EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 22 novembre 2023, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport pour avis de Mme Jocelyne Guidez sur la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » du projet de loi de finances pour 2024.

M. Philippe Mouiller, président. - Notre ordre du jour appelle à présent l'examen du rapport pour avis sur la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».

Mme Jocelyne Guidez, rapporteure pour avis sur la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ». - Malgré la baisse continue du nombre d'anciens combattants, qui bénéficient de pensions et d'allocations financées par la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation  », les crédits de cette mission restent quasiment stables pour 2024, après une baisse de 7,4 % entre 2022 et 2023.

En 2024, la mission bénéficierait ainsi de 1 927 millions d'euros en crédits de paiement (CP), après une enveloppe de 1 931 millions d'euros ouverte en loi de finances initiale (LFI) pour 2023.

La réduction mécanique des crédits alloués aux pensions s'accompagne donc d'une hausse des moyens affectés à d'autres actions en faveur du monde combattant. Saluons ce choix de sanctuarisation des moyens, que nous demandions depuis plusieurs années.

En raison de la baisse continue du nombre d'anciens combattants, les moyens nécessaires au versement des pensions militaires d'invalidité (PMI) baisseraient de 64,5 millions d'euros afin de s'ajuster au nombre de bénéficiaires, qui passerait de 152 000 en 2023 à 142 000 en 2024.

La tendance est la même pour l'allocation de reconnaissance du combattant, nouvelle dénomination de la « retraite du combattant » : le nombre d'allocataires, dont l'âge moyen est de 86 ans, diminuerait de 7,7 % en 2024, pour s'établir à 622 000.

Toutefois, les crédits prévus pour le versement de celle allocation augmenteraient de manière exceptionnelle, atteignant 536,4 millions d'euros en 2024, en hausse de 27 millions d'euros par rapport à la LFI pour 2023. Cette hausse est liée à une modification, en 2023, des modalités de versement entrainant un décalage de paiement de l'allocation.

La diminution des bénéficiaires - et des crédits afférents - devrait ainsi se poursuivre dans les années à venir, puisque le nombre de cartes du combattant attribuées chaque année au titre des opérations extérieures ne compense pas la baisse du nombre de décès des anciennes générations de combattants.

Ces pensions et allocations sont calculées sur la base du point de PMI qui, depuis 2005, est indexé sur l'évolution de la rémunération des fonctionnaires. En 2022, une revalorisation de 7 % du point de PMI avait été décidée à titre exceptionnel. Elle faisait suite aux travaux de la commission tripartite constituée sur ce sujet et dont le rapport, publié en mars 2021, avait constaté un écart de 5,9 % entre la valeur du point de PMI au 1er janvier 2020 et la valeur qu'aurait atteint ce point s'il avait progressé au rythme de l'inflation depuis 2005.

Ensuite, les modalités de calcul du point du PMI ont été revues par décret en 2022 afin que le point soit revalorisé au 1er janvier de chaque année sur la base de l'évolution des rémunérations de la fonction publique observée entre le 1er juillet de l'année n-2 et le 30 juin de l'année n-1.

Lors du projet de loi de finances (PLF) de l'an dernier, le Gouvernement avait fait le choix de revaloriser le point de PMI de 3,5 % au 1er janvier 2023 alors que cette hausse n'aurait dû intervenir qu'au 1er janvier 2024, pour un coût alors estimé à 41 millions d'euros pour 2023.

Pour 2024, le projet de loi de finances prévoit une quasi-stabilité du point de PMI, avec une augmentation de 0,1 %.

Toutefois, lors de son audition par la commission de la défense de l'Assemblée nationale le 11 octobre dernier, la secrétaire d'État chargée des anciens combattants a annoncé que le Gouvernement revaloriserait de 1,5 % le point de PMI dès le 1er janvier 2024, répercutant ainsi dès janvier prochain la hausse du point d'indice de la fonction publique intervenue en juillet 2023, alors qu'elle ne devrait être prise en compte qu'au 1er janvier 2025. Nous estimons que cette hausse représenterait 15 millions d'euros supplémentaires.

Cette annonce, bienvenue pour le pouvoir d'achat des anciens combattants, ne trouve toutefois pas sa traduction budgétaire dans le PLF transmis au Sénat, le Gouvernement n'ayant pas majoré en conséquence les crédits de la mission.

