N° 150

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 novembre 2024

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances, considéré comme rejeté par l'Assemblée nationale, pour 2025,

TOME VIII

PROTECTION JUDICIAIRE

DE LA JEUNESSE

Par Mme Laurence HARRIBEY,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Philippe Bas, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, MM. Ian Brossat, Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, MM. Georges Naturel, Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (17ème législ.) : 324, 459, 462, 468, 471, 472, 486, 524, 527, 540 et T.A. 8

Sénat : 143 et 144 à 150 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

La protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) est l'acteur chargé des questions intéressant la justice des mineurs et, plus particulièrement, de l'exécution des mesures éducatives, des peines et des mesures de sûreté prononcées à l'encontre des mineurs (et, dans certains cas, des jeunes majeurs) délinquants. Elle repose, au 1er juin 2024, sur 1 233 établissements et services, dont 232 en gestion directe relevant du secteur public et 1 001 relevant du secteur associatif habilité (SAH).

Pour la PJJ, l'exécution du projet de loi de finances pour 2024 a été complexe. À titre d'illustration, pour le seul secteur associatif habilité, le décret d'annulation n° 2024-124 du 21 février 2024 a réduit l'enveloppe disponible de près de 23 M€, prélevés sur la réserve de précaution (19,5 M€) et sur des projets décalés dans le temps (3,5 M€).

C'est dans ce contexte difficile, par ailleurs marqué par une importante crise sociale à l'été et à la rentrée 2024, qu'intervient le projet de loi de finances (PLF) pour 2025.

Le programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse » représente 9,7 % des crédits de la mission « Justice » inscrits au PLF pour 2025. Sans qu'il soit tenu compte de l'amendement abondant les crédits de la mission de 250 M€ supplémentaires dont le Gouvernement a annoncé le dépôt au Sénat1(*), le programme serait doté de 1,160 Md€ en autorisations d'engagement et de 1,141 Md€ en crédits de paiement : ces montants sont stables par rapport à 2024 - ce qui contraste avec la nette augmentation observée dans les autres programmes de la mission « Justice » sous l'effet de la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 d'orientation et de programmation pour le ministère de la justice 2023-2027.

Les crédits alloués au programme se décomposent, comme les années passées, en trois actions : « Mise en oeuvre des décisions judiciaires » qui concentre la grande majorité des crédits du programme (977 M€) ; « Soutien » (136 M€), qui correspond au financement de la fonction de pilotage, de gestion, d'animation et de coordination assumée à titre principal par l'administration centrale de la PJJ ; « Formation » (47 M€), seule action en augmentation (+4,3 % en AE), qui couvre notamment les crédits de l'École nationale de la PJJ.

Le présent rapport pour avis a été établi dans des conditions particulières, marquées par la transmission tardive (voire par l'absence de transmission) des réponses du ministère au questionnaire budgétaire de la rapporteure2(*) - y compris sur des interrogations signalées, dès l'envoi du questionnaire aux services en juillet, comme prioritaires. Elle s'est toutefois attachée à faire le point sur quatre enjeux majeurs :

- les effets, toujours mal appréhendés, du code de la justice pénale des mineurs sur l'action de la PJJ ;

- le déploiement du logiciel PARCOURS, dont l'étude est un facteur croissant d'inquiétude au vu des retards pris et des frais considérables déjà engagés ;

- les centres éducatifs fermés, qui tendent de plus en plus à s'affirmer comme une solution de placement par défaut, loin de leur vocation initiale de dernier recours ;

- le versement des primes « Ségur pour tous » promises aux personnels du SAH à l'été 2024, dont le financement n'est à ce jour pas garanti.

En dépit des difficultés parfois lourdes dont le présent rapport se fait l'écho, il n'est pas apparu opportun de remettre en cause les progrès que permettra le PLF pour 2025 pour la PJJ (et, en particulier, la création - annoncée par le garde des sceaux - de 45 postes supplémentaires). C'est pourquoi, au terme de cet examen et sur la proposition de la rapporteure, la commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme.

I. LES EFFETS TOUJOURS INCERTAINS DE L'ENTRÉE EN VIGUEUR DU CODE DE LA JUSTICE PÉNALE DES MINEURS

Entrée en vigueur le 1er octobre 2021, le code de la justice pénale des mineurs (CJPM) avait pour objectif de « remplacer l'ordonnance de 1945 par un ensemble cohérent de mesures susceptible de clarifier les procédures applicables et d'apporter une réponse plus efficace aux infractions commises par les mineurs »3(*), avec notamment une innovation de taille : la césure du procès pénal en deux phases, soit une audience sur la culpabilité et une seconde, six à neuf mois plus tard, sur la peine.

La mise en oeuvre du nouveau code a fait l'objet d'un rapport gouvernemental d'évaluation, remis au Parlement en octobre 2023 ; le présent avis est l'occasion de recueillir, chaque année, des statistiques permettant de dresser le bilan de la réforme.

Du point de vue des juridictions, les indicateurs disponibles dessinent un résultat globalement positif, marqué notamment par la baisse des délais moyens de jugement (17,2 mois entre la commission des faits et le jugement en 2023, contre plus de 21 mois en 2021) comme de la proportion de mineurs en détention provisoire dans l'ensemble des mineurs détenus (77  % au 1er octobre 2021, contre 64 % au mois d'août 2024), ainsi que par un recours fréquent à la nouvelle « mesure éducative judiciaire » créée par le CJPM.

On observe, dans le même temps, un usage large de la possibilité de déroger au principe de la césure du procès pénal pour recourir à une audience unique4(*).

Si des indicateurs existent pour apprécier l'impact de la réforme sur les juridictions, les chiffres manquent pour évaluer ses effets sur les services de la PJJ. La réponse du ministère à la question de la rapporteure sur ce sujet ne comporte, de manière révélatrice, aucun élément chiffré sur ce sujet : elle se borne à constater que « les établissements de placement de la PJJ font état des conséquences de la nouvelle temporalité de la procédure sur le séquençage du placement ». Ce constat n'est pas particulièrement étonnant, l'élaboration du code lui-même s'étant entourée, selon la commission des lois, d'une « concertation insuffisante » sur les « conditions concrètes de sa mise en oeuvre »5(*). Le ministère lui-même reconnait d'ailleurs dans les documents annexés au PLF 2025 que, s'agissant des mesures de milieu ouvert, « le nouveau cadre procédural [issu du CJPM] a profondément transformé les pratiques professionnelles et nécessite de réaliser une étude d'impact approfondie et un accompagnement renforcé de ce dispositif » : on peut être surpris qu'une étude d'impact soit programmée en 2025 pour une réforme entrée en vigueur fin 2021...

Malgré cela, un aperçu significatif de l'impact du CJPM sur les services de la PJJ peut être déduit de l'évolution du nombre de mesures en attente et du stock de mesures en cours.

Au 31 décembre 2023, 3 088 mesures pénales restaient en attente d'exécution dans le secteur public, soit environ 6 %. La dégradation est légère par rapport à l'année précédente (2 588 mesures en attente, soit environ 5 %) ; cette analyse à court terme atteste de la résilience des services de la PJJ. Cependant, elle ne doit pas masquer la réalité d'un stock total de mesures en cours qui non seulement augmente mais, surtout, dont la croissance s'accélère de manière vertigineuse au cours des dernières années. Alors que la hausse était modérée jusqu'en 2021 (+1 000 mesures « en cours » par an environ, en fin de période, selon les chiffres dont dispose la commission des lois), la croissance du stock atteint une rapidité inquiétante sur les trois derniers exercices budgétaires, comme le montre le graphique ci-dessous.

Source : commission des lois du Sénat,
sur la base des statistiques du ministère de la Justice.

Ce sont ainsi 58 057 mesures pénales qui sont en cours au 31 décembre 2023, dont plus de 12 000 pour la seule direction interrégionale (DIR) d'Île-de-France. Cela représente une augmentation de plus de 4 300 mesures par rapport au 31 décembre 2022 - sans même compter les 3 000 mesures en attente pour la même année !

On peut, certes, s'en réjouir, puisque ces 58 000 meures sont autant de réponses apportées à des mineurs délinquants pour garantir leur relèvement moral et leur réinsertion. Néanmoins, dans un contexte où aucune augmentation des moyens de la PJJ n'est programmée à court, moyen ou long terme, la rapporteure ne saurait cacher sa vive préoccupation quant à la capacité d'absorption de ce renfort d'activité par la PJJ : en effet, la croissance très nette des mesures en cours et la résistance d'un nombre substantiel de mesures en attente (entre 2 500 et 3 100 chaque année) supposerait, pour apurer le stock et permettre aux services de faire sereinement face aux flux, que plusieurs centaines de postes soient créés.

Étant rappelé que cette perspective n'est pas réaliste au vu de l'état des finances publiques de notre pays et que, si des postes peuvent (voire doivent) être créés, ils ne le seront vraisemblablement pas à due concurrence de l'évolution de l'activité, la rapporteure s'interroge sur les solutions qui pourraient être mises en oeuvre pour que la PJJ dispose enfin des moyens d'une réelle adaptation aux innovations issues du CJPM.

Il semble, tout d'abord, indispensable que les créations ou les redéploiements de postes soient fléchés par priorité vers les fonctions de « terrain », donc sur la filière éducative, plutôt que vers des missions « support ». En 2024, sur 92 postes créés, 23 ont concerné de telles missions.

Sans remettre en cause l'importance des fonctions administratives, la rapporteure constate que la proportion des postes « support » parmi les emplois nouveaux est nettement plus importante que par le passé (soit 2 postes sur 40 en 2021, 3 sur 51 en 2022 et 8 sur 92 en 2023). De plus, cette évolution n'est guère justifiée, le ministère se contentant d'indiquer que les postes correspondants ont été créés pour « renforcer respectivement les plans d'action Placement et Insertion, ainsi que la fonction soutien notamment pour répondre aux enjeux environnementaux ».

De la même manière, la rapporteure observe une décorrélation entre l'évolution du nombre d'éducateurs, qui marque une baisse entre le 31 décembre 2022 et le 31 décembre 2023 (5 402 contre 5 247), et le nombre d'encadrants qui, à l'inverse, augmente d'environ 10 % sur la même période (2 113 contre 2 339).

