EXAMEN EN COMMISSION
JEUDI 16 NOVEMBRE 2023
Mme Laurence Garnier, rapporteur pour avis des crédits de la recherche au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur ». - J'interviens pour la première fois en qualité de rapporteure sur les crédits relatifs à la recherche à la suite de notre collègue Laure Darcos, que je remercie pour la qualité de son travail sur un enjeu aussi complexe que fondamental pour notre pays.
Le budget consacré à la recherche en 2024 est la traduction de la quatrième année de mise en oeuvre de la loi de programmation budgétaire.
Conformément à ses engagements, l'exécutif augmente les crédits du programme 172 « Recherches scientifiques et technologiques pluridisciplinaires » de 347 millions d'euros par rapport à l'année dernière, dont 324 millions au titre du déploiement de la loi de programmation de la recherche (LPR).
Je salue donc le respect des engagements pris par le Gouvernement, tout en regrettant l'affaiblissement structurel de la recherche française.
La crise du covid-19 et l'absence de découverte française d'un vaccin ont joué le rôle d'un électrochoc sur l'état de la recherche en France. Avec l'essor de la Chine, la concurrence scientifique internationale est de plus en plus rude. Et alors que les autres grandes nations scientifiques voient leurs dépenses de recherche et d'innovation augmenter, cette part stagne en France de manière désolante à 2,2 % du PIB depuis des années. Ce taux diminue même légèrement entre 2021 et 2022.
Pour mémoire, l'Allemagne est à 3 % et vise désormais 3,5 %, les États-Unis sont à 2,8 %, Israël et la Corée du Sud au-dessus de 4,5 %. Au-delà de la sphère fondamentale de recherche biomédicale, c'est bien la souveraineté de la France qui est en jeu au travers de la recherche française, qu'elle soit publique ou privée.
Dans le détail, le PLF 2024 autorise, comme en 2023, 650 recrutements supplémentaires dans les métiers de la recherche, dont 200 chaires de professeur junior et 340 doctorants supplémentaires.
Comme nous l'a détaillé la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Mme Sylvie Retailleau, lors de son audition du 7 novembre dernier, le Gouvernement a décidé de prélever sur les fonds de roulement des organismes nationaux de recherche la moitié du montant des augmentations salariales induites par les « mesures Guerini » de juillet 2023.
La ministre nous a assuré que cette mobilisation des fonds propres serait strictement limitée à l'exercice budgétaire 2024 et « tout à fait exceptionnelle » ; cela a néanmoins suscité un certain émoi chez les dirigeants des organismes nationaux de recherche (ONR) et des universités.
Les crédits de paiement accordés à l'Agence nationale de la recherche (ANR) s'élèvent à plus de 1 milliard d'euros pour la deuxième année consécutive. C'est une vraie montée en puissance financière de l'ANR qui lui permet des résultats satisfaisants sur deux points.
D'une part, le taux de succès à l'appel à projets a poursuivi sa progression pour s'établir à 24 % en 2023. Ainsi, ce sont près d'un quart des projets déposés qui se voient accorder un financement après examen par l'ANR. L'objectif fixé par la LPR d'atteindre un taux de succès de 30 % à l'horizon 2027 devrait être atteint sans difficulté. L'aide moyenne attribuée à chaque projet atteint 441 000 euros, soit une augmentation de 30 000 euros par rapport à l'an dernier. Un quart des projets financés par l'ANR a une dimension internationale, un quart fait appel à des financements publics et privés.
D'autre part, le préciput, c'est-à-dire la part des crédits destinés à financer les frais de fonctionnement des organismes abritant les projets de recherche, atteint désormais 24 %. Cela a permis le renforcement du financement des établissements et des laboratoires avec un montant versé d'environ 209 millions d'euros en 2022, contre moins de 100 millions deux ans plus tôt. Conformément à la LPR, le taux de préciput sera porté à 30 % en 2024 et atteindra 40 % d'ici à 2030.
En ce qui concerne l'écosystème de la recherche française, j'ai pu constater sa complexité, avec de multiples strates qui se sont accumulées depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cette complexité et cette opacité sont reconnues, de manière unanime, comme une entrave réelle au bon fonctionnement de l'activité de recherche dans notre pays.
