II. DES DÉPENSES SOCIALES EN BERNE...
Globalement, l'essentiel des baisses de crédits a porté sur les dépenses sociales. Nous avons regroupé sous cette qualification relevant des actions suivantes :
· les bourses scolaires et l'aide à la scolarisation des élèves en situation de handicap (environ 20 000 boursiers),
· les aides sociales, attribuées à trois types de public : les Français à très faibles revenus âgés de plus de 65 ans ou handicapés, les enfants en détresse et enfin les citoyens en difficulté temporaire,
· subventions aux organismes locaux d'entraide et de solidarité (OLES),
· subventions aux centres médico-sociaux situés à Pékin, en Afrique et dans l'océan Indien,
· soutien au tissu associatif des Français de l'étranger (STAFE).
Dépense |
Nb bénéf. |
Crédits LFI 2024, |
Crédits PLF 2025, |
Variation |
Bourses scolaires +AESH |
26 996 |
118 |
113,5 |
-3,8 % |
Aides sociales |
4 246 |
16,2 |
15,2 |
-6,2 % |
OLES |
91 associations |
1,4 |
1,2 |
-14,2 % |
Centres médico-sociaux |
7 associations |
0,25 |
0,22 |
-12 % |
STAFE |
198 associations |
2 |
1,6 |
-20 % |
Au total, ces baisses sont peu importantes en volume, à l'exception de la réduction du montant des bourses scolaires, mais le public concerné est très réduit, ce qui rend l'impact de ces mesures d'autant plus fort.
1. Aides sociales : il n'y a plus de marge
En loi de finances initiales pour 2024, le montant des aides sociales directes, qui recouvre notamment l'allocation de solidarité (AS), l'allocation adultes handicapés (AAH), l'allocation enfants handicapés (AEH) et le secours mensuel spécifique enfants (SMSE), avait simplement été reconduit sans tenir compte de l'inflation, ce que les rapporteurs avaient déploré.
En réalité, le montant prévu en loi de finances initiale n'est pas égal au montant effectivement versé aux bénéficiaires. Après application de la réserve de précaution de 5,5% en 2024, le montant des crédits disponibles s'élevait à 15,3 millions d'euros ; mais les conseils consulaires pour la protection et l'action sociales (CCPAS) ayant fait remonter des besoins supérieurs, cette enveloppe a été abondée d'une partie du reliquat non consommé du dispositif STAFE - environ 120 000 euros. Au total, ce sont donc 15,4 millions d'euros d'aides directes qui ont été notifiés.
Ce montant est à comparer avec les 15,2 millions prévus au PLF pour 2025 - alors que rien ne laisse penser que le nombre de bénéficiaires diminuera : ce nombre s'est stabilisé entre 2023 et 2024, à 4 246 (pour 4 309 dossiers déposés en 2023 et 4 320 en 2024). Si, selon les documents transmis par le gestionnaire du programme, le transfert du reliquat du STAFE a permis d'éviter une baisse de 1% du taux de base1(*), le risque n'est donc pas à écarter pour le prochain exercice : les crédits du dispositif STAFE sont en baisse de 400 000 euros.
Le responsable du programme se montre optimiste quant à l'évolution des besoins. Les allocations assujetties au taux de base (comme l'AAH ou l'ASPA) ont été supprimées pour les Français résidant au sein de l'Union européenne ; la prestation d'assistance consulaire, versée en substitution, a été mise en extinction.
Le responsable du programme fait également valoir que les aides sociales versées aux Français de l'étranger sont des « mesures gracieuses »2(*), la loi ne fixant en la matière aucune obligation : l'article L121-10-1 du code de l'action sociale et des familles précise simplement que le secours et l'aide aux publics en difficulté relèvent de l'État3(*). Dont acte, mais il serait regrettable, aux yeux des rapporteurs, que nos compatriotes les plus fragilisés soient les premières victimes de la rigueur budgétaire.
