N° 423

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 mars 2025

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales,

Par M. Olivier BITZ,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Muriel Jourda, présidente ; M. Christophe-André Frassa, Mme Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Marc-Philippe Daubresse, Jérôme Durain, Mmes Isabelle Florennes, Patricia Schillinger, Cécile Cukierman, MM. Dany Wattebled, Guy Benarroche, Michel Masset, vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Marie Mercier, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Olivier Bitz, secrétaires ; M. Jean-Michel Arnaud, Mme Nadine Bellurot, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Sophie Briante Guillemont, M. Ian Brossat, Mme Agnès Canayer, MM. Christophe Chaillou, Mathieu Darnaud, Mmes Catherine Di Folco, Françoise Dumont, Laurence Harribey, Lauriane Josende, MM. Éric Kerrouche, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Audrey Linkenheld, MM. Alain Marc, David Margueritte, Hervé Marseille, Mme Corinne Narassiguin, M. Paul Toussaint Parigi, Mmes Anne-Sophie Patru, Salama Ramia, M. Hervé Reynaud, Mme Olivia Richard, MM. Teva Rohfritsch, Pierre-Alain Roiron, Mme Elsa Schalck, M. Francis Szpiner, Mmes Lana Tetuanui, Dominique Vérien, M. Louis Vogel, Mme Mélanie Vogel.

Voir le numéro :

Sénat :

299 (2024-2025)

L'ESSENTIEL

La proposition de loi n° 299 (2024-2025) créant une condition de durée de résidence pour le versement de certaines prestations sociales, présentée par Valérie Boyer et plusieurs de ses collègues, s'inscrit dans la continuité de précédentes initiatives visant à subordonner le versement de certaines prestations sociales à une durée minimale de résidence en situation régulière. Il s'agit, selon ses auteurs, de « limiter l'“appel d'air” migratoire » généré par le système de protection sociale.

Le texte tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel  2024-6 RIP du 11 avril 2024, par lequel ce dernier a jugé que l'institution d'une condition de durée de résidence de cinq ans, ramenée à trente mois pour les étrangers affiliés au titre d'une activité professionnelle, portait une atteinte disproportionnée aux exigences qui procèdent des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946.

La proposition de loi abaisse ainsi à deux ans la durée de résidence requise et en exempte les étrangers affiliés au titre d'une activité professionnelle et leurs ayants droits, au même titre que plusieurs autres catégories (réfugiés, apatrides, titulaires d'une carte de résident, etc.).

Saisie pour avis, la commission a approuvé l'objet de ce texte, estimant légitime qu'un certain délai soit imposé aux étrangers en situation régulière qui n'exercent pas d'activité professionnelle, et ne contribuent ainsi pas au système de protection sociale, pour bénéficier de la solidarité nationale.

Elle a proposé, à l'initiative de son rapporteur, plusieurs modifications visant à limiter le risque constitutionnel et conventionnel ou à faciliter la mise en oeuvre de cette mesure. Elle a ainsi adopté des amendements tendant à :

· exclure la condition de durée de résidence pour l'exercice du droit au logement opposable (Dalo) ;

· préciser les catégories d'étrangers concernées, en substituant au critère d'affiliation au titre d'une activité professionnelle celui de la détention d'un titre de séjour autorisant à travailler ou en exemptant les bénéficiaires de la protection temporaire ;

· reporter l'entrée en vigueur du texte afin de donner aux organismes gestionnaires et aux départements le temps de procéder aux développements techniques nécessaires.

I. UN TEXTE QUI VISE À TIRER LES CONSÉQUENCES DE LA DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL DU 11 AVRIL 2024

A. UN TEXTE QUI S'INSCRIT DANS LA CONTINUITÉ DE PRÉCÉDENTES INITIATIVES CENSURÉES PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL

L'article 19 du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration prévoyait, à l'initiative de la commission des lois du Sénat et de Jacqueline Eustache-Brinio et plusieurs de ses collègues, de subordonner l'exercice du droit au logement opposable (Dalo) et le versement de plusieurs prestations sociales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne à une durée de résidence stable et régulière en France de cinq ans, durée ramenée à trente mois en cas d'affiliation au titre d'une activité professionnelle. Saisi de ces dispositions, le Conseil constitutionnel les a déclarées contraires à la Constitution au motif qu'elles constituaient un « cavalier » législatif (décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024).

Se prononçant sur le fond dans sa décision n° 2024-6 RIP du 11 avril 2024, il a jugé contraires à la Constitution des dispositions analogues. Après avoir rappelé que « les exigences constitutionnelles [tirées du dixième et du onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 19461(*)] ne s'opposent pas à ce que le bénéfice de certaines prestations sociales dont jouissent les étrangers en situation régulière sur le territoire français soit soumis à une condition de durée de résidence ou d'activité, cette durée ne saurait être telle qu'elle prive de garanties légales ces exigences », le Conseil constitutionnel a estimé que les dispositions en cause, au regard de l'ampleur du délai de résidence mais également du caractère possiblement contributif de certaines des prestations en cause, portaient une atteinte disproportionnée à ces exigences.

Le Conseil constitutionnel n'a ainsi pas exclu par principe l'institution par le législateur d'une condition tirée d'une durée minimale de résidence pour le bénéfice de certaines prestations sociales, mais a jugé que la durée prévue - cinq années, ramenée à trente mois en cas d'activité professionnelle - était disproportionnée.

Il convient d'ailleurs de relever que le Conseil constitutionnel a déjà admis une condition de durée de résidence - sous la forme de la détention d'un titre de séjour autorisant à travailler - de cinq ans pour l'éligibilité au revenu de solidarité active (RSA) dans sa décision n° 2011-137 QPC du 17 juin 20112(*),3(*). Une condition identique, pour une durée de dix ans, est également exigée pour le versement l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA), sans que le Conseil constitutionnel ait eu à en connaître, la Cour de cassation ayant refusé le renvoi d'une QPC fondée notamment sur la méconnaissance du onzième alinéa du Préambule de 19464(*).


* 1 Aux termes du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 : « La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ». Aux termes de son onzième alinéa : « Elle garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence ».

* 2 Il a en revanche censuré une durée de quinze ans en Guyane (n° 2018-777 DC du 28 décembre 2018).

* 3 Le Conseil d'État a également jugé ce délai compatible avec plusieurs instruments de droit international (CE, 10 juillet 2015, n° 375887.

* 4 Cass., 2e Civ., 12 décembre 2013, QPC n° 13-40.059, Bull. 2013, II, n° 238. Elle a également écarté la méconnaissance de la CEDH et de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dans une décision du 4 mai 2016 (2e Civ., 4 mai 2016, n°15-18.957, Bull. 2016, n° 850, II, n° 1329).

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