II. LE PLAN DE RÉFORME DE LA PROTECTION SOCIALE
Le Premier ministre a dévoilé, le 15 novembre dernier à l'Assemblée nationale, son plan de réforme de la protection sociale en le qualifiant de global, ambitieux, novateur. « Il engage, a-t-il précisé, une vraie refonte, une véritable refondation de la sécurité sociale. »
Si votre commission relève que certaines orientations s'inscrivent dans le droit fil de décisions importantes prises depuis 1993, telles que la mise en place du Fonds de solidarité vieillesse, la réforme du mode de calcul des pensions de retraite ou la séparation financière des branches du régime général, l'examen des mesures annoncées confirme, en effet, que le Gouvernement s'est engagé dans une profonde réforme, sans précédent, depuis la fondation de cette institution.
Devant le Sénat, le 16 novembre dernier, le Premier ministre a indiqué que ce plan s'articulerait autour de sept réformes-clés concernant respectivement :
- les institutions de la sécurité sociale et la chaîne des responsabilités à l'intérieur de son organisation ;
- la création d'un régime universel d'assurance maladie ;
- le développement d'un étage sur complémentaire de retraite faisant appel à l'épargne et la situation des retraites dans les régimes spéciaux ;
- l'assujettissement des allocations familiales à l'impôt sur le revenu ;
- le financement de notre protection sociale ;
- les structures et la gestion hospitalières ;
- le renforcement de la maîtrise médicalisée des dépenses.
Ce plan repose sur un constat d'évidence : notre système de protection sociale est en voie d'implosion et il convient d'entreprendre les réformes de structures trop longtemps différées.
A. LE CONSTAT : UN SYSTÈME EN VOIE D IMPLOSION
L'état des lieux de notre système de protection sociale est retracé de façon précise dans le dernier rapport du Gouvernement au Parlement déposé en octobre dernier en application de l'article 14 de la loi n° 94-637 du 25 juillet 1994 (article L. 111-3 du code de la sécurité sociale). Ce rapport s'articule autour des deux axes de réflexion suivants :
- le système de protection sociale se trouve à la croisée des chemins : en dépit de ses acquis incontestables, il présente certaines faiblesses et surtout se révèle fortement déséquilibré sur le plan financier ;
- face à de nouveaux enjeux, la sauvegarde de la sécurité sociale appelle des réformes profondes, garantissant son redressement durable et renforçant l'équité entre les Français.
A une crise financière majeure s'ajoute donc le constat d'une véritable crise d'identité.
1. Une crise financière majeure
Les régimes de sécurité sociale de base n'ont cessé d'être déficitaires depuis 1990. Mais surtout, un seuil quantitatif a été franchi à compter de 1993 puisque, inférieurs à 15 milliards de francs jusqu'en 1992 ces déficits son constamment restés supérieurs à 50 milliards depuis cette date. En 993 le solde de 55,6 milliards a correspondu à un recul de la masse salariale entraînant une baisse du produit des cotisations tandis que les dépenses continuaient leur progression à leur rythme tendanciel.
Bien que notre économie ait renoué avec la croissance, les besoins de financement des régimes de base sont restés à un niveau élevé. Plus grave, on constate que tous les régimes obligatoires, y compris les régimes complémentaires, sont désormais touchés.
a) Le régime général
S'agissant du régime général, malgré l'apurement de la dette intervenue fin 1993 à hauteur de 110 milliards, les déficits ont continué à se creuser : - 54,8 milliards en 1994 ; - 64,4 milliards en 1995. Pour 1996, le déficit prévisionnel, avant le plan gouvernemental, s'établissait à 60,4 milliards ( ( * )3) .
Toutes les branches de ce régime sont concernées, à part celles des accidents du travail structurellement équilibré.
Pour la maladie, le déficit est passé de 31,5 milliards en 1994 à 36,6 milliards en 1995. Après avoir progressé de 2,9 % en 1994, les dépenses de la CNAMTS ont augmenté de 4,9 % en 1995.