En dépit de cette annonce, le point de PMI ne progresse toujours pas au rythme de l'inflation. Il semble donc nécessaire, comme s'y était engagé le Gouvernement, que la commission tripartite se réunisse en 2024 pour évaluer la nécessité de prendre de nouvelles mesures correctives. Cette commission pourra s'appuyer sur le rapport que le Gouvernement doit établir en 2024 pour comparer l'évolution constatée de la valeur du point de pension et de celle de l'inflation, comme le prévoit le code des pensions militaires.

J'en viens aux moyens alloués aux opérateurs qui accompagnent les combattants et les blessés de guerre.

La subvention pour charge de service public à l'Institution nationale des invalides (INI) augmenterait de 15,41 % pour couvrir des surcoûts de fonctionnement, notamment en matière d'électricité et de restauration.

La subvention versée à l'Office national des combattants et des victimes de guerre (ONaCVG) progresserait de 3,9 %, pour s'établir à 62,6 millions d'euros, finançant notamment le fonctionnement de deux nouvelles maisons Athos.

Ces structures ont été initiées en 2019 par l'armée de terre pour proposer un accompagnement psychologique et social aux blessés psychiques des opérations extérieures, en complément de l'offre de soins proposée par le service de santé des armées. Quatre maisons ont déjà été ouvertes sur le territoire et leur gestion administrative et budgétaire a été confiée à l'ONaCVG en 2023, sous la responsabilité du ministère des armées.

La dotation d'action sociale de l'ONaCVG, maintenue à hauteur de 25 millions d'euros dans la version initiale du PLF, est rehaussée de 4 millions d'euros supplémentaires dans le texte transmis au Sénat. Cette augmentation, malgré la réduction du nombre de ressortissants de l'ONaCVG, permet d'attribuer des aides financières aux anciens combattants et à leurs conjoints survivants les plus en difficulté. Elle permet aussi de soutenir les pupilles de la Nation et les victimes du terrorisme ainsi que d'offrir un accompagnement social et administratif aux ressortissants de l'Office.

Les crédits qui permettent de soutenir les rapatriés d'Algérie seraient aussi en hausse de 11,2 %, avec une enveloppe de 112 millions d'euros.

Ces crédits permettent de verser l'allocation de reconnaissance, l'allocation viagère et des aides à la formation professionnelle, au désendettement, au bénéfice des conjoints survivants ou encore pour le remboursement de cotisations de retraite complémentaire.

Les moyens supplémentaires prévus en 2024 seraient surtout consacrés au dispositif, introduit par la loi du 23 février 2022, de réparation des préjudices subis par les harkis et autres rapatriés d'Algérie ainsi que leurs familles ayant séjourné dans certaines structures aux conditions d'accueil indignes. Il est prévu que ce dispositif coûte 300 millions d'euros sur une période de six ans.

À la fin du mois d'octobre 2023, 10 805 indemnisations ont été prononcées et 21 778 dossiers sont en attente de traitement.

Le Gouvernement a pris en septembre dernier un décret élargissant à 45 nouveaux sites la liste des structures ouvrant droit à réparation.

Pour financer cette mesure nouvelle et traiter les demandes en attente, 69,8 millions d'euros sont demandés pour 2024, soit 9,8 millions d'euros supplémentaires. En outre, l'ONaCVG bénéficiera de quatre emplois supplémentaires pour traiter les dossiers d'indemnisation, ce qui me semble souhaitable pour absorber dans des délais raisonnables l'ensemble des demandes de réparation.

Une progression des moyens consacrés aux liens armées-jeunesse et à la politique de mémoire est aussi attendue l'an prochain.

Les crédits alloués aux liens armées-jeunesse progresseraient de 6,2 % en 2024. Ils financent principalement l'organisation des journées de défense et de citoyenneté (JDC), le service militaire volontaire ainsi que de nombreux dispositifs de promotion du lien entre les armées et la jeunesse tels que les classes de défense et les cadets de la défense.

Les moyens alloués à l'organisation des JDC progressent de 1,5 million d'euros en raison d'une augmentation des coûts de transport et d'alimentation du fait de l'inflation. Pour 2024, le coût complet d'une JDC est estimé à 123 euros par participant, dont 18 % sont financés par la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation ».