La ministre a missionné, courant 2023, Philippe Gillet et plusieurs experts du monde de la recherche afin qu'ils proposent des pistes de simplification. Ils ont remis leur rapport au mois de juillet dernier. Le Gouvernement a suivi l'une des propositions consistant à adjoindre aux différents organismes de recherche une fonction d'agence de programmes. Concrètement, nos organismes de recherche auraient aussi désormais vocation à coordonner l'activité de l'ensemble des universités et organismes de recherche sur une thématique donnée, dans le but d'améliorer leur coopération et de développer des synergies. Nous attendons des annonces prochaines du Gouvernement sur le sujet.
L'intention de simplification nous paraît louable, mais, outre qu'elle devra être confirmée par des décisions, elle suscite un certain nombre d'interrogations.
Les nouvelles agences de programmes ne sauraient être des alliances thématiques de recherche dont on aurait uniquement changé le nom.
Mises en place depuis plus de quinze ans, ces alliances, qui réunissent plusieurs acteurs publics de la recherche, n'ont eu qu'une activité variable selon les agences, le plus souvent assez limitée faute de moyens dédiés. Je déplore qu'avant d'instituer ces nouvelles agences de programme, aucun bilan n'ait été tiré des quinze ans de fonctionnement des alliances de recherche.
Plutôt que de se cantonner à une simple tâche de coordination, les nouvelles agences devront être au service d'une volonté politique d'axer la recherche sur certains enjeux saillants, à l'instar de ce qu'ont déjà engagé les programmes et équipements prioritaires de recherche (PEPR) pour les dix prochaines années.
La question se pose évidemment de l'articulation des agences de programmes avec les PEPR.
La ministre nous a indiqué que ces agences relèveraient de l'interministérialité. C'est la continuation d'un mouvement commencé avec la mise en place des PEPR, qui ne sont pas financés dans le cadre de la mission « Recherche et Enseignement supérieur », mais par les crédits de France 2030, gérés par le secrétariat général pour l'investissement (SGPI). Il s'agit de montants significatifs, les PEPR sont financés à hauteur de 3 milliards d'euros sur dix ans.
Enfin, nous peinons à comprendre - et c'était également le cas de plusieurs des interlocuteurs que nous avons auditionnés - comment les nouvelles agences de programmes s'articuleront avec les organismes pilotes des PEPR.
La simplification tant espérée reste à démontrer ; les annonces gouvernementales attendues nous permettront, souhaitons-le, d'y voir plus clair sur le sujet.
Dernier point du rapport, nous avons apporté un éclairage spécifique à la question de la féminisation de la recherche.
Lors de l'adoption de la LPR en 2020, le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes (HCE) avait déploré que la féminisation soit l'impensé de la réforme. Trois ans plus tard, seulement 29 % des chercheurs français sont des femmes. La part des chercheuses dans la recherche publique, qui s'élève à 40 %, progresse plus rapidement que celle de la recherche privée, où nous ne sommes qu'à 22 %. Après avoir rapporté il y a deux ans le projet de loi pour l'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes, je note que le plafond de verre auquel elles se heurtaient alors dans un certain nombre de secteurs d'activité se vérifie dans la recherche française.
Je souligne l'importance que chacun des acteurs auditionnés accorde manifestement à ce volet de la féminisation de la recherche.
Les statistiques, rapports et études sont particulièrement riches et chaque structure, qu'il s'agisse de l'ANR, du Haut Conseil de l'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Hcéres) ou du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), s'est dotée de plans en faveur de l'égalité femmes-hommes. L'ANR peut ainsi affirmer que les biais de genre n'ont pas d'impact dans son processus d'évaluation des projets de recherche, puisque la proportion des projets de recherche déposés par des femmes correspond à celle des projets sélectionnés.
