EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 29 novembre 2023, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de Mme Catherine Dumas, Vice-présidente, a procédé à l'examen du rapport de Mme Valérie Boyer et M. Jean-Baptiste Lemoyne, sur les crédits du programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde ».
Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis.- Je précise tout d'abord que c'est mon premier rapport pour avis au sein de cette commission et il en va de même pour Jean-Baptiste Lemoyne. Je voudrais d'abord dire un mot inspiré par l'amendement de la commission des finances dont nous avons pris connaissance assez tard. Il faudra, à l'avenir, améliorer la coordination de nos travaux car j'ai été assez surprise de devoir mener des auditions sans connaître les intentions des rapporteurs de la commission des finances en matière d'économies budgétaires et ces orientations, qui auraient pu guider notre travail, ont été prises sans l'ombre d'une concertation. En conséquence, l'année prochaine, je n'accepterai pour ma part de rapport budgétaire qu'à condition que l'on puisse organiser suffisamment tôt une réunion avec nos collègues de la commission des finances, par souci de cohérence, d'anticipation, et par respect pour notre travail.
J'en viens à nos principales remarques. Le programme 105 de la mission « Action extérieure de l'État » regroupe les moyens de l'action diplomatique de la France et ses crédits de fonctionnement. Il porte également une grande part des contributions versées par la France aux organisations internationales. En 2024, ses crédits progressent de près de 8,7 % par rapport à la loi de finances initiale pour 2023, soit environ 180 millions d'euros, pour atteindre 2,26 milliards d'euros. Le ministère se félicite de la hausse, inédite semble-t-il depuis 2005, de 13 % des dépenses hors rémunérations. Observons tout de suite que le doublement de la contribution française à la « Facilité européenne pour la paix » représente presque la moitié de cet effort de 166 millions d'euros. La France consacre en effet 76 millions d'euros de plus que l'an dernier - 144 millions d'euros en tout - à ce fonds destiné prioritairement à soutenir l'Ukraine. L'impact de cette dépense n'est donc pas facile à évaluer.
Le plus gros poste parmi les dépenses d'intervention est celui des crédits consacrés aux contributions internationales et aux opérations de maintien de la paix. Ils représentent, hors crédits de personnel, deux tiers du programme, soit 927,6 millions d'euros. Sa hausse, de presque 100 millions d'euros, s'explique par l'effet-taux de change et la revalorisation de certaines contributions.
L'effort supplémentaire en faveur des contributions volontaires représentera l'an prochain 2,3 millions d'euros. Nos collègues de la commission des finances Vincent Delahaye et Rémi Féraud ont cependant bien montré l'an dernier l'attentisme français en la matière. Si la contribution volontaire de la France au système des Nations unies a bel et bien augmenté de 180 millions en dix ans, les Britanniques et les Allemands ont fait un effort, respectivement, quatre et seize fois plus grand, alors même qu'ils partaient d'un niveau plus élevé... L'impact de cet effort sur notre capacité d'influence n'est en outre pas facile à illustrer. Le ministère évoque, pêle-mêle : le renouvellement du directeur français des opérations de maintien de paix aux Nations unies, le soutien « décisif » de la France au lancement, par la CPI (Cour pénale internationale), d'une enquête sur la situation en Ukraine, le lancement de la stratégie onusienne de lutte contre la désinformation, le soutien accru à l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique), à l'OIAC (Organisation pour l'Interdiction des Armes Chimiques) ou à l'office des Nations unies contre la drogue et le crime...
D'une manière générale, je crois qu'il faudra s'interroger avec courage et lucidité sur notre place au sein de ces organisations internationales et sur notre influence. Compte tenu des moyens que nous y consacrons et de notre poids, j'estime que nous sommes, comme d'autres pays européen, à un tournant décisif : je me demande s'il est cohérent de continuer à alimenter cette dérive des moyens concomitante à la baisse de notre influence qui me préoccupe tout particulièrement.