Cette tendance ne saurait perdurer, a fortiori au vu de la faiblesse des justifications apportées, et il importe que l'effort fourni en matière de ressources humaines profite en priorité au renforcement des capacités d'accompagnement des mineurs sur le terrain.

Une autre solution pourrait consister à simplifier le travail des éducateurs. Ce n'est pas le chemin qui semble avoir été pris, le précédent garde des sceaux ayant créé en avril 2024, par voie de circulaire, une nouvelle « mesure d'intérêt éducatif » qui, intégrée au sein des stages de citoyenneté ou de formation civique, fait passer de tels stages de 3 à 5 jours à une mesure renforcée de six mois et qui, mise en place sans concertation préalable, ne présente pas d'apport visible quant à la nature des actions concrètes qui peuvent être mises en oeuvre par la PJJ pour l'accompagnement des mineurs délinquants6(*).

Troisièmement, l'enjeu de l'attractivité et de la fidélisation des personnels conserve une importance majeure, le fort turn-over des équipes posant des difficultés d'organisation et d'efficacité au sein de la PJJ. Un plan d'action dédié à l'attractivité et la fidélisation des professionnels de la PJJ a été présenté aux organisations syndicales le 15 mars 2024 ; la rapporteure, qui aurait souhaité obtenir davantage d'informations sur son calendrier de finalisation et de mise en oeuvre, estime qu'il s'agit là d'un signal encourageant.

On peut, par ailleurs, se réjouir que les campagnes de communication menées par le ministère commencent à porter leurs fruits : grâce à des messages plus ciblés et à une présence renouvelée sur les réseaux sociaux, on constate depuis peu une nette amélioration du nombre d'inscrits au concours d'éducateur (2 952 candidats inscrits en 2023, contre 1 280 en 2022). Dans le même sens, l'École nationale de la PJJ mène une réflexion d'ampleur sur le contenu de ses formations et sur leur adaptation aux besoins des jeunes professionnels, ce qui est de nature à éviter les abandons en cours de cursus ou les démissions rapides après la prise de poste. La DPJJ s'attache, quant à elle, à mieux satisfaire les voeux de première affectation formulés par les sortants de l'École, une expérimentation sur ce thème étant en cours depuis deux ans. L'avenir permettra d'évaluer la pertinence opérationnelle de ces initiatives.

Enfin, il est essentiel que la DPJJ renoue avec un dialogue social serein. La crise sociale de l'été et de la rentrée 2024, suscitée notamment par la non-reconduction brutale de nombreux postes de contractuels (plusieurs centaines), semble avoir marqué un tournant dans les relations entre la direction et les personnels : la confiance est, à ce stade, rompue.

La rapporteure estime que, pour permettre la reprise du dialogue, la DPJJ doit mieux répondre aux demandes exprimées par le « terrain » et faire preuve de transparence. Alors que les « plans » se multiplient dans tous les domaines d'action de la PJJ, la question des moyens humains doit être clairement posée et des réponses précises et concrètes doivent être apportées aux interrogations des personnels ; plus largement, l'administration doit cesser la rétention d'informations qu'elle semble pratiquer et communiquer les statistiques dont elle dispose aux organisations représentatives. Il n'est ni sain, ni compréhensible que la direction s'abstienne de transmettre des chiffres aux personnels au vu des importantes obligations de reporting qui pèsent sur les encadrants : ce paradoxe ne peut qu'être de nature à nourrir une défiance mutuelle, elle-même préjudiciable au bon exercice par la PJJ de ses missions.

II. LE LOGICIEL « PARCOURS » : ANATOMIE D'UN NAUFRAGE

Depuis plusieurs années déjà, la commission des lois profite de son avis budgétaire sur les crédits de la PJJ pour établir un point d'étape sur l'avancée du déploiement de l'applicatif PARCOURS.

Celui-ci doit permettre, à terme, d'atteindre un objectif dont on pourrait s'étonner qu'il ne soit pas acquis en l'état : assurer le suivi de tous les mineurs confiés à la PJJ, en recensant tous les actes pris à leur égard par l'ensemble des acteurs compétents (magistrats, associations du SAH, éducateurs et personnels administratifs), y compris en ce qui concerne leur suivi en réinsertion à la sortie des services et établissements de la PJJ.

Initié en 2019, le projet reste à ce jour inabouti et insatisfaisant ; il s'avère par ailleurs extraordinairement coûteux, au point que l'on peut s'interroger sur le degré de lucidité du ministère de la justice quant à la déroute dans laquelle il semble engagé.

En effet, alors que la première version de PARCOURS a été mise en service en mai 2021, il semble que, depuis cette date, le projet ne parvienne pas à progresser.

PARCOURS reste, en premier lieu, incomplet à deux égards :

il n'est accessible qu'aux personnels du secteur public - ce qui exclut les personnels du SAH. Or, en l'absence d'une couverture complète des établissements et structures de la PJJ, les données relatives aux jeunes suivis par le secteur associatif habilité doivent être « re-saisies » par des agents du secteur public, ce qui constitue une lacune importante sur le plan quantitatif, impose aux équipes une tâche chronophage et peu gratifiante et crée mécaniquement le risque d'erreurs dans la retranscription des informations transmises. Pour combler cet angle mort, l'ouverture de PARCOURS aux personnels du SAH - initialement prévue pour la fin du premier semestre 2022 et sans cesse reportée depuis lors - avait été annoncée pour 2024. Le ministère ayant préféré garder le silence sur ce sujet dans le cadre ses réponses au questionnaire budgétaire, la rapporteure a interrogé les représentants du SAH au cours de leur audition. Ceux-ci ont non seulement confirmé qu'ils n'avaient toujours pas accès à PARCOURS, mais surtout indiqué que malgré leurs sollicitations, ils restaient en attente de réponses de la DPJJ quant à la nécessité d'acquérir, ou non, le matériel requis pour garantir l'interconnexion entre le logiciel et leurs systèmes d'information. La situation semble donc au point mort, ce qui est particulièrement préoccupant ;

- ensuite, la centralisation et l'analyse des données renseignées dans PARCOURS supposent la mise en place d'un nouvel infocentre « InfoDPJJ » qui ne sera opérationnel qu'à l'aboutissement du travail, toujours en cours, de reprise des bases de données depuis 2004. Plusieurs fois présenté comme imminent, l'achèvement de ce travail est désormais prévu pour la fin 2024. En 2025, le contenu de l'infocentre devra être complété des données relatives aux parcours scolaires et d'insertion, ainsi qu'au partenariat Justice / Armée, ce qui doit permettre le calcul des « indicateurs politiques prioritaires du gouvernement ».

La phase suivante du projet a été mise en développement en 2023. Néanmoins, il n'est pas possible, au vu des éléments transmis par le gouvernement, de comprendre ou d'analyser les étapes à venir : le ministère s'est borné à indiquer que le périmètre fonctionnel et le calendrier de déploiement du lot n° 2 de PARCOURS7(*) avaient été fortement impactés par les arbitrages budgétaires rendus en comité stratégique de la transformation numérique en janvier 2024 puis par les coupes budgétaires imposées aux programmes 3108(*) et 182, sans que la nature de cet impact soit détaillée. Il précise également, avec un emploi sûrement révélateur de l'imparfait, que « plusieurs fois décalée, la mise en service du lot 2 était programmée au deuxième trimestre 2025 ». Le Parlement n'en saura pas davantage sur le planning prévisionnel d'aboutissement du projet - ce qui semble confirmer les conclusions de la Cour des comptes : celle-ci avait estimé que, toutes choses égales par ailleurs, PARCOURS ne serait pas déployé avant 20329(*).

PARCOURS présente, en deuxième lieu, un fonctionnement peu satisfaisant pour ses utilisateurs. Les organisations syndicales ont unanimement décrit un outil informatique peu intuitif, inutilement lourd (il impose par exemple de renseigner les arrivées et les départs, aucune interconnexion avec les bases RH du ministère n'étant opérationnelle ; à défaut, les statistiques se trouvent intégralement faussées) et davantage pensé pour dimensionner les plafonds d'emplois dans les structures et établissements de la PJJ que pour contribuer au bon suivi des mineurs et de leurs particularités. De son côté, le ministère concède pudiquement que « [le] déploiement [de PARCOURS] nécessite un accompagnement soutenu des professionnels et des mises à jour permanentes » et que « sa fiabilisation sera indispensable pour rendre compte de la réalité des parcours des mineurs et de l'efficacité de la mission, mais également pour allouer des moyens humains et budgétaires adaptés ».

La mention de « mises à jour permanentes » et d'une nécessaire « fiabilisation » n'est pas de nature à rassurer sur la solidité de l'outil.

PARCOURS est, enfin, un projet particulièrement onéreux, et qui menace désormais de se transformer en gouffre financier. Estimé à 10 millions l'année passée par la rapporteure, le coût du chantier s'élève en réalité, à ce jour, à près du double.

 AE (en euros)

< 2021

2021

2022

2023

2024

Total

Dépense DNUM - budget SNUM P310

3 128 366

2 387 178

913 747

3 004 555

1 874 665

11 308 511

Dépense DNUM - budget plan de relance P363

 

2 415 792

881 308

   

3 297 100

Dépense DNUM - budget DPJJ P182

     

708 339

414 000

1 122 339

INFOCENTRE (dépense DNUM - budget SNUM P310)

 

248 093

224 398

 

144 480

616 971

INFOCENTRE (dépense DNUM - budget plan de relance P363)

 

303 240

     

303 240

INFOCENTRE (dépense DNUM - budget DPJJ P182)

   

224 053

777 175

98 746

1 099 974

Accompagnement au changement (dépense DPJJ)

481 101

322 672

498 747

507 708

 

1 810 228

Total

3 609 467

5 676 975

2 742 253

4 997 777

2 531 891

19 558 363

 Source : ministère de la Justice.

Ces dépenses n'ont couvert qu'une partie du projet (la première phase, c'est-à-dire le lot n° 1, non encore livré à 100 %, et certains développements du lot n° 2), à laquelle doivent succéder la fin du lot n° 2 et l'intégralité du lot n° 3. Alors que la rapporteure avait explicitement interrogé le ministère sur ce point, elle n'a obtenu aucune réponse précise sur le coût estimatif global du projet : la DPJJ a, au cours de son audition, avancé le chiffre de 30 millions d'euros, sans que celui-ci soit justifié et sans qu'il paraisse réaliste au vu du rythme d'engagement des dépenses depuis le lancement du projet.

