N° 150

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2024

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2025,

TOME VI

ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

Par M. Louis VOGEL,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, MM. Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, MM. Georges Naturel, Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 324, 459, 462, 468, 471, 472, 486, 524, 527, 540 et T.A. 8

Sénat : 143 et 144 à 150 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

Le budget de l'administration pénitentiaire devrait s'établir en 2025 à 5,24 milliards d'euros, contre 5 milliards d'euros (5,003 milliards) en 2024. Ce niveau historique résulte d'une augmentation des crédits de 4,8 % par rapport à 2024.

Cette augmentation est doublement importante. D'une part, par rapport à l'augmentation de 1,5 % du budget en 2024 ; d'autre part, par rapport à l'augmentation globale du budget de la justice, telle qu'elle figure dans le projet initial, qui est de 1,1 %.

Le gouvernement présente la perspective budgétaire pour 2025 comme la poursuite de la modernisation du service public pénitentiaire. De fait, les crédits du titre 2 (dépenses de personnel hors pension) augmentent de 40 millions d'euros au profit de la mise en oeuvre de la réforme de la filière de surveillance et de la création de 349 emplois supplémentaires.

Ces perspectives budgétaires, quoiqu'importantes eu égard à la situation actuelle des finances publiques, ne permettent cependant pas de faire face aux défis auxquels est confrontée l'administration pénitentiaire.

Par ailleurs, le présent budget ne répond pas suffisamment aux impératifs de financement de milieu ouvert et aux ambitions d'une déclinaison de sanctions pénales adaptées.

La situation politique est l'occasion de redéfinir les priorités de ce programme et notamment la nécessaire réorientation du programme 15 000.

Sur la proposition du rapporteur, Louis Vogel, la commission a néanmoins émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire » inscrits au projet de loi de finances pour 2025

I. UN BUDGET INADAPTÉ À LA CRISE QUE CONNAÎT L'ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

A. UNE CRISE CONJONCTURELLE ET STRUCTURELLE

L'administration pénitentiaire fait face, selon le diagnostic posé par les autorités elles-mêmes, à une crise d'une ampleur inconnue depuis 1946.

Cette crise repose sur quatre facteurs.

Le premier est à l'évidence la surpopulation carcérale : au 1er octobre 2024, 79 631 personnes détenues pour environ 62 000 places opérationnelles. En pratique, 3 600 à 4 000 détenus dorment par terre chaque nuit dans les prisons françaises.

Le deuxième est l'évolution de la population incarcérée : les personnes impliquées dans la criminalité organisée y tiennent une part de plus en plus nombreuse. Environ 15 000 détenus le sont en lien avec le narcotrafic.

Le troisième est le nombre trop faible d'agents, qui conduit à un taux de couverture insuffisant de la population carcérale. Il y a actuellement 30 600 agents de surveillance au sein de l'administration pénitentiaire ; ce nombre est doublement insuffisant. D'une part, au regard de l'organigramme de référence, qui, s'il était respecté, aboutirait à 2 600 postes supplémentaires pour couvrir les besoins de surveillance de 60 000 détenus avec des personnels travaillant 39 heures par semaine. Insuffisant d'autre part, et peut-être surtout, au regard de la réalité de la situation, qui conduit l'administration à estimer que ce ne sont pas 2 600 mais 6 000 postes qui lui manquent. La création de 349 nouveaux postes, même portée à 528, prévue en 2025 paraît donc être un minimum qui ne permettra pas de combler les manques ni, surtout, de développer des missions rendues nécessaires par l'évolution de la population carcérale, comme le renseignement pénitentiaire.

Le quatrième facteur est l'inadaptation du budget, qui vient aggraver les trois premiers. Le rapporteur estime en effet que le budget de l'administration pénitentiaire ne lui donne pas les moyens d'effectuer les recrutements et investissements nécessaires pour envisager une sortie de crise, à moins d'engager dès à présent des réorientations structurelles. À l'urgence de régler la situation pour 2024 s'ajoutent des questions stratégiques pour 2025.

Les gels de crédits (AE et CP) survenus depuis février 2024 s'élèvent à près de 17 % du budget de l'administration pénitentiaire. Or celui-ci est très rigide, avec des dépenses contraintes à près de 85 %, ce qui est d'autant plus problématique qu'il est largement exposé à l'inflation. Les auditions conduites par le rapporteur ont montré les effets concrets de ces gels sur les établissements pénitentiaires, dont certains ne peuvent assurer de paiements au-delà des dépenses courantes depuis septembre. Le dégel partiel des crédits pour 2024 apparaît donc comme une nécessité.

L'annonce le 31 octobre 2024 que la réduction prévue du budget de la mission « Justice » pour 2025 serait moitié moins importante que prévue (250 millions d'euros) offre la perspective de donner de nouvelles marges de manoeuvre à l'administration pénitentiaire, sous réserve de la répartition de ces nouveaux crédits entre les programmes. Pour autant, l'administration a tout autant besoin d'une réorientation des crédits que d'un abondement afin de faire face à la difficulté première du moment, la surpopulation carcérale, dont elle doit assumer les conséquences sans pouvoir agir sur les causes. Il convient en effet de rappeler qu'avec un taux de 390 personnes placées sous main de justice pour 100 000, la France est l'un des pays d'Europe pour lesquels ce taux est le plus élevé, avec la Moldavie, la Pologne et la Bulgarie.

Plusieurs études, dont celle de la Cour des Comptes parue en octobre 20231(*), ont montré que la justice pénale française prononce des peines plus lourdes et plus longues que par le passé, avec un recours croissant à l'incarcération. Parallèlement, les mécanismes de sortie de prison, dont la réduction des peines et les aménagements de peines, ont été profondément déstabilisés par les réformes récentes, accentuant les difficultés à donner du sens à la peine et à effectuer le suivi des détenus. Confirmant le constat posé en 2023, les auditions du rapporteur montrent que la surpopulation carcérale entraîne la saturation de l'ensemble des dispositifs orientés vers la réinsertion, dont les SAS et la semi-liberté, par des détenus dont le profil est inadapté à ces structures.

Or, comme l'ont rappelé avec force l'ensemble des acteurs entendus par le rapporteur, l'administration pénitentiaire est tenue d'exécuter les décisions d'incarcération prises par les magistrats, quel que soit son taux de saturation. Le rapporteur souligne donc que le budget de l'administration pénitentiaire, qui doit être tourné vers sa mission première de favoriser la réinsertion et par là de prévenir la récidive et la réitération, ne peut atteindre cet objectif que dans le cadre d'une politique pénale cohérente qui permette de rompre avec l'idée que l'enfermement est la sanction la plus adaptée, les autres sanctions possibles étant toujours considérées comme insuffisantes.

B. PROTÉGER LES PERSONNELS DE L'ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

Les personnels de l'administration pénitentiaires sont, avec les détenus, les premiers exposés à la crise que connaît l'administration pénitentiaire. Le constat partagé tant par l'administration elle-même que par la contrôleure générale des lieux de privation de liberté est que la promiscuité liée à la surpopulation entraîne l'augmentation de la violence et des agressions. Elle entraîne donc l'impossibilité pratique de gérer la détention autrement que de manière sécuritaire et réduit l'accompagnement et la réinsertion qui font à la fois le sens de la peine et celui du métier.

L'emprise de la criminalité organisée expose également les personnels au risque de menaces et pressions sur eux-mêmes et leurs familles ainsi qu'à celui de la compromission et de la corruption. L'administration pénitentiaire a connu, le 14 mai 2024, un drame lors de l'attaque d'un convoi pénitentiaire à Incarville (27). Cette attaque a entrainé le décès de deux agents pénitentiaires, trois autres étant blessés, dont deux grièvement.

Un protocole d'accord a été signé le 21 mai 2024 entre le Garde des Sceaux, alors Éric Dupond-Moretti, et les organisations syndicales représentatives des personnels, comprenant 33 mesures pour empêcher qu'un tel événement se reproduise. Les auditions conduites par le rapporteur au moment des négociations avaient montré l'ampleur des attentes. La commission ne peut donc que se féliciter que la mise en oeuvre des mesures de renforcement de la sécurité des agents pénitentiaires soit une priorité de l'administration pénitentiaire et trouve sa traduction dans le budget pour 2025. En effet, tant les achats de véhicules que les achats d'équipements ont été engagés avec rapidité par l'administration pour un déploiement rapide auprès des équipes. Les moyens de visioconférence dans les établissements et l'aménagement permettant la tenue d'audiences dans les établissements ont également été développés et continueront à l'être en 2025 afin de limiter les extractions judiciaires2(*).

Plus largement, l'action de « garde et de contrôle des personnes placées sous main de justice », qui représentait un peu plus de la moitié des crédits en 2024, en représentera en 2025 près des trois quarts. Cette action recouvre la majeure partie des frais de personnels (près de 2,36 milliards d'euros) et les investissements bâtimentaires (sécurisation, travaux d'entretien et construction de nouvelles places de prison). Il s'agit de limiter les échanges non autorisés avec l'extérieur, afin notamment d'empêcher les détenus de conduire leurs activités criminelles depuis la prison. Au-delà des mécanismes classiques « anti-projection », deux types d'outils sont financés par le budget pour 2025 : les dispositifs anti-drones et les brouilleurs de téléphones portables. Malgré une volonté de déploiement rapide de ces derniers, qui devraient être au nombre de 60 fin 2024, de nombreuses difficultés se posent, dont la nécessité de disposer de technologies capables d'entraver effectivement les communications, nonobstant les progrès en matière de téléphonie et de réseaux, mais aussi, pour les prisons situées en ville, de prendre en compte l'impact du brouillage sur le voisinage.

II. UNE NÉCESSAIRE RÉORIENTATION DES CRÉDITS CONSACRÉS À L'IMMOBILIER PÉNITENTIAIRE POUR GARANTIR LA DIGNITÉ DES CONDITIONS DE DÉTENTION ET UNE MEILLEURE ADAPTATION DES PEINES

A. UN TOURNANT POUR LE PLAN 15 000

Source : commission des lois, à partir des analyses de la
commission des finances et des documents budgétaires.

L'annonce faite à la presse par le Garde des Sceaux, Didier Migaud, le 10 novembre dernier que l'objectif de créer 15 000 nouvelles places de prison ne serait pas tenu pour 2027 a eu le mérite d'officialiser un constat objectif déjà formulé par l'ensemble des observateurs.

Le projet de budget pour 2025 marque ainsi un tournant dans le plan 15 000. En effet, si les crédits de paiement augmentent d'un peu plus de 100 millions d'euros, les autorisations d'engagement baissent de moitié. Cela correspond, d'après l'administration, à l'état d'avancement du plan.