Les dépenses d'assurance maladie hors hospitalisation progressent en 1995 de 3,6 %. Les progressions les plus élevées concernent la pharmacie (+ 8,5 %), les honoraires médicaux (+ 5,5 %), les analyses (+ 4,8 %), les auxiliaires médicaux (+ 3,9 %).
Les dépenses d'hospitalisation progressent de 4,7 % dont 5,8 % pour les établissements sous budget global, celles de l'hospitalisation privée de 4,9 %.
Pour 1996, le déficit prévisionnel, avant réforme, s'établissait à 35 milliards.
Les causes de cette dérive ont été analysées par deux rapports importants : santé 2010 du commissariat général au Plan (juin 1993) et le Livre blanc sur le système de santé et d'assurance maladie (décembre 1994).
Les facteurs médicaux et démographiques n'expliquent qu'en partie l'augmentation des dépenses. L'incidence de l'avancée et de la diffusion des techniques thérapeutiques ou diagnostiques de pointe ainsi que du vieillissement de la population française est réelle mais modeste. Selon le rapport Santé 2010, l'impact direct du vieillissement démographique n'a représenté que 0,25 point sur les 3,3 % de croissance annuelle du volume des dépenses de santé dans les années 1980 ; il devrait atteindre 0,3 point dans les années 1990 et ne pas dépasser 0,5 point entre 2000 et 2040.
En revanche, les caractéristiques mêmes du système de soins jouent un rôle important dans la croissance des dépenses de santé et d'assurance maladie. Ainsi, le manque de coordination entre les acteurs du système de soins (généralistes, spécialistes, système hospitalier) figure parmi les facteurs identifiés de surconsommation médicale. Les lacunes du système d'information jouent également. Enfin, la croissance prononcée de l'offre (par exemple, le nombre de médecins est passé de 59.000 en 1967 à 160.000 en 1993) suscite un phénomène dit « d'induction de la demande ».
Pour la vieillesse, le déficit avoisine 14,7 milliards en 1995, après un découvert de 12,8 milliards en 1994.
Comme le précise le rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale d'octobre dernier, ces résultats sont décevants En effet, l'amélioration de la situation économique, les recettes supplémentaires résultant de la suppression au 1er septembre 1995 de la remise forfaitaire de 42 francs sur les cotisations vieillesse consentie lors de la création de la CSG et surtout la montée en charge de la loi du 22 juillet 1993 sur les pensions de retraite laissaient espérer un redressement durable de cette branche.
Le rapport de groupe de travail présidé par M. Raoul Briet sur les perspectives à long terme des retraités, récemment publié, a pourtant confirme que : « la réforme décidée en 1993 (allongement de la durée d'assistance, calcul sur les 25 meilleures années, indexation des pensions sur les prix, mise en place du Fonds de solidarité vieillesse) a permis de remettre la branche vieillesse dans une situation proche de l'équilibre à l'horizon 2005 contre un besoin de financement de plus de 3 points avant réforme, en supposant maintenue dans les faits l'indexation des pensions sur les prix et réduit de moitié le besoin de financement résiduel à l'horizon 2015 (un peu plus de 4 points contre près de 8 avant réforme) ».
Toutefois, toujours selon la Commission des comptes une partie de l'explication de cette déception peut être trouvée dans les règles régissant le financement de la branche en provenances du FSV, qui conduisent sur certains postes à de moindres recettes ( ( * )4) , ainsi que dans certains « avantage» accordes aux retraités (comme par exemple, la revalorisation exceptionnelle de 0,5 intervenue au 1er juillet).
Pour 1996, le déficit prévisionnel (avant réforme) s'établissait à 14,4 milliards.
Sur le long terme, on sait que la croissance des dépenses des régimes de retraite est liée à trois facteurs principaux : le mouvement continu de généralisation des retraites et d'amélioration de la législation les importantes revalorisations des pensions qui, jusqu'en 1993 surtout, ont été supérieures a l'évolution en prix et, enfin, l'allongement des durées de carrière.
