EXAMEN EN COMMISSION
Au cours de sa réunion du mercredi 20 novembre 2024, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 151 - Français à l'étranger et affaires consulaires.
M. Ronan Le Gleut, rapporteur. - Le programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires », dont Guillaume Gontard et moi sommes les co-rapporteurs, prend sa part du nécessaire redressement de nos finances publiques. À périmètre égal, ses crédits sont en effet en baisse de 3,9 millions d'euros à périmètre égal, soit 2,4% environ.
Au sein du programme cependant, les contrastes sont forts, car la baisse est très inégalement répartie - mon collègue Guillaume Gontard reviendra plus en détail sur les aides sociales et l'aide à la scolarité. En revanche, l'effort de modernisation des services rendus aux Français à l'étranger, à travers plusieurs programmes structurants, est pleinement financé, ce dont il faut se féliciter.
Ces programmes structurants sont au nombre de trois.
D'abord, la mise en place du service France consulaire, plateforme centralisée de réponse téléphonique aux demandes des usagers du réseau consulaire, doit s'achever en 2025. Les téléconseillers apportent une réponse qui porte notamment sur la délivrance de passeports ou les actes d'état-civil.
Ainsi, France Consulaire décharge les services consulaires de la quasi-totalité des demandes téléphoniques, tout en étant plébiscité par les usagers, avec un taux de satisfaction de plus de 90%, grâce à une base de données alimentée en temps réel qui permet d'apporter des réponses pertinentes et localisées aux demandes. La plateforme, que nous avions visitée l'an dernier dans ses locaux de La Courneuve, est en cours de relocalisation à Nantes, auprès des services du ministère de l'Europe et des affaires étrangères.
Ce service couvre aujourd'hui 71 pays ; à la fin de l'année 2025, il devrait couvrir l'ensemble du monde, ce qui implique notamment une extension des horaires, des recrutements pour répondre à l'augmentation attendue des demandes et un étoffement de la base de données de réponses. Pour cette extension, les crédits alloués au projet sont portés de 3,8 à 5,9 millions d'euros, soit une augmentation très substantielle.
Deuxième projet important, le vote par internet, adopté par plus de 70 % des Français de l'étranger lors des élections législatives anticipées. Là encore les crédits sont en hausse, avec 850 000 euros en autorisations d'engagement et 1,15 million d'euros en crédits de paiement contre 750 000 euros dans la loi de finances initiale pour 2024. Ils financeront notamment la mise en place éventuelle d'une solution d'identité numérique, pour remplacer l'authentification par identifiant et mot de passe.
Enfin, le projet de registre d'état civil électronique (RECE), engagé en 2018, sous la forme d'une expérimentation, par la loi pour une société de confiance, se voit doté de 3,3 millions d'euros contre 900 000 euros l'année dernière. Je m'y arrêterai plus longuement, car c'est un projet à la fois précurseur et emblématique pour l'administration consulaire.
Le traitement des actes d'état-civil repose sur quatre composantes : l'établissement, la mise à jour, la délivrance et l'archivage.
Depuis mars 2021, le service central de l'état-civil (SCEC) peut délivrer des copies ou extraits d'actes portant une signature électronique, sans version papier, ce qui implique des délais de traitement considérablement réduits : jusqu'à 30 jours dans certains postes pour le format papier, 4 jours en format électronique. La délivrance électronique est dans le droit commun depuis juin 2024.
Les premiers actes du registre d'état civil électronique ont quant à eux été établis le 18 janvier 2024 ; enfin, la première mise à jour électronique a été effectuée au mois de juin.
2025 sera l'année de la montée en puissance pour ces deux fonctions d'établissement et de mise à jour, d'où la très forte augmentation du budget. Le projet devrait être mené à son terme en 2026, avec l'achèvement de l'archivage électronique.
Le programme, lancé sous forme d'une expérimentation dans la loi pour une société de confiance, dite Essoc, en 2018, avait pris beaucoup de retard, au point qu'il a fallu une disposition dans la loi 3DS, en 2022, puis une loi ad hoc en juin 2024, pour prolonger l'expérimentation. Ces délais s'expliquent notamment par le covid et la mobilisation non anticipée des équipes sur la plateforme de naturalisation en ligne.
