III. DES TENDANCES FAVORABLES
A. UNE AMÉLIORATION DE LA RÉPARTITION DU POTENTIEL DE RECHERCHE DES ENTREPRISES ET DE SON FINANCEMENT
Même si la situation ne peut encore être considérée comme satisfaisante, il faut noter que de 1991 à 1993, le nombre d'entreprises réalisant des travaux de recherche-développement est passé de 3.200 à 5.200, soit une augmentation de plus de 60 % en deux ans.
En outre, parmi ces entreprises, le nombre des PMI employant moins de 500 personnes a triplé depuis l'instauration, en décembre 1982, du crédit d'impôt-recherche, ce qui traduit bien l'efficacité de ce mécanisme.
De fait, les petites entreprises (moins de 100 millions de francs de chiffre d'affaires) réalisent un peu moins de 15 % des dépenses en recherche-développement et obtiennent près du tiers du crédit d'impôt, alors que les grandes sociétés (plus de 500 millions de francs de chiffres d'affaires) totalisent la moitié des frais de recherche mais ne bénéficient que de 35 % du crédit d'impôt.
Parallèlement, en douze ans, le nombre d'entreprises employant plus de dix chercheurs a été multiplié par 4,5, passant de 900 en 1981 à 4.000 en 1993.
Enfin, la part des travaux de recherche financés directement par les entreprises tend à augmenter (+2,3% en 1993), tandis que -confirmant la tendance amorcée en 1992- les apports de fonds publics continuent à décroître (- 10 % en 1993). En 1993, les entreprises ont financé 72 % de leurs travaux de recherche. Les administrations y ont participé pour 17 % sous forme de contrats ou de subventions, le complément étant principalement assuré par des flux financiers provenant de l'étranger et des organisations internationales.
Or, est généralement considéré comme un signe de fragilité de notre recherche, le fait que parmi les cinq grands pays de recherche, la France est celui dont les entreprises financent la plus faible partie de la recherche civile. L'évolution en cours est donc, de ce point de vue, tout à fait positive.
B. UN RECOURS CROISSANT À LA RECHERCHE SOUS-TRAITÉE
Trois raisons essentielles motivent le recours à la sous-traitance de travaux dans les projets de recherche :
- l'absence dans les entreprises d'équipe de recherche structurée et permanente capable de conduire les travaux requis ;
- l'appel à des connaissances et à des outils de recherche extérieurs aux domaines de compétences des équipes maison ou excédant leurs moyens techniques alors disponibles ;
- la concentration des moyens de recherche d'un groupe dans un nombre réduit d'entreprises du groupe.
En 1993, les entreprises ont dépensé 27,9 milliards de francs en achats de services externes de recherche-développement. L'intensification du recours aux exécutants extérieurs s'observe dans la majorité des activités.
En général, les entreprises font appel à d'autres entreprises pour la réalisation des travaux externes de recherche-développement : les organismes publics et les organismes professionnels reçoivent moins de 10 % des contrats. Les dépenses externes de recherche-développement effectuées à l'étranger ne sont importantes que dans un petit nombre d'activités très internationalisées : l'agro-alimentaire, l'aérospatiale, la construction automobile, l'industrie du caoutchouc et des matières plastiques.
De ce fait, se constitue progressivement un tissu diversifié de professionnels du développement et du transfert de technologies à même de faciliter la propagation du mouvement d'innovation dans une grande partie de l'appareil de production.
C. UN DÉVELOPPEMENT DES AIDES À LA MOBILITÉ DES CHERCHEURS
1. Les subventions au développement des emplois de chercheurs dans les PME
Depuis 1987, l'ANVAR a instauré une procédure spécifique visant à favoriser le développement de la recherche et de l'innovation dans les petites et moyennes entreprises en encourageant l'embauche de salariés formés par la recherche ou de personnel de haut niveau scientifique.
