EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 15 OCTOBRE 2025

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M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le rapport de Sonia de La Provôté sur la proposition de loi n° 868 (2024-2025) relative aux formations en santé.

Je vous précise que ce texte, renvoyé à la commission des affaires sociales, sera discuté en séance publique à compter du lundi 20 octobre prochain.

Nous allons prendre connaissance avec beaucoup d'intérêt, ma chère collègue, de votre analyse et de vos propositions sur ce texte. Après votre intervention liminaire, j'ouvrirai bien entendu la discussion générale en donnant d'abord la parole à un représentant par groupe. Nous examinerons ensuite l'amendement proposé par notre rapporteure.

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure pour avis. - Monsieur le président, mes chers collègues, c'est le troisième rapport que je vous présente en cinq ans sur l'accès aux études de santé, preuve de l'intérêt que notre commission porte à ce sujet.

En 2021, vous m'aviez confié une mission d'information « flash » pour évaluer la première année de mise en oeuvre de la réforme du parcours d'accès spécifique santé (Pass) et de la licence « accès santé » (LAS). Les remontées du terrain faisaient état de nombreux dysfonctionnements et d'un profond désarroi des étudiants et de leurs familles face à un système difficilement compréhensible et peu transparent. J'étais arrivée à la conclusion qu'en dépit d'objectifs pertinents, la réforme avait été insuffisamment préparée, trop vite appliquée et mal pilotée par le ministère de l'enseignement supérieur. Celui-ci s'est d'ailleurs appuyé sur notre rapport pour prendre, quelques semaines plus tard, des mesures exceptionnelles en faveur des étudiants ayant essuyé les plâtres de cette première année particulièrement chaotique, et mettre en oeuvre certains correctifs en matière de pilotage.

Comme nous nous y étions engagés, notre travail de contrôle s'est poursuivi en 2022. Au terme de cette seconde mission « flash », j'ai dressé le constat d'une meilleure appropriation générale de la réforme, dont la deuxième année de mise en oeuvre s'est déroulée dans un climat plus apaisé. J'ai néanmoins pointé la persistance de trop nombreuses difficultés, notamment la très grande hétérogénéité de son déploiement selon les universités.

Deux ans plus tard, en 2024, la Cour des comptes, saisie par nos collègues de la commission des affaires sociales, a procédé à son tour à une évaluation de la réforme, qui a confirmé le diagnostic de notre commission. « Pilotage insuffisant » ; « déploiement hétérogène » ; « défaut d'appropriation » ; « illisibilité du dispositif » ; « inadéquation des moyens financiers » : tels sont les principaux constats de la Cour.

Au-delà de ce diagnostic partagé, cette évaluation de la réforme Pass-LAS apporte un éclairage supplémentaire très intéressant sur son bilan au regard des objectifs qui ont présidé à son élaboration. Je vous le résume brièvement, car il permet de comprendre la genèse de la proposition de loi dont nous nous sommes saisis pour avis.

La réussite des étudiants, entendue comme leur capacité à progresser dans leurs cursus et à intégrer en un an les filières de médecine, de maïeutique, d'odontologie et de pharmacie (MMOP), s'est globalement améliorée, mais de façon trop limitée. Deux ans après leur année d'accès santé, 63 % des étudiants ont « perdu » une année d'étude, contre 79 % avant la réforme. Cette progression cache cependant d'importantes différences entre les taux d'accès en MMOP selon la voie choisie - les étudiants de Pass sont beaucoup plus nombreux à réussir que ceux de LAS -, le modèle retenu par l'université - les universités sans composante santé présentent des taux d'accès très faibles - et le choix des disciplines « hors santé » suivies. En outre, la réforme n'a pas permis d'enrayer le départ d'étudiants français vers d'autres pays européens pour entreprendre des études de santé.

Quant à la diversification tant attendue des profils des étudiants admis en MMOP, objectif « mal spécifié et peu précis » selon la Cour, elle ne s'est pas produite. Sur les plans académique et social, la diversification est très peu perceptible. Sur le plan géographique, l'évolution est légèrement plus visible du fait de l'ouverture de LAS dans de petites universités, accessibles à des populations rurales et plus défavorisées ; les chances d'accès en MMOP y sont cependant très faibles.

