N° 468

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 29 mars 2023

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des finances (1) sur la proposition de loi constitutionnelle visant à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétences ,

Par M. Charles GUENÉ,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal , président ; M. Jean-François Husson , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Daniel Breuiller, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mme Sylvie Vermeillet , vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel , secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canévet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Thierry Meignen, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel .

Voir le numéro:

Sénat :

869 rect. (2021-2022)

L'ESSENTIEL

La commission des finances s'est réunie le mercredi 29 mars 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, pour examiner le rapport pour avis de M. Charles Guené, sur la proposition de loi constitutionnelle n° 869 (2021-2022), présentée par M. Éric Kerrouche et plusieurs de ses collègues, visant à créer une loi de financement des collectivités territoriales et de leurs groupements et à garantir la compensation financière des transferts de compétences.

I. L'INSTITUTION D'UNE LOI DE FINANCEMENT DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET DE LEURS GROUPEMENTS NE CONSTITUE PAS LA RÉPONSE ADAPTÉE AU LÉGITIME BESOIN DE PRÉVISIBILITÉ DES COLLECTIVITÉS

La proposition de loi constitutionnelle est l'aboutissement d'un constat partagé par l'ensemble des représentants des collectivités territoriales : les incertitudes budgétaires, qui tiennent à la fois à la complexité du système de financement , donc à la multiplicité des sources , mais aussi à sa structure de plus en plus assise sur des dotations et des fractions d'impôts nationaux , au détriment de ressources fiscales propres, réduisent la marge de manoeuvre des collectivités.

Cette situation est accentuée par la complexité des règles de répartition des dotations et par le processus de suppression d'impôts locaux . La lisibilité du système n'est pas non plus facilitée par les modalités d'examen des mesures intéressant les collectivités territoriales dans le cadre des projets de lois de finances . Face à cette situation, la tentation de créer des lois de financement des collectivités territoriales (LFCT) est séduisante mais elle favorisait le risque d'apparition d'un nouveau carcan pour les collectivités. Si l'absence de précision des dispositions constitutionnelles a ouvert la voie à la forte érosion de la fiscalité locale , le dispositif proposé est tout aussi incertain puisqu'il renvoie à un texte organique qui n'est pas déposé .

Une autre interrogation réside dans l'articulation, dans les faits très difficile, avec les lois de finances . Compte tenu du coût très important pour l'État de ses transferts financiers aux collectivités territoriales (107,3 milliards d'euros en PLF 2023), il semble difficilement envisageable de faire sortir ceux-ci du domaine de la loi de finances. La proposition consistant à faire débuter l'examen du PLFCT au Sénat, à l'inverse des PLF et PLFSS, pourrait sembler offrir une solution d'articulation mais elle n'est pas sans soulever des questions d'ordres politique et juridique.

Les PLFCT pourraient ainsi constituer un cadre plus contraignant pour la liberté d'action des collectivités que les projets de loi de programmation des finances publiques ou les projets de loi ordinaire qui offrent plus de souplesse. Par ailleurs, l'instauration d'un PLFCT s'accompagnerait de tous les mécanismes de rationalisation du parlementarisme propres aux textes financiers .

Il est, en outre illusoire de penser qu'un PLFCT permettrait une meilleure visibilité à chaque collectivité. La complexité du système de répartition des dotations perdurerait. Le rapporteur pour avis considère la refondation de la gouvernance des finances locales, en associant l'État, les élus locaux et le Parlement comme une solution plus appropriée.

II. LA CONSÉCRATION BIENVENUE D'UN PRINCIPE DE COMPENSATION ÉVOLUTIVE DANS LE TEMPS DES TRANSFERTS DE COMPÉTENCES, QUI LAISSE TOUTEFOIS EN SUSPENS LA QUESTION DE SES MODALITÉS D'APPLICATION

Selon une jurisprudence constitutionnelle constante, lorsque l'État transfère aux collectivités territoriales des compétences auparavant exercées par lui, le législateur est tenu de compenser celles-ci « au coût historique » par l'attribution des ressources correspondant aux charges constatées à la date du transfert. Cette obligation de compensation ne s'étend pas aux transferts de compétences opérés entre collectivités territoriales .

Les créations et extensions de compétences relèvent également d'un régime juridique distinct, n'imposant pas de compensation intégrale des charges qui en résultent. La Constitution ne prescrit pas de forme déterminée pour organiser cette compensation qui peut prendre la forme de fiscalité transférée, de dotations financées sur crédits budgétaires ou de prélèvements sur les recettes de l'État. .

Ce principe de compensation au coût historique est fortement remis en cause par les collectivités territoriales : leur expérience pratique les conduit à considérer que la multiplication des charges dynamiques qui leur incombent rend leur situation financière insoutenable et porte une réelle atteinte à leur libre administration . Le cas le plus emblématique est celui de l'exercice de la compétence d'aide et d'action sociale par les départements.

L'article 2 de la présente proposition de loi constitutionnelle comporte un dispositif permettant une compensation financière évolutive dans le temps des transferts de compétences qui avait été adopté en 2020 dans le cadre de l'examen en première lecture de la proposition de loi constitutionnelle pour le plein exercice des libertés locales de Philippe Bas, Jean-Marie Bockel et plusieurs de leurs collègues. Le rapporteur pour avis, qui avait déjà instruit ce dispositif ne peut donc qu'y être favorable. L'ensemble des associations d'élus auditionnées ont affirmé leur soutien appuyé à la mise en place d'un tel dispositif.

