II. DES CRÉDITS EN HAUSSE POUR LES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES MAIS UN GEL DES EFFECTIFS QUI RENDRA PLUS DIFFICILE L'ATTEINTE DES OBJECTIFS DE PERFORMANCE
Le programme 165 finance l'activité du Conseil d'État et des 51 juridictions administratives non spécialisées (9 cours administratives d'appel (CAA) et 42 tribunaux administratifs (TA), dont 31 situés dans l'Hexagone et 11 en outre-mer), ainsi que la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) et la Commission du contentieux du stationnement payant (CCSP).
A. UNE ACTIVITÉ CONTENTIEUSE QUI POURSUIT SA TENDANCE HAUSSIÈRE
1. Les juridictions administratives non spécialisées ont maintenu des délais de jugement satisfaisants malgré la croissance des saisines
Comme le relève le Vice-président du Conseil d'État, Didier-Roland Tabuteau, dans la présentation stratégique du projet annuel de performances du programme 165, la juridiction administrative fait face à une « forte progression des entrées contentieuses » qui s'observe « depuis plusieurs années ».
L'année 2023 confirme cette tendance haussière, puisque les juridictions administratives non spécialisées ont été saisies de 298 489 affaires, dont 86,2 % devant les tribunaux administratifs, soit une hausse de 6,1 % par rapport à 2022. Si l'activité contentieuse s'est avérée stable au Conseil d'État (saisines en diminution de 2 %), elle a crû substantiellement dans les CAA et les tribunaux administratifs, respectivement de 3,7 % et de 6,7 % en un an. Sur une période de dix ans (2013 - 2023), l'activité contentieuse des tribunaux administratifs affiche une considérable hausse de 47 %, et celle des CAA de 10 %.
L'augmentation des entrées contentieuses a eu pour corollaire u accroissement des sorties, notamment à la suite d'une mobilisation des magistrats administratifs que le rapporteur souhaite saluer. Ainsi, les sorties ont été supérieures aux entrées au Conseil d'État comme dans les CAA, permettant de réduire sensiblement le stock des affaires en cours, respectivement de 3,4 % et de 1,9 %. Quant aux tribunaux administratifs, malgré un nombre de décisions rendues en hausse de 4,7 %, qui démontre une activité soutenue de la part des juges administratifs, le stock s'est accru de 7 % et atteint 214 292 affaires. Au total, pour l'ensemble des juridictions administratives non spécialisées, le stock d'affaires en cours s'élève à 247 800, en hausse de 5,6 % sur un an et de 18,1 % depuis 2019. Toutefois, la proportion d'affaires enregistrées depuis plus de deux ans reste modérée, à 1,8 % pour le Conseil d'État, 4,6 % pour les CAA et 12 % pour les tribunaux administratifs.
En effet, malgré une activité contentieuse qui croît plus rapidement que les effectifs des juridictions administratives (voir infra), le rapporteur note avec satisfaction que les délais de jugement se maintiennent à des niveaux qui respectent assez largement les objectifs fixés par le législateur dans la loi d'orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 20027(*), à savoir un an. Le délai moyen de jugement des affaires est ainsi inférieur à un an pour les trois catégories de juridictions administratives non spécialisées, et apparaît en baisse pour le Conseil d'État et les CAA, les tribunaux administratifs affichant une stabilité. Il convient toutefois de noter que ces délais incluent les procédures d'urgence telles que les référés.