Aujourd'hui, le projet approche de son rythme de croisière. Le taux de satisfaction des usagers est de 96% ; les demandes sont quasiment traitées en flux, de quoi susciter l'envie de beaucoup d'administrations...
De plus, l'économie liée au registre d'état-civil électronique est estimée à 1,3 millions d'euros par an, essentiellement en frais de courrier mais aussi en ETP : la dépense liée à ces projets est donc bien un investissement pour l'avenir.
Ces trois projets illustrent bien le caractère pionnier de notre administration consulaire, que ce soit pour le vote pour internet ou la délivrance électronique des actes, qui à terme devrait s'imposer dans l'ensemble de nos services. J'ai pu me rendre compte, lors de ma visite du site de Nantes où ces projets sont conçus et conduits, de l'implication de nos agents et de leur volonté de les mener à bien.
C'est pourquoi nous vous recommandons d'approuver les crédits du programme 151, car ils financent des projets d'utilité publique non seulement pour les Français à l'étranger, mais aussi pour tous nos concitoyens.
Je cède maintenant la parole à mon co-rapporteur, Guillaume Gontard, qui abordera les aides sociales et les aides à la scolarité.
M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Il faut en effet se féliciter de la poursuite de l'effort de modernisation engagé par la direction des Français à l'étranger et des affaires consulaires. En revanche, si nos compatriotes de l'étranger seront mieux servis par notre administration dans leurs démarches quotidiennes, cet effort s'est fait au détriment des dépenses sociales en leur faveur.
Pour rappel, les aides sociales directes aux Français de l'étranger relèvent d'un cadre différent de celles dont bénéficient les résidents français. Elle est régie par l'article L121-10-1 du code de l'action sociale et des familles, qui n'impose à peu près aucune obligation à l'État : il dispose simplement que les Français établis hors de France en difficulté, en particulier les personnes âgées ou handicapées, « peuvent bénéficier, sous conditions, de secours et aides prélevés sur les crédits d'assistance aux Français établis hors de France du ministère des affaires étrangères, et d'autres mesures appropriées tenant compte de la situation économique et sociale du pays de résidence. »
L'aide sociale distribuée à nos compatriotes en difficulté, qui comprend notamment l'allocation de solidarité, l'allocation adultes handicapés (AAH), l'allocation enfants handicapés (AEH) et le secours mensuel spécifique enfants (SMSE), s'inscrit donc dans un cadre très vague qui laisse à l'Etat une grande marge de manoeuvre budgétaire. Elle est ainsi en baisse de 1 million d'euros dans le PLF 2025, à 15,2 millions d'euros, après avoir été simplement reconduite l'an dernier malgré l'inflation - et alors même que l'enveloppe votée en 2024 a dû être abondée en gestion pour faire face aux besoins.
Le responsable du programme 151 justifie cette coupe par une baisse du nombre d'allocataires, passé de 4 320 en 2023 à 4 245 en 2024, et par une réduction du périmètre des allocations, certaines d'entre elles n'étant plus versées aux Français résidant dans l'Union européenne. Toutefois, les incertitudes de l'économie mondiale comme du contexte géopolitique laissent craindre une aggravation, plutôt qu'une amélioration de la situation de nos compatriotes.
Des baisses similaires ont été appliquées au dispositif de soutien au tissu associatif des Français de l'étranger (STAFE), créé en 2018 pour remplacer la réserve parlementaire, dont l'enveloppe passe de 2 millions à 1,6 million d'euros, et aux organismes locaux d'entraide et de solidarité (OLES), dont les crédits sont réduits de 1,4 à 1,2 million d'euros. Enfin, les crédits aux centres médico-sociaux implantés dans les pays dont les structures sanitaires sont moins développées sont eux aussi en baisse.
Dans ces trois cas, le responsable du programme met en avant une diminution des demandes d'aide de la part des structures concernées. Or cette baisse peut certes témoigner de la bonne santé des associations, mais elle peut tout aussi bien refléter une dévitalisation du tissu associatif au sein de la population des Français de l'étranger, qui n'est certainement pas un motif de satisfaction.