Le STAFE : un substitut à la réserve parlementaire
Annoncé le 15 mars 2018 par le secrétaire d'État chargé du commerce extérieur, du tourisme et de la francophonie, le dispositif de soutien au tissu associatif des Français de l'étranger (STAFE) avait pour objet de combler un manque : alors que la loi de finances initiale pour 2018 prévoyait, pour remplacer la réserve parlementaire4(*), un abondement de 50 millions d'euros à la dotation d'équipement des territoires ruraux et une dotation de 25 millions d'euros pour la vie associative, rien n'avait été prévu pour les Français de l'étranger.
Le STAFE bénéficie aux projets d'associations à vocation caritative, culturelle, éducative ou socio-économique répondant aux critères suivants :
- le projet doit être au bénéfice des Français de l'étranger,
- le budget de l'association doit être inférieur ou égal à 1 million d'euros,
- la subvention demandée doit être inférieure à la moitié du coût du projet (avec une exception pour les associations au budget inférieur à 10 000 euros),
- la subvention doit être inférieure à 25 000 euros.
Les crédits du STAFE ont été fixés en 2018 à 2 millions d'euros ; il s'agit donc de la première baisse appliquée à ce dispositif.
Concernant cette diminution, le gestionnaire du programme fait valoir une sous-utilisation du dispositif, comme pour les OLES et pour les CMS. Concernant les OLES, en 2024, pour un budget alloué en LFI de 1,4 million d'euros, 91 associations ont été subventionnées, pour un montant de 1,2 million d'euros. Concernant les centres médico-sociaux, « seuls 7 CMS ont déposé un dossier de demande de subvention en 2024 (contre 9 en 2023) pour un montant total de 212 500 euros »5(*).
2. Les bourses scolaires : une enveloppe en baisse, répondant à la baisse du nombre de boursiers
L'enveloppe disponible pour les bourses scolaires destinées aux élèves du réseau AEFE est regroupée, avec l'enveloppe réservée à l'aide à la scolarisation des élèves en situation de handicap (AESH), au sein de l'action 2 « Accès des élèves français au réseau de l'AEFE et à la langue française ».
a) Un mécanisme complexe
Le mécanisme d'attribution et de versement des bourses scolaires pour les élèves du réseau présente des particularités qui rendent assez complexe le suivi budgétaire des évolutions ; en effet, les bourses sont attribuées au cours de deux commissions annuelles, pour le « rythme Nord » adossé au calendrier de l'hémisphère Nord (septembre-juin) et le « rythme Sud » (février-décembre). Si l'enveloppe dégagée s'avère insuffisante, il est possible de débloquer en fin de gestion les crédits de la réserve de précaution, fixée à 5,5 % du montant total des crédits pour 2024.
Il faut y ajouter la contribution progressive de solidarité (CPS), mécanisme d'écrêtage introduit en 2012 afin de faire en sorte que le montant de bourses distribué entre dans l'enveloppe prévue. Il consiste en un prélèvement appliqué de façon dégressive aux bénéficiaires. Fixé à 2 points6(*), il a été porté à 7 points en 2023, ce qui a suscité l'incompréhension des parents bénéficiaires. En 2024, la baisse du nombre de boursiers a permis de ramener la CPS à deux points.
Enfin, la fongibilité entre cette enveloppe et celle de l'AESH (voir plus loin) complique la lisibilité budgétaire du dispositif.
Le remplacement du logiciel Scola de traitement des demandes de bourses par Scolaide, déployé à titre expérimental dans neuf pays, devrait toutefois fluidifier ce traitement, mais aussi faciliter les extractions de données.
b) Une enveloppe au plus juste
Pour 2025, l'enveloppe des bourses scolaires est de 111,5 millions d'euros, contre 118 millions dans la LFI pour 2024. Ce montant est à peu près égal à l'enveloppe qui restait disponible en 2024 après application de la réserve de précaution (5,5 %). Cette diminution est justifiée, dans les documents transmis par le gestionnaire du programme, par une baisse très marquée du nombre de boursiers, passé de 24 810 en 2022/2023 à 20 575 en 2023/2024, soit une diminution de 17 %.