Les crédits nouveaux du programme 105 permettront certes d'engager le « réarmement » de notre diplomatie, pour employer la formule du Président de la République, au sens où, pour la deuxième année consécutive, le ministère recrutera. Je rappelle que ses effectifs, qui avaient perdu 3 000 ETP entre 2007 et 2021, avaient alors cessé de baisser. Puis, après une augmentation factice liée au recrutement de CDD en prévision de la présidence française de l'UE, ils n'étaient repartis à la hausse qu'en 2023. En 2024, le ministère prévoit l'embauche de 165 ETP dans le périmètre de la mission « Action extérieure de l'État », dont une bonne centaine au titre du programme 105. Cette hausse s'inscrit dans la programmation dévoilée par le chef de l'État en mars dernier, à l'issue des états généraux de la diplomatie. Celle-ci prévoit 700 recrutements nouveaux d'ici 2027, avec des marches plus élevées en fin de programmation.
On se rappelle que ces états généraux ont été réunis pour apaiser les inquiétudes suscitées chez les diplomates par la réforme de leur statut, et il en va de même pour d'autres catégories de fonctionnaires. À ce jour, environ 72 des 800 diplomates concernés ont opté pour le cadre des administrateurs de l'État. La directrice des ressources humaines table sur un taux de 80 % à terme. Un recours contre la réforme a été rejeté par le Conseil d'État il y a un mois, mais il est douteux que les inquiétudes soient totalement apaisées. Je pense que les jeunes choisissent ce nouveau statut tandis que ceux qui bénéficient de l'ancien ont souhaité le conserver, ce qui me semble parfaitement logique.
Quoi qu'il en soit, les chantiers issus des états généraux sont en cours de mise en oeuvre. L'organigramme du ministère a été revu le 1er septembre dernier. À l'école pratique des métiers de la diplomatie, créée par Jean-Yves Le Drian en mars 2022, devrait succéder l'Académie diplomatique et consulaire, dont le rapport de préfiguration doit être rendu par Didier Le Bret début 2024. La DRH mène de nombreux autres chantiers touchant aux concours et à la qualité de vie au travail ; elle vante l'organisation agile - en matière de soutien consulaire par exemple - et la multiplication des task forces.
Près d'1 million d'euros de mesures nouvelles financeront la politique sociale du ministère - avec, par exemple, l'objectif de satisfaire 100 % des demandes de place en crèche -, mais aussi l'accompagnement de la mobilité tout au long de la carrière et la formation. Nous n'avons en revanche jamais entendu parler en audition de la « réserve diplomatique citoyenne » évoquée par le Président en mars.
Je dirai enfin un mot de quelques postes de dépenses de fonctionnement. La direction de la sécurité diplomatique disposera d'une mesure nouvelle de 5 millions d'euros, dont une partie sera consacrée à l'achat de nouveaux véhicules blindés et au renforcement de la sécurité passive de nos ambassades les plus exposées. Nous avons tous en mémoire ce qui s'est passé en Afrique récemment et particulièrement au Niger : les personnes que nous avons auditionnées ont beaucoup insisté sur la nécessité de renforcer la sécurité des lieux où se trouve le personnel diplomatique.
Le montant des dépenses de protocole affiche une hausse notable en 2024, en passant de moins de 8 à plus de 18 millions d'euros. Le Gouvernement la justifie par le nombre élevé de chefs d'État et de gouvernement étrangers qui participeront, d'une part, aux cérémonies d'ouverture et de clôture des Jeux Olympiques et paralympiques et, d'autre part, aux commémorations du 80ème anniversaire des débarquements en Normandie et en Provence. Il est vrai que la France a accueilli de nombreux événements diplomatiques importants qui nécessitent un protocole de sécurité aguerri, performant et très disponible.
Cette enveloppe prend également en charge les frais des nombreuses conférences internationales - sur les droits des femmes en mars, sur le sport et la santé en marge des Jeux, ou encore le sommet de la francophonie à Villers-Cotterêts et à Paris en octobre. La professionnalisation de l'organisation de conférences internationales - telle la conférence humanitaire pour la population civile de Gaza, qui a démontré un vrai savoir-faire - est d'ailleurs un objectif du ministère. Je note qu'on aurait pu souhaiter une conférence similaire à propos des otages...