Au final, ce bilan très mitigé peine à justifier le coût organisationnel, humain et financier d'une réforme dont nous avions, dès 2019, identifié les défauts de conception.

Voilà qui nous amène à cette initiative législative de notre collègue Corinne Imbert et de plusieurs de ses collègues de la commission des affaires sociales.

Je précise d'emblée que ce texte ne traite pas seulement de l'accès aux études de santé ; il aborde également l'organisation territoriale du troisième cycle de médecine au regard des besoins de santé identifiés. Compte tenu de l'antériorité de notre commission sur la question de l'accès aux études de santé, l'avis que je vous propose de porter sur ce texte se concentre principalement sur les dispositions relatives au premier cycle.

Sur cet aspect, la proposition de loi part du constat, aujourd'hui largement partagé, que le maintien en l'état du dispositif Pass-LAS n'est ni viable ni souhaitable. Le scénario d'évolution proposé est très proche de celui que la Cour des comptes recommande. Il repose sur la création d'une voie unique d'accès aux études de santé, qui n'est pas pour autant un retour à l'ancienne première année commune aux études de santé (Paces).

En effet, la voie unique proposée prend la forme d'une première année de licence donnant accès, d'un côté, aux filières santé, de l'autre, à une deuxième année de licence. Cette voie unique conserve donc le principe de progression dans les études - souvent qualifié de « marche en avant » - qui garde toute sa pertinence.

La proposition de loi prévoit également que cette première année comporte une majorité d'enseignements en santé. Cette part majoritaire, qui figure aussi dans le scénario de la Cour, fait débat entre les acteurs universitaires, certains estimant préférable d'accorder un poids équivalent aux enseignements en santé et aux enseignements « hors santé ». C'est aussi l'option privilégiée par le ministère qui - je l'ai appris au cours des auditions - a récemment lancé une concertation pour faire converger l'ensemble des parties prenantes vers un modèle unique de voie d'accès aux études de santé. J'en profite pour saluer cette démarche qui, je le rappelle, avait cruellement fait défaut en 2019.

Les disciplines « hors santé » enseignées au cours de cette première année de licence font l'objet d'un encadrement au niveau national, la proposition de loi renvoyant au pouvoir réglementaire le soin d'en fixer la liste. Cette mesure est destinée à corriger l'excessive ouverture disciplinaire des LAS, qui n'a pas donné les résultats escomptés en termes de diversification académique. Ce cadrage national, qui me paraît tout à fait pertinent, doit conduire à s'interroger sur les disciplines susceptibles d'apporter des compétences utiles aux futurs professionnels de santé, et dont le suivi peut permettre la poursuite d'études en cas d'échec à l'admission en filières de santé.

De manière plus problématique, la proposition de loi pose le principe selon lequel cette première année de licence commune devra être organisée dans chaque département. Certes, cette disposition part d'une bonne intention - permettre un accès plus équitable aux études de santé, notamment pour les étudiants issus de territoires ruraux -, mais sa pertinence et sa faisabilité à l'échelle de chaque département posent question, surtout si elle est mise en oeuvre à moyens constants. Il ne faudrait en effet pas qu'elle aboutisse à la création de cursus aux conditions d'études insatisfaisantes et inéquitables, avec, par exemple, des formations organisées entièrement à distance...

Enfin, la proposition de loi intègre la filière kinésithérapie aux quatre filières de santé déjà existantes. Dans les faits, l'accès en kinésithérapie par les voies préparant aux études de santé est déjà possible. Il sera désormais « officiel » dans le cadre de la voie unique proposée. Cette intégration, largement plébiscitée, a le mérite de la clarté, tout en participant d'une approche systémique des métiers de la santé.

Ces éléments explicatifs présentés, j'en viens à la position que notre commission pourrait défendre lors de l'examen de ce texte.

