II. L'ACCÈS AU DROIT ET À LA JUSTICE : UNE BAISSE DES CRÉDITS ALLOUÉS À L'AIDE JURIDICTIONNELLE ET DES RÉFORMES POUR LA PLUPART ADOPTÉES DANS LA PRÉCIPITATION

A. UNE BAISSE DU BUDGET DE L'AIDE JURIDICTIONNELLE DE 22 MILLIONS D'EUROS

Le programme « Accès au droit et à la justice » voit ses crédits de paiement passer, à périmètre courant, de 466,8 millions d'euros en 2019 à 530,5 millions d'euros en 2020. Cette augmentation résulte de la budgétisation de taxes auparavant affectées au Conseil national des barreaux pour financer la rétribution des avocats à l'aide juridictionnelle, d'un montant de 83 millions d'euros.

Or, le budget de l'aide juridictionnelle n'a pas été abondé à due concurrence mais seulement à hauteur de 61 millions d'euros, passant ainsi, à périmètre constant, de 506 à 484 millions d'euros en 2020, diminuant de près de 22 millions d'euros .

Votre rapporteur n'a pas été convaincu par les explications du Gouvernement selon lequel cette baisse correspondrait à une moindre dynamique de la dépense de l'ordre de 13 millions d'euros , dans un contexte où le nombre de personnes éligibles à l'aide juridictionnelle ne cesse d'augmenter. D'ailleurs, le projet annuel de performances revoit même les prévisions du Gouvernement à la hausse à cet égard 21 ( * ) .

Les représentants de la profession d'avocat, entendus par votre rapporteur, sont très inquiets quant à l'avenir du financement de l'aide juridictionnelle , d'autant qu'ils jugent insuffisante la rémunération versée au regard du travail effectué par les avocats.

B. UNE RÉFORME DE L'AIDE JURIDICTIONNELLE ADOPTÉE À L'ASSEMBLÉE NATIONALE DANS LA PRÉCIPITATION

L'Assemblée nationale a adopté, en séance publique, avec les avis favorables de la commission et du Gouvernement, un amendement portant article additionnel au présent projet de loi de finances et réformant l'aide juridictionnelle 22 ( * ) . Il traduit certaines des recommandations du rapport de la mission d'information sur l'aide juridictionnelle menée par nos collègues députés Naïma Moutchou et Philippe Gosselin.

L'article 76 terdecies propose, en premier lieu, de renvoyer la définition des plafonds d'admission à l'aide juridictionnelle au pouvoir réglementaire , alors qu'ils sont aujourd'hui fixés par la loi. Il est aussi proposé de retenir le revenu fiscal de référence comme critère d'éligibilité, alors qu'aujourd'hui les ressources de toute nature sont examinées.

Ces modifications auront, à l'évidence, une incidence financière . Or, sans étude d'impact, nul ne sait quel seuil envisage de retenir le Gouvernement ni ne peut estimer leurs conséquences sur la population éligible à l'aide juridictionnelle et son éventuel coût , malgré l'exposé des motifs de l'amendement qui présente, de façon péremptoire, le dispositif comme n'ayant aucun impact sur le budget de l'État. L'article ne prévoit d'ailleurs aucune mesure sur le financement de l'aide juridictionnelle, alors que le rétablissement d'une contribution pour l'aide juridique 23 ( * ) , dont le montant, modulable, serait compris entre 20 et 50 euros, pourrait constituer un outil efficace.

L'article 76 terdecies supprime , en second lieu, l'obligation pour chaque tribunal de grande instance de disposer d'un bureau d'aide juridictionnelle (BAJ) . La répartition des BAJ serait renvoyée au décret sans aucun encadrement du législateur. Cette disposition est particulièrement problématique s'agissant de l'accès à la justice : les représentants du Conseil national de l'aide juridique (CNAJ), tout comme ceux des avocats, entendus par votre rapporteur, ont relevé que l'absence de BAJ en juridiction pourrait poser des difficultés d'accès à la défense, surtout en matière pénale où l'accès à l'aide juridictionnelle constitue une urgence . À titre d'exemple, le récent débat sur la lutte contre les violences conjugales a montré combien il était important que l'a ide juridictionnelle puisse être accordée dans les plus brefs délais pour permettre la délivrance d'une ordonnance de protection. Cela n'est possible qu'avec un contact de proximité au sein même de la juridiction.

En troisième et dernier lieu, l'article 76 terdecies prévoit différentes mesures 24 ( * ) visant à écarter de manière plus efficace les publics qui n'ont pas droit à l'aide juridictionnelle . La loi permet déjà aux BAJ de rejeter les demandes manifestement irrecevables ou dénuées de fondement, mais ce filtre prévu par l'article 7 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique n'est quasiment jamais mis en oeuvre. Ces mesures, qui vont dans le sens d'une meilleure gestion de l'aide juridictionnelle exigent surtout une politique uniforme d'application par les BAJ : on le voit, des outils existent déjà et ne sont pas utilisés.

L'article 76 terdecies , présenté comme technique , propose pourtant des mesures de fond dont certaines sont contestables . En outre, si le Sénat appelle de ses voeux depuis plusieurs années une réforme de l'aide juridictionnelle et une remise à plat de son financement, votre rapporteur regrette la méthode employée . Il aurait été souhaitable que cette réforme que le Gouvernement annonce depuis de nombreux mois figure dans le projet de loi de finances initial afin d'avoir une réflexion approfondie sur ce point.

Pour toutes ces raisons, rejoignant la position de nos collègues de la commission des finances, votre commission a adopté un amendement II-514 de suppression de l'article 76 terdecies, identique à celui du rapporteur spécial Antoine Lefèvre (n° II-22).


* 21 Pour 2019, il s'établirait non pas à 998 000 personnes comme prévu l'année dernière, mais à 1,04 million et, dans la même tendance, 1,07 million en 2020.

* 22 Rapport d'information n° 2183 de la mission d'information sur l'aide juridictionnelle, déposé le 23 juillet 2019 par la commission des lois de l'Assemblée nationale et présenté par Philippe Gosselin et Naïma Moutchou. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.assemblee-nationale.fr/15/rap-info/i2183.asp

* 23 Article 52 bis du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

* 24 Irrecevabilité de la demande d'aide juridictionnelle pour procédure manifestement abusive, communication automatique des informations détenues par les administrations publiques sur la situation financière du demandeur, communication de droit au BAJ par les sociétés d'assurances des informations sur la détention d'un contrat d'assurance de protection juridique, nouvelles modalités de retrait de l'aide juridictionnelle, renforcement de l'incitation à recouvrer l'aide juridictionnelle sur la partie non bénéficiaire et condamnée aux dépens.

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