B. LES CONSÉQUENCES DE LA SITUATION BUDGÉTAIRE ACTUELLE RAPPELLENT LA MARGE BUDGÉTAIRE LIMITÉE DONT DISPOSE LE MINISTÈRE DE LA JUSTICE

1. La mission « Justice », déjà éprouvée par la régulation budgétaire de l'année écoulée, repose largement sur des dépenses incompressibles

La régulation budgétaire conduite par le ministère de la justice en 2024 a souligné le fait que ce dernier dispose de marges de manoeuvre réduites. Le décret n° 2024-124 du 21 février 2024 portant annulation de crédits a par exemple porté sur près de 129 millions d'euros de crédits pour le programme 166, 43 millions d'euros pour le programme 310 et 200 000 euros pour le programme 335 - dont, au total, pour ces trois programmes, près de 8,5 millions d'euros affectés aux dépenses de personnel. Certaines personnes auditionnées ont signalé que la régulation budgétaire a conduit au report au début de l'année 2025 de dépenses imputables à l'exercice 2024, ce qui grève les crédits du PLF pour 2025.

Le secrétariat général et la direction des services judiciaires ont toutefois identifié, lors de leurs échanges avec la direction du budget, deux manières de contenir la croissance des dépenses du ministère de la justice. Il s'agit d'oeuvrer à la réduction du dynamisme des frais de justice, d'une part, et de l'aide juridictionnelle, d'autre part :

· La maîtrise des frais de justice apparaît nécessaire au regard de leur augmentation significative ces dernières années. Le PLF initial prévoit ainsi une hausse des crédits qui leur sont consacrés de 68 millions d'euros, ce qui porte l'ensemble à 743 millions d'euros. Ce dynamisme s'explique notamment par la progression sensible de certains segments ; les coûts relatifs aux investigations numériques et aux expertises médicales augmentent ainsi respectivement de 37,3 % et 26,2 %. La direction des services judiciaires déploie ainsi un plan de maîtrise des frais de justice, assorti d'une amélioration de la gouvernance de cette dépense et d'une politique de sensibilisation interministérielle pour associer les officiers de police judiciaire à cette démarche2(*). Ces différentes actions participent à la réduction progressive de la croissance du coût des mémoires déposés ; cette dernière s'élevait à 5 % entre 2023 et 2024, contre 12 % entre 2020 et 2021. Aussi importe-t-il de poursuivre ces actions pour réduire la hausse des frais de justice à sa part incompressible. Les rapporteures accueillent donc favorablement les priorités identifiées pour 2025 par la direction des services judiciaires, que sont la réduction de 20 % des coûts du gardiennage de véhicules et le développement du recours à la plateforme nationale des interceptions judiciaires (ci-après, PNIJ) ;

· La modulation de l'aide juridictionnelle, préconisée par la Cour des comptes dans un rapport du 13 octobre 2023 et avancée par plusieurs personnes auditionnées, a été envisagée par les services du ministère de la justice. Les crédits alloués à l'aide juridictionnelle ont en effet crû de près de 35 % entre 2020 et 2024. Si cette hausse est largement due aux revalorisations de la rétribution des avocats, le ministère entend toutefois la modérer grâce à deux actions principales. La première consiste en l'introduction d'une procédure de recouvrement de l'aide juridictionnelle « garantie » versée à des bénéficiaires non exigibles3(*), qui entrera en vigueur le 1er janvier 2026. La seconde, en la réduction de la rétribution d'un avocat qui assiste plusieurs justiciables à l'occasion d'affaires similaires, soit lors des « grands procès ».

2. Le ministère de la justice souffre d'un sous-investissement durable auquel il est impérieux de remédier

Le rapport remis au président de la République à l'issue des États généraux de la justice a dressé le constat d'un « sous-investissement chronique » qui suscite le consensus et justifia l'adoption de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027. Aussi les rapporteures sont-elles vivement attachées à la préservation des dépenses d'investissement du ministère de la justice.

Le récent rapport de la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (ci-après, CEPEJ), diffusé le 16 octobre 2024 quoiqu'élaboré à partir des données de 2022, a ainsi été cité à plusieurs reprises au cours des auditions qui ont rappelé que la hausse significative du budget alloué au ministère de la justice depuis 2017 n'a pas encore pallié l'insuffisance durable de l'investissement de la Chancellerie. La CEPEJ observe ainsi que les pays comparables à la France consacrent en moyenne 92,10 euros par habitant et 0,30 % de leur produit intérieur brut (ci-après, PIB) à la justice, tandis que ces données s'élèvent respectivement à 77,20 euros et à 0,20 % pour la France.

Source : CEPEJ, « Système judiciaires européens », 2024, à partir des données de 2022

Ces éléments soulignent la nécessité de préserver les objectifs consacrés par la LOPJ, et de soigner leur suivi pour envisager leur prolongement à terme. Il semble en effet que le rattrapage des divers retards accumulés par le ministère de la justice ne sera pas achevé dès 2027.


* 2 Les autres directions du ministère (DACG, ANTENJ, par exemple) et du ministère de l'intérieur (DGPN, DGGN) participent désormais au comité stratégique des frais de justice et le plan d'action est inter-directionnel depuis 2024. Ce dernier a entraîné notamment l'institution de tableaux de bord mensuels prévisionnels, le déploiement d'un réseau de référents frais de justice, l'expérimentation des services centralisateurs régionalisés des frais de justice et le développement des actions de formation et de sensibilisation.

* 3 L'aide juridictionnelle « garantie », introduite par décret et entrée en vigueur le 1er juillet 2021, permet dans certaines procédures aux avocats d'obtenir, sans examen a priori des conditions d'éligibilité du justiciable, une rétribution au titre de l'aide juridictionnelle. Le décret n° 2024-193 du 6 mars 2024 introduit une procédure d'examen a posteriori de cette aide juridictionnelle « garantie ».

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