Cinq ans après l'entrée en vigueur de la réforme Pass-LAS, le constat est sans appel et quasi unanime : le système mis en place est trop complexe, difficilement lisible, anxiogène et inéquitable. Cet échec de la réforme du point de vue de son acceptabilité et de son appropriation se double d'un bilan très modeste s'agissant de ses deux principaux objectifs, l'amélioration de la réussite étudiante et la diversification des profils.

Au vu de ces éléments, une simplification et une clarification du dispositif, associées à un renforcement du cadrage national, me semblent indispensables. La voie d'accès unique proposée dans cette proposition de loi répond à ces trois exigences ; c'est pourquoi je vous propose de la soutenir.

Je souhaite néanmoins que notre commission appelle à la vigilance sur plusieurs points.

Premièrement, il faut prendre garde à la date d'entrée en vigueur du nouveau dispositif envisagé. Compte tenu du coût organisationnel qu'a représenté le déploiement de la réforme Pass-LAS pour les universités, il serait déraisonnable de leur demander d'être prêtes à mettre en place la voie unique pour la rentrée universitaire 2026, c'est-à-dire dans moins d'un an.

Qui plus est, les universités ont déjà préparé l'édition 2026 de Parcoursup, en définissant leurs capacités d'accueil, leurs attendus locaux et leurs critères généraux d'évaluation.

Pour ces raisons, je vous proposerai un amendement fixant la date d'entrée en vigueur de la voie d'accès unique au plus tard à la rentrée universitaire 2027.

Deuxièmement, il importe selon moi que notre commission insiste à nouveau sur la nécessité d'un cadrage réglementaire national plus serré de part du ministère de l'enseignement supérieur. Ainsi, il est grand temps de définir, au niveau national, un socle de connaissances en santé commun pour l'accès en médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie et kinésithérapie rééducation (MMOPK) ; cette idée avait déjà été avancée en 2019, sans aboutir à une solution concrète. De même, un cadrage national me semble requis s'agissant des épreuves orales et des modalités d'interclassement, dont l'hétérogénéité n'est pas acceptable.

Troisièmement, la refonte du dispositif Pass-LAS pourrait être l'occasion de renforcer les passerelles qui existent entre certaines formations paramédicales et les filières de santé, dans un objectif de diversification académique des profils. Ayant fait leurs preuves, ces dispositifs pourraient être encouragés en augmentant la part d'étudiants qui en sont issus, part actuellement encadrée au niveau réglementaire ; ils pourraient même être élargis à d'autres formations, y compris de premier cycle.

Quatrièmement, cette réforme est aussi une occasion de rappeler l'importance du tutorat étudiant, qui joue un rôle central dans la préparation aux études de santé et dans la poursuite de l'objectif de diversification sociale. Cet accompagnement pédagogique par les pairs est concurrencé par une offre privée de préparation, qui n'est certes pas nouvelle, mais a la réputation, tenace, d'être indispensable et recourt à des techniques commerciales de plus en plus virulentes. Les universités doivent être incitées à mener une politique active en faveur du tutorat étudiant, ce qui passe par le renforcement de sa visibilité et sa meilleure reconnaissance dans le parcours académique.

Cinquièmement, nous devons réitérer notre appel à un travail conjoint du ministère de l'enseignement supérieur et du ministère de l'éducation nationale sur l'articulation entre la réforme de l'accès aux études de santé et la réforme du lycée. La mise en place d'une voie d'accès unique ne sera pas sans conséquence sur les choix disciplinaires faits au lycée, ce qui impliquera de redoubler d'efforts en matière d'information et d'orientation des lycéens.

Voilà, mes chers collègues, l'ensemble des éléments que je souhaitais porter à votre reconnaissance.

Vous l'aurez compris, je vous propose de donner un avis favorable à cette proposition de loi, sous réserve de l'adoption de l'amendement que je vais vous présenter dans quelques instants, et moyennant les points de vigilance que je viens de vous exposer.