Ces inégalités de genre sont évidemment plus marquées dans les domaines des sciences dures : les femmes représentent 64 % des enseignants-chercheurs en langue et littérature, mais seulement 14 % dans le domaine mathématique. On sait que dès l'école primaire les filles se dirigent moins spontanément vers les matières scientifiques que les garçons. Je cite souvent cet exemple d'un exercice identique donnée à deux classes de CE1 : dans la classe où on le présente comme un exercice de dessin, les filles réussissent mieux. Dans la classe où on dit qu'il s'agit d'un exercice de géométrie, ce sont les garçons qui performent.
Avec la réforme du baccalauréat, cette tendance s'est renforcée : l'an dernier, 70 % des garçons étudiaient les mathématiques en terminale contre seulement 45 % des filles. Par ricochet, les classes préparatoires qui forment nos futurs ingénieurs étaient touchées et accueillaient uniquement 13 % de jeunes femmes. Il était donc urgent et impératif de réintroduire les mathématiques de manière obligatoire en classe de première, ce qui a été fait à la rentrée dernière. Mais dans ce domaine, comme dans celui de la recherche française en général, le travail sera long et les marges de progrès sont importantes.
Nous constatons donc le respect de la trajectoire budgétaire fixée par la LPR, et ce dans un contexte extrêmement contraint pour notre pays. Je propose donc à la commission d'émettre un avis favorable sur l'adoption des crédits « recherche » de la mission interministérielle « Recherche et enseignement supérieur » (Mires) du PLF 2024.
M. David Ros. - Je salue la rapporteure pour son travail. Je tiens à souligner que la complexité - pour ne pas dire la perplexité - qu'elle a évoquée est aussi partagée par ceux qui travaillent dans ce milieu sur la question de savoir qui fait quoi et avec quels moyens. Cependant, complexité ne signifie pas inefficacité. Nous devrions recourir plus systématiquement à des critères précis dans l'évaluation, qui n'est pas assez développée, de nos politiques publiques.
Sur la LPR, je constate la volonté d'augmenter les crédits de recherche. Mais c'est tardif par rapport à l'objectif de 2030 : nous devrions déjà être au-dessus des 2 milliards d'euros, au lieu de 1,8 milliard d'euros, sans compter l'inflation. Ce sont des dépenses vertueuses car chaque euro investi dans le monde de la recherche rapporte en retour 4 euros, et un emploi de la recherche aboutit à trois emplois. Ces dépenses sont génératrices de savoirs, de connaissances et d'intelligence.
Sur les huit programmes évoqués, il n'y en a que trois qui sont mis en avant : le programme 172, le programme 193 sur la recherche spatiale - même s'il ne va pas aussi loin que prévu - et le programme 150, sur lequel il est demandé de faire exceptionnellement un effort par rapport au fonds de roulement. Je partage le diagnostic, mais la réponse budgétaire est insuffisante. On regrette que le Président de la République n'ait pas précisé à la suite de ses annonces comment les organismes de recherche allaient être missionnés des différentes politiques en même temps que le budget.
Les attentes en matière de recherche sont importantes, notamment dans les domaines de la santé, de l'intelligence artificielle, du numérique, de l'adaptation aux changements climatiques - je pense notamment à l'évolution des bâtiments. Nous aurions préféré que l'État fasse un effort exceptionnel plutôt que de demander à la recherche de faire exceptionnellement un effort.
Pour toutes ces raisons, notre groupe s'abstiendra, avec vigilance.
M. Jean Hingray. - Je félicite la rapporteure, qui a repris le flambeau de notre excellente collègue Laure Darcos, pour sa présentation. Il est regrettable qu'il y ait trop peu de chercheuses en France. Dans un budget limité au niveau national, les promesses sont plutôt tenues, avec une augmentation sensible dans tous les domaines. Il faut tenir le cap et soutenir le Gouvernement.
Le groupe centriste approuvera donc ce budget.
M. Stéphane Piednoir. - Ce budget nous tient à coeur. Je félicite également la rapporteure pour la rapidité de son immersion dans un écosystème particulièrement complexe. L'investissement dans la recherche est un investissement d'avenir, mais au-delà de l'augmentation substantielle des crédits, qui nous conduit à être plutôt favorables année après année à leur adoption, encore faut-il être sûr de l'efficience de ces investissements.