Pour la famille, le déficit est passé de 10,4 milliards en 1994 à 13,2 milliards en 1995. Cette évolution résulte notamment de la montée en charge des dispositions de la loi famille du 25 juillet 1994 dont le coût est estimé à 3,7 milliards en 1996 et à 6,6 milliards en 1997.
Pourtant, les allocations familiales proprement dites reculent de façon constante du seul fait des facteurs démographiques (0,10 % en 1994, 0,37 % en 1995, - 0,4 % en 1996). En revanche, les prestations liées à la petite enfance progressent très fortement, en volume, notamment en 1995 : + 70,4 % pour l'allocation de garde d'enfant à domicile, + 36 % pour l'allocation parentale d'éducation, + 33 % pour l'allocation familiale pour l'emploi d'une assistante maternelle agréée.
Pour 1996, le découvert de cette branche (avant réforme) s'établissait à 11,9 milliards avec, cependant, une nette réduction de l'écart entre les dépenses et les recettes par rapport à 1995. Sur le long terme en effet, la détérioration de la situation démographique pèse lourdement sur l'équilibre de cette branche et ceci de trois manières différentes : la diminution du nombre total de naissances, la régression des familles nombreuses et l'espacement croissant entre les naissances.
En terme de trésorerie, pour faire face à ses besoins en disponibilités, l'ACOSS a dû mobiliser dès le début de janvier 1995 et sans interruption depuis, les avances de trésorerie normales (plafonnées à 15 milliards de francs) et exceptionnelles (5 milliards) de la Caisse des dépôts et consignations.
Celles-ci n'étaient pas suffisantes, l'ACOSS a dût solliciter dès le 5 janvier 1995 le concours du Trésor pour un montant quotidien moyen de 34,3 milliards. Or le taux de ces avances de Trésor est supérieur d'un point en taux du marché financier, soit un taux compris entre 6,5 et 7,3 %.
Compte tenu de ces observations, au 31 novembre 1995, les dettes à long terme du régime général devraient atteindre près de 230 milliards qui se décomposent ainsi :
- 110 milliards de francs de déficits cumulés au 31 décembre 1993, qui ont été mis à la charge du Fonds de solidarité vieillesse ;
- 120 milliards de francs de déficits pour 1994 et 1995. Les frais financiers engendrés par ce dernier agrégat s'élèvent à 8 milliards.
Au total, selon le rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale, le service de la dette en intérêts et en capital aurait dû représenter en 1996 un montant voisin des dépenses de la totalité des dépenses de la branche accidents du travail, soit 43 milliards.
b) Les autres régimes
Il convient de souligner que .es autres régimes ne sont pas épargnés par cette crise financière.
Les régimes spéciaux de retraite des salariés (fonctionnaires de l'Etat et des collectivités locales, agents des entreprises publiques) sont ceux qui connaissent les déséquilibres financiers les plus significatifs : solde nul pour le premier entre 1994 et 1996, découvert, variable pour le CNRACL (- 6,5 milliards en 1994, - 1,2 milliard en 1995, - 0,6 milliard en 1996).
Sur les moyens et longs terme, leurs perspectives financières sont même extrêmement préoccupantes, comme le montre notamment le tableau suivant extrait du rapport Briec :
S'agissant en particulier de la CNRACL, le constat de la Commission des comptes de la sécurité sociale est particulièrement alarmiste : « malgré l'importante hausse de la cotisation employeur dont elle a bénéficié en 1995 (+ 3,8 points), la situation de la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales reste précaire. On a déjà fait observer que les ponctions inconsidérées effectuées entre 1992 et 1994 sur ses réserves au titre de la compensation spécifique entre régimes spéciaux vieillesse (dite « surcompensation ») l'ont rendue exsangue à un moment où les prestations qu'elle doit servir s'accroissent à un rythme soutenu. Tout laisse à craindre que dès 1997 le financement de la CNRACL nécessitera de nouvelles et vigoureuses mesures de redressement, le répit de 1996 n'étant qu'éphémère ».
