EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 16 octobre 2024 sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a examiné le rapport pour avis de M. Vincent Delahaye sur le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale de l'année 2023.

M. Claude Raynal, président. - Nous passons à l'examen du projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale (PLACSS) de l'année 2023.

M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - Cette deuxième édition constitue le pendant pour les comptes sociaux de ce que représente la loi d'approbation des comptes de l'État. Comme l'année dernière, la commission des finances s'est saisie pour avis de ce texte afin de donner son appréciation de la situation de la sécurité sociale en 2023.

Comme pour l'examen de la loi de règlement, l'examen du PLACSS survient bien tard dans l'année, le calendrier ayant été bousculé par la dissolution de l'Assemblée nationale. Nous disposons ainsi déjà du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, dont les comptes participent de l'état catastrophique des finances publiques en France, avec un déficit anticipé à 18 milliards d'euros en 2024 et à 16 milliards d'euros en 2025.

Or cette situation n'est pas nouvelle. La situation financière de la sécurité sociale était déjà mauvaise en 2023, comme le démontre ce projet de loi. Il a d'ailleurs été rejeté par l'Assemblée nationale, après un rejet de chacun de ses articles en commission.

L'article liminaire vise l'approbation des recettes, des dépenses et du solde des administrations de sécurité sociale (Asso) au sens de la comptabilité nationale. Si le solde est légèrement positif, à hauteur de 0,5 % du produit intérieur brut, c'est en trompe-l'oeil : le périmètre des Asso comprend en effet les recettes de la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) à hauteur de 18 milliards d'euros, alors que ces recettes sont destinées au remboursement de la dette sociale. Sans la Cades, les comptes des Asso seraient en déficit de 5,1 milliards d'euros.

L'article 1er, qui présente les comptes des régimes obligatoires de base de la sécurité sociale et du fonds de solidarité vieillesse (FSV), confirme la situation financière dramatique de la sécurité sociale, dont le déficit total s'élève à 10,8 milliards d'euros, essentiellement porté par la branche maladie et par la branche vieillesse. Même s'il a diminué de 9 milliards d'euros par rapport à 2022, il demeure très inquiétant parce qu'il reflète un déséquilibre structurel entre les dépenses et les recettes.

Les deux explications habituellement apportées au déficit des administrations publiques en 2023, soit les crises sanitaire et inflationniste, ne permettent pas de justifier la situation des comptes de la sécurité sociale. En effet, d'une part, en 2023, les dépenses liées à la crise du covid n'ont été que de 1 milliard d'euros, contre 12 milliards en 2022 - pour information, au total, la crise du covid aura coûté 50 milliards d'euros à la sécurité sociale entre 2020 et 2023.

D'autre part, l'inflation, à hauteur de 4,9 % en 2023, ne constitue pas non plus une explication satisfaisante, car elle a un effet à la hausse aussi bien sur les recettes que sur les dépenses. Malgré une dynamique plus faible de la hausse des recettes que de celle des dépenses sous l'effet de l'inflation, le différentiel ne justifie pas un déficit de 10,8 milliards d'euros.

Or l'état des comptes de la sécurité sociale est d'autant plus inquiétant qu'il devrait continuer à s'aggraver dans les années à venir, s'établissant selon les prévisions à 18 milliards d'euros en 2026 et 17,2 milliards d'euros en 2027. Mais ces prévisions sont sous-estimées parce qu'elles se fondaient sur une hypothèse de croissance de 1,4 % en 2024, alors qu'il est probable que la croissance ne s'élève qu'à 1,1 %, d'après les dernières estimations de l'Insee.

L'explosion des déficits de la sécurité sociale implique bien entendu une hausse très forte de la dette sociale, qui s'élevait à 161,7 milliards d'euros en 2023 - 41 % de plus qu'en 2019 - portée en majeure partie par la Cades, qui, malgré sa gestion satisfaisante, n'a pu trouver à financer la dette qu'à des taux de 2,3 % en mai 2023, contre 0,8 % en mai 2022. Le coût de la dette sociale pourrait donc être encore aggravé dans les années à venir.

De plus, la loi organique du 7 août 2020 ne prévoyait une reprise de la dette par la Cades que de 136 milliards d'euros, un montant déjà atteint en 2024 : aucun nouveau transfert de dette à la Cades n'est donc possible à partir de 2025 sans une nouvelle loi organique. Cela ne serait toutefois pas souhaitable, car cela validerait la pérennisation d'une dette sociale extrêmement élevée. Il est surtout urgent de baisser structurellement les déficits de la sécurité sociale, pour éviter la poursuite de l'accumulation de la dette.

Le déficit élevé était lié en 2023 en partie à des recettes moins importantes que prévu, et pour l'essentiel à des dépenses en hausse structurelle.

Si les recettes ont augmenté de 4,8 % entre 2022 et 2023, elles sont inférieures de 2,3 milliards d'euros aux prévisions présentées par le Gouvernement dans le PLFSS pour 2024. Une telle erreur dans les prévisions de recettes, alors qu'une partie d'entre elles a déjà été recouvrée, est particulièrement surprenante et questionne quant à la fiabilité des prévisions - elle est d'autant plus sujette à caution que la Cour des comptes a refusé pour la seconde année consécutive de certifier les comptes de la branche famille et de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf).

Les dépenses ont augmenté de 3,1 % entre 2022 et 2023, et même de 5 % si l'on exclut les dépenses dues à la crise du Covid. Or elles sont liées essentiellement à la branche maladie et à la branche vieillesse.

