par le consulat dont relève l'intéressé ou de l'absence de moyens de transport », ou enfin « lorsque la délivrance des documents de voyage est intervenue trop tardivement pour procéder à l'exécution de la mesure d'éloignement. » (article L. 552-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile - CESEDA).

* 48 Dans trois hypothèses : l'étranger a fait obstruction à l'exécution d'office de la mesure d'éloignement ; il a présenté une demande de protection contre l'éloignement en raison de son état de santé ; il a présenté une demande d'asile. Dans ces deux dernières hypothèses, la demande doit avoir été présentée dans le seul but de faire échec à la mesure d'éloignement.

* 49 D'ici l'été 2020 , 481 places supplémentaires devraient être aménagées soit une hausse de 35 % par rapport à la capacité immobilière disponible constatée fin 2017.

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