Les éléments chiffrés sur l'avancement du programme sont difficiles à établir, en raison des confusions entre le nombre de places construites et celles relevant spécifiquement de la création des 15 000 places nettes. L'Agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij) a indiqué au rapporteur que, sur 50 projets, 48 étaient engagés, qu'elle disposait de la maîtrise du foncier pour 13 400 places, que 12 500 étaient contractualisées et que près de 6 800 seraient livrées d'ici 2027.

En pratique, les crédits prévus par le projet de budget doivent permettre de poursuivre les travaux engagés pour 8 établissements pénitentiaires. Mais il est vraisemblable que les 20 autres établissements, qui sont à des degrés divers de conception (5 en phase d'étude et de conception, 10 en appel d'offre, 5 en étude préalable) verront leur progression gelée ou du moins étalée largement au-delà de la date initialement prévue de 2027, voire après 2029, nouvelle date affichée pour l'achèvement du plan.

La première difficulté réside incontestablement dans la maîtrise du foncier et dans le dialogue avec les collectivités territoriales qui, une fois le principe d'une nouvelle prison actée, peuvent conduire à des adaptations des projets et donc des surcoûts.

La visite du centre de Fleury-Mérogis par le rapporteur en octobre 2024 a illustré d'autres difficultés liées à la création de ces nouvelles structures. Le nouveau centre de détention de 400 places, équipement dont les aménagements intérieurs sont d'une incontestable qualité et dont le coût a été présenté par la presse comme s'élevant à 57 millions d'euros, devra être fermé plusieurs mois du fait d'un vice de construction entraînant une arrivée insuffisante d'eau chaude et de chauffage.

La mise en service de nouveaux équipements pénitentiaires ne peut donc reposer sur un calendrier certain et le suivi de la construction est un enjeu majeur au risque de déstabiliser encore plus le fonctionnement de la détention.

Fondamentalement, ainsi que l'avait souligné le rapporteur à l'occasion du projet de loi de finances pour 2024, la construction de places de prison supplémentaires ne peut être la solution à la surpopulation carcérale. Il lui a ainsi été indiqué que créer un nombre de prisons qui maintienne la parité avec le nombre de détenus supposerait de construire un centre de détention par mois.

Le budget 2025 est l'occasion de choix stratégiques permettant de réorienter les crédits des projets immobiliers vers des objectifs permettant d'améliorer beaucoup plus rapidement les conditions de détention et, ainsi, de remplir les obligations qui incombent à la France, mais aussi les conditions de travail des personnels. C'est l'entretien des bâtiments et la fermeture des établissements vétustes ou inadaptés qui doivent devenir la priorité.

L'action d'« accueil et d'accompagnement des personnes placées sous main de justice », qui représentait près de 40 % des crédits, n'en présente plus que 18 %. Concrètement ce sont les frais de fonctionnement des établissements qui se trouvent réduits de près de 80 % d'autorisation d'engagement. Cette réduction est en partie due à la conclusion en 2024 d'un contrat pluriannuel. Mais ces perspectives remettent en question la possibilité de faire face aux besoins des établissements dans les années à venir : singulièrement, elles remettent en question tant la possibilité de lutter contre la dégradation des locaux que le maintien de conditions dignes de détention. Même si, pour l'année 2025, les crédits de paiement de cette action augmentent légèrement, ce qui reporte le problème sur 2026, et que les crédits de maintenance des bâtiments en gestion publique (qui représentent des montants modestes, 47,3 millions en AE et 37 millions en CP) sont maintenus au même niveau qu'en 2024, les crédits pour l'entretien des bâtiments sont insuffisants.

B. LE MILIEU OUVERT RESTE TROP PEU FINANCÉ

Le nombre de personnes suivies en milieu ouvert est plus de deux fois supérieur à celui des personnes détenues. Or les crédits alloués à ces missions sont en légère décroissance, 121,8 millions contre 123,2 millions pour 2024, confirmant une attention moins grande portée à ces actions, dont l'administration pénitentiaire et les acteurs de terrain soulignent pourtant l'importance.

Les mesures de milieu ouvert sont trop souvent vues comme des alternatives à l'incarcération plutôt que comme des sanctions adaptées en elles-mêmes. Elles tendent donc à être valorisées au regard de leur proximité avec l'incarcération. De manière significative, les mesures les mieux financées en milieu ouvert sont celles relatives au bracelet électronique, soit celles qui s'apparentent le plus à la détention. Cette attitude tend à fausser l'approche des dispositifs. Il a ainsi été indiqué au rapporteur que le travail d'intérêt général (TIG) a d'abord été conçu comme un dispositif de réinsertion avant d'être utilisé comme une peine, entraînant désormais l'orientation vers le TIG de profils éloignés de la réinsertion, et ayant pour conséquence une inadaptation du dispositif. Le temps nécessaire à la mise en oeuvre des TIG résulte pour partie de cette inadaptation.

Une revalorisation des mesures du milieu ouvert, en développant notamment l'évaluation et le développement des mesures de suivi, est nécessaire. Tant à court terme, pour lutter contre la surpopulation carcérale que, plus fondamentalement, pour permettre le prononcé de peines véritablement utiles socialement. À cela s'ajoute le coût particulièrement faible (5 à 6 euros par jour) des mesures du milieu ouvert, comparé au coût d'une journée de prison (130 euros en moyenne).

En l'état, les mesures de milieu ouvert souffrent non seulement d'un financement insuffisant sur le budget de l'administration pénitentiaire, mais également du désengagement prévisible des collectivités territoriales, souvent co-financeurs mais soumises à d'importantes contraintes budgétaires.

Le nombre de conseillers d'insertion et de probation apparaît insuffisant pour assurer un suivi adapté des personnes. Le budget pour 2025 ne respecte pas, sous réserve d'amendements à venir, les orientations de la loi d'orientation 2023-2027. Le nombre de conseillers manquants a fait l'objet d'estimations variables lors des auditions du rapporteur allant jusqu'à 40 %. Ce manque de moyen apparaît en décalage avec les objectifs de l'administration pénitentiaire et le rôle que les CPIP pourraient être amenés à jouer en tant qu'expert de dangerosité et du risque de récidive, notamment au moment du prononcé de la peine. Ce décalage est accentué par l'inquiétude autour du nouveau logiciel conçu par les métiers de l'insertion et de la probation malgré les 80 millions d'euros déjà dépensés.

*

* *

La commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Administration pénitentiaire » inscrits au projet de loi de finances pour 2025.

Ces crédits seront examinés en séance publique le 3 décembre 2024

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 20 NOVEMBRE 2024

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous examinons maintenant les crédits du programme 107 consacré à l'administration pénitentiaire au sein de la mission « Justice ».

M. Louis Vogel, rapporteur pour avis de la mission « Justice » sur le programme « Administration pénitentiaire ». - Les crédits du programme 107 devraient s'établir en 2025 à 5,24 milliards d'euros, contre 5 milliards d'euros en 2024. Ce niveau historique résulte d'une augmentation des crédits de 4,8 % par rapport à 2024.

Cette augmentation est doublement importante : d'une part, par rapport à l'augmentation de 1,5 % du budget en 2024 ; d'autre part, par rapport à l'augmentation globale du budget de la justice, telle qu'elle figure dans le projet initial, qui est de 1,1 %.

Le Gouvernement présente la perspective budgétaire pour 2025 comme la poursuite de la modernisation du service public pénitentiaire. De fait, les crédits du titre 2 - dépenses de personnel hors pensions - augmentent de 40 millions d'euros au profit de la mise en oeuvre de la réforme de la filière de surveillance, laquelle prévoit notamment la revalorisation des postes et l'augmentation de catégories des personnels, ainsi que la création de 349 emplois supplémentaires.

Ces perspectives budgétaires, si elles sont favorables eu égard à la situation actuelle des finances publiques, ne permettent cependant pas de faire face aux défis auxquels est confrontée l'administration pénitentiaire. Elles ne répondent pas non plus aux impératifs de financement du milieu ouvert et aux ambitions d'une déclinaison de sanctions pénales adaptées. Enfin, comme l'a montré l'audition du garde des sceaux hier, ce projet de loi de finances est l'occasion de redéfinir les priorités de ce programme, notamment la nécessaire réorientation du plan 15 000.

Permettez-moi tout d'abord d'insister sur le fait que l'administration pénitentiaire fait face à une crise d'une ampleur inconnue depuis 1946. Ce constat est le fait non pas d'observateurs extérieurs parfois excessifs, mais de l'administration elle-même.

La crise actuelle repose sur quatre facteurs.

Le premier est, à l'évidence, la surpopulation carcérale : au 1er octobre 2024, 79 631 personnes étaient détenues pour environ 62 000 places opérationnelles. En pratique, 3 600 à 4 000 détenus dorment par terre chaque nuit dans les prisons françaises.

Le deuxième est l'évolution de la population incarcérée : les personnes impliquées dans la criminalité organisée y tiennent une part de plus en plus importante. Environ 15 000 détenus le sont en lien avec le narcotrafic. Le garde des sceaux a annoncé que 300 nouvelles places à l'isolement seraient créées pour les criminels les plus dangereux et mieux brouillées pour éviter les communications avec l'extérieur.

Le troisième est le nombre trop faible d'agents, qui conduit à un taux de couverture insuffisant de la population carcérale. Il y a actuellement 30 600 agents de surveillance au sein de l'administration pénitentiaire ; ce nombre est doublement insuffisant.

Insuffisant, d'une part, au regard de l'organigramme de référence, qui, s'il était respecté, aboutirait à la création de 2 600 postes supplémentaires pour couvrir les besoins de surveillance de 60 000 détenus avec des personnels travaillant 39 heures par semaine.

Insuffisant, surtout, au regard de la réalité de la situation, qui conduit l'administration à estimer que ce ne sont pas 2 600, mais 6 000 postes qui lui manquent. La création de 349 nouveaux postes prévue en 2025 paraît donc être un minimum qui ne permettra pas de combler les manques ni, surtout, de développer des missions rendues nécessaires par l'évolution de la population carcérale, comme le renseignement pénitentiaire.

Le quatrième facteur, l'inadaptation du budget, vient aggraver les trois premiers. En effet, le budget de l'administration pénitentiaire ne lui permet pas d'effectuer les recrutements et investissements nécessaires pour envisager une sortie de crise, à moins d'engager dès à présent des réorganisations profondes. À l'urgence de régler la situation pour 2024 s'ajoutent des questions stratégiques pour 2025.