Les trois grands régimes de non salariés non agricoles (ORGANIC, CANCAVA, et CANAM) connaissent également à leur tour des difficultés de trésorerie.
La Caisse nationale d'assurance maladie des professions indépendantes (CANAM) est chaque année en déficit depuis 1991 à hauteur d'un milliard environ. Pour 1996, les prévisions sont plus optimistes avec un déficit ramené à 434 millions en raison de l'évolution du produit de la contribution sociale de solidarité (4,7 milliards). Mais, il faut noter que ce sont les dépenses au titre de la compensation démographique qui enregistrent l'évolution le plus importante avec un doublement des transferts depuis 1990. Au total, les transferts versés à ce titre par la CANAM représentent près de 3 milliards de francs et plus de 10 % de ses ressources.
Les régimes de retraite des professions industrielles et commerciales (ORGANIC) enregistrent pour 1994, 1995 et 1996 des déficits supérieurs à 1 milliard en raison notamment de la très faible évolution de ses recettes. Le régime de retraite des artisans (CANCAVA) enregistre également une diminution des cotisations qui s'amplifie depuis 1993.
Même la situation des régimes de retraite complémentaire obligatoire ARRCO et AGIRC n'apparaît guère plus favorable que celle des autres régimes de retraite.
En comptabilité de droits constatés, le résultat technique (hors produits financiers) est, pour 1994, de - 2,8 milliards de francs pour l'ARRCO et de - 5,4 milliards de francs pour l'AGIRC. Après intégration des produits financiers, les résultats d'exploitation sont respectivement de + 0,3 milliard et -3,3 milliards de francs.
Pour 1995, les perspectives sont légèrement plus favorables puisque les résultats d'exploitation attendus devraient être de l'ordre de + 0,5 milliard pour l'ARRCO et - 1,8 milliard pour l'AGIRC. Pour l'ARRCO, cette évolution résulterait essentiellement d'un résultat financier un peu plus élevé qu'en 1994. Pour l'AGIRC, la progression des allocations, plus faible que celle des cotisations, notamment en raison du gel de la valeur du point de retraite, explique la résorption partielle du déficit.
Dans les deux régimes, la stabilisation des résultats, à un niveau qui demeure faible, n'a pu être obtenue qu'au prix de fortes mesures de redressement financier, notamment la hausse des taux de cotisations ainsi que des taux d'appel, le gel temporaire de la valeur du point et la diminution programmée des majorations pour enfants.
A plus long terme, on constate néanmoins des perspectives très préoccupantes résumées dans le tableau ci-après.
SITUATION DES PRINCIPAUX REGIMES COMPLEMENTAIRES OBLIGATOIRES A L'HORIZON 2015
Au-delà de ces aspects purement financiers et en dépit de ses acquis, notre système de protection sociale apparaît de plus en plus inadapté aux caractéristiques de notre économie et de la société française dans son ensemble, tant en ce qui concerne son mode de financement que ses modalités. Il soulève, de plus, des interrogations quant à son efficacité.
2. Une profonde crise d'identité
Cette crise d'identité peut être analysée sous trois angles différents.
a) Un mode de financement en question
La logique initiale d'un financement conçue initialement sur un principe d'assurance sociale au profit des travailleurs apparaît de plus en plus mal adaptée aux caractéristiques actuelles du système qui intègre de nombreuses prestations de solidarité nationale.
En effet, outre la généralisation des prestations familiales et la prise en charge par la protection sociale de l'assurance personnelle des plus démunis, la sécurité sociale a accompagné la crise économique à partir du choc pétrolier des années 1970, jouant ainsi un rôle d'amortisseur de la crise. L'extension des prestations familiales a été à cet égard un important facteur de lutte contre l'exclusion.
Au-delà, la sécurité sociale a introduit des mécanismes de redistribution des revenus en créant ou en développant des prestations sous conditions de ressources. Même dans les branches où était maintenu le lien travail-cotisation-prestation, elle a multiplié les prestations acquises sans contrepartie, de cotisations ou avec des cotisations allégées (assurance-maladie des retraités).