Pôle |
2020/2021 |
2021/2022 |
2022/2023 |
2023/2024 |
2024/2025 |
Nombre d'élèves boursiers |
29 713 |
29 061 |
24 810 |
20 575 |
Chiffre connu en déc.2024 |
Nombre total d'élèves dans le réseau AEFE |
357 989 |
376 895 |
387 593 |
392 303 |
399 000 |
Quoi qu'il en soit, cette baisse pourrait s'expliquer, selon l'AEFE, par une instruction plus rigoureuse des dossiers : dans certains postes, après un certain desserrement pendant la période covid, une véritable enquête est menée sur le niveau de vie des demandeurs. Cela pourrait dissuader, notamment, les potentiels bénéficiaires de quotités réduites de déposer un dossier, au vu de la lourdeur de la procédure. Cette hypothèse est notamment confirmée par l'évolution du nombre de dossiers déposés, qui baisse beaucoup moins que le nombre de bourses accordé : de 28 327 à 26 996, soit -4,7%. Le responsable du programme pointe également une révision en 2024 du barème de calcul de l'indice du coût de la vie.
Néanmoins, la baisse marquée de l'enveloppe de bourses allouée pour 2025 laisse craindre une sous-budgétisation qui pourrait entraîner un relèvement de la CPS, une possibilité qui n'a pas été écartée dans les réponses fournies aux rapporteurs. Cette solution, à long terme, n'est pas souhaitable au vu des incompréhensions qu'elle suscite chez les parents bénéficiaires.
L'enveloppe AESH
Une enveloppe est prévue pour l'accompagnement des enfants à besoins éducatifs particuliers dans le réseau AEFE. Elle finance le recrutement, assuré par les parents eux-mêmes, d'un accompagnant pour leurs enfants.
Initialement allouée aux seuls élèves boursiers, cette enveloppe a été ouverte à l'ensemble des élèves du réseau en 2021. Cela a naturellement entraîné une augmentation des demandes, au fur et à mesure que se diffusait la connaissance du dispositif : 249 en 2022, 300 en 2023, 440 en 2024. Il est apparu, en 2024, que le budget de 1,5 millions d'euros prévu pour les AESH était insuffisant ; aussi une somme de 1 million d'euros a-t-elle été prélevée sur l'enveloppe des bourses scolaires.
Malgré cela, le budget prévu pour 2025 n'est que de 2 millions d'euros, alors que l'augmentation des demandes, au vu de l'extension du dispositif, est une quasi-certitude. De plus, la diminution de l'enveloppe des bourses scolaires laisse penser que le prélèvement effectué en 2024 pour abonder l'enveloppe AESH ne sera plus possible.
3. La CFE : un besoin toujours réel
Les rapporteurs s'étaient penchés, dans leur avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2024, sur le financement de la catégorie dite « aidée » des cotisants à la Caisse des Français de l'étranger (CFE)7(*).
Créée en 2002, la catégorie « aidée » regroupe les adhérents dont les ressources sont inférieures à environ 22 000 euros annuels, soit la moitié du plafond de la Sécurité sociale. La participation de l'État à cette prise en charge, sous forme d'un « concours », est actée par l'article L766-9 du code de la sécurité sociale. Initialement, elle était intégrale, mais à partir de 2010 l'État, constatant que la CFE était bénéficiaire, l'a réduite. Elle a été fixée en 2016 à 380 000 euros.
Or cette participation représente une part de plus en plus faible du coût de la prise en charge qui, lui, est en augmentation. Le nombre des adhérents de cette catégorie, dont l'âge moyen est de 67 ans, reste stable (entre 2000 et 2200), mais le différentiel entre le tarif normal et le tarif aidé augmente, le premier restant stable, et le second étant lié à l'âge moyen des adhérents qui est en augmentation. En 2023, le coût était de 4,3 millions d'euros (voir tableau).
A ce déficit s'ajoute celui des contrats dits « Ex », ceux des adhérents n'ayant pas basculé dans la tarification par tranches d'âge adoptée en 2019. Par définition vieillissante, cette population voit en outre l'augmentation de ses tarifs plafonnée à 50%. En conséquence le déficit lié à cette catégorie adhérents s'alourdit, jusqu'à atteindre 11 millions d'euros.