Sont concernées par cette mesure les PME indépendantes de moins de 2.000 personnes. Chacune de ces entreprises peut bénéficier, dans la limite d'un recrutement et à condition qu'il soit à durée indéterminée, d'une aide plafonnée à 200.000 francs et représentant au maximum 50 % des frais occasionnés par le recrutement et la formation du salarié.
L'ANVAR, après avoir versé cette aide pour l'embauche d'un personnel de très haut niveau (Baccalauréat + 8 ou 7 avec expérience), a progressivement réajusté son dispositif pour mieux répondre aux demandes des PME, telles que celles appartenant aux secteurs traditionnels (agro-alimentaire, métaux, textile). C'est ainsi qu'à compter de 1994, le niveau de formation minimum requis a été fixé à BAC + 5, ce qui a eu pour effet d'augmenter sensiblement le nombre des aides : de 371 en 1993 à 603 en 1994.
Le bilan global de cette procédure, destinée à encourager l'embauche par les PME de salariés formés par la recherche, est positif puisqu'elle a permis de soutenir près de 3.400 recrutements de 1987 à août 1995.
Les entreprises destinataires de cette aide, en 1994 comme les années précédentes, sont en grande partie de jeunes entreprises comptant moins de dix personnes (46 %) ou de 11 à 50 personnes (30 %).
Les principaux secteurs de recrutement sont relativement stables. Il s'agit au premier chef de l'électronique et de l'informatique (35 % en 1994, contre 28 % en 1993), puis par ordre décroissant, de la chimie et de la pharmacie, de la mécanique, du biomédical et des industries agro-alimentaires (de 10 à 6 %).
Les recrutements concernent essentiellement les titulaires d'une thèse ou d'un diplôme d'ingénieur complété par une expérience de recherche de trois ans au moins dans un laboratoire.
2. Les aides attribuées aux chercheurs désireux de créer leur propre entreprise
Au-delà des appuis apportés à tout créateur, notamment par l'Agence nationale pour la création d'entreprises (ANCE) ou ses missions régionales (aides méthodologiques, formation), le chercheur créateur d'une entreprise peut solliciter des aides de l'ANVAR. Ces aides, limitées généralement à 50 % des dépenses, peuvent soutenir :
- l'étude de projets innovants ;
- la mise au point de produits ou procédés nouveaux ;
- les frais de conseil ;
- les coûts de réalisation d'un partenariat technologique européen.
Souvent, d'ailleurs, les régions complètent cet ensemble d'aides surtout lorsque le projet correspond à une demande locale.
Le chercheur bénéfice également, comme tout créateur d'entreprise, exonération de l'impôt sur les sociétés et d'exonération partielle de la taxe professionnelle. Il peut également bénéficier, dès la première année, du crédit-impôt recherche sous forme d'une restitution qui fait l'objet d'un versement trois à six mois après réception de la déclaration.
Si le chercheur est issu du CNRS ou de la fonction publique, il profite, pour toute création d'activité, de la garantie statutaire qui lui assure le retour dans son corps d'origine en cas d'échec. Cet avantage est d'autant plus important qu'il accompagne la pratique de ce que l'on appelle « l'essaimage », à savoir l'utilisation par les chercheurs tentés par l'aventure entrepreneuriale des infrastructures de leur laboratoire ou de leur université d'origine pour préparer la création de l'entreprise : études techniques, projet pilote, projet d'entreprise, éventuellement même engagement d'une production expérimentale. Il s'agit d'une aide significative qui peut réduire la prise de risque.
Les entreprises créées par des chercheurs sont, dans la majorité des cas des entreprises de technologies avancées. De ce fait, la création d'activité par les chercheurs est un moyen particulièrement efficace de diffusion de l'innovation dans le tissu industriel.
Une étude réalisée avec le soutien du Ministère chargé de la recherche a toutefois montré que ces entreprises de « haute technologie » étaient parfois confrontées à des difficultés spécifiques.