Enfin, nous n'avons pas pu approfondir les enjeux immobiliers, mais ils restent primordiaux, et pas seulement sous l'angle de leur financement par des crédits budgétaires plutôt que par les produits de cessions. Du fait, notamment, des besoins de task forces, de formations de crise, et de la rationalisation du parc engagée naguère, les locaux en administration centrale sont désormais saturés. Dans ces conditions, abriter les 700 ETP promis d'ici quatre ans par le Président de la République sera une véritable gageure.
Sans dévoiler ce que va dire Jean-Baptiste Lemoyne, j'insisterai sur la nécessité de préserver et de conforter la cellule de crise qui est probablement un des fleurons du ministère et que certains ont peut-être pu connaitre, notamment lors de la Covid ou d'autres crises.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis du programme 105. - Au sein de ce budget offensif, nous avons souhaité mettre l'accent sur trois aspects qui nous semblent fondamentaux dans l'environnement géopolitique particulièrement dangereux du moment : il s'agit d'abord de la gestion de crise - Valérie Boyer vient d'introduire le sujet -, ensuite de la communication dans un monde de guerre informationnelle et, enfin, la coopération de sécurité et de défense dans un contexte africain que vous connaissez bien.
En premier lieu, sur nos moyens dédiés à la gestion de crise, on le sait peu, mais la France dispose en la matière d'un savoir-faire envié à l'étranger. Sa maîtrise est assurée par le Centre de crise et de soutien (CDCS). Un seul exemple : le 8 octobre dernier, soit le lendemain des attaques du Hamas, le CDCS a immédiatement mobilisé 90 ETP tournant quotidiennement, la nuit et le weekend, pour rapatrier 3 500 personnes, tout en traitant les milliers d'appels et de courriels de leurs proches. À cet égard, je me permets de saluer non seulement l'action du personnel du CDCS, mais aussi ceux qui viennent le renforcer lors des pics d'activité, que ce soient des agents du ministère ou des personnels de la Croix-Rouge qui arme la réponse téléphonique. Nos collègues Jean-Pierre Grand et Rachid Temal avaient d'ailleurs eu l'occasion de saluer l'action du CDCS dans leur rapport de juin 2020 sur le suivi du rapatriement des Français de passage à l'étranger pendant la crise sanitaire. C'est donc un outil très précieux dans un contexte de multiplication des crises, de leur aggravation et de leur diversité.
Si on se retourne sur l'année 2023, et encore elle n'est pas terminée - il peut encore se passer beaucoup de choses d'ici le 31 décembre -, on constate que le CDCS est intervenu à la suite du séisme turco-syrien de février, de l'évacuation au Soudan en avril et, au cours des trois derniers mois, il y a eu les événements au Gabon, les inondations en Libye, le séisme au Maroc, la guerre dans le Haut-Karabagh, puis le 7 octobre dans son volet israélien et palestiniens. Cela montre l'intensité des crises qui mobilisent son personnel.
En 2024, le budget de fonctionnement du CDCS augmentera de 450 000 euros par rapport à 2023, pour atteindre 3,45 millions d'euros. Il s'agit là naturellement uniquement de l'aspect état-major, car le CDCS brasse infiniment plus de moyens, et en particulier les crédits humanitaires, de l'ordre de plusieurs centaines de millions d'euros. Les ETP du centre, qui ont doublé en dix ans, passeront de 104 en 2023 à 109 l'an prochain. Souvenons-nous que le CDCS, créé en 2008, a fêté ses 15 ans cette année : il a commencé avec 30 personnes, a doublé en 2014, et on atteint donc l'an prochain les 109 ETP.