Or, le financement est resté assis pour l'essentiel sur les revenus professionnels sous forme de cotisations sociales. En 1990, la part des cotisations dans le total des recettes de régime général s'élevant à 90 %, elle était, au cours de cette même année, de 80 % pour l'ensemble des régimes de sécurité sociale. En 1995, ces proportions ont légèrement décru avec un niveau respectif de 86 % et 75 % en raison de l'introduction de la contribution sociale généralisée ( ( * )1) .
Comme l'a souligné le rapport sur le financement de la protection sociale du Commissariat général du plan de juillet 1995, ce mode de financement a un effet défavorable sur l'emploi des non-qualifiés. Tous régimes confondus (régime général, retraites complémentaires, UNEDIC), le taux de cotisations patronales et salariales au niveau du SMIC est passé de 57,8 % en 1980 à 61,4 % en 1992. Or, c'est précisément sur ce type d'emplois que le taux de chômage en France apparaît le plus important par rapport aux pays étrangers.
C'est justement pour en atténuer la portée que de nombreux dispositifs d'exonération de cotisations sociales ont été mis en place pour les plus bas revenus. Mais on constate un « effet de ciseaux » croissant entre l'évolution des dépenses et celle des recettes ainsi calculées.
b) Une complexité croissante
La Cour des comptes a particulièrement relevé dans son rapport sur la protection sociale de 1995 le degré de complexité atteint par ce système.
La conclusion de celui-ci est particulièrement éloquente : « Les observations présentées dans les chapitres précédents, fondées sur ses travaux ou ceux des CODEC, conduisent la Cour à formuler explicitement certaines propositions.
L'examen de ces propositions montre qu'au-delà de leur caractère technique, ponctuel, et souvent limité, elles se rattachent presque toutes à un des aspects majeurs de la réforme de la sécurité sociale : la nécessité d'apporter davantage de clarté dans ses comptes, les modalités de son financement et son fonctionnement.
La crise économique et, ses conséquences sociales ou financières de tous ordres, on, intensifié et diversifié les relations entre l'Etat et la sécurité sociale, qu'il s'agisse de nouvelles prestations que celle-ci assure compte de l'Etat, d'exonérations de cotisations en vue d'encourager l'emploi de concours ou d'interventions pour rétablir l'équilibre de tel ou tel De ce fait, le manque de clarté, de logique et de continuité des interventions de l'Etat dans le domaine de la sécurité sociale s'est aggrave. Le présent rapport en donne de nombreux exemples.
Les relations financières entre les régimes, analysées dans le présent rapport au travers des compensations et des répartitions de charges, doivent elles aussi faire l'objet d'un effort considérable de clarification. De même les systèmes d'évaluation des performances des organismes doivent produire des informations plus significatives sur le coût du fonctionnement et la qualité du service rendu.
Ainsi des progrès réels dans la clarification des comptes et la simplification du fonctionnement des régimes, même s'ils sont difficiles à mettre en oeuvre et souvent long à produire leurs fruits, apparaissent à la Cour inséparables de l'indispensable réforme du financement de la sécurité sociale ».
c) Des inégalités et des dysfonctionnements injustifiables
Contrastant avec les objectifs de solidarité et de justice sociale définis en 1945, notre système de protection sociale comporte des inégalités et fait apparaître des dysfonctionnements préoccupants. Deux exemples l'illustrent en particulier.
S'agissant des mécanismes de retraite, on note une grande disparité des modalités, encore accentuée par la réforme de 1993 sur les pensions de retraite. En effet, la mise en oeuvre de celle-ci va avoir, au fil du temps, deux effets conjugués rappelés par le rapport du Gouvernement sur la protection sociale :
- elle va faire apparaître, au détriment du régime général, des écarts entre niveaux de pensions au-delà des différences de profil démographique et socioprofessionnel. Ainsi, la progression de la pension unitaire moyenne de droit direct servie par le régime général (+ 15 % en francs constants en 2015) sera inférieure à celle servie par les régimes spéciaux (+ 22 % pour les fonctionnaires civils et + 27 % pour les agents de la SNCF à la même date) ;
- elle va également susciter, au profit des salariés relevant par exemple des régimes spéciaux, une distorsion sensible des taux de remplacement, la réforme de 1993 entraînant une diminution d'environ sept points du taux de remplacement global pour les salariés hommes du régime général.