Activité contentieuse des juridictions administratives non spécialisées
2022 |
2023 |
|||||||
Saisines |
Décisions rendues |
Stock |
Délai de jugement |
Saisines |
Décisions rendues |
Stock |
Délai de jugement |
|
Conseil d'État |
9 772 |
9 833 |
5 387 |
7 mois et 14 jours |
9 574 |
9 746 |
5 205 |
7 mois et 8 jours |
Cours administratives d'appel |
30 446 |
31 981 |
28 845 |
11 mois et 18 jours |
31 586 |
32 144 |
28 303 |
11 mois et 16 jours |
Tribunaux administratifs |
241 187 |
232 332 |
200 093 |
9 mois et 20 jours |
257 329 |
243 089 |
214 292 |
9 mois et 20 jours |
TOTAL |
281 405 |
274 146 |
234 325 |
- |
298 489 |
284 979 |
247 800 |
- |
Source : commission des lois, sur la base des documents budgétaires
2. L'année 2024, une année de transformation majeure pour la CNDA en raison de l'application de la loi « immigration » du 26 janvier 2024
La Cour nationale du droit d'asile, juridiction spécialisée dont le Conseil d'État assure la gestion, a été profondément affectée par la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, à travers deux principales mesures :
- la généralisation du principe du juge unique ;
- la territorialisation de son prétoire.
Le rapporteur a pu constater sur place, aussi bien au siège de la CNDA, à Montreuil, que lors d'un déplacement à Bordeaux, que ces deux mesures ont été mises en place avec célérité et laissent augurer des résultats plutôt positifs. Concernant la généralisation du principe du juge unique, les nombreux juges interrogés par le rapporteur ont considéré que cette mesure n'avait affecté qu'à la marge leur office, les décisions rendues par un juge unique étant déjà une pratique courante avant la réforme et les cas plus sensibles restant jugés en formation collégiale. Elle ne soulève donc pas de difficulté particulière sur le terrain.
La territorialisation a été également menée promptement, les premières audiences déconcentrées ayant pu se tenir dès le mois de novembre 2024 pour les 5 premières chambres créées (deux à Lyon, une à Nancy, une à Toulouse et une à Bordeaux). Deux autres chambres territoriales doivent être ouvertes en septembre 2025, à Marseille et à Nantes. Le rapporteur a pu constater, pour ce qui concerne la chambre territoriale de Bordeaux, qui est sise au siège de la CAA, que les locaux étaient adaptés à l'activité juridictionnelle et que les agents sur place semblaient satisfaits. Le coût total - 1 million d'euros - de l'installation de ces 7 chambres territoriales, qui se fait par ailleurs à effectif constant, apparaît raisonnable, puisque peu de travaux ont dû être engagés. Le rapporteur note toutefois que cette territorialisation rend partiellement obsolète le déménagement du siège national de la CNDA, estimé à 100 millions d'euros. S'il est prévu de louer les locaux désormais en surplus à une autre administration, le Conseil d'État n'a pas été en mesure d'indiquer au rapporteur si des administrations avaient effectivement fait part d'un intérêt pour cette opération.
Par ailleurs, si la territorialisation permet certes de rapprocher le justiciable du juge de l'asile, il convient de faciliter la mise en place d'un vivier local d'interprètes, pour fluidifier l'organisation des audiences, d'une part, et pour éviter des coûts significatifs de prise en charge du transport et du logement, d'autre part. D'après les informations transmises par le Président de la CNDA au rapporteur, Mathieu Herondart, des travaux en ce sens sont en cours, notamment auprès des barreaux concernés. À la date de novembre 2024, seule la chambre territoriale de Lyon serait toutefois en mesure de s'appuyer sur un vivier local d'interprètes suffisamment fourni.
Ressort des chambres territoriales de la CNDA (2024)
Source : Cour nationale du droit d'asile
Ces deux mesures ont été mises en oeuvre dans un contexte de stabilisation de l'activité juridictionnelle de la CNDA, après toutefois plusieurs années de forte hausse. En 2023, la Cour a ainsi été saisie de 64 685 recours et a rendu 66 358 décisions, dans un délai moyen d'un peu plus de 6 mois. Cela représente une hausse des entrées de 5% sur un an, et de 6 % pour les sorties. Malgré cette hausse des entrées, le stock global, à 26 132 affaires en cours, était en baisse de 6 % au 31 décembre 2023. L'année 2024 laisserait cependant apparaître une stabilisation des entrées, le Président, Mathieu Herondart, ayant indiqué au rapporteur qu'il estimait que le nombre total de saisines de la CNDA serait vraisemblablement en dessous de 60 000 affaires en 2024. Sauf évènement géopolitique majeur, le rythme « de croisière » de la CNDA semble ainsi avoir été atteint, autour des 60 000 affaires.