Il est toujours difficile de planifier le financement d'actions qui, par définition, sont imprévisibles. Néanmoins, le CDCS dispose d'une réserve de crise qui est stable à 1,5 million d'euros et qui est systématiquement réabondée en fonction des besoins et au fur et à mesure de la survenue des crises. Pour vous donner des ordres de grandeur, la gestion de la crise au Soudan d'avril dernier a coûté un peu moins d'1 million d'euros, celle du Niger 2,9 millions d'euros, et, pour l'instant, nous en sommes à 4,8 millions d'euros pour la gestion de la crise en Israël. De plus, le CDCS bénéficie de financements européens au moyen du mécanisme de protection civile de l'Union européenne lorsqu'elle rapatrie des ressortissants d'autres États membres.
Compte tenu du contexte international et environnemental, il est très vraisemblable que la charge de travail du CDCS se maintiendra à court et moyen terme. Si la situation au Proche-Orient se dégradait encore davantage, songez à ce qu'impliquerait l'évacuation de nos ressortissants du Liban, qui sont environ 20 000. Le CDCS se prépare en tout cas à toutes les éventualités.
Le deuxième aspect que nous avons examiné de plus près porte sur nos capacités de communication et d'influence, notamment dans la sphère numérique. Ce poste fait l'objet d'un effort d'un peu plus de 2 millions d'euros l'an prochain. Ces crédits permettront à la direction de la communication du ministère de renforcer ses effectifs et de mettre en oeuvre ses ambitions de lutte contre la désinformation. Celle-ci compte aujourd'hui 118 ETP, dont 19 au sein de la sous-direction créée en septembre 2022 chargée de la veille et de la stratégie. Celle-ci a vocation à surveiller les réseaux et à élaborer une riposte lorsque la guerre de l'information menace nos intérêts.
Outre cette nouvelle fonction, la DCP souhaite devenir le pilote en interministériel de la communication de la France à l'étranger, tous opérateurs confondus. Une plateforme de partage de contenus doit ainsi être créée pour rationaliser nos moyens d'influence en diffusant des contenus plus pertinents dans le réseau, qui les disséminera. Gardons en mémoire que nous publions des messages dans plus de 50 langues pour nous adapter à toutes les audiences et à tous les publics de par le monde.
La méthode est bonne. Il faut monter en puissance pour maintenir une cadence soutenue de diffusion de nos narratifs et contrer ceux qui nous sont hostiles. La cellule de veille des réseaux sociaux est pour l'heure composée de 5 personnes, ce qui ne permet pas encore de faire une veille ininterrompue.
Lutter contre les infox, c'est aussi soutenir les producteurs d'information locaux qui participent à une présentation objective des faits face à ce qu'il faut appeler tout simplement des trolls. Pour percer le mur de la désinformation, il ne faut pas se contenter d'une communication meilleure mais qui resterait estampillée « Gouvernement français ». Le Quai réserve certes des moyens pour que nos postes identifient et soutiennent les « bons » journalistes et influenceurs, notamment dans la perspective de JO de Paris.
Enfin, nous avons examiné l'action du ministère en matière de coopération de sécurité et de défense. C'est une spécificité française que de faire piloter par les affaires étrangères les coopérations et formations qui relèvent, ailleurs, des ministères métier - défense, justice, intérieur, douanes etc...
Le PLF 2024 prévoit près de 120 millions d'euros pour la direction de la coopération de sécurité et de défense (DCSD) qui met en oeuvre cette coopération structurée avec les États partenaires dans le champ sécuritaire. Deux tiers des crédits sont consacrés à la masse salariale pour rémunérer ce réseau de 313 coopérants, dont 249 coopérants militaires et 64 experts techniques internationaux. S'y ajoutent des crédits d'intervention de l'ordre de 40 millions d'euros, contre 36 en 2023, ce qui va permettre d'être toujours plus présents sur l'aspect formation qui peut être étoffé. Il y a déjà un réseau d'une vingtaine d'écoles nationales à vocation régionale (ENVR) et d'une cinquantaine d'académies de par le monde qui bénéficient à environ 3 000 stagiaires à l'année et 30 000 stagiaires dans le cadre de formations infra-annuelles plus courtes. La DCSD se fixe l'objectif d'accroître cette offre de 40 %, en ligne d'ailleurs avec les propos du ministre des armées et des chefs d'état-major qui avaient dit vouloir accroître l'offre de formation des cadres militaires étrangers.