Une première réserve pouvant être émise, de nature politique et juridique, tient au respect du principe de libre administration car les charges liées à l'exercice d'une compétence donnée peuvent varier en fonction de choix politiques. Toutefois, la notion de « réexamen », plus souple que la réévaluation automatique, avait été retenue dans le texte adopté, et est ici reprise, apportant une réponse partielle à cette difficulté. La seconde réserve, d'ordre technique, tient à la difficulté à estimer de façon fiable la charge associée à l'exercice d'une compétence par toute collectivité. Il paraît cependant indispensable de s'employer à la surmonter, en y mettant les moyens et la volonté politique nécessaire et en instaurant une gouvernance refondée.

Suivant son rapporteur pour avis qui estime, en tout état de cause, inutile d'adopter de nouveau un dispositif déjà en navette à l'Assemblée nationale la commission a émis un avis défavorable à l'adoption de la proposition de loi dans son ensemble.

I. L'INSTITUTION D'UNE LOI DE FINANCEMENT DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES ET DE LEURS GROUPEMENTS NE CONSTITUE PAS LA RÉPONSE ADAPTÉE AU LÉGITIME BESOIN DE PRÉVISIBILITÉ DES COLLECTIVITÉS

A. UN CONSTAT PARTAGÉ : LES COLLECTIVITÉS FONT FACE À DES INCERTITUDES BUDGÉTAIRES DE PLUS EN PLUS PRÉGNANTES

La proposition de loi constitutionnelle est l'aboutissement d'un constat partagé par l'ensemble des représentants des collectivités territoriales : les incertitudes budgétaires auxquelles celles-ci font face ne leur permettent plus d'exercer sereinement les compétences qui leur ont été attribuées.

Il convient à ce titre de rappeler qu'au sein du paysage des administrations publiques, ce besoin de visibilité revêt une importance fondamentale pour les administrations publiques locales qui, parce qu'elles réalisent près de 70 % de l'investissement public civil, inscrivent nécessairement leur action dans le temps long.

Ces incertitudes tiennent à la fois à la complexité du système de financement , c'est-à-dire à la multiplicité des sources , mais aussi à sa structure de plus en plus assise sur des dotations et des fractions d'impôts nationaux au détriment de ressources fiscales propres sur lesquelles les collectivités conserveraient une marge de manoeuvre.

Cette situation est accentuée par la complexité des règles de répartition des dotations qui, elle aussi, accentue l'imprévisibilité budgétaire pour les collectivités. De surcroit, l'appropriation par les collectivités de dispositifs fiscaux régulièrement modifiés crée un manque de visibilité, en particulier pour les communes de petite et moyenne taille qui ne disposent pas de ressources internes leur permettant de s'adapter aisément à ce cadre mouvant. Il faut dire que ces quinze dernières années, l'environnement fiscal des collectivités, par touches successives, a fait l'objet d'un très grand nombre de réformes. Ce processus de suppression d'impôts locaux constitue une tendance de fond , au nom soit du soutien au pouvoir d'achat des ménages, qui avait justifié la suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales en loi de finances pour 2020 1 ( * ) , soit de la compétitivité des entreprises, qui avait justifié la suppression de la taxe professionnelle en loi de finances pour 2010 2 ( * ) puis la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) en loi de finances pour 2023 3 ( * ) .

Non seulement la marge de manoeuvre des collectivités se restreint, puisque les ressources fiscales propres des collectivités disparaissent progressivement, mais de surcroit ces dernières font face à un manque de visibilité et de prévisibilité qui résulte aussi bien de leur dépendance accrue aux financements étatiques que de l'illisibilité du système .

L'exemple le plus emblématique à cet égard est celui de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Les collectivités territoriales sont, en effet, fortement dépendantes de l'évolution de son montant qui, au nom de la contribution au redressement des finances publiques, a connu une baisse de près de 11 milliards d'euros entre 2014 et 2018 avant de se stabiliser à environ 27 milliards d'euros. À l'échelle individuelle, les variations annuelles du montant de DGF perçu par chaque collectivité, qui tiennent à la combinaison d'un très grand nombre de critères issus pour l'essentiel d'une sédimentation de dispositifs sans cohérence d'ensemble, sont largement illisibles pour les élus.

La lisibilité du système n'est pas non plus facilitée par les modalités d'examen des mesures intéressant les collectivités territoriales dans le cadre des projets de lois de finances . En effet, contrairement aux finances de l'État et de la sécurité sociale, il n'existe pas de cadre législatif retraçant de manière globale les prévisions de recettes et de dépenses des collectivités territoriales pour l'année. Du fait de la bipartition des lois de finances, ces dispositions sont éclatées entre la première (prélèvements sur recettes, impôts locaux) et la seconde partie (répartition des concours financiers de l'État et des fonds de péréquation). L'intitulé de la mission budgétaire « Relations avec les collectivités territoriales » est à cet égard trompeur puisque celle-ci ne comprend qu'un peu plus de 4,4 milliards d'euros sur les 107,6 milliards d'euros transférés par l'État aux collectivités.

Loin d'apporter aux collectivités territoriales la visibilité pluriannuelle sur leurs ressources dont elles auraient besoin, les dernières lois de programmation des finances publiques (LPFP) se sont attachées à contraindre l'évolution de leurs dépenses de fonctionnement par la définition d'un objectif d'évolution de la dépense locale (Odedel), ce qui revient à assumer la réduction drastique des marges de manoeuvres laissées aux collectivités territoriales dont les choix de gestion sont désormais particulièrement contraints. En LPFP 2018-2022 4 ( * ) , le suivi de cet objectif a été assorti d'un mécanisme contractuel contraignant de surveillance et de sanction - les « contrats de Cahors », portant une atteinte claire à la libre administration des collectivités territoriales.


* 1 Article 16 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.

* 2 Loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010.

* 3 Loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances pour 2023.

* 4 Loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

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