3. Les difficultés croissantes CCSP, une juridiction composée de 15 magistrats qui représente à elle seule un tiers des entrées contentieuses de la juridiction administrative
Créée en 2018 à la suite de la dépénalisation du stationnement payant, la Commission du contentieux du stationnement payant - qui deviendra, à partir du 1er janvier 2025, le Tribunal du stationnement payant - était initialement dimensionnée pour traiter approximativement 100 000 affaires par an. En 2023, elle a enregistré 171 961 requêtes et a rendu 130 753 décisions, dans un délai moyen de 20 mois et 18 jours. Tous ces indicateurs sont en forte hausse par rapport à 2022 : les entrées sont en augmentation de 5,2 %, les sorties de 18,2 % et le délai moyen de jugement a crû d'un mois en un an. Le nombre de requêtes enregistrées par la CCSP représente ainsi 32,4 % des saisines totales de la juridiction administrative8(*), et ce alors que la CCSP n'est composée que de 15 magistrats, épaulés par approximativement 150 personnels de greffe.
Pour l'année 2024, la Présidente de la CCSP, Fabienne Billet-Ydier, a indiqué au rapporteur que le nombre de requêtes enregistrées devrait vraisemblablement atteindre voire dépasser 220 000, soit une augmentation vertigineuse de 28 % en un an.
Bien qu'en 2023 les sorties aient augmenté plus fortement que les entrées, grâce aux importants efforts consentis par les personnels de la CCSP et à l'amélioration marginale des procédures, les sorties restent tout de même à un niveau bien inférieur aux entrées, avec un différentiel de 40 000 affaires, soit 30 % de la capacité de jugement de la CCSP sur un an. En conséquence, le stock d'affaires en cours continue de croître et atteint désormais des niveaux qui interrogent sur la viabilité de l'ensemble du système de traitement du contentieux du stationnement payant : au 31 décembre 2023, 224 367 requêtes restaient à traiter, soit davantage que le stock d'affaires en cours de l'ensemble des juridictions administratives non spécialisées (214 000, voir supra). Pour 2024, le stock d'affaires en cours devrait atteindre 310 000, une hausse de presque 50 % en un an.
Source : réponse écrite du Conseil d'État au questionnaire du rapporteur
Cette hausse importante trouve principalement sa source dans le recours de plus en plus fréquent des collectivités territoriales à la « lecture automatisée des plaques d'immatriculation » (LAPI) et dans l'abrogation, par le Conseil constitutionnel9(*), de l'article L. 2333-87-5 du code général des collectivités territoriales, qui subordonnait tout recours contentieux à l'obligation du paiement préalable du forfait de post-stationnement et, le cas échéant, du titre exécutoire.
Dans l'attente d'une solution législative qui n'a pas trouvé son terme à la suite du retrait de l'ordre du jour du Sénat, à la demande du Gouvernement, de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative au contentieux du stationnement payant10(*), le rapporteur appelle de ses voeux, a minima, un renforcement des effectifs de la juridiction, quitte à procéder à des réaffectations au sein du corps des magistrats administratifs, compte tenu du gel des effectifs annoncé (voir infra), et de ses outils et applications informatiques, qui pourraient davantage intégrer des solutions d'intelligence artificielle, par exemple pour identifier plus rapidement les dossiers incomplets.
* 7 Loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice.
* 8 Cette part a été calculée en ajoutant, au dénominateur, le nombre de saisines des juridictions administratives non spécialisées, le nombre de recours devant la CNDA et le nombre de requêtes enregistrées par la CCSP.
* 9 Décision n° 2020-855 QPC du 9 septembre 2020.
* 10 Texte n° 162 (2023 - 2024), transmis au Sénat le 5 décembre 2023.