Le déficit de la branche maladie est particulièrement inquiétant. L'objectif national de dépenses de l'assurance maladie (Ondam) pour 2023 a été dépassé de 3,7 milliards d'euros essentiellement à cause de la revalorisation du point d'indice de la fonction publique et du Ségur de la santé, qui, avec ses hausses de salaire non financées, a entraîné 13,4 milliards d'euros de dépenses supplémentaires. L'Ondam augmente tendanciellement chaque année d'environ 5,4 % depuis 2019. En 2024, la hausse prévue par la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) était de 2,9 %, mais a été révisée à 3,3 % pour 2024 et à 2,8 % pour 2025. Les dépenses de la branche maladie ne sont donc pas du tout maîtrisées, et son déficit devrait se maintenir à des niveaux élevés, proches de 15 milliards d'euros jusqu'en 2027 au moins.

Le poids de la branche retraite dans les déficits de la sécurité sociale augmentera dans les années à venir, avec un déficit de 6,3 milliards d'euros en 2024 et de 6,1 milliards d'euros en 2027, selon le PLFSS pour 2025. La revalorisation de 5,3 % des pensions de retraite explique pour partie la hausse des déficits en 2024, mais aussi la situation de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL), dont le déficit s'élevait en 2023 à 2,5 milliards d'euros et qui s'aggravera fortement dans les années à venir, représentant par exemple près de 4 milliards d'euros en 2024, à tel point que le Gouvernement envisage d'augmenter les cotisations des employeurs - collectivités et hôpitaux.

En résumé, on a : des recettes plus faibles que prévu, des dépenses mal maîtrisées en constante augmentation, un solde qui demeure fermement négatif, un endettement social inédit et un refus par la Cour des comptes de certifier les comptes de la branche famille et de la Cnaf. Dans ces conditions, je vous propose que la commission des finances se prononce défavorablement sur le projet de loi d'approbation des comptes de la sécurité sociale pour 2024.

M. Jean-François Husson, rapporteur général. - Ni Vincent Delahaye ni moi-même ne pouvons nous habituer à la non-certification des comptes de la sécurité sociale par la Cour des comptes. Une hausse des dépenses accompagnée d'une évolution des recettes qui ne suit pas, voire de leur baisse, c'est intenable. Il faut y mettre fin. Je partage donc l'avis du rapporteur.

M. Michel Canévet. - Quels effets aurait le rejet de ce projet de loi sur les comptes de la sécurité sociale ?

Pourquoi comptabilise-t-on les recettes de la Cades, destinées à financer une dette passée, dans le solde positif des Asso ?

Les dépenses sociales ont beaucoup augmenté, mais l'insatisfaction grandit dans le pays. Comment arrive-t-on à une si mauvaise allocation des moyens ?

M. Rémi Féraud. - Sans partager tout votre argumentaire, nous voterons nous aussi contre ce texte. L'année 2024 ne sera-t-elle pas encore plus cruelle ? Combien pèsent les augmentations d'exonérations non compensées ? Il est parfois difficile de faire le tri entre celles qui sont compensées et celles qui ne le sont pas.

M. Christian Bilhac. - Je regrette, année après année, qu'aucune réforme d'ampleur de la sécurité sociale ne soit envisagée. On se contente de traitements homéopathiques consistant à dérembourser tel ou tel médicament... C'est du bricolage ! La sécurité sociale ressemble à une feuille morte balayée par le vent.

La CNRACL a été ponctionnée plusieurs années durant. Ayant été maire, je me souviens de ses alertes concernant le départ à la retraite des gros contingents recrutés dans les années 1980 à la suite des grandes lois de décentralisation. De quel montant ont été ces ponctions, et quelle est leur part dans le déficit actuel ? Autrement dit, sans ces prélèvements, serait-elle autant montrée du doigt aujourd'hui ?

Mme Nathalie Goulet. - Ma question est simple : où en est la lutte contre la fraude ?

M. Michel Canévet. - Excellente question !

M. Jean-Marie Mizzon. - Je me pose la même question que M. Bilhac : quid du déficit de la CNRACL sans les ponctions du passé ?

M. Vincent Delahaye, rapporteur pour avis. - Le rejet de ce projet de loi n'aura aucun effet.

C'est une convention comptable qui considère la Cades comme une administration de sécurité sociale depuis 2005. Ses dépenses de remboursement de la dette ne figurent pas dans le solde alors que ses recettes l'améliorent artificiellement, pour des raisons comptables.

L'année 2024 sera-t-elle plus cruelle ? Oui, je le pense, puisqu'on anticipe un déficit de 18,5 milliards d'euros sans les nouvelles mesures possibles du PLFSS et que cela peut encore se dégrader.

Les exonérations pèsent 89 milliards d'euros, dont 80 milliards non compensées.

Les ponctions sur la CNRACL s'élèvent au total à plus de 100 milliards d'euros, prélevées au titre de la compensation démographique depuis 1974. On pourrait considérer que les régimes qui en ont bénéficié pourraient les rembourser. Il est en tout cas injuste d'augmenter le point d'indice, les cotisations des collectivités et ensuite de leur reprocher une augmentation de leurs dépenses.

Nous n'avons pas de bilan de la lutte contre la fraude, ce qui est regrettable. Le refus de la Cour des comptes de certifier les comptes des branches maladie et famille montre qu'il y a un enjeu. La part des prestations discutables ou sur lesquelles portent des erreurs non détectées augmente, passant de 7,1 % à 7,4 % - sans doute le signe qu'on les suit de plus près. Mais je suis incapable de dire si elles sont corrigées ou non. J'en saurai plus dans quelque temps.

La commission a émis un avis défavorable à l'adoption du projet de loi.

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