Aujourd'hui, certains acteurs pointent l'insuffisance du budget. Le Conseil national de l'enseignement supérieur et de la recherche (Cneser) l'a rejeté récemment arguant que les mesures salariales n'étaient pas compensées. J'entends l'engagement de la ministre de cesser ces non-compensations à l'horizon 2025, mais ce n'est qu'une promesse et les organismes de recherche comme les établissements de l'enseignement supérieur doivent fonctionner avec des prélèvements sur leurs fonds propres.
L'efficience passe aussi par une simplification de l'écosystème qui repose aujourd'hui sur la LPR, sur de nombreux appels à projets et sur l'ANR - le bras armé de la recherche dans notre pays, dotée d'un budget de 1 milliard d'euros -, qui les pilote. Envisager la création de nouvelles agences de programmes va à l'encontre de cet objectif de simplification. Avec déjà 1 400 agences dans le pays, cette évolution n'est pas souhaitable.
Il est important de prendre en compte une strate supplémentaire : celle des annonces présidentielles, faites sans coordination avec le ministère de la recherche ou l'ANR. Lorsque le Président de la République promet 1 milliard d'euros d'investissements dans la recherche polaire alors même que nous sommes en pleine discussion budgétaire, le procédé est détestable.
Vous n'avez pas évoqué le statut du doctorant : avez-vous des précisions sur ce point ?
Enfin, à l'heure où l'on veut revaloriser les mathématiques, notamment en direction des filles, j'en appelle à un effort terminologique : qualifions les sciences dites « dures » de sciences exactes et expérimentales, à l'instar des sciences humaines et sociales que personne ne songerait à appeler les sciences « molles ».
M. Laurent Lafon, président. - Ces questions de terminologie sont sensibles, car les sciences humaines peuvent elles-mêmes être exactes...
Je m'associe au propos élogieux de Stéphane Piednoir à votre égard, madame Darcos.
Mme Laure Darcos. - Je vous remercie, madame la rapporteure, d'avoir abordé avec beaucoup d'intérêt et de clairvoyance ces sujets. Je remercie mes collègues pour leurs mots à mon égard - j'ai laissé à regret le suivi des crédits « recherche » !
Je note que la clause de revoyure de la LPR souhaitée par la ministre Retailleau est en train de s'éloigner à grands pas. Notre seule marge de manoeuvre consiste à essayer de resserrer la durée de dix ans. Souvenez-vous, mes chers collègues, que nous avions failli ne pas avoir de commission mixte paritaire (CMP) conclusive car nous voulions une durée de sept ans pour la LPR. Nous avions heureusement pu doubler l'abondement de l'ANR, ce qui était impératif car, en 2017-2018, avant l'arrivée de Thierry Damerval, le taux de réussite des appels à projets n'était que de 12 à 13 %, même parfois moins, contre 24 % aujourd'hui. Aujourd'hui, l'idéal serait de contraindre Bercy à continuer à abonder les prochaines années pour atteindre un budget plus significatif sur sept ans. On en est encore loin, en biosanté notamment.
Je vous remercie d'avoir évoqué la place des femmes dans les sciences. J'ai enfin obtenu que la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes fasse un rapport sur ce sujet !
M. Pierre Ouzoulias. - Merci, madame la rapporteure, pour la qualité de votre travail. C'est un dossier sensible qui, malheureusement, ne passionne pas la Nation. Je ne comprends pas comment l'Allemagne peut afficher, dans un parfait consensus politique, des ambitions aussi élevées - 3,5 % du PIB investis dans la recherche et l'innovation -, alors que la France stagne à 2,2 % depuis des années. La recherche est indispensable pour mener à bien la conversion économique que nous devons engager.
Vous l'avez dit, l'écosystème de la recherche est d'une extrême complexité, comme l'a montré le rapport Gillet - même si, de façon tout à fait paradoxale, il « rajoute une couche ». Si l'on se penche sur les grandes agences qui lancent des appels à projets, on est frappé par cette stratification : le Conseil européen de la recherche au niveau européen, l'ANR et France 2030. Ce dernier dispositif permet d'octroyer près de 1 milliard d'euros à la recherche. Hormis la présence de notre collègue Sonia de La Provôté dans le comité de surveillance, notre commission n'a pas beaucoup de moyens lui permettant d'évaluer France 2030. Je pense notamment à une annonce de Bruno Bonnell, qui dirige ce dispositif, sur l'utilisation future de l'intelligence artificielle pour sélectionner les dossiers des chercheurs. Et maintenant on rajoute une nouvelle strate, l'agence de programmes.