L'enveloppe des bourses scolaires destinées aux élèves du réseau AEFE, qui constitue la plus grande partie des crédits de ce programme, est-elle aussi en diminution, de 118 millions à 111,5 millions d'euros. Là encore, la justification apportée est une baisse du nombre de boursiers, qui selon la direction des Français à l'étranger et des affaires consulaires et l'AEFE serait multifactorielle - l'un des facteurs retenus est la plus grande rigueur apportée au traitement des dossiers et au contrôle du niveau de vie des demandeurs. Cette interprétation serait confirmée par la disparité croissante entre les dossiers instruits et les bourses accordées : 28 000 dossiers instruits pour 24 000 boursiers en 2022/2023, 27 000 dossiers instruits pour 20 000 boursiers en 2023/2024. Là encore, c'est une logique quelque peu malthusienne qui semble prévaloir : le nombre total d'élèves au sein du réseau est en constante augmentation, ce dont on ne peut que se réjouir, mais celui des élèves français stagne, et celui des boursiers est en très forte baisse.
Enfin, il faut revenir sur la situation de la Caisse des Français de l'étranger, sur laquelle nous avions déjà alerté l'an dernier. Organisme de droit privé à mission de service public, la CFE joue un rôle important auprès des Français établis hors de France, car elle leur assure une protection sociale équivalente à celle de la Sécu. Mais le déficit de la Caisse s'est creusé ces dernières années, en partie à cause du financement de la catégorie dite « aidée », constituée des adhérents aux ressources les plus limitées, qui bénéficient d'un tarif préférentiel. Le coût de ce dispositif va en augmentant : en 2024, il a coûté 4,3 millions d'euros à la Caisse. Or le concours de l'État a été fixé à 380 000 euros en 2016, et il n'est complété que par de modestes abondements de fin de gestion.
Avec mon co-rapporteur et les rapporteurs du programme 105, que nous remercions de leur concours, nous déposerons, comme l'année dernière, un amendement pour doubler le concours de l'État à la CFE. C'est à la fois symbolique, car il est important que l'État prenne sa part dans la solidarité due à nos compatriotes de l'étranger les plus défavorisés, et plus lisible d'un point de vue budgétaire.
L'an dernier, le Sénat avait voté cet amendement, avec une sagesse du Gouvernement qui avait même levé le gage. Malheureusement, ce dernier a ensuite changé de position en ne le retenant pas lors de l'adoption finale du budget par le 49.3. Espérons que le Gouvernement fera preuve de davantage de cohérence cette année.
M. Olivier Cadic. - Le Pass éducation langue française (PELF) était doté d'un million d'euros de crédits dans la loi de finances pour 2024, mais il n'y a plus de crédits dans le projet de loi de finances pour 2025. Cet argent a-t-il été utilisé ? Le PELF est destiné à apprendre notre langue à un public d'enfants français qui ne le parlent.
M. Guillaume Gontard, rapporteur pour avis. - Le PELF est une expérimentation. Il nous a été indiqué qu'elle n'avait pas encore réellement commencé. Par conséquent, l'évaluation, qui suit nécessairement l'expérimentation, n'a pas encore pu être réalisée et les crédits n'ont pas été reconduits.
M. Ronan Le Gleut, rapporteur pour avis. - Le PELF a été renommé « Pass enfance langue française ». Il y avait une certaine incohérence, sous son intitulé d'origine, à l'affilier au programme 151 et non au programme 185 « Diplomatie culturelle et d'influence ». La solution trouvée a été de s'appuyer sur les instituts français et l'Alliance française. Seule une partie des crédits ayant été consommés, la mise en oeuvre de l'expérimentation se poursuit dans quatorze pays pilotes.
Nous vous proposons de voter l'amendement présenté par Guillaume Gontard et moi-même, et cosigné par les deux rapporteurs pour avis du programme 105, Jean-Baptiste Lemoyne et Valérie Boyer. Il s'agit d'un transfert de 380 000 euros destiné à abonder le financement de la catégorie aidée des adhérents de la CFE prélevé sur l'action n°05 « Contributions internationales » du programme 105. Le même amendement a été adopté par le Sénat l'année dernière.
La commission a adopté à l'unanimité l'amendement visant à transférer 380 000 euros du programme 105 « Action de la France en Europe et dans le monde » vers le programme 151 « Français à l'étranger et affaires consulaires ».
M. Cédric Perrin, président. - Je vous remercie.
La commission a donné à l'unanimité un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 151.