C. UN EFFORT A CONDUIRE POUR RENFORCER LA FORMATION CONTINUE DES AGENTS

1. Des avancées concrètes au sein de la gendarmerie nationale

Le dispositif de formation continue de la gendarmerie nationale a fait l'objet, en 2016, d'une évaluation par l'inspection générale de la gendarmerie nationale 11 ( * ) . Dans son rapport final, celle-ci mettait en avant d' importantes insuffisances dans le dispositif en place. Elle relevait ainsi : « Considérée comme une priorité dans l'absolu, la formation continue reste pourtant sacrifiée sur l'autel de la logique du résultat. »

Plusieurs faiblesses étaient plus particulièrement pointées. Il était tout d'abord relevé un manque d'intérêt et d'investissement du commandement de terrain dans le pilotage de la formation de ses personnels, insuffisamment considérée comme un véritable levier de performance. Par ailleurs, l'IGGN regrettait que, dans un contexte opérationnel tendu, la formation continue soit perçue par de nombreux militaires comme une perte de temps et serve, dans la pratique, de variable d'ajustement .

Les recommandations, nombreuses, formulées par ce rapport ont conduit la DGGN à engager, au cours des dernières années, une évolution de son dispositif de formation continue.

L 'instauration d'une obligation régulière de formation continue, en école, pour l'ensemble des gendarmes constitue, sans aucun doute, la principale avancée réalisée . Depuis 2017, les gendarmes affectés dans les unités départementales ne disposant pas de la qualité d'officier de police judiciaire et qui n'étaient donc soumis, jusqu'alors, à aucune obligation de formation en cours de carrière, sont désormais tenus de suivre, au moins une fois tous les cinq ans, un stage de « recyclage » de compétences . D'une durée de quatre jours, ce cycle de formation se déroule au centre national de formation à la sécurité publique, créé en 2017 et intégré à l'école de gendarmerie de Dijon. Désormais, tous les gendarmes, quel que soit leur corps et leur grade, sont donc amenés, au cours de leur carrière, soit à l'occasion d'un avancement, soit par obligation, à effectuer des passages en école.

Parallèlement à cette réforme, un investissement particulier a été accordé au développement des formations à distance.

En dépit de ces avancées significatives, votre rapporteur regrette de n'avoir pu obtenir de statistiques plus précises sur les formations dispensées annuellement aux militaires de la gendarmerie . Il lui a été indiqué que la DGGN recensait uniquement les stages organisés par le niveau central, et ne disposait pas, en revanche, d'une vision précise sur les formations assurées au niveau déconcentré par les différents échelons territoriaux de commandement.

Votre rapporteur s'étonne de cette situation. S'il comprend la nécessité, pour les commandements de terrain, de garder la main sur l'organisation de certaines formations, il estime en revanche souhaitable que le niveau central, responsable de la définition d'une stratégie de formation et de son pilotage, en soit systématiquement informé.

2. Un déficit de formation continue encore patent dans la police nationale
a) Un dispositif de formation perfectible

À la suite du rapport d'inspection susmentionné, la police nationale s'est, elle aussi, engagée dans une réforme de son dispositif de formation continue.

Comme évoqué précédemment, celle-ci s'est traduite, sur le plan structurel, par une rationalisation des structures de formation et par la création, en 2017, d'une direction centrale dédiée , directement rattachée au directeur général de la police nationale. Il s'agissait, ce faisant, d'homogénéiser l'offre de formation continue sur le territoire en en confiant le pilotage à un acteur unique.

Sur le plan des contenus, des évolutions ont également été apportées aux maquettes de formation afin de les adapter aux enjeux nouveaux auxquels sont confrontées les forces de sécurité intérieure (lutte contre le terrorisme, amélioration des relations police-population, prévention des risques psycho-sociaux, etc. ).

Enfin, un investissement significatif sur la formation à distance mérite d'être souligné. Entre 2012 et 2019, le nombre d'inscrits sur la plateforme de e-formation de la police nationale est passé de 2 056 à 75 580, tandis que le catalogue de formations digitales passait, dans le même temps, de 8 à 397 cours.

Il semble toutefois que ces évolutions n'aient, à ce jour, pas donné les résultats escomptés sur le terrain.

L'ensemble des représentants syndicaux de la police nationale entendus par votre rapporteur s'accordent en effet pour dire que la formation continue de souffrir, au sein de la police, d'un déficit important par rapport aux enjeux actuels en termes de sécurité .

Sur le plan statistique, ni le nombre de stages dispensés, ni le nombre de personnels formés n'ont d'ailleurs connu d'évolution majeure au cours des dernières années. Si une hausse des formations suivies a pu être observée en 2016 et 2017, celle-ci s'explique par la mise en place de formations dispensées au titre des plans de lutte contre le terrorisme, et non par une évolution durable du dispositif de formation continue.

Évolution du nombre de sessions de formation dispensées
et du nombre d'agents ayant reçu une formation
au sein de la police nationale

Source : commission des lois du Sénat sur la base des documents budgétaires

Dans la pratique, et en dépit de l'offre de formation existante (1 930 stages disponibles), la formation continue constitue très souvent une variable d'ajustement pour la hiérarchie dans l'organisation du temps de travail au sein du service. Comme le relève la direction générale de la police nationale dans les réponses adressées à votre rapporteur, les fortes contraintes opérationnelles qui pèsent, depuis plusieurs années, sur les services de sécurité « ont [...] entraîné une plus grande difficulté pour les directions opérationnelles, telles que la DCSP [direction centrale de la sécurité publique] et la DCCRS [direction centrale des compagnies républicaines de sécurité] à envoyer leurs personnels sur les formations continues ».