Ces déclarations contribuent à entretenir l'impression que l'administration se trouve dans un flou complet quant au calendrier et même au contenu final du projet.

La rapporteure appelle la vigilance du ministère sur le pilotage du déploiement du logiciel PARCOURS. Elle souligne que, si des difficultés peuvent être rencontrées pendant la « vie » d'un projet, il est atypique, voire anormal, qu'un maître d'ouvrage ne soit capable de détailler ni le planning prévisionnel ni le budget actualisé d'une opération informatique déjà lancée. Il incombe à l'administration de faire face, dès maintenant, aux difficultés qu'elle rencontre et d'en tirer toutes les conséquences, fût-ce en revoyant à la baisse le périmètre du logiciel, afin d'éviter que PARCOURS ne devienne le naufrage qu'il risque dorénavant de devenir.

III. LES CENTRES ÉDUCATIFS FERMÉS, SOLUTION DE PLACEMENT « PAR DÉFAUT » ?

La rapporteure pointait, dans le cadre de son rapport pour avis sur le PLF 2024, le risque d'un « effet d'éviction » des centres éducatifs fermés (CEF) au détriment des autres solutions de placement, alors même que ceux-ci sont en théorie une solution de dernier recours.

En effet, les centres éducatifs fermés, animés par des équipes pluridisciplinaires, ont vocation à permettre la prise en charge des mineurs de 13 à 18 ans multi-réitérants, multirécidivistes ou ayant commis des faits d'une particulière gravité : ils constituent la forme la plus contraignante du milieu fermé et la dernière étape avant l'incarcération. Le ministère a lancé, à l'occasion de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice, un ambitieux programme de construction de 20 nouveaux centres éducatifs fermés (CEF), qui constitue un axe majeur de la stratégie de la PJJ.

Ce programme, ralenti par le renchérissement du coût de la construction et l'assèchement des moyens financiers de l'État, a permis à ce jour l'ouverture de trois centres.

L'état d'avancement du programme de construction de 20 nouveaux CEF

Trois [nouveaux] établissements sont actuellement [en activité]. Il s'agit du CEF public de Bergerac (24) et des CEF associatifs d'Épernay (51) et de Saint-Nazaire (44) qui comportent chacun 12 places, comme l'ensemble des futurs CEF.

La livraison du CEF de Rochefort est intervenue en septembre et celle du CEF de Guyane est imminente. 

Trois autres sont en chantier : Le Vernet en Ariège (09), Amillis en Seine-et-Marne (77) et Aiglun dans les Alpes de Haute Provence (04). La livraison du CEF du Vernet doit intervenir au début de l'année 2025 et celles des CEF d'Amillis et d'Aiglun au second semestre 2025. Ils commenceront leur activité cette même année.

Cinq autres projets devraient aboutir d'ici 2027 ou début 2028, avec au moins trois mises en chantier prévues en 2025. Il s'agit de projets dont le foncier est maîtrisé et qui sont actuellement en phase de conception avec une maîtrise d'oeuvre : Liancourt (60) et Lure (70) pour le secteur public, Bléré (37), Bellengreville (14) et Villeneuve-Loubet (06) pour le secteur associatif.

Un appel à projet doit être lancé dans le département du Tarn-et-Garonne, pour relocaliser un CEF SAH, initialement envisagé dans l'Hérault. Ce département a été choisi après une phase de pré-prospection foncière et la consultation d'élus locaux comme de la préfecture. 

Les cinq projets restants sont moins avancés ou se heurtent encore à des difficultés importantes.

Le projet de CEF associatif dans le département du Nord (59) a fait l'objet d'un dépôt de permis de construire à Mérignies, malgré l'opposition de la mairie qui a modifié le PLU afin d'y faire échec. Au regard du contexte et des recours contentieux il est difficile de s'engager sur un calendrier.  

Les quatre derniers CEF, dans le Pas-de-Calais (62 - SP [service public]), la Loire (42), les Yvelines (78) et la Savoie (73), sont encore en attente d'un foncier à fiabiliser pour déterminer un calendrier d'ouverture. De nombreuses prospections ont été conduites mais n'ont pu aboutir. 

La recherche de terrains pour de nouveaux CEF s'avère en effet particulièrement complexe en raison de la rareté des terrains adaptés mais aussi de l'opposition fréquente des riverains, souvent relayée par les élus locaux. L'acceptabilité des CEF par la population est un facteur déterminant de la maîtrise foncière qui a conduit la PJJ à renoncer à un nombre très significatif d'emprises constructibles. Mérignies, précédemment évoquée, est la seule situation où le projet est maintenu malgré l'opposition locale avec de fortes incertitudes sur son issue.

De nouveaux appels à projets seront nécessaires, du fait du dépassement des délais d'autorisation mais aussi de l'abandon de certaines associations comme c'est déjà le cas pour le projet en Savoie.

Au programme de construction de 20 nouveaux CEF s'ajoutent deux autres projets. Cela porte à 22 le nombre total d'ouvertures de CEF prévues : un CEF public à Mayotte (976) et un CEF associatif à Varenne-le-Grand (71) dont les ouvertures sont prévues en 2027, voire 2028 pour Mayotte au regard des multiples contraintes opérationnelles identifiées sur ce territoire ultra-marin.  

Source : ministère de la justice.

Cela étant, des questions demeurent sur les objectifs de ce programme immobilier, dans un contexte où les CEF tendent à devenir une solution de placement par défaut et semblent accueillir un nombre croissant de primo-délinquants. Alors que le ministère affiche l'ambition d'augmenter la durée des placements en CEF (un placement de six mois étant souvent nécessaire pour garantir la réorientation du mineur hors de la délinquance10(*)), l'indicateur de performance « Part des mesures de placement terminées en CEF de 3 mois et plus » affiche une cible en net recul, avec un passage de 75 % en 2024 à 65 % pour 2025. Depuis le mois de mars 2024, un tableau de bord mensuel dédié exclusivement aux CEF a été mis en place ; il montre que la durée du placement reste inférieure à 6 mois dans 81 % des cas, et même à 3 mois dans 48 % des cas, à la fois du fait de mainlevées anticipées et, selon le ministère, de « fragilités des établissements en termes de ressources humaines ». Cette tendance s'est même aggravée au premier semestre 2024, avec une durée moyenne de placement en CEF en baisse (3,9 mois) par rapport à 2023 (4,1 mois) ; le taux de placement terminés de plus de 3 mois chute, pour sa part, à 51 %.

La rapporteure ne peut cacher sa vive inquiétude face à ces statistiques qui imposent, plus que jamais, de poser la question de l'adaptation des CEF au nouveau rythme des décisions pénales et aux contraintes de ressources humaines avant toute continuation du programme de construction lancé en 2019. Comme l'année passée, elle insiste sur la nécessité, comme le soulignait la Cour des comptes, « avant de lancer de nouveaux projets de CEF au-delà de ceux déjà engagés, d'établir les besoins à satisfaire, en se fondant sur une évaluation de l'offre existante et la réalisation de schémas régionaux tenant compte des autres dispositifs de placement de la PJJ et intégrant les conséquences de la réforme de la justice pénale des mineurs »11(*) ; au vu des échanges qu'elle a eus avec le ministère en audition, il semble que l'administration soit bien loin d'avoir élaboré de tels schémas, ce qui ne peut qu'être déploré tant un tel outil est indispensable au bon pilotage des structures.

La rapporteure rappelle, en outre, que la réflexion devra tenir compte de la nécessaire diversification des formules de placement, redonnant aux CEF leur caractère de solution de dernier recours, afin que la réponse pénale ait les meilleures chances d'atteindre des résultats probants en matière de réinsertion et de prévention de la récidive.

IV. QUEL FINANCEMENT POUR LE « SÉGUR POUR TOUS » ?

La rapporteure souhaite, en dernier lieu, évoquer un point spécifique aux personnels du secteur associatif habilité (SAH) : les primes dites « Ségur pour tous ».

Ces primes correspondent à une extension aux salariés du secteur privé médico-social de certaines primes consenties au secteur public en avril 2022 (dans le cadre, là aussi, d'une extension des mesures de revalorisation salariale des soignants à la suite du « Ségur de la santé » qui avait fait suite à la crise sanitaire de 2020).

Plus en détail, à la suite d'accord intervenus en juin 2024 et par des arrêtés du 24 juin12(*) puis du 5 août 202413(*), le Gouvernement a étendu les primes « Ségur » aux intervenants du secteur sanitaire, social et médico-social privé à but non lucratif. En pratique, ces arrêtés accordent aux salariés à temps plein du secteur une prime mensuelle de 183 € net (soit un montant de 248 € brut pour les employeurs, hors charges patronales), avec application rétroactive au 1er janvier 2024 dans certains cas.

Alors que le versement de ces primes devait s'accompagner d'une compensation financière de l'État, les associations s'alarment de constater que la circulaire de tarification du 16 juillet 202414(*) ne tient pas compte de leur versement et qu'elle ne leur donne aucun levier supplémentaire pour payer à leurs salariés les sommes supplémentaires auxquelles ils ont pourtant droit.

Au cours de la table ronde des représentants du SAH organisée par la rapporteure, il est apparu que nombre d'associations étaient en grande difficulté financière : sans trésorerie et sans possibilité juridique de débloquer les budgets dédiés aux primes exceptionnelles ou formations, celles-ci ne parviennent pas à payer la prime « Ségur » à leur personnel, notamment pour celles qui doivent garantir un « rattrapage » depuis le 1er janvier 2024.

La rapporteure se réjouit que, selon les indications données par le secrétariat général du ministère en audition, une partie des crédits complémentaires qui devraient être alloués au ministère de la justice à l'issue de l'examen du PLF pour 2025 soient « fléchés » pour combler cette lacune et permettre le versement de la prime « Ségur » aux personnels du SAH.

Toutefois, et de manière plus large, ce « flottement » soulève des interrogations quant à la place du SAH dans l'architecture globale de la PJJ. En dépit du rôle essentiel des associations dans la prise en charge des mineurs délinquants, celles-ci ne se sentent pas toujours reconnues à leur juste mesure. À cet égard, il est frappant de constater que la part du SAH dans les crédits de la PJJ est en baisse depuis 2021 (avec une diminution de 2,2 % entre 2024 et 2025, comme l'illustre le graphique ci-dessous), cette évolution étant par ailleurs hétérogène selon les types de mesures : là encore, le poids des CEF - qui représentent selon les associations environ la moitié des sommes allouées au SAH - peut sembler disproportionné, et donc contestable.