M. David Ros. - On observe une continuité de réflexion et de vigilance de notre commission sur un sujet - l'accès aux études de santé - devenu de plus en plus complexe depuis la mise en oeuvre du dispositif Pass-LAS. La voie unique constitue, à mon sens, une solution pertinente. Je regrette toutefois que ce texte émane de la commission des affaires sociales et non de la nôtre. Il traite en effet de questions relatives à l'orientation dans l'enseignement supérieur, c'est-à-dire de nombreux aspects régulièrement abordés ici et qui ne sont pas nécessairement appréhendés de la même manière par la commission des affaires sociales.

Face à la réalité préoccupante des déserts médicaux, le cursus des études en santé doit être réorganisé dans sa globalité. Ce texte a le mérite d'attirer l'attention sur cette problématique ; néanmoins, la forme retenue et surtout l'orientation choisie ne me paraissent pas les plus appropriées.

En conséquence, nous voterons l'amendement, mais nous nous abstiendrons sur le texte.

M. Stéphane Piednoir. - Je félicite notre rapporteure pour le travail qu'elle a accompli sur cette proposition de loi, mais aussi, plus largement, pour l'ensemble des travaux de contrôle menés depuis le commencement de la réforme Pass-LAS. Son engagement a été constant, et de nombreux signaux d'alerte ont été émis au fil de ses rapports d'information. En déposant aujourd'hui une proposition de loi, le Sénat assume sa responsabilité : nous cherchons par là à corriger les travers de cette réforme, que nous avons à plusieurs reprises dénoncés.

Le diagnostic que vous formulez est déjà sévère ; je me permettrai un constat encore plus critique. La mise en oeuvre de cette réforme n'a pas enrayé les départs à l'étranger d'étudiants désireux de suivre une formation en santé ; elle n'a pas non plus atteint son objectif de diversification des profils. Cela révèle à la fois un défaut de conception et un manque de pilotage. J'ajouterai qu'elle a, dès son origine, reposé sur une erreur philosophique.

Souvenez-vous : nous n'étions pas nombreux, en 2019, à nous y opposer. Pour ma part, je n'y ai jamais adhéré, considérant qu'il s'agissait d'une faute que de créer des « mineures santé » associées à des licences, disons-le, parfois exotiques. Le seul objectif que doit poursuivre une formation en santé consiste à former des professionnels compétents. J'apprécie de discuter d'histoire médiévale avec mon médecin, mais ce n'est pas, a priori, l'objet de ma consultation !

L'ouverture excessive des LAS n'a pas atteint ses objectifs. En ouvrant la possibilité de suivre des licences « exotiques », on fait miroiter à certains étudiants des débouchés qu'ils n'ont ni le profil ni les aptitudes pour atteindre. L'accès à certaines formations exige des capacités spécifiques.

J'ai assisté à plusieurs auditions, notamment à celle du collectif Pass-LAS, constitué dès la mise en place de la réforme. Le tableau qu'il dresse de la situation est tout simplement catastrophique. Je vous invite, si vous en avez l'occasion, à écouter ces remontées du terrain : elles témoignent d'une véritable désorganisation.

Cette proposition de loi ne revient pas à la Paces - dispositif qui, à l'époque, aurait pu évoluer et s'adapter aux particularités territoriales -, mais instaure une voie unique. Elle vise à garantir aux étudiants une continuité dans le parcours d'études, même en cas d'échec en MMOP.

Je souscris à l'idée d'un cadrage national plus strict. Il paraît normal qu'une politique publique de formation des futurs médecins repose sur un référentiel national clair des compétences et des capacités à acquérir. L'harmonisation constitue, de ce point de vue, une garantie de qualité des formations sur l'ensemble du territoire.

Il faut également renforcer les passerelles : l'échec fait partie du parcours de formation, mais il importe d'offrir des voies de réorientation à ceux qui se sont engagés dans des cursus inadaptés.

Comme dans toute formation universitaire où il n'existe pas de sélection à l'entrée, la sélection intervient plus tard. Dans l'ancienne Paces, elle survenait au bout d'un ou deux redoublements. De toute façon, une sélection finit toujours par s'opérer. On peut laisser croire à un lycéen qu'il aura sa chance dans cette filière, mais l'échec fait partie du réel.