Permettez-moi de revenir un instant sur l'exécution budgétaire pour 2024. Les crédits gelés depuis février s'élèvent à près de 17 % du budget. Or ce dernier est très rigide puisqu'il compte près de 85 % de dépenses contraintes, ce qui est problématique. Les auditions que j'ai menées m'ont permis de mesurer les effets concrets de ces gels sur les établissements pénitentiaires, dont certains ne peuvent assurer leurs paiements au-delà des dépenses courantes depuis le mois de septembre. Le dégel partiel des crédits pour 2024 apparaît donc comme une nécessité.

Le 31 octobre 2024, nous avons appris que la réduction prévue des crédits de la mission « Justice » serait moitié moins importante qu'annoncée et s'élèverait à 250 millions d'euros, ce qui devrait donner de nouvelles marges de manoeuvre à l'administration pénitentiaire. Je note que l'information du Parlement sur la ventilation de cette somme a été particulièrement incomplète et tardive. Si les circonstances liées à la dissolution justifient certains délais, elles ne les excusent pas.

Le montant des sommes prévues pour l'administration pénitentiaire est significatif. Cependant, cet abondement doit s'accompagner à court terme d'une réorientation des crédits, afin de faire face à la difficulté première du moment : la surpopulation carcérale. Les personnels sont, avec les détenus, les premiers exposés à la crise que connaît cette administration en la matière. Un constat est partagé tant par l'administration que par la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté : la promiscuité liée à la surpopulation entraîne une augmentation de la violence et des agressions dans les prisons. Elle conduit à l'impossibilité pratique de gérer la détention autrement que de manière sécuritaire et réduit l'accompagnement et la réinsertion, qui font le sens de la peine et celui du métier.

L'emprise de la criminalité organisée expose également les personnels au risque de menace et de pression, ainsi qu'à celui de compromission et de corruption.

Le 14 mai 2024, l'administration pénitentiaire a connu un drame lors de l'attaque d'un convoi pénitentiaire à Incarville. Cette attaque a entraîné le décès de deux agents pénitentiaires et trois autres ont été blessés, dont deux grièvement. Un protocole d'accord a été signé le 21 mai 2024 entre le garde des sceaux et les organisations syndicales représentatives des personnels, qui comprend 33 mesures pour empêcher qu'un tel événement ne se reproduise. Nous nous félicitons que la mise en oeuvre de mesures de renforcement de la sécurité des agents pénitentiaires soit devenue une priorité et trouve sa traduction dans le budget pour 2025. Les achats de véhicules et d'équipements ont été engagés avec rapidité par l'administration, pour un déploiement rapide auprès des équipes.

Les moyens de visioconférence et l'aménagement permettant la tenue d'audiences dans les établissements ont également été développés et continueront de l'être en 2025.

Plus largement, l'action « Garde et contrôle des personnes placées sous main de justice », qui représentait un peu plus de la moitié des crédits en 2024, en représentera près des trois quarts en 2025.

J'en viens au sujet qui a été au coeur des budgets de l'administration pénitentiaire depuis plus de cinq ans : l'immobilier et la création de nouvelles places de prison. Le 10 novembre dernier, le garde des sceaux a annoncé à la presse que l'objectif de créer 15 000 nouvelles places ne serait pas tenu pour 2027, ce qui a eu le mérite d'officialiser un constat objectif déjà formulé par l'ensemble des observateurs. Hier, le ministre a aussi indiqué que l'objectif de création de ces places serait fixé à l'horizon 2029, que des bâtiments modulaires seraient utilisés d'ici là et que 42 % des places seraient créées à l'horizon 2027, à moyens constants, mais nous savons que constants ils ne le seront pas.

Le projet de budget marque ainsi un tournant dans le « plan 15 000 ». En effet, si les crédits de paiement (CP) augmentent d'un peu plus de 100 millions d'euros, les autorisations d'engagement (AE) baissent de moitié, ce qui correspond à l'état d'avancement du plan.

Les éléments chiffrés sur l'avancement du programme sont difficiles à établir, en raison des confusions entre le nombre de places construites et celles qui relèvent du programme. L'Agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij) a indiqué que, sur 50 projets prévus, 48 étaient engagés, qu'elle disposait de la maîtrise du foncier pour 13 400 places, que 12 500 étaient contractualisées et que 6 800 seraient livrées en 2027.

En pratique, les crédits prévus permettront de poursuivre les travaux engagés pour huit établissements pénitentiaires. Il est vraisemblable que, pour les vingt autres, qui atteignent des degrés divers de réalisation - cinq sont en phase d'étude et de conception, dix en appel d'offres et cinq en études préalables -, les travaux seront gelés ou menés largement au-delà de 2027.

Fondamentalement, comme nous l'avions souligné à l'occasion de l'examen du PLF 2024, la construction de places de prison supplémentaires ne peut être la solution à la surpopulation carcérale. Selon l'administration, pour maintenir la parité entre nombres de places et de détenus, il faudrait construire un centre de détention par mois !

Le PLF 2025 offre l'occasion de faire des choix stratégiques pour réorienter les crédits des projets immobiliers vers des actions qui permettraient d'améliorer plus rapidement les conditions de détention, de remplir ainsi les obligations qui incombent à la France et d'améliorer les conditions de travail des personnels. L'entretien des bâtiments et la fermeture des établissements vétustes ou inadaptés doivent devenir la priorité.

Le budget de l'action « Accueil et accompagnement des personnes placées sous main de justice », qui représentait près de 40 % des crédits, n'en représente plus que 18 %. Les frais de fonctionnement des établissements se trouvent réduits de près de 80 % en AE. Cette réduction est en partie due à la conclusion d'un contrat pluriannuel en 2024.

Ces perspectives remettent en question la possibilité de faire face aux besoins des établissements dans les années à venir, ainsi que la possibilité de lutter contre la dégradation des locaux et d'assurer des conditions dignes de détention. Même si les CP consacrés à cette action augmentent légèrement et que les crédits de maintenance des bâtiments en gestion publique, qui représentent des montants modestes, sont maintenus au niveau de 2024, les crédits pour l'entretien des bâtiments seront largement insuffisants.

Je terminerai cet examen en m'intéressant au parent pauvre de la détention : le milieu ouvert. Le nombre de personnes suivies est plus de deux fois supérieur à celui des personnes détenues. Or les crédits alloués à ces missions sont en légère décroissance et s'élèvent à 121,8 millions d'euros,

contre 123,2 millions pour 2024, ce qui confirme une attention moindre portée à ces actions, dont l'administration pénitentiaire et les acteurs de terrain soulignent pourtant l'importance.

Les mesures de milieu ouvert sont trop souvent vues comme des alternatives à l'incarcération plutôt que comme des sanctions adaptées. De manière significative, les mesures les mieux financées sont liées au bracelet électronique et sont celles qui s'apparentent le plus à la détention. De même, le recours aux travaux d'intérêt général (TIG), d'abord conçu comme un dispositif de réinsertion, est aujourd'hui utilisé comme une peine et concerne désormais des profils éloignés de la réinsertion. Ainsi, le dispositif devient inadapté et dévoyé. Le temps nécessaire à la mise en oeuvre des TIG en résulte pour partie.

Une revalorisation des mesures de milieu ouvert est nécessaire. Elle doit notamment passer par le développement de l'évaluation et des mesures de suivi, qui permettront de lutter contre la surpopulation carcérale et de permettre le prononcé de peines utiles socialement. Il faut aussi rappeler le coût particulièrement faible des mesures de milieu ouvert, qui s'élève à 5 ou 6 euros par jour, comparé à celui d'une journée de prison, qui atteint 130 euros en moyenne.

En l'état, les mesures de milieu ouvert souffrent non seulement d'un financement insuffisant sur le budget de l'administration pénitentiaire, mais également du désengagement prévisible des collectivités territoriales, soumises à d'importantes contraintes budgétaires.

Le nombre de conseillers d'insertion et de probation paraît insuffisant pour assurer un suivi adapté des personnes, ce que le rapport du Sénat remis par Marie Mercier et Laurence Harribey avait déjà souligné. Sous réserve des amendements à venir, le budget pour 2025 ne respecte pas les objectifs de la loi du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. La part de conseillers manquants a fait l'objet d'estimations variables lors des auditions que j'ai menées et représenterait jusqu'à 40 %. Ce manque de moyens est en décalage avec les objectifs de l'administration pénitentiaire et le rôle que les services pénitentiaires d'insertion et de probation (Spip) pourraient être amenés à jouer en tant qu'experts de la dangerosité et du risque de récidive, notamment au moment du prononcé de la peine. De plus, l'inquiétude demeure autour du nouveau logiciel conçu par les métiers de l'insertion et de la probation, malgré les 80 millions d'euros déjà dépensés.

En dépit de ces difficultés importantes, un rejet des crédits ne pourrait qu'entraîner l'incompréhension : c'est la raison pour laquelle je propose d'émettre un avis favorable à leur adoption. Il faut cependant accompagner notre vote d'un message clair sur la nécessité de sortir de la crise actuelle,


en adoptant une politique pénale et carcérale dont l'objectif affiché serait d'assurer la protection de la société et de répondre aux besoins de réinsertion des détenus.

Mme Laurence Harribey. - Pour la deuxième année consécutive, je ne peux qu'aller dans le sens de votre rapport, qui est très révélateur de la situation de l'administration pénitentiaire. Néanmoins, d'une année sur l'autre, cette situation ne change pas et je parviens à une conclusion différente de la vôtre en ce qui concerne le vote des crédits de la mission. Il faut savoir dire non. Ce budget est l'aboutissement de choix qui sont en contradiction avec la volonté de modifier les fondamentaux de la politique carcérale.

En ce qui concerne les places de prison, je prendrai l'exemple du centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan. J'ai visité ce bel établissement, après m'être rendue deux fois dans l'ancienne maison d'arrêt, dans laquelle j'avais eu des frissons. Cependant, le taux d'occupation y atteint déjà 120 % et 140 matelas sont installés par terre. La construction tous azimuts de places de prison ne résout donc pas le problème.

Le garde des sceaux rappelait hier soir qu'il faut compter 450 détenus supplémentaires chaque mois. Compte tenu de la structuration des établissements, du manque de moyens en matière d'insertion et de suivi de la politique carcérale, du manque de différenciation de traitement des détenus, nous fabriquons de la récidive au lieu de favoriser la réinsertion. Il est fondamental d'opérer un tournant dans la politique immobilière.