Les crédits demandés pour la politique de mémoire progressent significativement, avec une hausse de 87 % par rapport à 2023.

Ces moyens supplémentaires seront principalement consacrés à l'organisation de commémorations et cérémonies pour le 80e anniversaire du Débarquement, avec 14 millions d'euros prévus pour ces manifestations.

Des fonds supplémentaires soutiendront les actions de restauration et d'entretien des sépultures de guerre et des hauts lieux de la mémoire nationale, avec 3,13 millions d'euros.

Je salue la hausse des moyens consacrés à la politique de mémoire. Alors qu'ils seront principalement consacrés à l'organisation de manifestations ponctuelles l'an prochain, il importe de les pérenniser pour renforcer le lien armées-Nation et développer les actions de promotion de la mémoire combattante, en particulier à destination de la jeunesse.

Cette orientation des moyens de la mission me semble essentielle, alors que le nombre de ressortissants de l'ONaCVG devrait passer de 1,8 million en 2023 à moins de 1 million en 2033, selon une estimation du contrôle général des armées.

Pour accompagner cette évolution des missions de l'ONaCVG et de ses ressortissants, je rappelle que l'Office a changé de nom le 1er janvier 2023, afin que sa dénomination englobe l'ensemble du monde combattant. À cet égard, je regrette que la mission budgétaire du PLF s'intitule toujours « Anciens combattants ». Elle devrait, selon la même logique, prendre l'intitulé « Monde combattant ».

Pour l'indemnisation des victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la Seconde Guerre mondiale, 88,14 millions d'euros sont prévus pour 2024, soit une baisse de 3,7 % par rapport à 2023 en raison de la diminution naturelle du nombre de crédirentiers.

L'activité est stable pour l'indemnisation des orphelins dont les parents ont été victimes de persécutions antisémites, avec un ralentissement du dépôt de nouveaux dossiers.

Quelques nouvelles demandes sont formulées pour l'indemnisation des orphelins dont les parents ont été victimes d'actes de barbarie. Ce dispositif compterait 3 572 crédirentiers fin 2023 et dix nouveaux dossiers de rente sont budgétés en 2024 ainsi que dix dossiers d'indemnisation en capital.

Les demandes d'indemnisation des victimes de spoliations diminuent progressivement, mais quelques nouvelles demandes continuent d'être formulées auprès de la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation (CIVS). Depuis la création du dispositif en 1999 et jusqu'au 30 juin 2023, 22 921 dossiers ont fait l'objet d'une recommandation d'indemnisation à la charge de l'État et 22 790 d'entre eux ont été traités. En 2022, 61 nouveaux dossiers ont été enregistrés : 35 dossiers matériels, 19 dossiers bancaires et 7 dossiers de biens culturels spoliés.

Enfin, le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale comprend deux articles rattachés à la mission qui me semblent pouvoir être approuvés par notre commission.

L'article 50 B étend, pour le calcul des droits à la retraite, la majoration de durée d'assurance de quatre trimestres par période de dix années de service effectif aux fonctionnaires civils de la filière paramédicale du ministère des armées et de l'Institution nationale des invalides dont l'emploi est classé en catégorie active.

L'article 50 C permet, indépendamment de la présence des parents, la prise en charge des billets de train pour le frère ou la soeur des militaires morts pour la patrie, afin de leur permettre de faire un voyage gratuit vers le lieu de l'inhumation organisée par l'autorité militaire.

En conclusion, je vous invite donc à donner un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation » ainsi qu'aux articles 50 B et 50 C qui lui sont rattachés.

Mme Marie-Pierre Richer. - Merci à Jocelyne Guidez pour son travail et son engagement. Au sujet de la loi du 23 février 2022 portant reconnaissance de la Nation envers les harkis, je tiens à saluer l'abondement prévu. Je voudrais également rendre hommage au travail réalisé par la Commission nationale indépendante de reconnaissance et de réparation des préjudices subis par les harkis présidée par Jean-Marie Bockel.