En outre, il est probable que la pression actuellement mise sur les dispositifs de formation initiale finisse par peser sur l'offre de formation continue, la DGPN ayant indiqué à votre rapporteur que, pour absorber le flux des agents recrutés, « certains formateurs, habituellement dédiés à la formation continue, viennent renforcer la formation initiale ».

Il est, dans ce contexte, regrettable que la police nationale ne se soit pas engagée, à l'instar de la gendarmerie, dans la création de parcours de formation obligatoire. Force est d'ailleurs de constater que l'IGPN, dans son rapport de 2015, recommandait déjà qu'une réflexion soit engagée sur ce sujet afin d'éviter que la formation ne soit considérée, tant par les chefs de service que par les agents eux-mêmes, comme optionnelle. Pour votre rapporteur, de tels parcours de formation obligatoire seraient la garantie d'une réactualisation régulière des connaissances des agents, tant opérationnelles que juridiques.

b) L'entraînement au tir : des aménagements urgents à réaliser

De manière préoccupante, la fragilité du dispositif de formation continue au sein de la police nationale affecte également l'entraînement à l'usage des armes.

Les personnels actifs de la police nationale sont tenus, réglementairement, de réaliser au minimum trois séances annuelles de tir à l'arme de poing en dotation individuelle ainsi que de suivre 12 heures d'entraînement aux techniques et à la sécurité en intervention par an 12 ( * ) .

Ces obligations demeurent pourtant insuffisamment respectées dans la pratique . Depuis 2010, le taux des personnels actifs de la police nationale, tous corps confondus, formés au tir et aux pratiques professionnelles en intervention n'a ainsi pas dépassé 71,1 % (en 2013). En 2018, il s'est élevé à 64,9 %. Autrement dit, un tiers environ des agents de police ne bénéficie pas de l'entraînement indispensable à une bonne maîtrise des armes .

Ces résultats sont très largement inférieurs à ceux de la gendarmerie. Ainsi, 92,56 % des militaires de la gendarmerie étaient à jour de leurs obligations d'entraînement au tir au 15 octobre 2019 .

De l'avis des personnes interrogées par votre rapporteur, l'incapacité de certains policiers à réaliser leurs séances de tir apparaît principalement liée à l'inadaptation et à l'insuffisante disponibilité des infrastructures d'accès aux tirs .

Ce même constat est d'ailleurs fait par la Cour des comptes dans un rapport de mai 2018 établi à la demande de la commission des finances du Sénat, qui relevait que les stands de tir « ne sont pas en mesure de répondre de manière adaptée aux besoins » et qui mettait en avant « leur répartition géographique parfois inadaptée [...], leur vieillissement, responsable d'indisponibilités récurrentes en raison de la fréquence des opérations de maintenance et enfin l'incapacité de la grande majorité d'entre eux à accepter des tirs de munition de calibre 5,56 mm ».

Outre une nécessaire rénovation des stands dégradés, le mouvement de mutualisation des stands de tirs domaniaux de la police et de la gendarmerie, lancé en 2008 mais qui n'a trouvé une traduction pratique qu'à compter de 2013, est de nature à faciliter l'accès à des infrastructures d'entraînement, dans les deux forces, sur l'ensemble du territoire. Il apparaît, à cet égard, urgent de parachever cette mutualisation, qui ne concerne aujourd'hui que les deux tiers des stands répertoriés .

Votre rapporteur approuve, par ailleurs, le plan de déploiement, sur l'ensemble du territoire, de l'outil d'entraînement au tir assisté par la police nationale qui permet, sur la base de vidéos réalistes, de simuler et de travailler des situations de tirs.

Il s'étonne, en revanche, de la différence de pratique entre la police et la gendarmerie s'agissant du recours aux stands de tirs privés . La gendarmerie nationale a conclu une convention avec la fédération française de tir afin que les gendarmes puissent s'entraîner avec leur arme de dotation, dans des stands privés et hors service. La police nationale refuse, quant à elle, de s'engager dans cette voie, pourtant de nature à apporter une réponse rapide aux difficultés rencontrées sur le terrain. Rien ne justifiant, au regard de la similitude des missions confiées aux policiers et gendarmes, ces différences, votre rapporteur estime souhaitable que des conditions d'entraînement communes aux deux forces soient définies .

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En raison d'une insuffisance manifeste, au regard des conditions de travail dégradées des forces de sécurité intérieure, des dotations de fonctionnement et d'investissement des programmes 176 « Police nationale » et 152 « Gendarmerie nationale », votre commission a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Sécurités », hors programme 161 « Sécurité civile », inscrits au projet de loi de finances pour 2020.


* 11 Rapport de l'inspection générale de la gendarmerie nationale relatif à la formation continue en gendarmerie départementale, n° 991, 26 février 2016, cité par le rapport n° 612 (2017-2018) de M. François Grosdidier fait au nom de la commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité intérieure, juillet 2018.

* 12 Arrêté du ministre de l'intérieur du 27 juillet 2015.

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