L'Afrique de l'ouest est la zone où les coopérations restent les plus denses. En dépit des événements récents au Burkina Faso ou au Niger, la demande de France reste forte dans la région. Deux ENVR y seront créées en 2024 : une école de systèmes d'information et de commandement en Côte d'Ivoire, et une école de sécurité environnementale des parcs naturels en Afrique centrale, sans même parler des redéploiements en cours dans le contexte sahélien actuel.
Une réflexion sur la modernisation de cet outil a été engagée fin 2022. Elle vise à mettre les ENVR en réseau, à les autonomiser, à diversifier leur financement, à y renforcer la francophonie. Je signale que la DCSD agit ailleurs qu'en Afrique : ainsi, dans les Balkans, ou dans la zone indopacifique - une ENVR va d'ailleurs ouvrir au Sri Lanka.
J'en termine en formulant une remarque générale sur la conception des documents budgétaires et, donc, sur l'information des parlementaires. Les outils de mesure de la performance mériteraient d'être revisités. Ainsi, l'indicateur « renforcer la sécurité de la France au travers de celle de nos partenaires » contient trois objectifs : d'abord, le taux de réalisation des objectifs de coopération de sécurité et de défense, qui est assez vague ; ensuite, le coût unitaire de formation des élèves, qui n'évolue guère dans le temps ce qui peut faire douter de sa pertinence ; enfin, la part des femmes participant aux formations. Il importe bien sûr de contribuer à l'égalité entre les femmes et les hommes en toutes circonstances mais je pense qu'il serait également important, voire plus, de disposer d'indicateurs sur le nombre de personnes formées et éventuellement sur leur trajectoires à l'issue de leur formation car il y a là aussi un enjeu d'influence qui peut être intéressant.
Pour conclure, dans ce monde fait d'accumulation de crises, de délitement du système multilatéral et d'émergence de nouveaux théâtres d'opérations, comme le terrain informationnel, ne boudons tout de même pas notre plaisir de voir le réarmement de notre diplomatie réellement engagé en termes de moyens humains et financiers. Nous vous proposons donc, avec Valérie Boyer, d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 105.
Mme Catherine Dumas, présidente. - Merci beaucoup pour vos exposés. Avant de laisser la place aux interventions, je reviens sur les propos de Valérie Boyer qui portent sur nos relations avec la commission des finances : je pense que c'est un sujet que nous aborderons à nouveau quand le président Perrin sera de retour. Je vous félicite également d'avoir apporté sur le Centre de crise et de soutien des précisions particulièrement intéressantes dans le monde en plein vertige qui est le nôtre. J'informe également la commission que mercredi prochain, nous auditionnerons David Colon, grand spécialiste de la guerre de l'information.
M. Rachid Temal. - Pour avoir travaillé en effet sur le centre de crise, je me félicite en effet qu'il dispose de quoi travailler. S'agissant de la guerre de l'information, je souhaiterais, pour fixer les ordres de grandeur, savoir ce que font d'autres pays amis ou concurrents - Britanniques, Américains, Russes ou Chinois - pour situer notre niveau de protection. En second lieu, s'agissant des experts militaires, pouvez-vous développer la question des liens avec le ministère des Armées, de façon générale et notamment en Afrique : comment cette action s'articule-t-elle avec la réorganisation de nos bases militaires ?
M. Alain Joyandet. - Je veux saluer le travail des rapporteurs et apporter un témoignage avant de soulever deux questions. D'abord, je crois qu'il faut vraiment souligner la qualité des personnels du Quai d'Orsay : nous avons dans notre administration du Quai d'Orsay une diplomatie absolument exceptionnelle ; je pense que c'est une des meilleures du monde, qu'il s'agisse des seniors ou des juniors. Ma deuxième remarque concerne le Centre de crise créé en 2008 : s'il n'existait pas, il faudrait l'inventer car cette entité est à la fois exceptionnelle et très efficace.