Source : Citoyens et Justice.

Il est essentiel, dans une logique de meilleure gestion de la diversité des acteurs de la PJJ, que le rôle du SAH puisse être à l'avenir affirmé et conforté. Le versement effectif de la prime « Ségur » contribuera à atteindre cet objectif. La rapporteure sera particulièrement attentive à cet enjeu et appellera le gouvernement à préciser ses intentions au cours de la discussion parlementaire en indiquant clairement le montant alloué au paiement de cette prime.

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La commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » inscrits au projet de loi de finances pour 2025.

EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 27 NOVEMBRE 2024

Mme Laurence Harribey, rapporteure pour avis du programme « Protection judiciaire de la jeunesse ». - Comme l'année passée, il me revient de vous présenter les crédits de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). Celle-ci assure des missions importantes, particulièrement dans un contexte de débats autour de la délinquance des mineurs : c'est en effet à la PJJ qu'il incombe d'assurer l'exécution des mesures éducatives, des peines et des mesures de sûreté prononcées à l'encontre des mineurs placés sous main de justice, ce qu'elle fait grâce à environ 1 200 établissements - publics ou associatifs - installés sur l'ensemble du territoire.

Contrairement aux autres acteurs de la justice, la PJJ n'a pas connu une augmentation substantielle de ses moyens à la suite de la loi de programmation que nous avons adoptée en novembre 2023. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2025 a d'ailleurs été établi dans des conditions difficiles, avec une importante crise sociale au cours de l'été et à la rentrée, crise liée au non-renouvellement de plusieurs centaines de postes de contractuels qui ont finalement été reconduits à l'automne, d'où un certain nombre de malentendus dans les propos d'une série de professionnels.

Le programme « Protection judiciaire de la jeunesse » représente 9,7 % des crédits de la mission « Justice ». Sans tenir compte de l'amendement annoncé par le Gouvernement et qui devrait abonder les crédits de la mission de 250 millions d'euros supplémentaires, le programme serait doté d'environ 1,1 milliard d'euros en 2025, soit un montant stable par rapport à 2024.

Au-delà de ces grandes masses, l'avis favorable que je vous propose d'adopter aujourd'hui sera à mettre en perspective avec trois enjeux de nature davantage structurelle que financière, à savoir le déploiement du logiciel Parcours, les centres éducatifs fermés (CEF) et enfin la question des ressources humaines. Cette dernière englobe les effets de la réforme du code de la justice pénale des mineurs et le versement des primes dites « Ségur pour tous ».

Le déploiement du logiciel Parcours est évoqué depuis un certain nombre d'années. Il y a là un facteur d'inquiétude réelle, davantage pour des raisons liées au pilotage du projet que pour des raisons strictement budgétaires. Comme l'indique mon rapport, il semble s'agir de l'histoire d'un naufrage annoncé.

Je vous rappelle que la PJJ ne dispose à ce jour d'aucun moyen statistique pour suivre l'ensemble de la prise en charge des mineurs. L'applicatif opportunément nommé Parcours doit permettre à terme d'apporter de la visibilité sur tous les actes pris à l'égard des mineurs confiés à la PJJ, ce parcours devant être accessible à l'ensemble des professionnels.

Malgré la mise en service d'une première version en 2021, nous en sommes toujours à la première phase du projet, alors que celui-ci en compte trois. Le logiciel devait être ouvert aux professionnels du secteur associatif habilité en 2022 : ce n'est toujours pas le cas, ce qui est difficilement compréhensible au vu du poids considérable de ces associations dans l'activité de la PJJ : elles gèrent en effet 1 000 établissements sur un total de 1 200 structures.

De surcroît, le fonctionnement de l'outil est peu concluant puisque le ministère lui-même reconnaît la nécessité d'une « fiabilisation » du logiciel. Il semble s'agir d'une course sans fin, la situation étant d'autant plus préoccupante que le coût de Parcours est déjà pharaonique : je l'avais estimé l'année dernière à 10 millions d'euros, mais il a en réalité déjà atteint 19 millions d'euros et pourrait aller bien au-delà.

C'est pourquoi je vous proposerai d'appeler le Gouvernement à revoir le pilotage du projet pour éviter que ce logiciel ne devienne un désastre ou l'Arlésienne du ministère, dont on ne peut pas dire qu'il dispose de moyens optimaux dans le domaine informatique.

Le deuxième point que je souhaite évoquer concerne les CEF, sujet sur lequel nous nous avons pu avoir des désaccords avec l'ancien garde des sceaux : je rejoins ici une partie des conclusions de notre collègue Louis Vogel sur l'administration pénitentiaire.

S'il existe un programme visant à créer vingt nouveaux CEF, nous sommes très loin du compte et nous ne disposons d'aucune évaluation de l'efficacité de ces centres, alors même que la Cour des comptes avait insisté, dans un rapport rendu public fin 2023, sur la nécessité d'y procéder, d'autant qu'ils engendrent des coûts importants.

Comme nous l'avions noté dans notre rapport de l'an dernier, il existe un risque d'« effet d'éviction » par rapport aux autres solutions de placement : j'insiste sur ce point, car il est question de fléchage des crédits.

Le dernier point que je souhaite aborder concerne les questions de ressources humaines et le déficit d'attractivité de la PJJ qui peut rendre les créations de postes inopérantes, le sujet touchant autant le secteur public que le secteur associatif habilité.

Du côté du secteur public, les effets de l'entrée en vigueur du code de la justice pénale des mineurs n'ont pas été anticipés. Pour les magistrats, le bilan est plutôt positif avec une baisse des délais moyens de jugement, une diminution de la proportion des mineurs en détention provisoire dans l'ensemble des mineurs détenus ou encore un recours fréquent à la « mesure éducative judiciaire » créée par le code. En revanche, du côté des éducateurs, on s'aperçoit que les métiers et les pratiques ont été transformés sans que ces changements donnent lieu à une évaluation et à un accompagnement adapté par le biais, par exemple, de la formation continue.

Le ministère a indiqué qu'il allait lancer en 2025 une évaluation des effets du nouveau code sur les prérogatives de la PJJ en milieu ouvert : on peut s'étonner qu'une telle étude soit lancée quatre ans après l'entrée en vigueur de la réforme alors que l'évaluation devrait être réalisée en amont puis de manière continue, mais on sait que l'évaluation des politiques publiques n'est pas un point fort de la France.

Pour en revenir au sujet, nous disposons malgré tout de certains chiffres qui donnent un aperçu de la situation. Ce que montrent ces indicateurs, c'est une croissance très forte du nombre de mesures en cours : ce chiffre est en hausse depuis de nombreuses années, mais sa croissance était modérée jusqu'en 2021, avec environ 1 000 mesures supplémentaires par an. Or la situation a changé avec l'arrivée du nouveau code : 4 300 mesures supplémentaires ont été prises en charge entre 2023 et 2024, pour un total de 58 000 mesures environ - sans même compter les 3 000 mesures en attente pour la même période.

Cela atteste d'une augmentation objective de la charge de travail des agents de la PJJ, qui devrait entraîner une modification de l'organisation, mais ces éléments n'ont pas été pris en compte dans les choix budgétaires qui ont été effectués.

Outre les créations de postes, des leviers existent pour améliorer la situation. C'est pourquoi je vous propose d'appeler le Gouvernement à étudier les pistes suivantes : premièrement, il faut que les créations ou redéploiements de postes soient fléchés en priorité vers les fonctions de terrain et non pas vers les fonctions support.

Deuxièmement, il faut simplifier, dans toute la mesure du possible, le travail des éducateurs, notamment en évitant de créer des nouvelles mesures dont l'utilité n'est pas démontrée, à l'instar de la nouvelle « mesure d'intérêt éducatif » mise en place en avril dernier, qui augmente la charge de travail.

Troisièmement, il est essentiel que la direction de la PJJ renoue avec un dialogue social serein, après une crise sociale aiguë. Sans ces évolutions, je doute que la PJJ parvienne à résoudre les difficultés qu'elle rencontre en matière d'attractivité et de fidélisation des personnels.

Enfin, je relève que la situation est tout aussi inquiétante dans le secteur associatif habilité.

En contrepoint, nous avons noté les efforts importants fournis par l'École nationale de protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ) en vue de renforcer l'attractivité des professions de la PJJ. Une augmentation impressionnante du nombre d'inscrits et de candidats au concours en a résulté, mais la problématique de la fidélisation subsiste une fois le poste obtenu.

En conclusion, vous l'aurez compris, le bilan est loin d'être parfait. Malgré cela, je ne crois pas qu'il faille donner un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme « Protection judiciaire de la jeunesse » : mes remarques portent davantage sur des orientations de gestion que sur des grandes masses budgétaires. Par ailleurs, je crois que nous devons soutenir la perspective d'une évolution à la hausse des crédits de la mission « Justice » et favoriser des mutations structurelles dans l'utilisation des fonds : l'enveloppe supplémentaire permet la création de plus de 40 postes au sein de la PJJ, en rappelant - une fois encore - qu'elle ne sera pas suffisante à elle seule.

C'est pourquoi je vous propose, en dépit de la vigilance dont nous devrons faire preuve à l'avenir, de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 182.

M. Christophe Chaillou. - Merci pour ce rapport très complet, qui permet d'avoir une vision objective d'un secteur de la prévention confronté à des défis qui ne se résument pas à la problématique budgétaire. Rappelons cependant qu'il n'a guère bénéficié de largesses budgétaires dans le cadre des lois de programmation, la progression de ses moyens ayant été inférieure à celle d'autres secteurs.

Nous connaissons tous les difficultés auxquelles la PJJ doit faire face, à commencer par des publics de plus en plus difficiles. Pour avoir récemment visité un CEF, je ne peux que confirmer ces difficultés, y compris dans les relations avec les partenaires et avec les familles.

Les problématiques d'attractivité et de fidélisation sont plus que jamais posées : la décision de résilier un certain nombre de contrats l'été dernier avant de recruter à nouveau, à la suite d'un complément de crédits, a envoyé un signal négatif à un secteur déjà fragilisé.

