EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 17 novembre 2021, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits de la mission « Aide publique au développement ».
M. Hugues Saury, rapporteur pour avis. - Les crédits consacrés à l'aide publique au développement connaissent à nouveau une forte hausse d'une loi de finances à l'autre. Les crédits de paiement des deux programmes 110 et 209 croissent en effet d'environ 25%. La cible des 0,55% du RNB consacrés à l'APD en 2022, fixée par la loi du 4 août 2021, sera atteinte.
La progression des crédits budgétaires résulte d'abord de celle des engagements multilatéraux, en particulier à travers l'initiative ACT-A pour faire face à la crise sanitaire et économique. Mais elle correspond également à une forte progression de notre aide bilatérale.
C'est d'abord notre aide humanitaire qui poursuit sa remise à niveau, atteignant 500 millions d'euros en 2022. Il s'agit d'une progression de près de 170 millions d'euros par rapport à 2021, qui concerne tous les aspects de l'aide humanitaire. Nous corrigeons ainsi ce qui constituait, par rapport à nos partenaires, un point faible de notre politique de solidarité internationale.
Deuxième aspect en progression sur le bilatéral : les dons de l'AFD et les crédits que celle-ci octroie aux ONG. Si l'on y ajoute les crédits gérés directement par le ministère, ce sont plus de 900 millions d'euros de dons qui pourront être consacrés à des projets de développement en 2022.
En revanche, après les fortes hausses de ces dernières années, le PLF confirme la stabilisation à environ un milliard d'euros des autorisations d'engagement accordées à l'AFD pour faire des prêts. Cette évolution est due à deux facteurs : d'une part, le plan d'activité de l'agence a été revu à la baisse avec le COVID, d'autre part, il a été décidé de stabiliser son activité à environ 12 milliards d'euros par an. La conjoncture donne donc l'occasion à l'agence de modifier sa « culture d'entreprise », orientée depuis des années vers une augmentation permanente des octrois dans les pays émergents. L'AFD devra désormais mettre davantage l'accent sur la consolidation de ses interventions et sur l'évaluation de leur efficacité. En outre, l'agence a beaucoup embauché récemment, passant de 1 870 à 2 400 agents entre 2016 et 2020, soit 28% d'augmentation : il faudra donc gérer une masse salariale plus lourde tout en freinant son activité.
Après avoir ainsi tracé les grandes lignes du budget de la mission APD pour 2022, je souhaiterais évoquer le contexte dans lequel notre politique de solidarité internationale va continuer à se déployer l'année prochaine dans les pays prioritaires en Afrique.
Ce contexte est marqué par des problèmes sécuritaires persistants et des problèmes politiques qui se multiplient. Les problèmes sécuritaires ne nous ont certes pas empêchés d'augmenter nos interventions au Sahel. En 2020, ce sont 348 M€ qui y ont été décaissés par l'AFD. Lors du Sommet de N'Djamena des 15 et 16 février 2021, les chefs d'Etat du G5 Sahel se sont engagés à accélérer le déploiement des administrations et des services sociaux dans le cadre d'un « sursaut civil et politique » soutenu par la France, en particulier dans la zone des 3 frontières.
Une partie de ces efforts est cependant remise en cause par les deux coups d'Etat intervenus au Mali. Le non-respect par la junte du cadre politique de la transition, ainsi que les discussions entre les autorités maliennes et la société militaire privée russe Wagner, n'ont fait qu'aggraver la situation. Dans ces circonstances, quelle doit être notre attitude ? Pour le moment, la France et l'ensemble de ses partenaires de l'Union européenne ont soutenu la position de fermeté adoptée par la CEDEAO, qui vient de décréter des sanctions individuelles. Ceci a conduit à la suspension de notre aide budgétaire (10 M€) pour l'année 2021. Nous avons également agi pour que la Banque mondiale annule un projet de 250 millions d'euros à Bamako, ce qui constitue une mesure très forte. Cependant, les projets de développement déjà en cours, au profit des populations, n'ont pas été interrompus. En tout état de cause, nous devons suivre la situation de très près car nous savons bien que notre aide n'aurait aucune efficacité à long terme si le nouveau régime ne revenait pas à la légalité et ne reprenait pas sa place dans les instances économiques régionales.
Le problème est d'ailleurs plus général. Nous rencontrons les mêmes difficultés en Guinée après le coup d'Etat du 5 septembre dernier et au Soudan après celui du 25 octobre, pays où nous venons de suspendre l'annulation de la dette. La situation très dégradée en Libye ou encore en Éthiopie soulèvent également de nombreuses difficultés pour notre aide. Encore une fois, celle-ci ne peut en effet être efficace que si des conditions minimales de sécurité et de bonne gouvernance sont réunies.