Ma première question porte sur le ressenti et les commentaires que vous avez recueillis au cours des auditions sur la réforme de notre diplomatie. Quelles en seront les conséquences pratiques en termes d'effectifs ?
En second lieu, comment expliquez-vous, malgré la qualité de nos moyens humains, la perte d'influence de la France dans le monde ?
M. Olivier Cadic. - À mon tour de remercier nos deux rapporteurs qui ont dressé un portrait éloquent des bons côtés de l'action de nos ambassades. Je m'associe aux propos de Valérie Boyer et voudrais mettre en garde contre le risque de saupoudrage des contributions volontaires parce que c'est une importante source d'inefficacité. Nous n'avons plus les moyens d'être partout à la fois et il faut définir les objectifs qui justifient ces contributions volontaires. Je suggère à ce titre, aux rapporteurs et même à la commission, d'entendre notre ambassadeur à l'ONU qui m'a éclairé sur le niveau ainsi que la portée de ces contributions volontaires.
Merci également au rapporteur d'avoir souligné l'importance du centre de crise et de soutien dont je rappelle qu'il a été créé en 2008 à la demande de l'Assemblée des Français de l'étranger. On a notamment pris conscience de son intérêt lors des attentats malheureux du Bataclan qui a suscité de très nombreux appels de l'étranger ; le CDC est alors devenu CDCS et on a pu en constater l'utilité lors des attentats de Nice qui ont suivi le 14 juillet. Je fais ici le lien avec les remarques de Jean-Baptiste Lemoyne sur les indicateurs figurant dans la documentation budgétaire auxquelles je souscris pleinement. Le CDCS est en effet la seule administration qui est certifiée qualité ISO 9002, ce qui s'accompagne nécessairement d'un suivi sur la base d'indicateurs pertinents. Je suggère de réfléchir à une extension de cette certification au CDCS afin d'améliorer le suivi de leur performance.
M. Philippe Folliot. - Je m'associe aux propos élogieux qui ont été tenus sur la qualité du travail de nos rapporteurs. Ma première question concerne notre réseau diplomatique qui, comme vous l'avez indiqué, ne peut pas être étendu à l'infini. Pour autant, j'avais interpellé la ministre sur le fait que nous ne disposons toujours pas de permanence diplomatique au Guyana qui, à ce jour, est l'un des plus pauvres d'Amérique du Sud mais va devenir l'un des plus riches compte tenu des gisements de pétrole qui y ont été découverts. Or nous avions constaté sur place que notre pays passe à côté de possibilités d'expansion pour nos firmes parce que les chefs d'entreprise du Guyana sont obligés d'aller chez leur voisin du Suriname afin d'obtenir un visa pour venir en France. Il me parait important d'appuyer la demande de permanence diplomatique au Guyana que nous avions faite dans notre rapport. Nous avons ouvert une représentation diplomatique peu après l'accession à l'indépendance d'autres petits pays promis à un développement économique rapide comme le Qatar, le sultanat de Brunei, le Koweït, Bahreïn, ou d'autres. Or voilà près de 40 ans que le Guyana est indépendant et nous n'avons toujours pas réagi en conséquence.
Ma deuxième question concerne les guerres et les enjeux de désinformation. Ne serait-il pas opportun de nous appuyer sur un certain nombre de nos compatriotes originaires notamment des pays du Sahel et qui en connaissent les langues vernaculaires : ils pourraient peut-être nous aider, que ce soit par le biais de la réserve ou par d'autres moyens, à diffuser sur notre pays un récit peut-être plus positif que celui qu'on entend souvent.
Mme Catherine Dumas, présidente. - J'abonde évidemment dans le sens de cette suggestion relative au Guyana, d'autant plus que nous avons constaté sur place que les Chinois étaient déjà bien implantés dans ce pays...