Le budget initialement proposé ne permettait pas de répondre à ces défis, et il nous faudra vérifier que la hausse de 250 millions d'euros pour l'ensemble de la mission « Justice » sera de nature à apporter des réponses à ce secteur, les annonces ayant pu être là aussi contradictoires. Il existe des attentes sur les créations de postes et sur le versement de la compensation pour la prime « Ségur », notamment pour un secteur associatif qui est lui aussi très fragile. Dans l'attente de ces clarifications et d'engagements fermes du Gouvernement, notre avis ne peut être à ce stade que réservé.

Mme Laurence Harribey, rapporteure pour avis. - Le secrétaire général adjoint du ministère a affirmé, au cours de son audition, qu'une part de l'enveloppe de 250 millions d'euros serait consacrée à la compensation du versement de la prime « Ségur » aux personnels du secteur associatif habilité. Je serai attentive à cet enjeu au cours de la discussion parlementaire.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 182 « Protection judiciaire de la jeunesse » de la mission « Justice ».

COMPTE RENDU DE L'AUDITION DE M. DIDIER MIGAUD, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE

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MARDI 19 NOVEMBRE 2024

Mme Muriel Jourda, présidente. - Nous allons entendre Didier Migaud, garde des sceaux, ministre de la justice, dans le cadre de l'examen par la commission des lois des crédits de la mission « Justice » prévus par la loi de finances pour 2025.

Je rappelle que la commission des lois a nommé plusieurs rapporteurs pour avis sur cette mission : sur les crédits du programme « Justice judiciaire », Lauriane Josende et Dominique Vérien ; sur les crédits du programme « Administration pénitentiaire », Louis Vogel ; et, sur les crédits du programme « Protection judiciaire de jeunesse », Laurence Harribey. Cette audition a été ouverte au rapporteur spécial de la commission des finances, Antoine Lefèvre.

Monsieur le ministre, vous savez toute l'importance que la commission des lois accorde au bon fonctionnement de la justice, qui dépend pour beaucoup des moyens humains et matériels qui lui sont assignés. Nous sommes donc heureux de vous accueillir dans cette commission - pour la première fois d'ailleurs dans vos nouvelles fonctions - pour que vous puissiez nous présenter les grandes lignes du budget consacré à la justice judiciaire, dans un contexte de finances publiques que nous savons particulièrement contraint et qui conduit à des arbitrages difficiles, quelles que soient les missions concernées.

En l'absence de Louis Vogel, retenu à la Cour de justice de la République, permettez-moi d'ores et déjà de formuler quelques questions qui je souhaitais vous poser concernant l'administration pénitentiaire. La première question porte sur le plan 15 000, dont vous avez annoncé avec une certaine objectivité, me semble-t-il, qu'il ne serait pas terminé pour 2027 comme initialement prévu. Plusieurs observateurs et rapports, d'ailleurs, dont ceux du Sénat, avaient critiqué l'excessive mobilisation des moyens alloués à l'administration pénitentiaire par la construction de ces nouvelles places. Au-delà de la question de la livraison, envisagez-vous l'abandon de certains projets ou des redéploiements de crédits ?

La deuxième question, en lien avec la première, porte sur l'état des prisons françaises, accentué par la surpopulation carcérale et qui engage la responsabilité de la France. Les crédits prévus pour l'entretien des prisons baissent pour 2025. Allez-vous abonder ces crédits pour permettre l'entretien du bâti existant ?

M. Didier Migaud, garde des sceaux. - Je suis très heureux de me retrouver parmi vous pour vous présenter le budget 2025 attribué à la justice.

Le projet de loi de finances (PLF) constitue incontestablement pour tous les acteurs de la justice - mais aussi et surtout pour l'ensemble de nos concitoyens - le marqueur de la force et de la réalité de nos engagements en matière de justice dans notre pays. Comme j'ai eu l'occasion de le dire, le PLF présenté sur la base de la lettre plafond ne pouvait pas être satisfaisant. Le volume de crédits ouverts pour la mission « Justice » - 10,2 milliards d'euros - était certes en augmentation de 100 millions d'euros par rapport au précédent exercice, mais ne correspondait pas aux engagements pris dans le cadre de la loi d'orientation et de programmation du ministère de la justice (LOPJ), et surtout ne permettait pas de répondre aux engagements pris en termes d'effectifs. Le PLF tel qu'il était présenté autorisait en effet 619 créations d'emplois, alors même que lesdits engagements portaient sur le recrutement de 1 500 magistrats, de 1 800 greffiers et de 1 100 attachés de justice d'ici à 2027.

C'est pour cette raison que j'ai demandé au Premier ministre de procéder à un arbitrage à la hausse en faveur du ministère de la justice. Ledit arbitrage s'élève à 250 millions d'euros, ce qui nous permet de respecter les engagements pris en termes d'effectifs et tous les accords, notamment sur les rémunérations et les positions indiciaires des chefs de juridiction et de cour, sans oublier tous les protocoles négociés avec les organisations syndicales des personnels pénitentiaires après le drame d'Incarville, que nous serons en mesure de respecter intégralement.

Entre 2024 et 2025, les crédits du ministère vont augmenter de 358 millions d'euros, soit une hausse de 3,5 % ; pour les rémunérations versées aux agents du ministère, l'enveloppe passera de 5,05 milliards d'euros en 2024 à 5,15 milliards d'euros, soit une hausse de 2 %. Ces moyens permettront d'alimenter chacune des grandes composantes de la justice et de mener à bien les missions cardinales du ministère, ainsi que la mise en oeuvre opérationnelle de la déclaration de politique générale du Premier ministre.

Je m'étais engagé en priorité à respecter les engagements pris sur les effectifs, qui sont une condition sine qua non, mais pas l'unique solution aux problèmes de la justice, qui ne tiennent pas qu'aux moyens, car il nous faut trouver en interne des solutions pour améliorer le fonctionnement de la justice. L'augmentation des effectifs n'en reste pas moins indispensable pour contribuer à désengorger les tribunaux et les cours, dont les délais d'audiencement sont devenus inacceptables dans un certain nombre de cas. L'exemple du délai de quatre ans entre la déclaration d'appel et l'audience de plaidoirie devant certaines chambres civiles de la cour d'appel de Lyon est à lui seul particulièrement éloquent.

Nous poursuivrons donc ces recrutements. Dans le détail, une autorisation de recrutement de 1 543 équivalents temps plein (ETP) supplémentaires est donnée pour 2025, soit 924 emplois supplémentaires par rapport à ce qui était prévu dans le PLF initial. Ces personnels se répartissent de la façon suivante : sur le champ judiciaire, plus de 970 ETP viendront renforcer les services judiciaires et le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), dont 343 magistrats, 320 greffiers et 307 attachés de justice ; dans le champ pénitentiaire, 528 ETP viendront armer les établissements qui seront mis en service ; enfin, pour la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), qui a connu de sérieuses difficultés au cours de l'été 2024 compte tenu de la suppression d'un certain nombre de contrats, 45 ETP viendront renforcer les effectifs et accompagner l'ouverture de nouveaux établissements.

De manière générale, l'attention aux personnels et aux conditions de travail représente un engagement majeur de la LOPJ, tout comme la garantie de l'attractivité des rémunérations des métiers de la justice.

En outre, l'efficacité dans l'exécution des peines et l'accélération des procédures pénales seront deux axes essentiels de mon mandat. À ce titre, je rappelle que rien ne pourra se faire si nous ne disposons pas de la capacité de prendre en charge les personnes placées sous main de justice - en particulier les personnes détenues - dans le respect et la dignité dus à chacun. C'est pourquoi j'insiste sur l'importance des crédits dédiés à la réhabilitation et à la maintenance, au moins aussi essentiels que les moyens alloués à la construction.

S'agissant justement de la programmation immobilière pénitentiaire, Madame la présidente, les crédits dévolus dans le PLF pour 2025 permettront de poursuivre le plan de construction de 15 000 places supplémentaires, avec un accroissement de la capacité de la maison d'arrêt de Nîmes, ainsi que de celle de la structure d'accompagnement à la sortie de Ducos et du centre pénitentiaire des Baumettes 3, dont la construction et la réalisation se passent bien, comme j'ai eu l'occasion de le vérifier à Marseille. Sont également prévues les premières phases des opérations du centre pénitentiaire de Baie-Mahault et de la maison d'arrêt de Basse-Terre, qui seront livrés. Enfin, la rénovation et la modernisation du parc pénitentiaire existant se poursuivra. Des autorisations d'engagement (AE) permettront ainsi d'initier la restructuration du centre pénitentiaire de Fresnes, dont la vétusté nécessite une intervention à court terme.

Je tiens à confirmer que nous rencontrons des difficultés dans le calendrier des grandes opérations de construction. Ainsi, la réalisation du plan 15 000 est très en retard, puisque moins d'un tiers des opérations est déjà réalisé, tandis que 42 % d'entre elles le seront d'ici à 2027 : si tout se déroule correctement, 6 421 places seront mises à disposition au lieu des 15 000 places prévues, soit un écart considérable.

Ces difficultés sont liées à des aléas exogènes, indépendants de la volonté du ministère, dont certains sont d'ordre technique et environnemental. Des tensions sur l'approvisionnement découlant de différentes crises ont des répercussions sur les délais, sans oublier la fragilité du tissu économique, ainsi que le fait - je dois le dire très franchement devant votre Haute Assemblée - qu'il est souvent très difficile de convaincre les élus de nous laisser bâtir un établissement pénitentiaire sur leur territoire.

Ayant moi-même été élu local, je peux parfaitement comprendre ces réticences et ces résistances, qui n'expliquent pas toutes nos difficultés, mais je pense que le temps d'une prise de conscience collective est venu si nous souhaitons que ce programme se réalise.

L'achèvement du plan 15 000 ne sera pas possible sur le plan opérationnel avant 2029 dans le meilleur des cas et suppose des efforts budgétaires substantiels dans les prochaines années. Nous y travaillons avec le ministre du budget et des comptes publics dans la perspective du PLF pour 2026 et au-delà.