Contrainte d'augmenter les tarifs des nouvelles adhésions pour financer ces déficits, la CFE risque d'attirer les personnes non assurables dans le privé, alourdissant ainsi ses coûts.
L'État a pris l'habitude de compléter en fin de gestion la participation votée en LFI grâce au reliquat de fonds disponible au ministère (voir tableau). C'est l'option qui sera prise en 2024, le gestionnaire du programme indiquant que « la contribution totale qui sera effectivement versée cette année [...] sera ainsi arrêtée lors de la fin de gestion 2024, au regard des crédits d'aide sociale non consommés éventuellement disponibles. »
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
|
Coût global |
3 661 123 € |
3 794 556 € |
3 942 943 € |
4 351 318 € |
Subvention de l'État |
964 800 € |
500 000 € |
764 800 € |
700 000 € |
Financement par la CFE |
2 696 323 € |
3 794 056 € |
3 178 143 € |
3 651 318 € |
Nombre de contrats |
2 133 |
2 188 |
2 203 |
2 138 |
Coût par contrat |
1 715 € |
1 735 € |
1 790 € |
2 035 € |
Source : DFAE, réponse au questionnaire budgétaire
Les rapporteurs jugent cette solution insuffisante, car comme il a été démontré plus haut, les marges de manoeuvre sur les crédits de l'aide sociale tendent à disparaître. Ils avaient fait adopter par le Sénat un amendement, cosigné avec les rapporteurs du programme 105, pour doubler la contribution de l'État en loi de finances initiale. Le Gouvernement s'en était remis à la sagesse du Sénat, acceptant par surcroît de lever le gage sur la contribution de la France aux organisations internationales - avant de revenir sur sa position en ne le retenant pas dans le texte adopté selon la procédure de l'article 49.3.
Les rapporteurs ont donc proposé à la commission de l'adopter à nouveau dans le projet de loi de finances pour 2025.
D'une manière générale, les rapporteurs observent que les dépenses sociales, au sein de ce programme, souffrent d'une sous-budgétisation relative que le gestionnaire tend à compenser en fin de gestion grâce à des transferts de fonds. Mais cette pratique, si elle peut offrir une certaine souplesse, devient dangereuse dans le double contexte de forte contrainte budgétaire, où les marges de manoeuvre en fin de gestion tendent à disparaître.
* 1 Le taux de base correspond au plafond de revenus au-delà duquel un Français n'est pas éligible à l'aide sociale consulaire. Il est calculé en fonction du pays et nécessite des actualisations annuelles prenant en compte le coût de la vie, l'inflation, l'évolution du taux de change, etc.
* 2 Idem.
* 3 « Les actions menées à l'égard des Français établis hors de France en difficulté, en particulier les personnes âgées ou handicapées, relèvent de la compétence de l'État.
Ces personnes peuvent bénéficier, sous conditions, de secours et aides prélevés sur les crédits d'assistance aux Français établis hors de France du ministère des affaires étrangères, et d'autres mesures appropriées tenant compte de la situation économique et sociale du pays de résidence. »
* 4 Supprimée par la loi pour la confiance dans la vie politique du 15 septembre 2017.
* 5 Réponse de la DFAE au questionnaire adressé par les rapporteurs.
* 6 C'est-à-dire que les bénéficiaires d'une quotité inférieure à 80% du coût de la scolarité se voyaient retirer 2 points de quotité ; le taux prélevé sur les bénéficiaires de 80 à 99% est inférieur, et les bénéficiaires de la quotité à 100% en sont exemptés.
* 7 Créée en 1978, la CFE est un organisme de sécurité sociale de droit privé chargé d'une mission de service public dont la vocation est d'offrir aux Français de l'étranger une protection sociale équivalente à celle dont ils bénéficieraient en France. Un autre service offert par la CFE est, au retour en France, le prolongement de la couverture soins pendant les trois mois correspondant au délai de carence avant l'affiliation au régime obligatoire.