J'en viens aux personnels pénitentiaires, dont les cris d'alarme nous saisissent. Il ne suffit pas de créer des postes ; encore faut-il qu'ils soient pourvus. Or le taux de vacance dans ces professions est catastrophique. Nous sommes donc confrontés à une double maltraitance : celle des détenus et celle des personnels, qui conduit à des drames. Le taux de démission et le manque de candidats aux concours montrent qu'il est très difficile d'atteindre les objectifs en la matière. Le garde des sceaux ne nous a pas beaucoup rassurés, même s'il est parvenu à limiter les dégâts et à obtenir une enveloppe supplémentaire de 250 millions d'euros, qui lui permettra juste d'honorer les protocoles d'accord déjà signés.

Enfin, pour que le milieu ouvert ne soit plus le parent pauvre de l'administration pénitentiaire, il faut revoir les fondamentaux de la politique carcérale. Je voudrais revenir à la nécessité de mener un travail de fond sur les peines alternatives et l'exécution des peines. Je sais que c'est au programme, mais je voudrais que ce soit effectif et que nous ne soyons pas obligés de répéter les mêmes choses l'an prochain.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Effectivement, c'est au programme et vous être membre et rapporteure de la mission d'information sur l'exécution des peines, qui commencera bientôt ses travaux.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio. - Le constat est effrayant, entre manque de moyens, années perdues, promesses non tenues et réalisations trop peu nombreuses. La société a changé depuis quinze ans et nous ne nous sommes pas donné les moyens d'y faire face, en matière tant d'incarcération que d'insertion et de suivi. Enfin, un certain nombre de personnes n'ont pas leur place en prison puisqu'elles sont malades.

En tant que membre de la délégation aux outre-mer, j'ai visité le centre pénitentiaire de Faa'a-Nuutania en Polynésie française. J'ai eu honte et j'ai mis 48 heures à m'en remettre. Il n'y a pas de surpopulation et le personnel n'y est pas menacé, mais il s'agit probablement de la prison la plus indigne du pays. Il y a urgence.

M. Georges Naturel. - Je voudrais aborder la problématique de l'immobilier pénitentiaire en Nouvelle-Calédonie, où des exactions ont récemment eu lieu. La gendarmerie a déployé des enquêteurs supplémentaires, ce qui a permis de retrouver les commanditaires et les auteurs. La justice a aussi fait son travail, mais il faut désormais prévoir la détention des condamnés. Le centre pénitentiaire de Nouméa n'offrant plus de place, certains ont été envoyés dans l'Hexagone, en particulier des jeunes.

La prison de Nouméa se trouve dans les bâtiments du bagne, ce qui vous laisse imaginer sa date de construction. Elle est surpeuplée et indigne. L'État a d'ailleurs été condamné plusieurs fois à ce sujet. La construction d'un nouvel établissement a été annoncée par le précédent garde des sceaux, mais aucun crédit n'est prévu. Si un tel projet était lancé, il ne serait réalisé au mieux qu'en 2030. Que faire en attendant ? Que faire des jeunes que nous incarcérons, ce qui n'est pas le meilleur moyen de leur redonner envie de s'insérer ?

M. André Reichardt. - Le constat est connu depuis quelques années et les crédits ne sont pas à la hauteur des besoins ; nous gérons la pénurie. Je ne suis pas sûr qu'il faille donner un avis favorable, malgré la situation financière du pays.

Comment lutter contre la présence de téléphones portables dans les établissements ? On parle beaucoup de brouillage ; que prévoit-on en la matière ?

En ce qui concerne le programme immobilier, vous avez dit que près de 90 % du foncier était déjà acquis. Y a-t-il encore des blocages de projets liés au refus de certaines communes et populations d'accueillir des établissements pénitentiaires ?

Les besoins en matière de quartiers dédiés aux détenus radicalisés sont-ils couverts ?

Enfin, est-on confronté à un problème de recrutement du personnel dans l'administration pénitentiaire, notamment après le drame d'Incarville ?

Mme Marie Mercier. - Avec la prison, il y a un avant, un pendant et un après. Avant, il faut prévenir, notamment grâce à l'aide à la parentalité et aux bases éducatives. Pendant, il faut se pencher sur la question du travail pour les détenus et de la prise en charge, mais aussi vider les établissements de ceux qui n'ont rien à y faire et relèvent de structures psychiatriques. Après, les questions de la réinsertion et de la lutte contre la récidive se posent. Des budgets sont-ils prévus pour la justice restaurative ?

M. Olivier Bitz. - Le rejet des crédits du PLF 2025 serait mal vécu par l'administration pénitentiaire.

Vous avez évoqué le fait que cette administration est confrontée à sa plus grande crise depuis l'après-guerre, ce qui est vrai. À cette époque, il a été décidé non pas d'augmenter les crédits, mais de procéder à une grande réforme pour reposer la question des fondamentaux et de la gestion de l'incarcération. Nous n'arriverons pas à répondre à la demande seulement en augmentant les crédits ; il faut réformer les peines et la détention.

En détention, la sécurité coûte cher. Or, aujourd'hui, notamment dans les maisons d'arrêt, nous traitons tous les détenus comme s'ils étaient des personnes dangereuses, même s'ils ne posent pas de difficulté particulière au sein de l'établissement. Une gradation des niveaux de sécurité serait nécessaire pour se concentrer sur les détenus dangereux.

Le drame d'Incarville a mis en lumière les questions de sécurité posées par les extractions judiciaires. Par ailleurs, ces extractions consomment des postes budgétaires qui pourraient être mis à profit pour des missions plus traditionnelles. Il faut utiliser davantage la visioconférence et les magistrats doivent accepter de se déplacer. Je ne parle pas ici des juges de l'application des peines (JAP), qui le font déjà. Il s'agirait de rendre la justice de manière plus humaine, mais aussi de renforcer les moyens et la sécurité de nos agents. Je rappelle aussi que, lorsque les missions d'extractions judiciaires sont passées de la responsabilité des forces de sécurité intérieure à celle de l'administration pénitentiaire, plus de 700 postes n'ont pas été transférés.

Pour éviter une explosion des crédits, il faut réfléchir autrement, notamment autour des mesures de milieu ouvert, qui permettent de décider de peines adaptées et de réaliser des économies importantes.

J'en viens au personnel. J'ai récemment visité les deux établissements pénitentiaires de mon département : le centre pénitentiaire d'Alençon-Condé-sur-Sarthe et le centre de détention d'Argentan. Les agents et les organisations syndicales ont exprimé leur ras-le-bol. Les effectifs ne sont pas couverts, un nombre d'heures supplémentaires délirant est demandé aux agents, qui sont épuisés. Nous sommes à bout de souffle. Des mesures ont été prises dans le cadre du protocole d'accord signé après le drame d'Incarville, mais elles ne suffiront ni à développer l'attractivité des postes et la fidélisation


des personnels ni à améliorer les conditions de travail de l'École nationale d'administration pénitentiaire (Enap), qui doit former les agents toujours plus rapidement.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je partage ce qui a été dit par le rapporteur mais pas sa conclusion.

Je ne comprends pas pourquoi il faudrait construire des quartiers spécifiques pour brouiller les communications, comme l'explique le garde des sceaux. Certes, la question des riverains peut se poser. De plus, les personnels pénitentiaires veulent conserver leur téléphone, alors qu'ils n'en ont théoriquement pas le droit. Pourquoi ne pas mettre des brouilleurs dans les cellules concernées plutôt que de construire des quartiers spécifiques ? Pourrait-on formuler une préconisation en ce sens ?

Quand aura-t-on le courage d'aborder le sujet de la régulation carcérale ? Nous construisons des prisons, qui sont toujours surpeuplées. Sachant que les peines sont de plus en plus longues, il va falloir prendre des décisions et travailler à cette question.

M. Teva Rohfritsch. - La Polynésie française est confrontée à un paradoxe puisque nous accueillons, à la fois, le centre de détention très moderne de Tatutu - ce qui se fait de mieux - et l'établissement de Faa'a-Nuutania, maison d'arrêt et centre de détention pour femmes qui continue de se dégrader, malgré quelques rustines et coups de peinture, et dont la situation est très inquiétante en termes de délabrement et d'insalubrité. De plus, les catégories de prévenus y sont mélangées et des violences y ont lieu régulièrement.

La France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) en 2020. Dans son rapport du 16 juin 2022, l'Observatoire international des prisons (OIP) pointe du doigt le fait que la situation n'a pas avancé. Un effort a été fourni pour limiter la promiscuité avec l'ouverture du centre de Tatutu. Ainsi, si le taux d'occupation était de 150 % à 200 %, il est aujourd'hui de 100 % à 120 %. En raison de la flambée du narcotrafic, il augmente de nouveau. Les conditions de détention y restent inacceptables pour la République.

M. Michel Masset. - Malgré la qualité de son travail, nous ne suivrons pas l'avis du rapporteur.

J'aimerais connaître le nombre de détenus qui sont en préventive.

Je voudrais aussi vous alerter sur le niveau très bas de recrutement des agents de la pénitentiaire, dû au manque d'attractivité de la profession.

M. Alain Marc. - Nous évoquons la surpopulation carcérale, mais j'aimerais avoir accès à une comparaison internationale. J'ai reçu récemment le président de la Cour constitutionnelle de Taïwan, qui indiquait que son pays compte 40 000 détenus pour 23 millions d'habitants.

Par ailleurs, nous avons beaucoup entendu que les maires s'opposaient à la construction des prisons et que les établissements devaient être situés dans des bassins de délinquance. Au nom de quelle doctrine s'attache-t-on à ce dernier point ? Certains maires seraient favorables à accueillir des prisons, dans des lieux qui ne sont pas forcément situés dans ces bassins. Nous pourrions ainsi augmenter le nombre de places disponibles.

M. François Bonhomme. - La maison d'arrêt de mon département connaît un taux d'occupation de 160 % et de nombreux détenus dorment sur des matelas au sol. Les conditions de travail des personnels y sont dégradées et les ateliers professionnels ne sont pas toujours assurés, faute de personnels disponibles ou de taux de vacance élevés.

J'ai le sentiment que plus nous faisons d'annonces, moins nous construisons de places de prison. Le garde des sceaux a admis que l'objectif de 15 000 places pour 2027 n'était pas tenable. Le précédent avait déjà reconnu les difficultés et l'inertie rencontrées en la matière. Un nouvel objectif de 6 800 places a été annoncé à l'horizon 2027. Au-delà des aléas techniques et environnementaux, des problèmes de foncier et d'acceptabilité, est-il possible d'avoir les leviers nécessaires - pas seulement financiers - pour réévaluer ce chiffrage ?