Un certain nombre de dossiers sont bloqués au niveau du conseil d'administration de l'Agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij) par la direction du budget, qui considère que la soutenabilité budgétaire de ces opérations n'est pas assurée. Au-delà de 2025, ce plan n'était en effet pas financé, puisque vous ne retrouverez pas les sommes nécessaires à la réalisation de l'ensemble de ces places dans la LOPJ. Certes, il existait une clause de revoyure en 2025 qui devait éventuellement permettre d'abonder ces crédits, mais, en l'absence de ce rendez-vous, la direction du budget a, dans le rôle qui est le sien, bloqué les opérations.

Je m'en suis bien sûr ouvert auprès du ministre des comptes publics et du Premier ministre, afin que nous puissions lever ces blocages le plus rapidement possible et être en mesure d'accomplir le plan 15 000 à l'échéance de 2029.

Nous nous efforcerons d'agir sur l'ensemble des leviers pour tenter d'améliorer les résultats de l'année 2027, en proposant des solutions d'accélération juridique, en explorant toutes les pistes opérationnelles sur la base du foncier dont nous disposons et en réfléchissant à d'autres types de prisons tenant compte de la diversité de notre population de 80 000 détenus. En Allemagne, en Belgique, au Québec ou encore en Suisse, des solutions de type modulaire ont prouvé leur efficacité : elles peuvent à la fois être réalisées bien plus rapidement, offrir des conditions de sécurité satisfaisantes et être construites à des coûts moindres.

Nous essaierons donc d'encourager le développement de solutions de ce type afin de respecter les engagements qui ont été pris, en rappelant que la population carcérale augmente d'année en année, à un rythme d'environ 5 500 détenus par année, soit environ 450 détenus supplémentaires chaque mois. De fait, la construction de nouvelles places de prison ne suit pas le rythme d'augmentation du nombre de détenus, ce qui laisse présager une dégradation du ratio en 2027. Il nous faut donc trouver des solutions permettant de répondre à cette situation.

Concernant l'immobilier judiciaire, le budget permettra de couvrir les opérations d'ores et déjà en chantier et de poursuivre la mise à niveau du parc immobilier, notamment au regard de la sécurité des personnes, des mises aux normes réglementaires, de la mise en sûreté des palais de justice et des opérations de gros entretien indispensables à la pérennité du patrimoine, même si nous ne pourrons pas mener toutes les opérations en même temps. L'état d'un certain nombre de tribunaux et de cours d'appel montre que nous avons du retard, mais nos moyens ne nous permettent pas de répondre à toutes les attentes.

En outre, 7 millions d'euros seront consacrés à la construction de centres éducatifs fermés (CEF) sur le secteur associatif habilité. Parallèlement à l'état des lieux relatif au programme pénitentiaire, un état des lieux de ce plan sera réalisé, de même qu'un point sur les autres formats de prise en charge.

Je souhaite également mettre en lumière certaines enveloppes ayant vocation à moderniser et améliorer concrètement le fonctionnement du service public de la justice, ainsi que les conditions de travail de ses agents. Tout d'abord, les crédits d'investissement de l'informatique ministériel seront portés à 285 millions d'euros, soit une hausse de 4,7 % par rapport à 2024. Je m'en réjouis, dans la mesure où ces crédits permettront de poursuivre les projets du second plan de transformation numérique du ministère. En outre, les crédits consacrés aux techniques d'enquête numérique atteindront 49 millions d'euros.

Tous ces projets numériques doivent permettre d'améliorer les conditions de travail et surtout l'efficacité du travail de la justice. Je souhaite insister sur ces crédits supplémentaires qui permettront au ministère d'avancer de manière décisive dans sa transformation numérique, et en particulier de financer la poursuite de projets prioritaires qui déboucheront sur des gains majeurs d'efficacité et de temps dans nos services. Il s'agit également de refondre des outils dont l'état d'obsolescence met en risque la continuité de la justice et la qualité du service rendu au justiciable.

Ces crédits vont en particulier nous permettre de poursuivre la dématérialisation et la modernisation de nos chaînes judiciaires civiles et pénales avec la procédure pénale numérique, le projet de refonte de l'application Portalis, la dématérialisation complète du casier judiciaire national, la convergence de nos outils applicatifs pénaux ou encore le nouveau système d'information de l'application des peines, Prisme.

Les crédits dédiés à l'accès au droit et la justice s'élèveront à 802 millions d'euros pour 2025, contre 790 millions d'euros en 2024. Plus spécifiquement, les crédits dédiés à l'aide juridictionnelle continueront de croître pour atteindre 718 millions d'euros, soit une hausse de 6 millions d'euros par rapport à l'exercice précédent. Parallèlement, l'aide aux victimes est portée à 51 millions d'euros en 2025, soit une hausse de 4,5 millions d'euros. Sur ce point, je tiens à souligner que l'aide aux victimes de violences intrafamiliales constitue désormais 37 % du budget dévolu aux victimes, l'effort devant se poursuivre sur cette politique pénale.

En ce qui concerne l'action sociale offerte par le ministère à ses agents, essentielle pour contribuer à l'attractivité de notre institution, le projet de budget prévoit la mobilisation de plus de 36 millions d'euros. Ce budget permettra notamment d'agir en faveur de la politique d'aides aux familles, de réduire les restes à charge en termes de restauration et de faciliter l'accès des agents au logement et à la propriété.

J'en viens au plan de lutte contre la criminalité organisée. Le ministère a identifié quelques possibilités de recettes supplémentaires à compter de 2025 et travaille avec le ministère des comptes publics à de nouvelles propositions. Parmi celles-ci, deux mesures sont déjà en cours d'adoption dans le cadre du PLF, à savoir le rehaussement du droit fixe de procédure dû par les condamnés et la mise en oeuvre de la contribution pour la justice économique.

Nous avons suggéré au ministère des comptes publics qu'une partie de ces nouvelles recettes pourrait être rétrocédée au ministère de la justice pour financer les mesures qui lui incombent dans le cadre du plan de lutte contre la criminalité organisée que nous avons présenté le 7 novembre avec le ministre de l'intérieur.

Ce plan comprend, notamment sur le volet pénitentiaire, la création de quartiers de prise en charge spécifique nécessitant un abondement supplémentaire en PLF. Dans le combat contre la criminalité organisée, il me semble très important que nous puissions réaliser davantage de quartiers d'isolement dans les prisons, afin d'éviter qu'environ 300 de ces condamnés puissent continuer à organiser leurs trafics et à commanditer des meurtres depuis leurs cellules. Si nous éprouvons parfois des difficultés à brouiller un quartier complet, l'opération est en revanche plus aisée pour une ou deux cellules avec les appareils existants.

Pour terminer, je suis parfaitement conscient des contraintes budgétaires auxquelles est confronté le Gouvernement et je suis comme vous attaché à la crédibilité financière de notre pays. À ce titre, je rappelle que le ministère de la justice a pris part à l'effort budgétaire rendu nécessaire par la situation des finances publiques tout au long de l'exercice 2024.

Un certain nombre de régulations, de gels et de rabots sont ainsi intervenus au cours de l'année pour un total d'environ 730 millions d'euros que nous avons réussi à réduire à hauteur de 350 millions d'euros, ce qui nous permet d'aboutir à une fin de gestion acceptable. Nous sommes conscients de la nécessité de nous organiser pour réaliser les économies nécessaires, tout en faisant en sorte que la justice ait les moyens de fonctionner.

Pour ce qui est des frais de justice, l'enveloppe des crédits est portée à 748 millions d'euros en 2025 et augmentera de 11 % par rapport à 2024. Nous veillons à la maîtrise de ces dépenses, sans remettre en cause la capacité d'investigation de nos magistrats en la matière.

Mme Lauriane Josende, rapporteur pour avis de la mission « Justice », sur le programme 101 relatif à la justice judiciaire et à l'accès au droit et à la justice. - Vous soulignez les conséquences regrettables de la situation budgétaire du pays sur vos crédits : nous partageons votre inquiétude. Le Sénat est très attaché aux objectifs de la loi d'orientation et de programmation pour la justice, aussi vos annonces sur leur maintien nous réjouissent-elles, tout comme elles réjouissent les personnes que nous avons auditionnées - et c'est pourquoi aussi, les professionnels de la justice s'inquiètent à la lecture de ce projet de loi de finances.

La politique immobilière, d'abord, suscite beaucoup d'inquiétudes parmi le personnel judiciaire et les avocats, qui nous disent ne pas être suffisamment consultés, notamment au sujet du guide de programmation judiciaire récemment actualisé et lors de la réalisation des diverses opérations immobilières. David Barjon, directeur de l'Apij, nous assure que l'élaboration du guide a impliqué les professionnels concernés. Cependant, certains ont déploré que ce guide ne prévoyait plus de places de parkings pour les personnels de la justice ; on comprend leur préoccupation, sachant que les trois-quarts des actifs se rendent au travail en voiture, faute le plus souvent de transports en commun. La consultation des professionnels a-t-elle bien été menée - nous assurez-vous que les critiques énoncées seront prises en compte ? Quelles adaptations de la politique immobilière sont possibles sur la question des parkings ?

Quel bilan dressez-vous, ensuite, du recours au partenariat public-privé (PPP) pour les programmes immobiliers de la justice ?

Vous avez évoqué la hausse des frais de justice. Quelle vous paraît être la part incompressible de cette hausse ? Quel bilan tirez-vous du plan de maîtrise des frais de justice ?

Enfin, les personnels judiciaires que nous avons auditionnés ont tous critiqué l'organisation actuelle des juridictions. Elle a été perturbée par un déficit chronique de recrutement puis par le recours à des contrats pour des fonctions partiellement indéterminées. Les agents du ministère attendent une évolution significative pour clarifier les fonctions, les rôles de chaque profession au sein des juridictions. Qu'envisagez-vous en la matière ?

Mme Laurence Harribey, rapporteur pour avis sur la mission « Justice » sur le programme 182 relatif à la protection judiciaire de la jeunesse. - Les professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) s'inquiètent également, vous l'avez dit.