Le quotidien d'un chercheur aujourd'hui est partagé entre les réponses aux appels à projets et l'évaluation de ses collègues. Nous sommes face à une énorme bureaucratie - c'est comme le Gosplan soviétique qu'évoquait Max Brisson précédemment - qui nourrit des agences d'évaluation comme le Hcéres. Quand le CNRS recrute des chercheurs, il attire les meilleurs au monde, en particulier en sciences humaines et sociales (SHS), avec 50 % de candidatures internationales. Ces chercheurs, recrutés pour leur excellence, découvrent ensuite qu'ils n'ont pas de budget pour leurs travaux, les contraignant à courir après des financements.
Le rapport Gillet préconise une mesure judicieuse : accorder une enveloppe financière aux jeunes chercheurs recrutés pour une période de trois ans, équivalente à celle attribuée aux chaires de professeur junior. Malheureusement, de plus en plus d'universités et d'établissements de recherche ont des pratiques discutables, telles que l'utilisation du préciput pour leur fonctionnement, faisant pression sur les chercheurs pour qu'ils répondent aux appels à projets.
La simplification des unités mixtes de recherche (UMR), réclamée par le rapport Gillet, nécessite des moyens supplémentaires pour permettre aux universités de gérer plus efficacement les crédits extérieurs. Nous constatons des dérives inquiétantes, certaines universités incitant les chercheurs à créer leur association pour les financer sur factures, voire à adopter le statut d'autoentrepreneur. La Cour des comptes devrait peut-être se pencher sur ces expérimentations budgétaires qui me semblent souvent en marge de la légalité.
Je suis tout à fait d'accord avec une réforme de la recherche, réforme qui n'a pas été portée par la LPR mais qu'il faut bâtir avec les chercheurs. La captation des fonds de roulement par Bercy a eu un effet désastreux sur ces derniers, leur donnant l'impression qu'il s'agissait d'une compensation pour la LPR.
Je ne voterai donc pas ce budget.
M. Laurent Lafon, président. - Pour information, nous avions contacté Bruno Bonnell avant l'été, mais il n'avait pas été en mesure de répondre à notre invitation.
Mme Mathilde Ollivier. - Je remercie également Mme la rapporteure, qui a évoqué la part de la recherche dans le PIB - avec un taux de 2,2 %, nous sommes en dessous de la plupart des grandes Nations. L'enjeu est pourtant majeur pour faire des progrès décisifs dans différents domaines, comme le numérique, la transition énergétique, la santé. Le taux de 3 % du PIB est un objectif européen que la France devrait respecter.
La revalorisation des salaires des doctorants et post-doctorants est nécessaire, mais il faut également travailler sur leur statut pour freiner leur expatriation - les conditions de travail étant plus favorables à l'étranger en termes de moyens et de mise à disposition d'équipements de haute technologie. Dans le domaine de la santé par exemple, les États-Unis et le Canada sont très attractifs.
Concernant l'égalité femmes-hommes dans le domaine de la recherche, la distribution genrée aux différents échelons de responsabilité doit être examinée, notamment chez les professeurs ou les présidents d'université ; après le doctorat, les femmes ont-elles les mêmes possibilités d'évolution de carrière ?
Compte tenu de ces remarques en demi-teinte, nous nous abstiendrons sur le rapport et sur le budget.
Mme Sonia de La Provôté. - Je félicite Mme la rapporteure pour son travail.
Se pose en réalité la question de l'efficience et de l'optimisation du budget et celle de la prise de décision stratégique. Car il faut définir des priorités, et lorsque la stratégie n'est pas définie de manière collégiale cela soulève un problème démocratique. Des happy few décident de la destinée de la recherche dans notre pays.