Enfin, un mot sur la réforme du lycée. La disparition de la filière scientifique - à laquelle je n'étais pas favorable - a conduit à une perte d'options scientifiques au lycée. Or les études de santé sont avant tout des études scientifiques. Souvenons-nous aussi du mot d'ordre de l'époque : il fallait former des médecins empathiques. C'est une belle intention ; un médecin sympathique, c'est agréable, mais ce n'est pas l'objectif premier lorsque l'on consulte un professionnel de santé.

Mme Monique de Marco. - Cinq ans après la mise en place de la réforme, un consensus s'est dégagé pour en souligner les limites. La présente proposition de loi vise à refondre le dispositif afin d'en corriger les dysfonctionnements.

Ce texte, déposé par notre collègue Corinne Imbert, reprend les principales recommandations de la Cour des comptes, ainsi que celles issues des nombreuses auditions menées auprès des acteurs de la filière. Ses principes nous paraissent tout à fait louables. Nous nous félicitons notamment de l'inclusion, dans le texte, de la création d'une antenne de première année santé dans chaque département, ainsi que des dispositions relatives à la formation des masseurs-kinésithérapeutes.

Cependant, il convient de rappeler que le principal goulot d'étranglement de la formation des professionnels de santé demeure d'ordre budgétaire. La question est également humaine : le nombre d'enseignants et de professionnels encadrants reste insuffisant. À moyens constants, les améliorations ne pourront donc intervenir qu'à la marge.

Nous compléterons peut-être, en séance, les principales propositions formulées, en défendant des amendements qui porteront notamment sur le financement des unités de formation et de recherche (UFR) de santé, afin de former un nombre suffisant de professionnels et ainsi de répondre aux besoins de la population tout en améliorant leurs conditions de travail.

Nous nous réjouissons également de la généralisation du tutorat public, accessible partout et pour tous. Nous souhaitons que les étudiants en santé soient rémunérés dès la première année de leurs études, sur le modèle des normaliens, afin de mettre un terme au tri social à l'entrée des formations.

Nous insistons, par ailleurs, sur la nécessité d'améliorer la santé mentale des étudiants, en luttant résolument contre le harcèlement et les violences sexistes et sexuelles (VSS), ainsi que contre l'exploitation dont sont victimes les externes et les internes lors des stages, durant lesquels ils effectuent un nombre d'heures excessif pour une rémunération insuffisante.

Nous serons donc favorables à ce texte, tout en déposant des amendements en séance.

M. Pierre Ouzoulias. - Si le Gouvernement avait écouté le Sénat, nous ne connaîtrions pas la situation actuelle. Dès la première réforme, j'avais alerté nos collègues : il ne suffit pas de proclamer la fin du numerus clausus pour que le malade soit guéri !

Vous soulignez deux points absolument essentiels. Le premier concerne la nécessité d'une politique nationale. Or on observe aujourd'hui une tension entre cette exigence et la large autonomie accordée aux universités. Il faut parvenir à articuler les deux. On ne saurait accepter que chaque université, dans son coin, organise seule la régulation d'une profession : il s'agit bien de professions nationales, et cette dimension doit rester fondamentale.

Je partage pleinement votre analyse sur le maillage territorial. Nous retrouvons ici les thèmes que nous avons souvent développés au sein de notre commission : il faut se rappeler que l'université constitue un véritable instrument d'aménagement du territoire. C'est un point déterminant.

Néanmoins, les universités nous alertent aujourd'hui : leurs antennes sont sous-financées, très largement déficitaires, et si elles étaient contraintes demain de revenir à l'équilibre budgétaire, elles devraient purement et simplement les fermer. Il faut donc absolument réinvestir des moyens pour garantir la pérennité et la viabilité de ces antennes.

Cette proposition de loi comporte plusieurs dispositions positives. Cependant, toutes les professions de santé nous ont fait part de leurs inquiétudes. En tant que père d'une interne, je mesure la dureté de ces métiers : la situation appelle des réponses urgentes. Nous ne pouvons accepter que, dans notre pays, un ou deux internes se suicident chaque mois. Ce chiffre est monstrueux. On ne peut pas continuer à faire des internes la variable d'ajustement de l'hôpital. Il y a là un problème humain majeur.

