III. LA LENTE FÉMINISATION DE LA SCIENCE MASQUE DES INÉGALITÉS PERSISTANTES ENTRE DISCIPLINES
A. UNE LENTE ET INÉGALE FÉMINISATION DES MÉTIERS DE LA RECHERCHE
En 2020, le Haut conseil à l'égalité déplorait que l'impact des mesures de la LPR sur les femmes n'ait pas été analysé, et qu'une loi de programmation pluriannuelle fasse l'économie d'inscrire l'égalité entre les femmes et les hommes au coeur même de son texte. Trois ans plus tard, la rapporteure a souhaité savoir ce que disent les statistiques relatives à la féminisation des postes de chercheurs.
En France, avec 29 % de femmes parmi les chercheurs, l'enseignement supérieur et la recherche sont toujours marqués par un déséquilibre sexué.
La part des chercheuses dans la recherche publique (40 %) est plus élevée que dans la recherche en entreprise (22 %), et la part de femmes progresse plus fortement dans la recherche publique que dans la recherche privée.
Les femmes dans la recherche en France par secteur institutionnel en 2010 et 2020 |
Source : ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche |
Qui plus est, la part des femmes diminue au fur et à mesure que l'on s'élève dans la hiérarchie des postes académiques : le plafond de verre se maintient à 1,55(*). En 2021, seul un tiers des postes de direction des organismes de recherche était confié à des femmes.
Un tiers des projets déposés auprès de l'ANR dans le cadre de l'AAPG entre 2015 et 2022 a été porté par une coordinatrice. Les biais de genre ne semblent pas avoir d'impact dans le processus d'évaluation des projets de recherche, puisque la proportion des projets déposés pilotés par des femmes est en cohérence avec celle des projets sélectionnés par l'ANR. La rapporteure voit comme un signe d'espoir le fait que c'est au sein de l'instrument Jeune chercheur - jeune chercheuse (JCJC) que la proportion de coordinatrices est la plus importante (36,5 %, contre 20 % pour l'instrument PRME).
Proportion des coordinatrices parmi les projets financés dans l'AAPG 2015-2022
B. UNE RÉPARTITION FEMMES/HOMMES TRÈS DIFFÉRENCIÉE SELON LES DOMAINES SCIENTIFIQUES
Les filles se dirigent moins spontanément vers les filières scientifiques. Si le processus débute très tôt dans la scolarité, c'est entre la fin du collège et le début du lycée que les différences d'orientation prennent forme, puis elles s'accentuent au fil des années d'études. Il existe une inquiétude concernant les viviers dans plusieurs domaines scientifiques (au premier rang desquels les mathématiques, la physique, les sciences de l'ingénieur et du numérique). Avec le nouveau baccalauréat, le nombre des bachelières scientifiques a diminué de 60 % depuis trois ans. Ainsi 69 % des garçons étudient les mathématiques en terminale et seulement 45 % des filles l'an passé. Par ricochet, les classes préparatoires scientifiques sont touchées et les nouvelles classes préparatoires scientifiques accueillent une part de femmes d'environ 13 %, alors qu'elles sont près d'un quart dans les autres filières scientifiques. La rapporteure se félicite que, pour remédier partiellement à ce délaissement des mathématiques, elles aient été réintroduites à la rentrée scolaire 2023 de manière obligatoire en classe de 1ère générale, à raison d'une heure et demie par semaine.
Cette répartition genrée du travail scientifique perdure au-delà des études, dans le milieu de la recherche : les femmes représentent 64 % des enseignants-chercheurs en langue et littérature, mais seulement 14 % des enseignants-chercheurs en mathématiques. Au CNRS, la proportion de femmes est de 49,4 % à l'Institut national des sciences humaines et sociales mais de seulement 19,2 % à l'Institut national des sciences mathématiques. Entre 2015 et 2020, ces différenciations par discipline se sont même légèrement renforcées au sein des organismes de recherche.
De manière analogue, pour les projets sélectionnés à l'AAPG de l'ANR, 46 % des projets en sciences humaines et sociales sont menés par des femmes, contre seulement 16 % pour les projets numériques et mathématiques.
La féminisation des métiers de la recherche semble plus marquée à l'université que dans les six grands établissements publics à caractères scientifique et technologique (EPST6(*)). Au sein de ces derniers, la part des femmes parmi les chercheurs néo-recrutés en 2020 est de 37 %, soit une quasi-stabilité en l'espace de 5 ans (+ 1,5 point). Il semble que cette différence s'explique par la structure des EPST par discipline : les matières dans lesquelles les hommes sont le plus surreprésentés sont aussi celles qui sont le plus étudiées dans les EPST.
La rapporteure a été favorablement impressionnée par la quantité et la qualité des éléments statistiques permettant de mettre en lumière ces inégalités persistantes, ainsi que par la volonté des différents acteurs de la recherche (ANR, ONR, HCERES) de les combattre. L'ANR veille ainsi à ce que la parité dans les comités d'évaluation scientifiques soit recherchée. La mise en place de mentorat pour les doctorantes semble également fructueuse. Il est nécessaire de faciliter la reprise d'activité des chercheuses après un congé maternité, car l'on sait que l'arrivée d'un enfant est une période clé dans l'aggravation des inégalités hommes-femmes. Enfin, une attention particulière doit être accordée à l'évolution des carrières des femmes au sein des ONR afin qu'elles soient accompagnées pour y évoluer au plus haut niveau, et notamment dans les postes de direction.
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La commission de la culture, de l'éducation et de la communication a émis, lors de sa réunion plénière du 16 novembre 2023, un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la recherche dans le projet de loi de finances pour 2024.
* 5 Le plafond de verre dans l'enseignement supérieur dans les pays de l'Union européenne en 2018. Le plafond de verre est encore très présent dans le milieu académique. Le plafond de verre (Glass Ceiling Index, GCI) est un indice relatif comparant par niveau la proportion de femmes avec la proportion de femmes occupant des postes de niveau supérieur. Dans le milieu universitaire, les postes de niveau supérieur (postes de grade A) sont l'équivalent dans la plupart des pays des professeurs titulaires. Un GCI égal à 1 indique qu'il n'y a pas de différence entre les femmes et les hommes quant à la chance d'être promu. Un score inférieur à 1 signifie que les femmes sont plus représentées au grade A que dans le milieu universitaire en général (grades A, B et C). Un score supérieur à 1 signifie que les femmes sont moins représentées au grade A que dans le milieu universitaire en général.
* 6 Les 6 EPST sont le CNRS, l'Inrae, l'Ined, l'Inria, l'Inserm et l'IRD.