Enfin, le rapporteur mentionne 76 600 détenus et le garde des sceaux évoque le chiffre de 62 000 places de prison ; comment expliquer ce décalage ?

M. Louis Vogel, rapporteur pour avis. - Madame Harribey, nos conclusions diffèrent. D'abord, il faut tenir compte des circonstances et de la crise financière. Or le budget de la justice et de l'administration pénitentiaire augmente malgré tout, ce qui est exceptionnel. De plus, les engagements par rapport aux personnels sont tenus. Enfin, le garde des sceaux reconnaît la situation et, pour la première fois, considère qu'il faut dire la vérité : nous n'y arriverons pas en construisant plus de prisons et il faut des modes nouveaux d'enfermement. Nous devons lui en faire crédit, et nous jugerons l'année prochaine.

Madame Eustache-Brinio, je suis d'accord sur le fait que beaucoup de détenus ne devraient pas être en prison, notamment ceux qui ont des problèmes psychiatriques et qui sont à l'origine de 80 % des incidents. Nos surveillants ne sont pas formés pour les soigner. Il s'agit d'un problème de diversification des modes d'enfermement, que la construction de nouvelles prisons ne résoudra pas.

La prison de Faa'a-Nuutania doit être détruite et remplacée. Nous verrons si le garde des sceaux comprend qu'il y a des priorités dans ce qui reste à faire.

Monsieur Naturel, la surpopulation chasse les détenus ailleurs. Il faut trouver d'autres solutions : changer le système et la politique pénale.

Les brouilleurs sont financés dans le projet de budget, mais des problèmes techniques se posent. Je note le paradoxe de la proposition du garde des sceaux qui acte le fait que des téléphones sont disponibles jusque dans les cellules d'isolement.

Il faut aussi procéder à une gradation des établissements, pour adapter nos prisons aux prisonniers et pas l'inverse. Certaines doivent être très sécurisées alors que, dans d'autres, il n'est pas nécessaire de gaspiller de l'argent car les prisonniers n'ont pas particulièrement besoin d'être encadrés.

La construction de prisons se heurte à des oppositions locales. Certaines doivent être remplacées de façon urgente, comme celle de Melun, qui est inondable.

Madame Mercier, les crédits pour la justice restaurative ne relèvent pas du programme.

Monsieur Bitz, je suis d'accord sur les extractions. À Fleury-Mérogis, j'ai vu les équipements permettant d'organiser des visioconférences, ainsi que la salle d'audience. Il faudrait avoir davantage recours à ce type de dispositif. La mentalité des magistrats doit évoluer, et ces derniers doivent interagir davantage avec l'administration pénitentiaire.

La régulation carcérale n'est pas une solution en soi. Il faut changer de politique pénale car c'est à l'entrée de la prison qu'il faut agir, pas à la sortie.

Monsieur Masset, le pourcentage de détenus à titre provisoire s'élève à 28 % de la population carcérale totale. Il s'agit d'une question importante. Par ailleurs, il me semble que le système de comparution immédiate est à revoir.

Monsieur Marc, j'aimerais aussi avoir davantage d'informations sur le niveau de sévérité des juges, le nombre de personnes détenues et les différentes formes de détention dans les autres pays. Nos juges sont de plus en plus sévères car les textes prévoient des peines de plus en plus lourdes. Le législateur doit mieux s'attacher au respect de l'échelle des peines. Mieux vaut appliquer des peines moins lourdes, mais le faire rapidement après la commission du délit.

Monsieur Bonhomme, nous comptons quasiment 80 000 détenus pour 62 000 places de prison. Les chiffres du ministère de la justice ne correspondent pas toujours à la réalité et il est difficile pour le législateur de se faire une idée précise de la situation.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 107 « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice ».

COMPTE RENDU DE L'AUDITION DE M. DIDIER MIGAUD, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE

MARDI 19 NOVEMBRE 2024

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous allons entendre Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice, dans le cadre de l'examen par la commission des lois des crédits de la mission « Justice » prévus par la loi de finances pour 2025.

Je rappelle que la commission des lois a nommé plusieurs rapporteurs pour avis sur cette mission : sur les crédits du programme « Justice judiciaire », Lauriane Josende et Dominique Vérien ; sur les crédits du programme « Administration pénitentiaire », Louis Vogel ; et, sur les crédits du programme « Protection judiciaire de jeunesse », Laurence Harribey. Cette audition a été ouverte au rapporteur spécial de la commission des finances, Antoine Lefèvre.

Monsieur le ministre, vous savez toute l'importance que la commission des lois accorde au bon fonctionnement de la justice, qui dépend pour beaucoup des moyens humains et matériels qui lui sont assignés. Nous sommes donc heureux de vous accueillir dans cette commission - pour la première fois d'ailleurs dans vos nouvelles fonctions - pour que vous puissiez nous présenter les grandes lignes du budget consacré à la justice judiciaire, dans un contexte de finances publiques que nous savons particulièrement contraint et qui conduit à des arbitrages difficiles, quelles que soient les missions concernées.

En l'absence de Louis Vogel, retenu à la Cour de justice de la République, permettez-moi d'ores et déjà de formuler quelques questions qui je souhaitais vous poser concernant l'administration pénitentiaire. La première question porte sur le plan 15 000, dont vous avez annoncé avec une certaine objectivité, me semble-t-il, qu'il ne serait pas terminé pour 2027 comme initialement prévu. Plusieurs observateurs et rapports, d'ailleurs, dont ceux du Sénat, avaient critiqué l'excessive mobilisation des moyens alloués à l'administration pénitentiaire par la construction de ces nouvelles places. Au-delà de la question de la livraison, envisagez-vous l'abandon de certains projets ou des redéploiements de crédits ?

La deuxième question, en lien avec la première, porte sur l'état des prisons françaises, accentué par la surpopulation carcérale et qui engage la responsabilité de la France. Les crédits prévus pour l'entretien des prisons baissent pour 2025. Allez-vous abonder ces crédits pour permettre l'entretien du bâti existant ?

M. Didier Migaud, garde des sceaux. - Je suis très heureux de me retrouver parmi vous pour vous présenter le budget 2025 attribué à la justice.

Le projet de loi de finances (PLF) constitue incontestablement pour tous les acteurs de la justice - mais aussi et surtout pour l'ensemble de nos concitoyens - le marqueur de la force et de la réalité de nos engagements en matière de justice dans notre pays. Comme j'ai eu l'occasion de le dire, le PLF présenté sur la base de la lettre plafond ne pouvait pas être satisfaisant. Le volume de crédits ouverts pour la mission « Justice » - 10,2 milliards d'euros - était certes en augmentation de 100 millions d'euros par rapport au précédent exercice, mais ne correspondait pas aux engagements pris dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice (LOPJ), et surtout ne permettait pas de répondre aux engagements pris en termes d'effectifs. Le PLF tel qu'il était présenté autorisait en effet 619 créations d'emplois, alors même que lesdits engagements portaient sur le recrutement de 1 500 magistrats, de 1 800 greffiers et de 1 100 attachés de justice d'ici à 2027.

C'est pour cette raison que j'ai demandé au Premier ministre de procéder à un arbitrage à la hausse en faveur du ministère de la justice. Ledit arbitrage s'élève à 250 millions d'euros, ce qui nous permet de respecter les engagements pris en termes d'effectifs et tous les accords, notamment sur les rémunérations et les positions indiciaires des chefs de juridiction et de cour, sans oublier tous les protocoles négociés avec les organisations syndicales des personnels pénitentiaires après le drame d'Incarville, que nous serons en mesure de respecter intégralement.

Entre 2024 et 2025, les crédits du ministère vont augmenter de 358 millions d'euros, soit une hausse de 3,5 % ; pour les rémunérations versées aux agents du ministère, l'enveloppe passera de 5,05 milliards d'euros en 2024 à 5,15 milliards d'euros, soit une hausse de 2 %. Ces moyens permettront d'alimenter chacune des grandes composantes de la justice et de mener à bien les missions cardinales du ministère, ainsi que la mise en oeuvre opérationnelle de la déclaration de politique générale du Premier ministre.

Je m'étais engagé en priorité à respecter les engagements pris sur les effectifs, qui sont une condition sine qua non, mais pas l'unique solution aux problèmes de la justice, qui ne tiennent pas qu'aux moyens, car il nous faut trouver en interne des solutions pour améliorer le fonctionnement de la justice. L'augmentation des effectifs n'en reste pas moins indispensable pour contribuer à désengorger les tribunaux et les cours, dont les délais d'audiencement sont devenus inacceptables dans un certain nombre de cas. L'exemple du délai de quatre ans entre la déclaration d'appel et l'audience de plaidoirie devant certaines chambres civiles de la cour d'appel de Lyon est à lui seul particulièrement éloquent.

Nous poursuivrons donc ces recrutements. Dans le détail, une autorisation de recrutement de 1 543 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires est donnée pour 2025, soit 924 emplois supplémentaires par rapport à ce qui était prévu dans le PLF initial. Ces personnels se répartissent de la façon suivante : sur le champ judiciaire, plus de 970 ETP viendront renforcer les services judiciaires et le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), dont 343 magistrats, 320 greffiers et 307 attachés de justice ; dans le champ pénitentiaire, 528 ETP viendront armer les établissements qui seront mis en service ; enfin, pour la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), qui a connu de sérieuses difficultés au cours de l'été 2024 compte tenu de la suppression d'un certain nombre de contrats, 45 ETP viendront renforcer les effectifs et accompagner l'ouverture de nouveaux établissements.

De manière générale, l'attention aux personnels et aux conditions de travail représente un engagement majeur de la LOPJ, tout comme la garantie de l'attractivité des rémunérations des métiers de la justice.

En outre, l'efficacité dans l'exécution des peines et l'accélération des procédures pénales seront deux axes essentiels de mon mandat. À ce titre, je rappelle que rien ne pourra se faire si nous ne disposons pas de la capacité de prendre en charge les personnes placées sous main de justice - en particulier les personnes détenues - dans le respect et la dignité dus à chacun. C'est pourquoi j'insiste sur l'importance des crédits dédiés à la réhabilitation et à la maintenance, au moins aussi essentiels que les moyens alloués à la construction.