Cette étude du Centre de Sociologie de l'Innovation a reposé sur trois vagues successives d'enquête menées de 1988 à 1993, auprès de 202 entreprises créées par des chercheurs entre 1984 et 1991.
Elles démontrent que lesdites entreprises s'en sortent plutôt bien : alors que dans le secteur de l'industrie et des services une société sur deux disparaît dans les cinq ans, ce taux n'est que d'une sur quatre parmi les entreprises fondées par des chercheurs. Cinq ans après leur création, ces entreprises emploient 11 salariés et ont une propension à créer des emplois environ trois fois supérieure à la moyenne nationale. Elles interviennent beaucoup dans les secteurs des biotechnologies (28 %) et dans le logiciel informatique (27 %).
Autre observation intéressante : les créateurs de ces entreprises sont essentiellement originaires de la recherche publique. Et, le plus souvent, ils se lancent dans l'aventure à deux : avec un collègue ou une personne extérieure.
L'étude souligne que c'est le partenariat qui est garant de réussite. Non seulement les chercheurs créateurs d'entreprises doivent éviter de rompre avec leur milieu d'origine s'ils veulent rester au fait de la recherche fondamentale mais, en outre, ils ont intérêt à créer des liens étroits avec les pouvoirs publics et d'autres entreprises. C'est à cette condition qu'ils peuvent bénéficier des informations les plus complètes sur les divers types d'aide et ne pas connaître le « syndrome du client unique », facteur de fragilité commerciale dont de nombreuses PME issues de la recherche sont atteintes.
Malgré les profils différents des entreprises enquêtées, la corrélation entre l'intégration dans un réseau et la réussite du parcours est bien établie. Ce n'est pas l'archétype de « l'entrepreneur schwnpétérien, héroïque et solitaire » qui est facteur de succès mais plutôt la construction d'une structure en réseau, entretenant des liens durables avec une pluralité d'acteurs.
En outre, nonobstant la diversité des expériences, des constantes semblent se dégager :
- l'importance du bon choix de la niche technologique ;
- la nécessité d'un chiffre d'affaires comportant une part non négligeable à l'exportation, car le créneau sur lequel opère la firme est souvent étroit.
Par ailleurs, les difficultés rencontrées ont souvent pour origine une méconnaissance des lois du marché lors de la commercialisation du produit. Aussi, est-il particulièrement important pour le chercheur désireux de réussir, de mobiliser autour de lui, dès avant le lancement de son entreprise, des compétences en gestion et en marketing.
Cependant la plus importante source de vulnérabilité est financière. Souvent, la réussite de telles entreprises se résume souvent à une course de vitesse entre rentabilité et pertes d'exploitation.
L'enquête confirme ainsi que l'absence de marché des capitaux spécialisé pour les PME de haute technologie et le faible développement des sociétés de capital-risque en France pénalisent la dynamique technologique. Celle-ci demeure trop dépendante des soutiens publics (ANVAR, régions), et bancaires.
D. DE NOUVELLES PROPOSITIONS POUR ADAPTER LE SYSTÈME DE FINANCEMENT FRANÇAIS À L'INVESTISSEMENT D'INNOVATION DANS LES PME
La convergence des analyses sur les carences des modes de financement des PMI innovantes a conduit à confier à un groupe de travail animé par Robert Chabbal, conseiller auprès du directeur général de la recherche et de la technologie, le soin de proposer des solutions permettant d'y remédier.
Pour « débloquer » le système français de financement de l'innovation, ce groupe de travail a proposé onze mesures dont certaines commencent à être mises en oeuvre :
1. Créer un nouveau marché européen des sociétés à fort potentiel de croissance.
Deux projets pourraient aboutir début 1996. Un projet européen « EASDAQ-EUROBOURSE », équivalent du NASDASQ et un projet national à l'initiative des bourses françaises dénommé « société du nouveau marché » dont le comité d'orientation comprend le directeur général de la recherche et de la technologie, ainsi que le directeur général de la stratégie industrielle.