Dernier point que je voulais signaler, mais que Rachid Temal abordera aussi : le processus de création de la nouvelle commission d'évaluation ne semble pas aller dans le bon sens. D'après nos informations, elle risque de trop d'appuyer sur les services déjà existants au sein des ministères, ce qui ne serait pas cohérent avec l'objectif d'indépendance.
Sous réserve de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « APD ».
M. Rachid Temal, rapporteur pour avis. - Je souhaiterais d'abord apporter un complément s'agissant des moyens consacrés par le PLF 2022 à l'aide publique au développement. Comme Hugues Saury l'a expliqué, les crédits de la mission sont en forte hausse, ce dont nous nous félicitons : il est indispensable de mettre davantage d'argent sur la table pour soutenir le développement de certains pays, surtout en Afrique ; c'est bien notre intérêt partagé avec ce continent dont nous sommes voisins et qui affronte actuellement de multiples crises. Il faut également faire face à la concurrence des Russes, des Chinois ou encore des Turcs.
En revanche, en ce qui concerne les ressources extrabudgétaires, le produit de la taxe sur les transactions financières (TTF) qui alimente l'APD est toujours plafonné à 528 millions d'euros, quand le produit total de la taxe a été de 1,7 milliard d'euros en 2020 et devrait rester stable en 2021. Au-delà de 528 millions d'euros, tout va au budget général : c'est une véritable manne pour Bercy. Pourtant, dès l'origine, la TTF devait constituer une contrepartie en termes de solidarité internationale au développement de la finance. Il est regrettable que cette situation se prolonge un an de plus ; espérons que le rapport prévu par cette même loi nous soit remis assez tôt pour que nous puissions faire évoluer les choses dans la prochaine loi de finances, d'autant que nous ne pouvons pas compter sur la taxe sur les billets d'avion (TSBA).
Deuxième aspect que je souhaitais aborder : la mise en oeuvre, précisément, de la loi de programmation du 4 août 2021. En effet le Parlement, et singulièrement le Sénat, l'ont profondément amendée : il importe donc de suivre attentivement son application. Nous avons donc posé la question de cette mise en oeuvre à l'ensemble des personnes que nous avons auditionnées, y compris le ministre ici même.
Du côté des points positifs, il faut citer la progression des dons-projets, conformément à ce que nous avions prévu dans l'article premier. Par ailleurs, Rémi Rioux nous a indiqué qu'il considérait que la loi avait bel et bien modifié le mandat de son agence. En effet, comme nous l'avons prévu dans l'article 10 de la loi, le mandat de l'AFD n'est plus binaire : pays en développement/outre-mer, mais ternaire : pays les plus pauvres/pays émergents/outre-mer. C'est une clarification essentielle, qui acte que l'aide aux pays pauvres, qui passe davantage par des dons, n'a rien à voir avec le financement du développement durable dans les pays émergents. Le directeur général de l'AFD s'est engagé à nous rendre compte de l'activité de l'agence en suivant cette nouvelle organisation de ses missions, ce qui est un élément positif.
Autre changement dû à la loi et déjà partiellement mis en oeuvre : le principe de la restitution des biens mal acquis. Un nouveau programme budgétaire n°370 a en effet été créé au sein de la mission APD pour accueillir les fonds issus de la vente de ces biens. Il sera doté de crédits au fur et à mesure de l'encaissement des fonds par l'Agence de recouvrement des biens saisis et confisqués. C'est un progrès très important, grâce auquel nous rejoignons les rares pays (Suisse et États-Unis) qui ont déjà ce système.
En ce qui concerne les aspects moins positifs, nous ne disposons toujours pas du rapport sur le criblage des bénéficiaires de l'aide prévu par la loi, qui devait nous arriver le 4 novembre. Il semblerait que les ministères ne parviennent pas à se mettre d'accord. Nous sommes assez inquiets sur ce sujet. Par ailleurs, comme l'indiquait Hugues Saury, ce que l'on nous dit sur la création de la commission d'évaluation est un peu inquiétant. Il serait question qu'elle fasse réaliser ses études par les services d'évaluation déjà existants au sein du Quai d'Orsay, de Bercy et de l'AFD. Ce serait alors un simple donneur d'ordre. Ce n'est pas du tout la lettre ni l'esprit de ce que nous avons voté. Nous avons demandé au directeur du développement durable de faire part de nos fortes interrogations au ministre sur ce point. Il y va de l'indépendance et de la crédibilité de cette commission.
Sous réserve de l'ensemble de ces remarques, je vous propose également de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Aide publique au développement ».