Le Livre blanc sur les retraites de 1991 avait montré que les différences subsistant à cette date, entre le régime général et les régimes spéciaux, portaient surtout sur les conditions d'âge ainsi que sur les avantages annexes, notamment les pensions de réversion. Ce diagnostic est plus fondé encore après la réforme de 1993.
Une nouvelle source de disparités croissantes réside désormais notamment dans la durée d'assurance requise pour bénéficier d'une retraite à taux plein. Fixée à 153 trimestres au 1er janvier 1996 dans les régimes du secteur privé qui ont fait l'objet de la réforme de 1993 (régime général, régime des artisans, des industriels et des commerçants), cette durée sera portée progressivement à 160 trimestres (40 annuités). Dans les régimes spéciaux écartés de cette mesure, la durée d'assurance requise demeure fixée à 150 trimestres.
En outre, des inégalités importantes d'âge de départ à la retraite persistent. Ainsi, les régimes spéciaux prévoient la possibilité d'un départ en retraite avant soixante ans au bénéfice de nombreuses catégories d'assurés, comme cela est rappelé ci-après.
EXEMPLES D'ÂGE MINIMUM D'ATTRIBUTION DES DROITS À LA RETRAITE À TAUX PLEIN
Par ailleurs, en dépit du relèvement du taux appliqué aux pensions de réversion du régime général qui est passé de 52 % à 54 %, le régime général demeure moins favorable que les régimes spéciaux sur ce point.
Les règles applicables pour la réversion sont, en effet, souvent plus avantageuses dans ces régimes. Il n'y existe, en effet, ni condition d'âge minimum, fixé à 55 ans dans le régime général, ni condition de non-cumul avec des ressources personnelles (SMIC dans le régime général) ou avec ces droits propres. Le régime général ne comporte pas, en outre, de pensions d'orphelin.
S'agissant du système de santé, on relève des inégalités non moins choquantes telles que des prises en charge variant de 100 % (systèmes médicaux intégrés à l'entreprise) à 50 % pour certaines prestations (soins courants, petit appareillage) dans le régime des non salaries.
Les difficultés pour accéder aux soins sont notables au bas de l'échelle des revenus et certains experts considèrent même qu'elles se sont accrues au cours des années 1980. Selon le Haut comité de la santé publique, en 1991, les personnes ayant les revenus les plus faibles réalisaient 20 %. de recours aux médecins en moins que l'ensemble de la population alors que ce pourcentage n'était que de 15 % en 1980.
Le Premier ministre a donné lui-même un aperçu des dysfonctionnements qui frappent notre système de santé le 13 novembre dernier devant les députés :
« Qu'y a-t-il en fait, derrière ces statistiques ? L'insuffisance de la prévention, si souvent dénoncée, l'existence de gaspillages incontestables et incontestés et l'absence d'évaluation et de contrôle des coûts dans notre système de soins. Le coût d'une même opération chirurgicale peut varier de 50 % selon l'établissement où elle a lieu. Le nombre d'analyses de biologie par hospitalisé peut varier du simple au triple selon les régions. Sans parler bien sûr de la surconsommation de médicaments qui singularise notre pays. On consomme ainsi en France quatre fois plus de neuroleptiques qu'en Allemagne ou au Royaume-Uni. »
* (3) Commission des comptes de la sécurité sociale
* (4) Imputables principalement a la prise en charge en charge de la validation des périodes de chômage
* (1) Chiffres cités par le rapport du gouvernement au Parlement sur la protection sociale d'octobre 1995