Nous comprenons que l'ambition d'une proposition de loi ne saurait être systémique. Mais désormais, une réflexion nationale s'impose sur l'ensemble des professions de santé, sans oublier - j'y insiste - le quotidien des internes.

Faute de vision structurelle, nous nous abstiendrons sur cette proposition de loi.

M. Bernard Fialaire. - Il faut mettre un terme à un diktat qui a fait bien du mal à la santé : celui de la sélection fondée sur les matières scientifiques. Je rappelle que, pendant des générations, on a recruté les professionnels de santé, y compris les médecins à l'origine de grandes avancées scientifiques, parmi ceux qui avaient suivi ce que l'on appelait les humanités. On privilégiait alors les filières littéraires plutôt que les filières scientifiques pour former les médecins. Ce n'est pas si ancien : cela remonte à moins d'un siècle.

La médecine n'est pas une science : c'est un art d'assemblage de sciences qu'il faut savoir mobiliser. Redonner toute sa place à l'empathie, à la dimension humaine du soin, c'est aussi cela qui fait de bons médecins : des soignants proches de leurs patients, et non de simples chercheurs enfermés dans leurs laboratoires.

Il n'existe pas de « cerveaux mathématiques » ou de « cerveaux littéraires » : on peut tout à fait former de bons scientifiques à partir d'un parcours littéraire, à condition d'un engagement fort durant les études. Dans ma génération, plusieurs personnes issues des filières littéraires sont devenues d'excellents médecins et ont réussi les concours.

Mme Annick Billon. - Il importe de rappeler le contexte dans lequel nous débattons de ces questions : celui d'une difficulté croissante d'accès aux soins, qu'il s'agisse des territoires ruraux ou des zones très urbanisées.

Les propositions de notre rapporteure et de l'auteure du texte, Corinne Imbert, qui s'inspirent directement des recommandations de la Cour des comptes, vont dans le bon sens. Toutefois, la difficulté récurrente des textes successifs sur les études de santé réside dans les espoirs qu'ils suscitent : on en attend trop. En réalité, cette proposition de loi ne répondra pas immédiatement au problème de l'accès aux soins dans nos territoires. Elle améliorera sans doute l'accès aux études de santé, renforcera l'humanité et la place de l'empathie dans la formation, mais n'apportera pas de réponse immédiate à la pénurie de soignants. Aujourd'hui, la seule manière d'accéder aux soins, c'est encore de rester en bonne santé le plus longtemps possible !

Nous réclamons régulièrement, au Sénat, davantage de décentralisation ; or, sur cette question, il est essentiel de préserver un enseignement, des universités et des académies, animé par les mêmes objectifs et dispensant les mêmes formations. Attention donc à ne pas créer des études de médecine à plusieurs vitesses !

Nous voterons le rapport de notre collègue Sonia de La Provôté ainsi que l'amendement qu'elle nous propose.

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure pour avis. - Je précise que la proposition de loi ne se limite pas à la question de l'accès aux études de santé : elle traite également du troisième cycle, puisqu'elle s'inscrit dans un travail global de la commission des affaires sociales. Elle aborde notamment la question de la régionalisation, c'est-à-dire la possibilité de régionaliser une partie des postes d'internat. Ce sujet fait débat, les avis sont partagés, mais il mérite d'être examiné.

La proposition de loi traite aussi du statut universitaire des maîtres de stage, qu'il s'agisse de la médecine, de la pharmacie ou de la kinésithérapie. Elle propose d'unifier ce statut, quelle que soit la filière. En somme, il s'agit d'un texte qui embrasse à la fois le début et le continuum de la formation.

S'agissant de la question de l'autonomie, sur laquelle plusieurs d'entre vous ont réagi, elle constitue, depuis le départ, le coeur du sujet : comment concilier autonomie des universités et cadrage national ? Le manque de cadrage national a conduit chaque université à interpréter la réforme à sa manière, si bien que nous avons abouti à autant de déclinaisons de la réforme que d'établissements. C'est pourquoi cette proposition de loi tend à instaurer un modèle unique. Malgré les rappels à l'ordre, les deux missions « flash », les concertations et les rencontres menées, l'hétérogénéité des modèles demeure. Il est donc temps de siffler la fin de la partie !