Cet été, le non-renouvellement de contractuels a provoqué une grève du personnel de la PJJ et de grandes inquiétudes. Bien que la situation se soit améliorée, les auditions nous montrent un changement profond d'orientation depuis l'entrée en vigueur du code pénal de la justice des mineurs. Vous l'avez très justement dit, il ne s'agit pas uniquement d'une question de crédits, mais également de méthodes de travail et d'acculturation à une nouvelle manière de fonctionner. La réforme a, en fait, alourdi les charges de travail, ce que montre l'alourdissement du stock de mesures : il augmentait d'environ 1 000 mesures par an depuis 2021, puis il a bondi à 4 300 mesures nouvelles entre décembre 2022 et décembre 2023, en plus des 3 000 mesures en attente. Or, l'augmentation de la charge de travail n'est pas traduite dans les effectifs - les 45 créations d'équivalent temps plein ne suffiront pas à combler ce décalage. Nous avons été surpris par le manque de vision à long terme sur ces évolutions. Quelle analyse en avez-vous et que comptez-vous faire ?

Vous vous dites fier, ensuite, d'augmenter les crédits pour la numérisation et l'informatique, donc, pour le logiciel « Parcours », mis en place à la PJJ. C'est une très bonne chose, puisque ce logiciel devrait permettre aux éducateurs de suivre le parcours des jeunes, dont les professionnels déplorent le manque de traçabilité. Cependant, ce logiciel est en retard : la première phase n'est toujours pas achevée, alors que son déploiement a débuté en 2021, le secteur associatif habilité n'est toujours pas intégré et le coût du projet s'élève déjà à 19 millions d'euros. Qu'en pensez-vous ? Comment comptez-vous reprendre en main ce projet, qui semble se diriger dangereusement vers un échec ?

M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial de la commission des finances sur la mission « Justice ». - Le projet de budget du ministère de la justice marque un ralentissement dans la mise en oeuvre de la loi de programmation. Je comprends la nécessité de participer à l'effort d'assainissement des finances publiques et j'ai bien vu que le Gouvernement avait déposé un amendement augmentant ces crédits de 250 millions d'euros, alors que des économies supplémentaires sont demandées à la quasi-totalité des autres ministères.

La justice n'a pas été épargnée cette année avec une annulation de crédits de 328 millions d'euros le 21 février dernier, puis des « surgels » successifs qui ont causé de réelles difficultés dans certains services.

Dans le budget 2025, la priorité est donnée aux moyens humains : le projet de loi de finances prévoit d'augmenter les effectifs de 619 emplois, voire de plus de 1 500 emplois si les amendements du Gouvernement sont adoptés. Cette augmentation des effectifs s'appuie sur une politique de revalorisation des métiers, qui est indispensable pour attirer et retenir les personnels. Tout ceci est important pour améliorer le service public de la justice.

Je porte une attention toute particulière aux projets immobiliers, notamment la mise en oeuvre du plan « 15 000 ». Vous avez déclaré qu'il prendrait du retard et vous venez de nous en parler - mais conservez-vous au moins la cible, quitte à la reculer ? Ce plan n'est pas un luxe, il ne résout pas le problème de la surpopulation carcérale mais le contient tout au plus.

Les autres dépenses sont soumises à de fortes restrictions, ce qui pourrait par exemple impacter la modernisation de la fonction informatique.

J'ai été alerté sur la hausse des frais de justice : moins de 500 millions d'euros en 2017, près de 750 millions d'euros en 2025. Que peut-on faire, par exemple au sujet des frais de gardiennage de véhicules ou du coût des interceptions téléphoniques qui ne sont peut-être pas toujours indispensables ?

S'agissant de l'aide juridictionnelle, on nous a indiqué que certaines réformes sont en réflexion ou prévues au sujet du coût de l'aide juridictionnelle, par exemple une suppression de l'aide juridictionnelle partielle ou une ponction sur la trésorerie de la caisse des règlements pécuniaires des avocats (Carpa) en fin d'exercice budgétaire. Avez-vous des éléments à ce sujet ?

Enfin, vous avez annoncé, avec le ministre de l'intérieur, la création d'un parquet national consacré au narco-trafic, ce qui était l'une des recommandations de la commission d'enquête du Sénat. Pouvez-vous nous en dire plus et cela se fera-t-il à moyens constants, puisque ce n'est pas prévu dans le budget pour 2025 ?

M. Didier Migaud, garde des sceaux. - Le rapporteur Louis Vogel a dit que les crédits du programme 107 « Administration pénitentiaire » prévus pour la réhabilitation des établissements pénitentiaires seraient en diminution ; ils sont en réalité maintenus à 130 millions d'euros - alors qu'ils étaient autour de 60 millions d'euros avant 2019. Cela ne suffit certes pas à couvrir tous les besoins, mais l'enveloppe est maintenue.

Sur les changements de missions intervenues dans la PJJ depuis l'entrée en vigueur du code de justice pénale des mineurs, je signale qu'un rapport au Parlement de l'année dernière fait état de résultats positifs. Cependant, je sais que les personnels de la PJJ ne s'y retrouvent pas : une évaluation interne est en cours, pour objectiver les choses et ajuster ce qui doit l'être.

Le déploiement du logiciel « Parcours » est en retard, effectivement, mais les financements sont maintenus, nous voulons aboutir l'an prochain.

En matière de politique immobilière pour le programme pénitentiaire, ce que nous pouvons obtenir budgétairement est bien loin de suffire aux besoins, je le constate. Je vois aussi que ce programme souffre plus que les autres du décalage entre la loi de programmation et le PLF.

Normalement, les personnels des palais de justice ont été consultés sur leurs besoins de places de parking, il y a eu des groupes de travail ; la voiture reste effectivement très utilisée, des places de parkings restent nécessaires - si la consultation n'a pas bien défini les besoins, il faut peut-être y revenir.

Quelle est la part incompressible des frais de justice ? C'est une question difficile. Les magistrats peuvent vouloir engager plus de frais, mais ils sont conscients des faibles marges que nous avons, sur les interventions téléphoniques par exemple, ou sur le gardiennage des véhicules. Une gestion plus dynamique devrait permettre des économies. En matière d'écoutes judiciaire, par exemple, l'Agence nationale des techniques d'enquêtes numériques judiciaires (ANTENJ) est devenue un service performant et moins coûteux que les sociétés privées qui sont sollicitées par des parquets locaux, il faut habituer nos magistrats à y recourir davantage.

L'organisation des juridictions est un travail continu, elle pose la question du soutien au travail des magistrats. Les attachés de justice sont désormais très appréciés par les magistrats, ils sont un soutien utile. On le voit par exemple lorsque des tribunaux ont constitué un pôle « violences intrafamiliales », en affectant des attachés de justice à ce contentieux, le soutien au travail du juge est important - si au départ il y a eu du scepticisme, ce n'est plus le cas aujourd'hui, les magistrats apprécient cette aide ; c'est une réussite.

Le recours aux PPP a donné lieu à des rapports très critiques, notamment pour ce qui concerne le programme pénitentiaire et l'immobilier judiciaire. Il a permis de belles réalisations, qui malheureusement coûtent parfois cher en fonctionnement... Ces solutions résultent d'un défaut d'investissement de l'État, les entreprises ne sont pas des philanthropes et leur intervention représente un coût supplémentaire. Je ne propose donc pas, vous l'aurez compris, de revenir au PPP pour la réalisation du programme immobilier de mon ministère...

J'ai répondu sur les frais de justice, il y a des marges de progrès. L'enveloppe a augmenté, une mission de l'inspection générale de la justice (IGJ) est en cours pour mieux prendre en compte les demandes des magistrats, je vous en communiquerai les résultats.

Contre la criminalité organisée, la réponse passe par de nouveaux quartiers sécurisés et d'isolement, donc par des moyens supplémentaires ; ce point est très important parce qu'il y a urgence, on le sait bien. Il faut mieux isoler ces condamnés : il n'est pas acceptable que des trafiquants continuent leurs crimes depuis leur prison, qu'ils puissent même y commanditer des meurtres - c'est tout à fait inacceptable. Il faut donc les isoler de l'extérieur, ce qui nécessite des travaux puisque nos quartiers d'isolement sont déjà occupés, notamment par les condamnés pour terrorisme. En ce qui concerne le nouveau parquet national contre le narcotrafic, nous le financerons sur nos crédits. J'affecterai des magistrats pour renforcer le parquet de Paris et pour mettre en place une cellule de coordination ; je veux également renforcer le siège, pour juger plus rapidement, et je souhaite renforcer nos 8 juridictions interrégionales spécialisées dans la criminalité organisée - là encore, nous financerons ces postes supplémentaires sur nos crédits.

Mme Audrey Linkenheld. - Les quelque 316 millions d'euros prévus pour l'immobilier judiciaire devraient servir à la mise aux normes, à l'entretien des bâtiments, et aux opérations nouvelles en cours. L'une m'intéresse particulièrement : le nouveau palais de justice de Lille. Il est très attendu mais il défraie la chronique avant même sa livraison : on a appris, lors de la rentrée solennelle du barreau, que le ministère rechercherait des locaux supplémentaires parce que le nouveau palais de justice... serait trop petit pour accueillir les professionnels de justice ! Vous nous confirmez aujourd'hui que vos moyens ne suffiront pas à couvrir les besoins immobiliers, en général : est-ce à dire que vous n'en aurez pas non plus pour trouver un complément au nouveau palais de justice de Lille, comme on l'espère localement ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous évoquez un amendement du Gouvernement qui augmente vos crédits : peut-on l'avoir, pour examiner la ventilation de ces crédits supplémentaires ?

Une remarque, ensuite : les Français vont avoir du mal à comprendre qu'il faut faire de nouveaux quartiers réservés parce qu'on ne parviendrait pas à brouiller des lignes téléphoniques...

Avec un taux d'occupation des prisons à 153,6 %, la situation carcérale est alarmante, nous soutiendrons donc votre demande de crédits supplémentaires. Mais ce qu'il faut voir, c'est que quand on a 450 détenus de plus chaque mois, la solution n'est plus de construire davantage de prisons : qu'en pensez-vous ? Nous avons, pour notre part, fait des propositions depuis des années pour éviter une telle surpopulation carcérale, c'est un sujet très complexe et sensible - du fait en particulier que l'opinion pense que la justice est laxiste, alors que les peines n'ont jamais été aussi lourdes, ni les prisons si pleines... Quelles sont vos perspectives et vos propositions sur ce qu'on a appelé communément la régulation carcérale ?