S'agissant justement de la programmation immobilière pénitentiaire, Madame la présidente, les crédits dévolus dans le PLF pour 2025 permettront de poursuivre le plan de construction de 15 000 places supplémentaires, avec un accroissement de la capacité de la maison d'arrêt de Nîmes, ainsi que de celle de la structure d'accompagnement à la sortie de Ducos et du centre pénitentiaire des Baumettes 3, dont la construction et la réalisation se passent bien, comme j'ai eu l'occasion de le vérifier à Marseille. Sont également prévues les premières phases des opérations du centre pénitentiaire de Baie-Mahault et de la maison d'arrêt de Basse-Terre, qui seront livrés. Enfin, la rénovation et la modernisation du parc pénitentiaire existant se poursuivra. Des autorisations d'engagement (AE) permettront ainsi d'initier la restructuration du centre pénitentiaire de Fresnes, dont la vétusté nécessite une intervention à court terme.

Je tiens à confirmer que nous rencontrons des difficultés dans le calendrier des grandes opérations de construction. Ainsi, la réalisation du plan 15 000 est très en retard, puisque moins d'un tiers des opérations est déjà réalisé, tandis que 42 % d'entre elles le seront d'ici à 2027 : si tout se déroule correctement, 6 421 places seront mises à disposition au lieu des 15 000 places prévues, soit un écart considérable.

Ces difficultés sont liées à des aléas exogènes, indépendants de la volonté du ministère, dont certains sont d'ordre technique et environnemental. Des tensions sur l'approvisionnement découlant de différentes crises ont des répercussions sur les délais, sans oublier la fragilité du tissu économique, ainsi que le fait - je dois le dire très franchement devant votre Haute Assemblée - qu'il est souvent très difficile de convaincre les élus de nous laisser bâtir un établissement pénitentiaire sur leur territoire.

Ayant moi-même été élu local, je peux parfaitement comprendre ces réticences et ces résistances, qui n'expliquent pas toutes nos difficultés, mais je pense que le temps d'une prise de conscience collective est venu si nous souhaitons que ce programme se réalise.

L'achèvement du plan 15 000 ne sera pas possible sur le plan opérationnel avant 2029 dans le meilleur des cas et suppose des efforts budgétaires substantiels dans les prochaines années. Nous y travaillons avec le ministre du budget et des comptes publics dans la perspective du PLF pour 2026 et au-delà.

Un certain nombre de dossiers sont bloqués au niveau du conseil d'administration de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij) par la direction du budget, qui considère que la soutenabilité budgétaire de ces opérations n'est pas assurée. Au-delà de 2025, ce plan n'était en effet pas financé, puisque vous ne retrouverez pas les sommes nécessaires à la réalisation de l'ensemble de ces places dans la LOPJ. Certes, il existait une clause de revoyure en 2025 qui devait éventuellement permettre d'abonder ces crédits, mais, en l'absence de ce rendez-vous, la direction du budget a, dans le rôle qui est le sien, bloqué les opérations.

Je m'en suis bien sûr ouvert auprès du ministre des comptes publics et du Premier ministre, afin que nous puissions lever ces blocages le plus rapidement possible et être en mesure d'accomplir le plan 15 000 à l'échéance de 2029.

Nous nous efforcerons d'agir sur l'ensemble des leviers pour tenter d'améliorer les résultats de l'année 2027, en proposant des solutions d'accélération juridique, en explorant toutes les pistes opérationnelles sur la base du foncier dont nous disposons et en réfléchissant à d'autres types de prisons tenant compte de la diversité de notre population de 80 000 détenus. En Allemagne, en Belgique, au Québec ou encore en Suisse, des solutions de type modulaire ont prouvé leur efficacité : elles peuvent à la fois être réalisées bien plus rapidement, offrir des conditions de sécurité satisfaisantes et être construites à des coûts moindres.

Nous essaierons donc d'encourager le développement de solutions de ce type afin de respecter les engagements qui ont été pris, en rappelant que la population carcérale augmente d'année en année, à un rythme d'environ 5 500 détenus par année, soit environ 450 détenus supplémentaires chaque mois. De fait, la construction de nouvelles places de prison ne suit pas le rythme d'augmentation du nombre de détenus, ce qui laisse présager une dégradation du ratio en 2027. Il nous faut donc trouver des solutions permettant de répondre à cette situation.

Concernant l'immobilier judiciaire, le budget permettra de couvrir les opérations d'ores et déjà en chantier et de poursuivre la mise à niveau du parc immobilier, notamment au regard de la sécurité des personnes, des mises aux normes réglementaires, de la mise en sûreté des palais de justice et des opérations de gros entretien indispensables à la pérennité du patrimoine, même si nous ne pourrons pas mener toutes les opérations en même temps. L'état d'un certain nombre de tribunaux et de cours d'appel montre que nous avons du retard, mais nos moyens ne nous permettent pas de répondre à toutes les attentes.

En outre, 7 millions d'euros seront consacrés à la construction de centres éducatifs fermés (CEF) sur le secteur associatif habilité. Parallèlement à l'état des lieux relatif au programme pénitentiaire, un état des lieux de ce plan sera réalisé, de même qu'un point sur les autres formats de prise en charge.

Je souhaite également mettre en lumière certaines enveloppes ayant vocation à moderniser et améliorer concrètement le fonctionnement du service public de la justice, ainsi que les conditions de travail de ses agents. Tout d'abord, les crédits d'investissement de l'informatique ministériel seront portés à 285 millions d'euros, soit une hausse de 4,7 % par rapport à 2024. Je m'en réjouis, dans la mesure où ces crédits permettront de poursuivre les projets du second plan de transformation numérique du ministère. En outre, les crédits consacrés aux techniques d'enquête numérique atteindront 49 millions d'euros.

Tous ces projets numériques doivent permettre d'améliorer les conditions de travail et surtout l'efficacité du travail de la justice. Je souhaite insister sur ces crédits supplémentaires qui permettront au ministère d'avancer de manière décisive dans sa transformation numérique, et en particulier de financer la poursuite de projets prioritaires qui déboucheront sur des gains majeurs d'efficacité et de temps dans nos services. Il s'agit également de refondre des outils dont l'état d'obsolescence met en risque la continuité de la justice et la qualité du service rendu au justiciable.

Ces crédits vont en particulier nous permettre de poursuivre la dématérialisation et la modernisation de nos chaînes judiciaires civiles et pénales avec la procédure pénale numérique, le projet de refonte de l'application Portalis, la dématérialisation complète du casier judiciaire national, la convergence de nos outils applicatifs pénaux ou encore le nouveau système d'information de l'application des peines, Prisme.

Les crédits dédiés à l'accès au droit et la justice s'élèveront à 802 millions d'euros pour 2025, contre 790 millions d'euros en 2024. Plus spécifiquement, les crédits dédiés à l'aide juridictionnelle continueront de croître pour atteindre 718 millions d'euros, soit une hausse de 6 millions d'euros par rapport à l'exercice précédent. Parallèlement, l'aide aux victimes est portée à 51 millions d'euros en 2025, soit une hausse de 4,5 millions d'euros. Sur ce point, je tiens à souligner que l'aide aux victimes de violences intrafamiliales constitue désormais 37 % du budget dévolu aux victimes, l'effort devant se poursuivre sur cette politique pénale.

En ce qui concerne l'action sociale offerte par le ministère à ses agents, essentielle pour contribuer à l'attractivité de notre institution, le projet de budget prévoit la mobilisation de plus de 36 millions d'euros. Ce budget permettra notamment d'agir en faveur de la politique d'aides aux familles, de réduire les restes à charge en termes de restauration et de faciliter l'accès des agents au logement et à la propriété.

J'en viens au plan de lutte contre la criminalité organisée. Le ministère a identifié quelques possibilités de recettes supplémentaires à compter de 2025 et travaille avec le ministère des comptes publics à de nouvelles propositions. Parmi celles-ci, deux mesures sont déjà en cours d'adoption dans le cadre du PLF, à savoir le rehaussement du droit fixe de procédure dû par les condamnés et la mise en oeuvre de la contribution pour la justice économique.

Nous avons suggéré au ministère des comptes publics qu'une partie de ces nouvelles recettes pourrait être rétrocédée au ministère de la justice pour financer les mesures qui lui incombent dans le cadre du plan de lutte contre la criminalité organisée que nous avons présenté le 7 novembre avec le ministre de l'intérieur.

Ce plan comprend, notamment sur le volet pénitentiaire, la création de quartiers de prise en charge spécifique nécessitant un abondement supplémentaire en PLF. Dans le combat contre la criminalité organisée, il me semble très important que nous puissions réaliser davantage de quartiers d'isolement dans les prisons, afin d'éviter qu'environ 300 de ces condamnés puissent continuer à organiser leurs trafics et à commanditer des meurtres depuis leurs cellules. Si nous éprouvons parfois des difficultés à brouiller un quartier complet, l'opération est en revanche plus aisée pour une ou deux cellules avec les appareils existants.

Pour terminer, je suis parfaitement conscient des contraintes budgétaires auxquelles est confronté le Gouvernement et je suis comme vous attaché à la crédibilité financière de notre pays. À ce titre, je rappelle que le ministère de la justice a pris part à l'effort budgétaire rendu nécessaire par la situation des finances publiques tout au long de l'exercice 2024.

Un certain nombre de régulations, de gels et de rabots sont ainsi intervenus au cours de l'année pour un total d'environ 730 millions d'euros que nous avons réussi à réduire à hauteur de 350 millions d'euros, ce qui nous permet d'aboutir à une fin de gestion acceptable. Nous sommes conscients de la nécessité de nous organiser pour réaliser les économies nécessaires, tout en faisant en sorte que la justice ait les moyens de fonctionner.

Pour ce qui est des frais de justice, l'enveloppe des crédits est portée à 748 millions d'euros en 2025 et augmentera de 11 % par rapport à 2024. Nous veillons à la maîtrise de ces dépenses, sans remettre en cause la capacité d'investigation de nos magistrats en la matière.

Mme Lauriane Josende, rapporteur pour avis de la mission « Justice », sur le programme 101 relatif à la justice judiciaire et à l'accès au droit et à la justice. - Vous soulignez les conséquences regrettables de la situation budgétaire du pays sur vos crédits : nous partageons votre inquiétude. Le Sénat est très attaché aux objectifs de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, aussi vos annonces sur leur maintien nous réjouissent-elles, tout comme elles réjouissent les personnes que nous avons auditionnées - et c'est pourquoi aussi, les professionnels de la justice s'inquiètent à la lecture de ce projet de loi de finances.