L'autonomie, c'est la liberté de fonctionnement, mais celle-ci ne peut justifier toutes les dérives. Certaines interprétations locales ont frôlé la maltraitance étudiante. Nous avons vu apparaître des dispositifs multiples, sans cohérence nationale. Il y a eu, au départ, un double défaut : un manque de concertation et une absence de volonté du ministère d'imposer un cadre clair aux universités.

Cette réforme exigeait pourtant une réelle interdisciplinarité : les composantes universitaires devaient coopérer, puisque toutes étaient concernées par le nouveau dispositif. Mais sa mise en oeuvre, en pleine crise sanitaire, n'a pas permis ces échanges. Peut-être aurait-il fallu la reporter d'un an pour laisser le temps à la concertation. Quoi qu'il en soit, la situation est aujourd'hui clarifiée, et c'est un point positif. Le ministère semble désormais décidé à s'en saisir.

La question du cadrage national concerne aussi les contenus. Dans le système actuel, les maquettes sont trop diverses d'un établissement à l'autre. Depuis le début, nous alertons sur ce point. Il est grand temps de fixer un socle commun de connaissances en santé, garantissant à tous une base solide pour accéder en MMOPK.

S'agissant des antennes universitaires dans les départements, la question du financement, soulevée à juste titre par Monique de Marco, demeure centrale. Les difficultés tiennent autant au manque de moyens qu'à la pénurie de locaux adaptés. En augmentant les besoins d'accueil, la départementalisation de la voie unique présente le risque d'un basculement vers des formations organisées à distance. Or cette première année nécessite des enseignements en présentiel. Si le principe de proximité est bon, sa mise en oeuvre pose donc question. Elle mérite un travail préparatoire approfondi ; ne reproduisons pas les erreurs commises lors de la précédente réforme.

Le tutorat public constitue l'un des acquis positifs de cette réforme. À l'époque de la Paces, les officines privées dominaient le paysage. Elles subsistent encore, profitant de la complexité du dispositif, mais le tutorat public s'est considérablement renforcé. Il représente un véritable facteur de réussite. Les tuteurs apportent clarté et soutien dans une réforme encore peu lisible. Il faut toutefois tenir compte du fait qu'ils ne peuvent se déplacer dans toutes les antennes.

Concernant les passerelles, nous y sommes naturellement favorables : la diversité des profils passe par elles.

Enfin, un mot sur l'empathie. Bernard Fialaire en a très bien évoqué les enjeux. Les humanités demeurent essentielles. L'empathie n'a peut-être pas la même efficacité qu'un traitement allopathique, mais elle fait partie intégrante du soin. Lorsqu'elle fait défaut, les patients sont moins bien pris en charge. Considérer qu'il s'agit d'un élément accessoire, c'est se méprendre profondément sur la nature du métier de médecin et, plus largement, sur l'ensemble des métiers de la santé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

Mme Sonia de La Provôté, rapporteure pour avis. - L'amendement COM-23 vise à préciser le calendrier d'application du texte. Je l'ai déjà évoqué dans mon propos liminaire : son entrée en vigueur doit être décalée à septembre 2027, afin de laisser le temps aux universités de s'y préparer. Il serait déraisonnable de leur demander d'être prêtes à mettre en place le nouveau dispositif pour la rentrée universitaire 2026, c'est-à-dire dans moins un an. Qui plus est, les universités ont déjà préparé l'édition 2026 de Parcoursup, en définissant leurs capacités d'accueil, leurs attendus locaux et leurs critères généraux d'évaluation.

M. Laurent Lafon, président. - Notre rapporteure présentera tout à l'heure cet amendement à la commission des affaires sociales au nom de notre commission, de sorte qu'il soit, le cas échéant, intégré dans son texte.

L'amendement COM-23 est adopté.

La commission émet un avis favorable à l'adoption de la proposition de loi, sous réserve de l'adoption de cet amendement.

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