2. Organiser des réseaux régionaux de « financeurs » de l'innovation.
Ces réseaux réunissant les « financeurs » de haut et de bas de bilan avec les services d'aides publiques (DRIRE, ANVAR, Conseil régional. DRRT) devraient permettre d'améliorer l'expertise des risques. Les régions Alsace et Auvergne expérimentent de tels réseaux.
3. Renforcer les études de faisabilité.
Aidées par l'ANVAR, ces études de faisabilité pourraient être conçues et expérimentées par les réseaux précités.
4. Faire bénéficier d'une aide publique l'instruction et le suivi des petits dossiers.
Les sociétés de capital-risque pourraient recevoir des aides réduisant de 25 % les frais d'études par rapport aux sommes investies. Cette mesure transitoire devrait favoriser les petites « affaires ».
5. Prévoir des conditions particulières de garantie par la SOFARIS.
Le fonds de garantie capital PME mis en place par la Caisse des dépôts s'adresse aux apports en fonds propres dans les PME non cotées réalisant moins d'un certain chiffre d'affaires.
6. Titriser les créances garanties par la SOFARIS.
La SOFARIS étudie actuellement la titrisation de paquets de créances classées par catégories de risques qui pourraient intéresser des investisseurs à long terme cherchant à diversifier leur portefeuille.
7. Garantir des possibilités de « sortie » aux personnes physiques.
Les particuliers qui investissent pour diverses raisons dans les PME innovantes, même s'ils acceptent parfois des rémunérations modestes, doivent être assurés de pouvoir céder ultérieurement leurs titres à un organisme régional. La Bretagne et la Lorraine semblent prêtes à expérimenter un tel système.
8. Accorder des avantages fiscaux aux personnes physiques et morales investissant dans l'innovation.
Pour les personnes physiques, des mesures existent déjà qui pourraient être approfondies, soit en augmentant le plafond de la réduction fiscale liée à l'investissement dans les PME (loi Madelin), soit en ouvrant les possibilités d'investissement via des sociétés de capital risque (SCR) ou des fonds communs de placement à risque (FCPR) ou encore des sociétés financières de l'innovation (SFI). Pour les personnes morales, le statut des SFI devrait être amélioré et ceux des SCR et des FCPR spécialisés dans l'innovation devraient être adaptés.
9. Lever les obstacles fiscaux au renforcement des fonds propres des entreprises.
Des réflexions à long terme sont engagées pour réduire l'avantage fiscal donné indirectement à l'endettement.
10. Abonder les capitaux « patients » par des fonds publics.
La Caisse des dépôts et consignations a engagé depuis mi-1994 une action dans ce sens.
11. Améliorer la conversion en fonds propres des aides ANVAR.
Une amélioration du dispositif actuel a été décidée par le conseil d'administration de l'ANVAR et est en cours d'expérimentation sur 60 entreprises pour un montant global de 30 millions de francs.
En conclusion, pour les auteurs de ces propositions, la clef de voûte du système de financement de l'innovation dans les PME est la création, à l'échelle européenne, d'un marché boursier des sociétés de technologies avancées et/ou à fort potentiel de croissance. Ce marché serait caractérisé non seulement par la présence de capital « patient » mais également par l'existence d'un corps d'experts proche des milieux financiers.
Cependant, pour beaucoup de PME, ces dispositions peuvent apparaître comme quelque peu « surdimensionné » car, dans un premier temps, la réalisation de leurs ambitions ne nécessitent pas d'accéder à un tel marché. C'est pourquoi, la mise en oeuvre des autres mesures proposées est indispensable pour accompagner les débuts de leur développement.
Au total, votre commission juge nombre de ces orientations tout particulièrement dignes d'intérêt et apprécierait vivement que les débats budgétaires permettent au Gouvernement d'exposer l'état de ses réflexions et les actions qu'il envisage de conduire en ce domaine.