La complexité de l'écosystème nous défavorise dans la compétition internationale pour l'innovation, et les brevets qui en découlent. La création d'agences de programmes dont on ne connaît pas les orientations suscite des préoccupations. Exiger une coconstruction, impliquant le Parlement, est essentiel pour assurer la transparence.
Certes, le budget suit la trajectoire, mais on ne voit pas clairement à quoi il sera utilisé de façon efficiente.
La question de l'interaction avec la recherche privée doit également nous interpeller. La situation en France diffère de celle de pays comme les États-Unis, où la recherche privée contribue à parité aux grands choix stratégiques. Cela soulève des questions sur notre capacité à prendre des risques : il est bien normal que lorsque le secteur public accompagne, on veuille limiter la prise de risques. Mais en termes d'innovation, c'est un désavantage.
Notre outil, le crédit d'impôt recherche (CIR), est absent de ce budget, alors que les grands laboratoires estiment qu'il représente un avantage compétitif certain. Les laboratoires s'engagent largement dans le rachat de start-up qui ont assumé les risques avec l'aide de l'État, et ils en retirent les bénéfices avec des productions rentables. L'accompagnement par le CIR se fait sans contrepartie, et sans vision stratégique ou organisationnelle.
Mme Laurence Garnier, rapporteure pour avis. - La complexité de l'écosystème, source de perplexité pour nombre d'entre nous, est vraiment préoccupante en termes d'efficience des crédits de recherche. Nous nous interrogeons sur les agences de programmes, cette couche supplémentaire censée améliorer les choses - nous en saurons peut-être plus dans les jours qui viennent.
La répartition des compétences est un autre sujet de préoccupation. Le CNRS pourrait avoir la responsabilité de la biodiversité et l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) celle des forêts, ce qui suscite la perplexité des acteurs de la recherche.
Des questions se posent sur la délimitation entre le financement par appel à projets et le financement structurel de la recherche. Nous sommes allés au bout d'une logique dont on voit les limites en termes d'efficacité administrative et financière.
Concernant la compensation des augmentations du point d'indice, les détails restent en suspens. Cependant, le rapport insiste sur l'engagement de la ministre à ne faire de cette solution qu'une mesure ponctuelle pour 2024, sans reconduction, pour ne pas obérer les capacités de financement de la recherche à long terme.
Je ne peux répondre à la question sur le statut des doctorants, qui n'est pas abordée dans le document budgétaire.
Je salue la nouvelle d'un rapport à venir de la Délégation aux droits des femmes sur la place des femmes dans les sciences « exactes et expérimentales ». (Sourires.) Nous avons aujourd'hui 49 % de doctorantes, mais, pour répondre à Mathilde Ollivier, la question des parcours des femmes au sein des organismes de recherche est complexe. Antoine Petit, directeur du CNRS, soulignait la nécessité d'encourager activement leur participation à des postes de responsabilité car elles ne se sentaient spontanément pas légitimes à briguer ces postes.
J'évoque pour terminer les annonces présidentielles faites un peu ex nihilo, notamment pour ce qui concerne la recherche polaire. Il s'agirait de rebâtir une station en Antarctique et de construire un navire capable de manoeuvrer au travers des glaces, qui devrait prendre le nom de Michel Rocard. Nous n'en savons guère plus pour le moment !
Mme Laure Darcos. - Nous nous étions retrouvés dans la même situation l'année dernière : en pleine discussion budgétaire, l'Institut polaire français Paul-Émile Victor (Ipev) avait sollicité un soutien du Gouvernement et nous avions dû valider in extremis des crédits pour lui éviter de mettre la clé sous la porte. Le Gouvernement a sans doute préféré, cette année, assurer ses arrières et conserver cette politique de recherche polaire.
Mme Laurence Garnier, rapporteure pour avis. - En tout état de cause, des annonces portant notamment sur la structuration de l'écosystème devraient être faites dans les semaines à venir. La ministre s'est, quant à elle, engagée à venir dresser un bilan de la LPR au début de l'année 2024.
La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits relatifs à la recherche au sein de la mission « Recherche et enseignement supérieur » du projet de loi de finances pour 2024.