La politique immobilière, d'abord, suscite beaucoup d'inquiétudes parmi le personnel judiciaire et les avocats, qui nous disent ne pas être suffisamment consultés, notamment au sujet du guide de programmation judiciaire récemment actualisé et lors de la réalisation des diverses opérations immobilières. David Barjon, directeur de l'Apij, nous assure que l'élaboration du guide a impliqué les professionnels concernés. Cependant, certains ont déploré que ce guide ne prévoyait plus de places de parkings pour les personnels de la justice ; on comprend leur préoccupation, sachant que les trois-quarts des actifs se rendent au travail en voiture, faute le plus souvent de transports en commun. La consultation des professionnels a-t-elle bien été menée - nous assurez-vous que les critiques énoncées seront prises en compte ? Quelles adaptations de la politique immobilière sont possibles sur la question des parkings ?

Quel bilan dressez-vous, ensuite, du recours au partenariat public-privé (PPP) pour les programmes immobiliers de la justice ?

Vous avez évoqué la hausse des frais de justice. Quelle vous paraît être la part incompressible de cette hausse ? Quel bilan tirez-vous du plan de maîtrise des frais de justice ?

Enfin, les personnels judiciaires que nous avons auditionnés ont tous critiqué l'organisation actuelle des juridictions. Elle a été perturbée par un déficit chronique de recrutement puis par le recours à des contrats pour des fonctions partiellement indéterminées. Les agents du ministère attendent une évolution significative pour clarifier les fonctions, les rôles de chaque profession au sein des juridictions. Qu'envisagez-vous en la matière ?

Mme Laurence Harribey, rapporteur pour avis sur la mission « Justice » sur le programme 182 relatif à la protection judiciaire de la jeunesse. - Les professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) s'inquiètent également, vous l'avez dit.

Cet été, le non-renouvellement de contractuels a provoqué une grève du personnel de la PJJ et de grandes inquiétudes. Bien que la situation se soit améliorée, les auditions nous montrent un changement profond d'orientation depuis l'entrée en vigueur du code pénal de la justice des mineurs. Vous l'avez très justement dit, il ne s'agit pas uniquement d'une question de crédits, mais également de méthodes de travail et d'acculturation à une nouvelle manière de fonctionner. La réforme a, en fait, alourdi les charges de travail, ce que montre l'alourdissement du stock de mesures : il augmentait d'environ 1 000 mesures par an depuis 2021, puis il a bondi à 4 300 mesures nouvelles entre décembre 2022 et décembre 2023, en plus des 3 000 mesures en attente. Or, l'augmentation de la charge de travail n'est pas traduite dans les effectifs - les 45 créations d'équivalent temps plein ne suffiront pas à combler ce décalage. Nous avons été surpris par le manque de vision à long terme sur ces évolutions. Quelle analyse en avez-vous et que comptez-vous faire ?

Vous vous dites fier, ensuite, d'augmenter les crédits pour la numérisation et l'informatique, donc, pour le logiciel « Parcours », mis en place à la PJJ. C'est une très bonne chose, puisque ce logiciel devrait permettre aux éducateurs de suivre le parcours des jeunes, dont les professionnels déplorent le manque de traçabilité. Cependant, ce logiciel est en retard : la première phase n'est toujours pas achevée, alors que son déploiement a débuté en 2021, le secteur associatif habilité n'est toujours pas intégré et le coût du projet s'élève déjà à 19 millions d'euros. Qu'en pensez-vous ? Comment comptez-vous reprendre en main ce projet, qui semble se diriger dangereusement vers un échec ?

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial de la commission des finances sur la mission « Justice ». - Le projet de budget du ministère de la justice marque un ralentissement dans la mise en oeuvre de la loi de programmation. Je comprends la nécessité de participer à l'effort d'assainissement des finances publiques et j'ai bien vu que le Gouvernement avait déposé un amendement augmentant ces crédits de 250 millions d'euros, alors que des économies supplémentaires sont demandées à la quasi-totalité des autres ministères.

La justice n'a pas été épargnée cette année avec une annulation de crédits de 328 millions d'euros le 21 février dernier, puis des « surgels » successifs qui ont causé de réelles difficultés dans certains services.

Dans le budget 2025, la priorité est donnée aux moyens humains : le projet de loi de finances prévoit d'augmenter les effectifs de 619 emplois, voire de plus de 1 500 emplois si les amendements du Gouvernement sont adoptés. Cette augmentation des effectifs s'appuie sur une politique de revalorisation des métiers, qui est indispensable pour attirer et retenir les personnels. Tout ceci est important pour améliorer le service public de la justice.

Je porte une attention toute particulière aux projets immobiliers, notamment la mise en oeuvre du plan « 15 000 ». Vous avez déclaré qu'il prendrait du retard et vous venez de nous en parler - mais conservez-vous au moins la cible, quitte à la reculer ? Ce plan n'est pas un luxe, il ne résout pas le problème de la surpopulation carcérale mais le contient tout au plus.

Les autres dépenses sont soumises à de fortes restrictions, ce qui pourrait par exemple impacter la modernisation de la fonction informatique.

J'ai été alerté sur la hausse des frais de justice : moins de 500 millions d'euros en 2017, près de 750 millions d'euros en 2025. Que peut-on faire, par exemple au sujet des frais de gardiennage de véhicules ou du coût des interceptions téléphoniques qui ne sont peut-être pas toujours indispensables ?

S'agissant de l'aide juridictionnelle, on nous a indiqué que certaines réformes sont en réflexion ou prévues au sujet du coût de l'aide juridictionnelle, par exemple une suppression de l'aide juridictionnelle partielle ou une ponction sur la trésorerie de la caisse des règlements pécuniaires des avocats (Carpa) en fin d'exercice budgétaire. Avez-vous des éléments à ce sujet ?

Enfin, vous avez annoncé, avec le ministre de l'intérieur, la création d'un parquet national consacré au narco-trafic, ce qui était l'une des recommandations de la commission d'enquête du Sénat. Pouvez-vous nous en dire plus et cela se fera-t-il à moyens constants, puisque ce n'est pas prévu dans le budget pour 2025 ?

M. Didier Migaud, garde des sceaux. - Le rapporteur Louis Vogel a dit que les crédits du programme 107 « Administration pénitentiaire » prévus pour la réhabilitation des établissements pénitentiaires seraient en diminution ; ils sont en réalité maintenus à 130 millions d'euros - alors qu'ils étaient autour de 60 millions d'euros avant 2019. Cela ne suffit certes pas à couvrir tous les besoins, mais l'enveloppe est maintenue.

Sur les changements de missions intervenues dans la PJJ depuis l'entrée en vigueur du code de justice pénale des mineurs, je signale qu'un rapport au Parlement de l'année dernière fait état de résultats positifs. Cependant, je sais que les personnels de la PJJ ne s'y retrouvent pas : une évaluation interne est en cours, pour objectiver les choses et ajuster ce qui doit l'être.

Le déploiement du logiciel « Parcours » est en retard, effectivement, mais les financements sont maintenus, nous voulons aboutir l'an prochain.

En matière de politique immobilière pour le programme pénitentiaire, ce que nous pouvons obtenir budgétairement est bien loin de suffire aux besoins, je le constate. Je vois aussi que ce programme souffre plus que les autres du décalage entre la loi de programmation et le PLF.

Normalement, les personnels des palais de justice ont été consultés sur leurs besoins de places de parking, il y a eu des groupes de travail ; la voiture reste effectivement très utilisée, des places de parkings restent nécessaires - si la consultation n'a pas bien défini les besoins, il faut peut-être y revenir.

Quelle est la part incompressible des frais de justice ? C'est une question difficile. Les magistrats peuvent vouloir engager plus de frais, mais ils sont conscients des faibles marges que nous avons, sur les interventions téléphoniques par exemple, ou sur le gardiennage des véhicules. Une gestion plus dynamique devrait permettre des économies. En matière d'écoutes judiciaire, par exemple, l'Agence nationale des techniques d'enquêtes numériques judiciaires (ANTENJ) est devenue un service performant et moins coûteux que les sociétés privées qui sont sollicitées par des parquets locaux, il faut habituer nos magistrats à y recourir davantage.

L'organisation des juridictions est un travail continu, elle pose la question du soutien au travail des magistrats. Les attachés de justice sont désormais très appréciés par les magistrats, ils sont un soutien utile. On le voit par exemple lorsque des tribunaux ont constitué un pôle « violences intrafamiliales », en affectant des attachés de justice à ce contentieux, le soutien au travail du juge est important - si au départ il y a eu du scepticisme, ce n'est plus le cas aujourd'hui, les magistrats apprécient cette aide ; c'est une réussite.

Le recours aux PPP a donné lieu à des rapports très critiques, notamment pour ce qui concerne le programme pénitentiaire et l'immobilier judiciaire. Il a permis de belles réalisations, qui malheureusement coûtent parfois cher en fonctionnement... Ces solutions résultent d'un défaut d'investissement de l'État, les entreprises ne sont pas des philanthropes et leur intervention représente un coût supplémentaire. Je ne propose donc pas, vous l'aurez compris, de revenir au PPP pour la réalisation du programme immobilier de mon ministère...

J'ai répondu sur les frais de justice, il y a des marges de progrès. L'enveloppe a augmenté, une mission de l'inspection générale de la justice (IGJ) est en cours pour mieux prendre en compte les demandes des magistrats, je vous en communiquerai les résultats.

Contre la criminalité organisée, la réponse passe par de nouveaux quartiers sécurisés et d'isolement, donc par des moyens supplémentaires ; ce point est très important parce qu'il y a urgence, on le sait bien. Il faut mieux isoler ces condamnés : il n'est pas acceptable que des trafiquants continuent leurs crimes depuis leur prison, qu'ils puissent même y commanditer des meurtres - c'est tout à fait inacceptable. Il faut donc les isoler de l'extérieur, ce qui nécessite des travaux puisque nos quartiers d'isolement sont déjà occupés, notamment par les condamnés pour terrorisme. En ce qui concerne le nouveau parquet national contre le narcotrafic, nous le financerons sur nos crédits. J'affecterai des magistrats pour renforcer le parquet de Paris et pour mettre en place une cellule de coordination ; je veux également renforcer le siège, pour juger plus rapidement, et je souhaite renforcer nos 8 juridictions interrégionales spécialisées dans la criminalité organisée - là encore, nous financerons ces postes supplémentaires sur nos crédits.

Mme Audrey Linkenheld. - Les quelque 316 millions d'euros prévus pour l'immobilier judiciaire devraient servir à la mise aux normes, à l'entretien des bâtiments, et aux opérations nouvelles en cours. L'une m'intéresse particulièrement : le nouveau palais de justice de Lille. Il est très attendu mais il défraie la chronique avant même sa livraison : on a appris, lors de la rentrée solennelle du barreau, que le ministère rechercherait des locaux supplémentaires parce que le nouveau palais de justice... serait trop petit pour accueillir les professionnels de justice ! Vous nous confirmez aujourd'hui que vos moyens ne suffiront pas à couvrir les besoins immobiliers, en général : est-ce à dire que vous n'en aurez pas non plus pour trouver un complément au nouveau palais de justice de Lille, comme on l'espère localement ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous évoquez un amendement du Gouvernement qui augmente vos crédits : peut-on l'avoir, pour examiner la ventilation de ces crédits supplémentaires ?