Je souligne que les 45 nouvelles structures pouvant donner droit à réparation ont été retenues grâce au travail de cette commission et, au-delà, du Sénat. Je rappelle que, initialement, cette loi était dénoncée parce que le dispositif était très enserré. Nous avons été ravis de la publication en septembre dernier du décret complétant la liste des structures ouvrant droit à réparation. La commission nationale poursuit son travail : d'autres structures devraient rejoindre le dispositif l'an prochain. Les quatre postes supplémentaires pour l'ONaCVG sont les bienvenus, mais il en faudra certainement d'autres pour traiter les 8 500 dossiers annuels. Je tiens à saluer toutes les personnes qui s'investissent dans cette commission, notamment les historiens.

Mme Émilienne Poumirol. - Le dossier des harkis était difficile, et on n'a pas réussi à aller aussi loin que le voulaient certaines associations concernant le dispositif de réparation. Mais on a avancé et je me réjouis également que le Gouvernement ait élargi la liste des structures pouvant donner droit à réparation, reconnaissant que ces sites n'avaient pas été bienveillants - c'est un euphémisme - envers les harkis, qui méritent notre reconnaissance et non pas un abandon de la part de la France.

Ma question porte sur les orphelins des résistants. Pouvez-vous me confirmer qu'ils ne reçoivent pas d'allocation, contrairement aux orphelins de déportés ?

Mme Jocelyne Guidez, rapporteure pour avis. - Madame Richer, je rejoins vos propos sur les mesures en faveur des harkis. Nous devons poursuivre notre travail, notamment pour les veuves, car il y a toujours des demandes. Cependant, il faut rester prudents face à cette quête de reconnaissance envers ceux qui ont combattu pour la France ou les rapatriés. Les finances publiques ne sont pas extensibles.

Face à la diminution du nombre d'anciens combattants, surtout de la guerre d'Algérie, nous veillons à ce que ce budget ne soit pas diminué. Ce combat, mené par nous tous, quelle que soit notre appartenance politique, a porté ses fruits. C'est la première fois que les moyens financiers sont redistribués.

Je note au demeurant une évolution positive pour les conjoints de militaires. Aujourd'hui, quand un des conjoints décède - les femmes aussi s'engagent, ne l'oublions pas -, le conjoint survivant a droit à une reconversion professionnelle. Il faut dire qu'il est très compliqué de trouver du travail lorsque vous déménagez tous les deux ou trois ans. Il y a eu d'indéniables avancées, ne l'oublions pas, mais elles ont un coût.

Madame Poumirol, le dispositif d'indemnisation des orphelins de parents victimes de persécutions pendant la Seconde Guerre mondiale peut s'appliquer aux orphelins de résistants, dès lors que les critères sont remplis.

Mme Pascale Gruny. - Je remercie Jocelyne Guidez pour son engagement total en faveur du monde combattant. Nous pouvons nous féliciter en effet d'avoir obtenu que les crédits de la mission ne soient pas diminués, ce qui permet de financer certaines actions bienvenues.

Permettez-moi d'évoquer le devoir de mémoire. De nombreux jeunes ont du mal à s'insérer dans la société, il est essentiel d'y consacrer des moyens. Lorsque je prends la parole devant les monuments aux morts, j'exhorte les grands-parents et arrière-grands-parents présents à partager ce devoir de mémoire avec leurs petits-enfants et arrière-petits-enfants qui sont absents. C'est cela qu'on appelle « faire Nation ».

Mme Jocelyne Guidez, rapporteure pour avis. - Vous avez raison, nous avons tous une responsabilité à cet égard. Et je regrette la faible présence des militaires lors des cérémonies devant les monuments aux morts. Or c'est aussi leur devoir.

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Il est regrettable que le rattrapage du point de PMI ne soit pas indexé sur l'inflation. C'est une vraie préoccupation au regard de la pension des retraités, qui est faible, de l'ordre d'un peu plus de 800 euros en moyenne, même si nous pouvons nous féliciter que la loi ait étendu l'an passé l'octroi de la demi-part supplémentaire à tous les veufs et les veuves d'anciens combattants - c'est un combat que nous avons tous mené. Aussi, je déplore que les crédits de ce budget ne soient pas en augmentation.

Mme Jocelyne Guidez, rapporteure pour avis. - On ne peut que rejoindre ce constat. Cependant je tiens à rappeler que la ministre s'est battue pour la revalorisation du point de 1,5 %, pour s'aligner dès 2024 sur l'augmentation du point d'indice des fonctionnaires.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Anciens combattants, mémoire et liens avec la Nation », ainsi qu'aux articles 50B et 50C qui lui sont rattachés.

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