Mme Marie-Arlette Carlotti. - Nous sommes favorables à l'adoption de ces crédits du fait de leur hausse et des évolutions qui résultent de la loi du 4 août 2021 à laquelle nous avons beaucoup contribué. Il faut cependant suivre avec vigilance la mise en place de la commission d'évaluation, qui est un apport essentiel de la loi. S'agissant des pays pauvres prioritaires, nous avons véritablement rectifié le tir au sein de la loi, ce qui est aussi un point positif pour nos militaires engagés au Sahel. Il est par ailleurs normal de sanctionner les auteurs des coups d'Etat, sans toutefois sanctionner les populations pauvres. Il convient également de surveiller nos versements au Fonds mondial, qui doivent impérativement être conformes à nos engagements, ce qui ne serait pas le cas actuellement. La mise en place du fonds pour l'état civil constitue également un sujet à suivre. Les rapports prévus par la loi de programmation sont très importants, notamment celui sur le criblage. Enfin, je suis inquiète de la tournure qu'ont pris les débats sur la TTF à l'Assemblée nationale.
M. Jacques Le Nay. - L'évolution est positive et nous conduit à être favorables à ce budget. À travers vos auditions, avez-vous perçu un effet de la crise de la Covid-19 sur l'aide au développement ?
Mme Michelle Gréaume. - Notre groupe s'abstiendra. Malgré l'augmentation des crédits, selon l'OMS, il manque 90 millions d'euros de versements français s'agissant du Fonds mondial, et 600 millions d'euros sur ACT-A par rapport aux engagements du Président de la République.
M. André Gattolin. - Il a récemment été question sur une radio des 140 millions d'euros d'APD dont bénéficie la Chine. La moitié de cette aide serait consacrée aux étudiants chinois. Avez-vous des précisions ?
M. Hugues Saury, rapporteur pour avis. - Nous avions fait des concessions sur des aspects importants de la loi de programmation, il serait vraiment dommageable que la commission indépendante ne soit pas celle qui était prévue par le texte.
M. Rachid Temal, rapporteur pour avis. - Tout part d'un problème de pilotage. C'est parce que le pilotage ne fonctionne pas bien qu'on veut évaluer en fin de parcours. La première question est donc celle du pilotage et de portage politique. Le compromis trouvé ne semble pas convenir à l'administration...
M. Hugues Saury, rapporteur pour avis. - Les rapports, pas loin d'une dizaine prévus par la loi, avec des dates de publication différentes, constituent un travail important et je crains qu'il n'y ait des retards. Nous devons maintenir la pression pour les avoir en temps et en heure. S'agissant de la crise sanitaire, nous avons débloqué des financements et distribué des vaccins. En revanche, l'activité de l'AFD a chuté.
M. Rachid Temal, rapporteur pour avis. - Il nous faut une forme de tableau de bord pour contrôler l'exécution de la loi de programmation et en particulier la publication des rapports. Sur la vaccination, il y a désormais un problème de nombre de doses ; il faut aider les pays à produire car si tout le monde n'est pas vacciné, la pandémie se poursuivra. S'agissant de la Chine, il y a, d'une part, les frais d'écolage et, d'autre part, le fait que l'AFD est une banque qui doit faire des profits avec ses prêts, et qui prospecte à cette fin dans les pays émergents. Or la somme des prêts reste très supérieure, nécessairement, à celle des dons. Nous avons fait un premier pas en distinguant les deux missions mais c'est toujours la même structure. Idéalement il faudrait distinguer complètement deux entités, quitte à les maintenir dans un seul groupe.
M. Hugues Saury, rapporteur pour avis. - C'est aussi un problème de communication. Il est évident que les chiffres que l'on présente sont plus élevés si l'on fait la somme des prêts et des dons.
Mme Marie-Arlette Carlotti. - Je me souviens que sur le criblage, nous avions accepté de sursoir au débat en échange de ce rapport. Il ne serait pas acceptable qu'il ne nous soit pas présenté.
Mme Hélène Conway-Mouret. - Avec Henri de Raincourt, nous avions préconisé qu'il y ait un ministre chargé du développement. Ne faut-il pas insister à nouveau sur ce sujet ?
M. Hugues Saury, rapporteur pour avis. - Il y a un consensus sur le fait qu'il serait logique d'avoir un ministre spécifique sur ce sujet, mais la décision ne nous appartient pas. Le fait d'avoir un ministre unique permettrait aussi de remédier aux désaccords entre le Quai et Bercy.
M. Christian Cambon, président. - Sous la cinquième République il y a toujours eu, auparavant, un ministre chargé de la coopération ou du développement, avec un portefeuille variable.
M. André Vallini. - Le problème est surtout celui de l'absence de longévité ministérielle. J'ai moi-même occupé ce poste pendant un an, c'est trop peu. J'avais choisi de mettre l'accent sur la santé maternelle et infantile, mais il faudrait cinq ans pour avoir une véritable action.
M. Christian Cambon, président. - Nous allons écrire aux ministres sur la question de la commission d'évaluation. C'était un apport important du Sénat et cela ne doit pas être remis en cause. C'est déjà assez regrettable qu'il n'y ait pas de ministre dédié.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Aide publique au développement ».