Par ailleurs, le 6 novembre dernier, la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) a rappelé à l'ordre votre ministère pour non-conformité à la loi de votre fichier de traitement des antécédents judiciaires (Taj) - qui comprend 24 millions de fiches. Comment comptez-vous répondre à ce rappel à l'ordre ? Vous avez un an pour répondre, mais la question est là : les magistrats n'ont-ils pas mieux à faire que de mettre à jour les données d'un fichier national qui n'est jamais opérationnel ?

M. Georges Naturel. - J'évoquerai la situation carcérale en Nouvelle-Calédonie, qui a valu une condamnation de l'État tant les conditions d'incarcération sont indignes, les présidents des deux assemblées parlementaires l'ont constaté en se rendant sur place. Des moyens supplémentaires ont été annoncés pour les enquêtes, pour le traitement des dossiers, pour des places de prison - mais la prison de Nouméa est déjà surpeuplée, des prisonniers sont déjà envoyés dans l'Hexagone, en particulier des commanditaires des exactions et de jeunes délinquants. Un projet de construction d'une prison est annoncé, pour 2032 ; je doute que ce calendrier soit tenu, et que fait-on entre temps ? Vous évoquez d'autres solutions, et nous avons écrit dans ce sens à votre prédécesseur, en visant en particulier l'expérience d'une prison agricole en Corse : peut-on étudier de telles solutions en Nouvelle-Calédonie, surtout pour des jeunes délinquants, qu'il faut insérer ?

M. Didier Migaud, garde des sceaux. - Nous allons poursuivre la modernisation du parc immobilier, en particulier les travaux déjà lancés et inscrits dans la loi de programmation. Nous avons 269 millions d'euros en crédits de paiement pour 2025, en baisse par rapport à la loi de finances initiale. L'amendement du Gouvernement les augmente de 47,4 millions d'euros, ce qui réduit la baisse de moitié. Cela va nous permettre de poursuivre des opérations en phase études, comme la réhabilitation du palais de justice historique de l'île de la Cité, à Paris, l'extension du tribunal judiciaire de Bobigny et les autres projets prioritaires de Toulon, Perpignan et Meaux.

Pour le nouveau palais de justice de Lille, des solutions sont recherchées. Il y a eu des renforts d'effectifs qui n'étaient pas prévus initialement, il est certes dommage qu'il n'y ait pas eu d'anticipation, mais nous allons rechercher des solutions pour les magistrats supplémentaires.

L'amendement du Gouvernement est celui que nous avions déposé à l'Assemblée nationale, votre commission des finances devrait en être saisie. Il faut explorer toutes les solutions pour tenir l'objectif de 15 000 places d'ici 2029, donc augmenter le rythme actuel, qui vise les 6 400 places pour 2027 ; il faut imaginer des solutions diversifiées, en fonction de la population des détenus qui sont eux-mêmes très divers - il faut sortir du modèle de la prison unique, il y a déjà des alternatives, comme les centres fermés, il faut aller plus loin dans le panel de propositions pour faire exécuter les peines prononcées. Il y a aussi le problème du délai d'exécution des peines, des travaux sont conduits pour voir comment raccourcir ces délais quelle que soit la peine. On sait que les travaux d'intérêt général (TIG) sont moins utilisés qu'ils pourraient l'être, parce que le délai d'exécution peut atteindre jusqu'à deux ou trois années, ce qui n'a alors plus de sens. La justice fait preuve de fermeté, les peines prononcées sont plus longues qu'auparavant et il n'y a jamais eu autant de monde en prison, mais nos concitoyens ont davantage qu'avant l'idée que la justice est laxiste. Il faut aussi compter avec le temps de prévention, d'accompagnement ; il faut penser à la réinsertion, c'est un vrai défi - beaucoup se fait mais il y a des marges de progrès.

La Cnil nous rappelle à l'ordre sur un fichier national et elle a adressé ses observations au le ministère de l'intérieur dont dépend ce fichier ; nous avons une année pour nous mettre en conformité avec le règlement européen sur la protection des données, le RGPD, ce qui constitue un travail long et difficile. Nous nous y attelons et j'espère vous dire, l'an prochain, que nous y serons parvenus...

Parmi les systèmes de brouillage des téléphones, ceux qui portent sur des bâtiments entiers sont moins efficaces que ceux qui ne visent qu'une partie d'un bâtiment, et ils ont des conséquences sur le voisinage : ils sont donc moins utilisables en milieu urbain. C'est pourquoi nous préférons des brouilleurs ciblant une ou quelques cellules, où nous voulons isoler les grands trafiquants. Il faut être d'une fermeté absolue face à l'ultra-violence dont font preuve les narco-trafiquants. Les médias ne rendent pas compte de tous les faits, en particulier de la terreur qu'exercent les narco-trafiquants sur leurs victimes et sur leurs familles, en plus de crimes odieux qu'ils commanditent. Le phénomène a pris une dimension nouvelle ces dernières années : l'État doit se réarmer et augmenter sa puissance de combat contre ces organisations criminelles.

Je suis conscient de la situation carcérale en Nouvelle-Calédonie est indigne, la présidente de l'Assemblée nationale m'a adressé des photos édifiantes après sa visite ; il faut construire une nouvelle prison, mais le projet n'est pas financé - il n'est pas financé non plus à Mayotte... Vous avez raison d'appeler à l'action sans attendre la nouvelle prison. Il faut regarder ce qui se fait avec des bâtiments modulaires : cela s'est fait en Allemagne, en Suisse et en Belgique. Il faut trouver des solutions avant 2032. Il y a en France, 4 000 détenus qui dorment au sol, cela ne devrait pas exister.

Mme Muriel Jourda, présidente. - Merci pour toutes ces précisions.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Ministère de la justice

Secrétariat général du ministère de la justice

M. Philippe Clergeot, directeur, secrétaire général adjoint

Direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ)

Mme Marie Leon, directrice adjointe

M. Christophe Labedays, sous-directeur des ressources humaines et des relations sociales

M. Hervé Hubert, sous-directeur du pilotage et de l'optimisation des moyens

Mme Aurore Daniel, cheffe de bureau des méthodes et de l'action éducative

École nationale de la protection judiciaire de la jeunesse (ENPJJ)

Mme Frédérique Botella, directrice générale

M. Fabien Beyria, directeur général adjoint

Mme Cécile Lalumiere, directrice du service de la formation

Mme Nathalie Massey, directrice du service de la formation adjoint

Table ronde de syndicats

CFDT-PJJ

M. Éric Achard, secrétaire fédéral

UNSa-SPJJ

Mme Béatrice Briout, secrétaire générale

SNPES-PJJ-FSU

Mme Marielle Hauchecorne, co-secrétaire nationale

M. Marc Hernandez, co-secrétaire national

Mme Christine Silva, secrétaire régional Ile-de-France

FO-PJJ

M. Nabil Amar, éducateur à l'unité éducative auprès du tribunal (UEAT) d'Évry

Mme Catherine Verdejo, éducatrice à l'UEAT d'Évry

UNS-CGT-PJJ

Mme Mélanie Faucher, trésorière

M. Josselin Valdenaire, secrétaire général

Table ronde d'associations de protection de l'enfance

Convention nationale de protection de l'enfance (CNAPE)

Mme Alexia Martel, responsable justice pénale des mineurs, accompagnement des mineurs non accompagnés

Citoyens et justice

Mme Sophie Diehl, responsable du pôle justice des enfants et des adolescents

Fédération nationale des services sociaux spécialisés (FN3S)

M. Jacques Le Petit, président

M. Alice Drussant, administratrice

Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (UNIOPSS)

Mme Alexandra Andres, conseillère technique « Enfances, Familles, Jeunesses »


* 1  Audition budgétaire de Didier Migaud, ministre de la justice, par la commission des lois le 19 novembre 2024.

* 2 Au 20 novembre 2024, 15 réponses sur 70 étaient manquantes, soit un taux de non-réponse de plus de 20 %. De la même manière, la DPJJ n'a pas jugé utile de répondre dans les temps au questionnaire complémentaire de la rapporteure, privant le Sénat d'une source d'information traditionnellement déterminante pour la rédaction de ses avis budgétaires.

* 3  Rapport n° 291 (2020-2021) d'Agnès Canayer sur le projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2019-950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs.

* 4 Selon le ministère, cette faculté est mise en oeuvre, à l'initiative de la juridiction (juge des enfants ou tribunal pour enfants), dans environ un tiers des premières audiences. Ce chiffre est bien supérieur aux prévisions faites, avant l'entrée en vigueur de la réforme, par la DPJJ, soit 20 %, ce qui constitue une proportion qu'Agnès Canayer décrivait déjà dans son rapport précité comme « ne [présentant] pas le caractère exceptionnel que lui réserve en principe le CJPM ».

* 5 Rapport précité d'Agnès Canayer.

* 6 La mesure se compose d'une activité réparatrice concrète en lien avec l'infraction commise avec un objectif de resocialisation (20 heures au maximum), ce qui était déjà possible dans le cadre du module de réparation, d'une séquence de réflexion sur le vivre-ensemble, elle aussi déjà possible en droit, et d'une action de soutien pédagogique en lien avec l'établissement scolaire en cas de besoin, sans que les contours de cette innovation soient clairement définis.

* 7 Le marché comporte, au total, trois lots.

* 8 « Conduite et pilotage de la politique de la justice ».

* 9  Observations définitives de la Cour des comptes sur les centres éducatifs fermés et les établissements pénitentiaires pour mineurs, rendues publiques en juillet 2023. Lors de son audition, le ministre de la justice a indiqué souhaiter que le projet aboutisse en 2025, ce qui apparaît parfaitement irréaliste et constitue une source de préoccupation supplémentaire quant au pilotage du projet.

* 10 Selon les documents annexés au PLF 2025, « Une hausse de la part des placements terminés de 3 mois et plus est souhaitée car l'allongement de la durée de prise en charge participe mieux de la consolidation du projet éducatif et du parcours du jeune ».

* 11 Rapport précité.

* 12  Arrêté du 25 juin 2024 relatif à l'agrément de certains accords de travail applicables dans les établissements et services du secteur social et médico-social privé à but non lucratif

* 13  Arrêté du 5 août 2024 portant extension d'un accord conclu dans le secteur sanitaire, social et médico-social privé à but non lucratif.

* 14  Circulaire relative à la campagne budgétaire 2024 des établissements et services concourant à la mission de protection judiciaire de la jeunesse.

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