M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur pour avis. - M. Temal, je concède que nous n'avons pas procédé à un tel benchmark et c'est certainement un travail à poursuivre : je souscris à votre suggestion. Dans ce domaine, les comparaisons ont nécessairement des limites, puisque, par exemple nous ne disposons pas, comme la Russie, d'usines à trolls. Nos outils sont assurément différents car nous avons une autre déontologie.
Le lien de notre coopération de sécurité et de défense avec les armées est très étroit. D'ailleurs le directeur de la DCSD est traditionnellement un militaire - c'est aujourd'hui un général de corps d'armée. La réorganisation de nos bases est un autre chantier, mais je dirais qu'il y a un tout de même un lien avec notre sujet car si on souhaite avoir une empreinte un peu différente, peut-être moins forte, avec des bases allégées, il faut en revanche mettre l'accent sur l'augmentation du nombre de stagiaires, la densification du réseau d'écoles nationales à vocation régionale et d'académies locales pour continuer à maintenir un lien fort avec les forces de sécurité de tous ces pays partenaires.
M. Joyandet, lors des auditions, la DRH nous a signalé que 72 % des personnels concernés, qui sont environ 800, ont à ce stade opté pour l'entrée dans le nouveau corps d'administrateurs d'État. L'objectif de 80 % devrait être atteint prochainement. S'agissant des conséquences pratiques, je citerai la réorganisation de la DRH, qui est devenue à mon avis une direction beaucoup plus stratégique, qui a ouvert des chantiers relatifs aux parcours, à la gestion de la mobilité, et la gestion prévisionnelle des emplois, des effectifs et des compétences. Ces outils sont assez répandus dans de grandes organisations ; sans doute moins utilisés jusqu'ici au ministère des Affaires étrangères, ils deviennent essentiels à la faveur de la réforme.
En ce qui concerne plus généralement les raisons de notre perte d'influence dans le monde, et en évitant l'auto-flagellation, il faut d'abord observer que l'oligopole des alliés de 1945 est battu en brèche par l'émergence, depuis quelques décennies, de nouveaux acteurs à la fois étatiques - les grands émergents comme la Chine, le Brésil ou l'Afrique du Sud, qui cherchent à se structurer dans un Sud global - et non étatiques comme certaines ONG, entreprises ou coalitions diverses et variées. Il en résulte que se faire entendre nécessite un renforcement de moyens et une agilité pour arriver à marquer des points, être rapide et structurer des coalitions au bon moment. L'anticipation, les capacités d'analyse et la réactivité me paraissent ici des facteurs clés.
Enfin, M. Folliot, le sujet du Guyana est très important au regard non seulement des ressources de ce pays mais aussi des relations compliquées avec son voisin vénézuélien. J'ai noté, en ce moment même, l'existence de prétentions vénézuéliennes, notamment territoriales, qui méritent un suivi très attentif pour réagir le cas échéant.
Mme Valérie Boyer, rapporteure pour avis. - J'ajouterai une observation en réponse à la question d'Alain Joyandet, qui se situe au coeur de nos préoccupations. Le thème de l'influence de la France dans les relations et dans les institutions internationales mériterait probablement une mission car le sujet est fondamental. Il faut explorer les pistes d'évolution des institutions au niveau français mais aussi des pays de l'Union européenne car celle-ci n'a pas de stratégie.
Enfin, lors de nos auditions, j'ai appris l'existence des conseillers diplomatiques des préfets de région. Compte tenu des crises qui nous affectent de différentes façons, je pense que la présence de cet interlocuteur local est essentielle.
Mme Hélène Conway-Mouret. - La présence de ces diplomates en préfecture est effectivement très utile, notamment pour les entreprises - en particulier les PME - qui souhaitent partir à l'international pour la première fois et trouvent ainsi des conseils, un interlocuteur et également un relai vers de Business France qui fait d'importants efforts en matière d'exportation vers l'étranger.
Mme Catherine Dumas, présidente. - Je vous remercie et vous propose de passer au vote.
La commission adopte le rapport pour avis sur les crédits du programme 105 - « Action de la France en Europe et dans le monde ».