Une remarque, ensuite : les Français vont avoir du mal à comprendre qu'il faut faire de nouveaux quartiers réservés parce qu'on ne parviendrait pas à brouiller des lignes téléphoniques...

Avec un taux d'occupation des prisons à 153,6 %, la situation carcérale est alarmante, nous soutiendrons donc votre demande de crédits supplémentaires. Mais ce qu'il faut voir, c'est que quand on a 450 détenus de plus chaque mois, la solution n'est plus de construire davantage de prisons : qu'en pensez-vous ? Nous avons, pour notre part, fait des propositions depuis des années pour éviter une telle surpopulation carcérale, c'est un sujet très complexe et sensible - du fait en particulier que l'opinion pense que la justice est laxiste, alors que les peines n'ont jamais été aussi lourdes, ni les prisons si pleines... Quelles sont vos perspectives et vos propositions sur ce qu'on a appelé communément la régulation carcérale ?

Par ailleurs, le 6 novembre dernier, la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) a rappelé à l'ordre votre ministère pour non-conformité à la loi de votre fichier de traitement des antécédents judiciaires (Taj) - qui comprend 24 millions de fiches. Comment comptez-vous répondre à ce rappel à l'ordre ? Vous avez un an pour répondre, mais la question est là : les magistrats n'ont-ils pas mieux à faire que de mettre à jour les données d'un fichier national qui n'est jamais opérationnel ?

M. Georges Naturel. - J'évoquerai la situation carcérale en Nouvelle-Calédonie, qui a valu une condamnation de l'État tant les conditions d'incarcération sont indignes, les présidents des deux assemblées parlementaires l'ont constaté en se rendant sur place. Des moyens supplémentaires ont été annoncés pour les enquêtes, pour le traitement des dossiers, pour des places de prison - mais la prison de Nouméa est déjà surpeuplée, des prisonniers sont déjà envoyés dans l'Hexagone, en particulier des commanditaires des exactions et de jeunes délinquants. Un projet de construction d'une prison est annoncé, pour 2032 ; je doute que ce calendrier soit tenu, et que fait-on entre temps ? Vous évoquez d'autres solutions, et nous avons écrit dans ce sens à votre prédécesseur, en visant en particulier l'expérience d'une prison agricole en Corse : peut-on étudier de telles solutions en Nouvelle-Calédonie, surtout pour des jeunes délinquants, qu'il faut insérer ?

M. Didier Migaud, garde des sceaux. - Nous allons poursuivre la modernisation du parc immobilier, en particulier les travaux déjà lancés et inscrits dans la loi de programmation. Nous avons 269 millions d'euros en crédits de paiement pour 2025, en baisse par rapport à la loi de finances initiale. L'amendement du Gouvernement les augmente de 47,4 millions d'euros, ce qui réduit la baisse de moitié. Cela va nous permettre de poursuivre des opérations en phase études, comme la réhabilitation du palais de justice historique de l'île de la Cité, à Paris, l'extension du tribunal judiciaire de Bobigny et les autres projets prioritaires de Toulon, Perpignan et Meaux.

Pour le nouveau palais de justice de Lille, des solutions sont recherchées. Il y a eu des renforts d'effectifs qui n'étaient pas prévus initialement, il est certes dommage qu'il n'y ait pas eu d'anticipation, mais nous allons rechercher des solutions pour les magistrats supplémentaires.

L'amendement du Gouvernement est celui que nous avions déposé à l'Assemblée nationale, votre commission des finances devrait en être saisie. Il faut explorer toutes les solutions pour tenir l'objectif de 15 000 places d'ici 2029, donc augmenter le rythme actuel, qui vise les 6 400 places pour 2027 ; il faut imaginer des solutions diversifiées, en fonction de la population des détenus qui sont eux-mêmes très divers - il faut sortir du modèle de la prison unique, il y a déjà des alternatives, comme les centres fermés, il faut aller plus loin dans le panel de propositions pour faire exécuter les peines prononcées. Il y a aussi le problème du délai d'exécution des peines, des travaux sont conduits pour voir comment raccourcir ces délais quelle que soit la peine. On sait que les travaux d'intérêt général (TIG) sont moins utilisés qu'ils pourraient l'être, parce que le délai d'exécution peut atteindre jusqu'à deux ou trois années, ce qui n'a alors plus de sens. La justice fait preuve de fermeté, les peines prononcées sont plus longues qu'auparavant et il n'y a jamais eu autant de monde en prison, mais nos concitoyens ont davantage qu'avant l'idée que la justice est laxiste. Il faut aussi compter avec le temps de prévention, d'accompagnement ; il faut penser à la réinsertion, c'est un vrai défi - beaucoup se fait mais il y a des marges de progrès.

La Cnil nous rappelle à l'ordre sur un fichier national et elle a adressé ses observations au le ministère de l'intérieur dont dépend ce fichier ; nous avons une année pour nous mettre en conformité avec le règlement européen sur la protection des données, le RGPD, ce qui constitue un travail long et difficile. Nous nous y attelons et j'espère vous dire, l'an prochain, que nous y serons parvenus...

Parmi les systèmes de brouillage des téléphones, ceux qui portent sur des bâtiments entiers sont moins efficaces que ceux qui ne visent qu'une partie d'un bâtiment, et ils ont des conséquences sur le voisinage : ils sont donc moins utilisables en milieu urbain. C'est pourquoi nous préférons des brouilleurs ciblant une ou quelques cellules, où nous voulons isoler les grands trafiquants. Il faut être d'une fermeté absolue face à l'ultra-violence dont font preuve les narco-trafiquants. Les médias ne rendent pas compte de tous les faits, en particulier de la terreur qu'exercent les narco-trafiquants sur leurs victimes et sur leurs familles, en plus de crimes odieux qu'ils commanditent. Le phénomène a pris une dimension nouvelle ces dernières années : l'État doit se réarmer et augmenter sa puissance de combat contre ces organisations criminelles.

Je suis conscient de la situation carcérale en Nouvelle-Calédonie est indigne, la présidente de l'Assemblée nationale m'a adressé des photos édifiantes après sa visite ; il faut construire une nouvelle prison, mais le projet n'est pas financé - il n'est pas financé non plus à Mayotte... Vous avez raison d'appeler à l'action sans attendre la nouvelle prison. Il faut regarder ce qui se fait avec des bâtiments modulaires : cela s'est fait en Allemagne, en Suisse et en Belgique. Il faut trouver des solutions avant 2032. Il y a, en France, 4 000 détenus qui dorment au sol, cela ne devrait pas exister.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Merci pour toutes ces précisions.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

DIRECTION DE L'ADMINISTRATION PÉNITENTIAIRE

M. Sébastien Cauwel, directeur

Mme Laurence Venet-Lopez, cheffe du service des métiers

M. Philippe Gicquel, sous-directeur de la sécurité pénitentiaire

AGENCE PUBLIQUE POUR L'IMMOBILIER DE LA JUSTICE

M. David Barjon, directeur général

M. Marc Tramoni, secrétaire général adjoint

CONTRÔLEURE GÉNÉRALE DES LIEUX DE PRIVATION DE LIBERTÉ

Mme Dominique Simonnot, contrôleure générale

M. André Ferragne, secrétaire général

Table ronde - Syndicats des surveillants pénitentiaires

UFAP-UNSA JUSTICE

M. Emmanuel Chambaud, secrétaire général, brigadier-chef à la MA Lyon Corbas

M. Alexandre Caby, secrétaire général adjoint, brigadier-chef au CP Lille Loos Sequedin

CGT PÉNITENTIAIRE

M. Damien Tripenne, secrétaire national

SYNDICAT PÉNITENTIAIRE DES SURVEILLANTS (S.P.S)

M. Christy Nicolas, secrétaire général national, Surveillant Brigadier au Centre de Détention de Mure

M. Cyril Huet-Lambing, secrétaire général national adjoint, Surveillant au Centre Pénitentiaire de Aix-Luynes

M. Philippe Kuhn, délégué national et régional DISP de Paris, surveillant brigadier à la Maison d'Arrêt de Villepinte

Table ronde - Syndicats des personnels des services pénitentiaires d'insertion et de probation (SPIP)

SNEPAP-FSU

Mme Annabelle Bouchet, conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation, secrétaire générale adjointe

Mme Marianne Girard, conseiller pénitentiaire d'insertion et de probation, secrétaire national

M. Damien Rameau, personnel de surveillance, trésorier national

UFAP-UNSA JUSTICE

M. Emmanuel Chambaud, secrétaire général, brigadier-chef à la MA Lyon Corbas

M. Alexandre Caby, secrétaire général adjoint, brigadier-chef au CP Lille Loos Sequedin

M. Simon Pierre Lagouche, secrétaire national, CPIP au SPIP 80-RA d'Amiens

M. Jéremy Rivière, secrétaire régional de la Réunion, CPIP au SPIP 974-RA St Pierre

CGT INSERTION-PROBATION

Mme Margaux Le Gallo, secrétaire générale

Mme Aurélie Doraphé, secrétaire générale

Table ronde - Syndicats des directeurs des services pénitentiaires

SYNDICAT NATIONAL PÉNITENTIAIRES - FORCE OUVRIÈRE (SNP - FO) DIRECTION

Mme Gaelle Verschaeve, secrétaire générale adjointe, chef d'établissement du CP Béziers

M. Maxime Gilmant-Merci, chef de section sécurité pénitentiaire en charge de la protection des établissements et des services de la DAP

SYNDICAT NATIONAL DES DIRECTEURS PÉNITENTIAIRES (SNDP-CFDT)

M. Jean-François Fogliarino, secrétaire général

Mme Bérangère Cusanno, adjointe au chef d'établissement du centre de détention de Tarascon

Mme Virginie Nouaille, directrice fonctionnelle du service pénitentiaire d'insertion et de probation des Hauts de Seine

CONTRIBUTION ÉCRITE

Observatoire international des prisons (OIP)


* 1 Une surpopulation carcérale persistante, une politique d'exécution des peines en question, rapport public thématique, octobre 2023

* 2 Plusieurs des mesures de l'accord n'ont pas d'impact budgétaire direct mais consistent en des évolutions de pratiques, notamment en matière d'échange d'information.

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