B. UN PROJET DE REFONDATION COMPLÈTE DU SYSTÈME DE PROTECTION SOCIALE
La réforme du système de protection sociale est un sujet qui a donné lieu depuis 1945 à une trentaine de rapports officiels et à un nombre considérable de « plans de redressement ».
Pour la première fois, l'actuel Gouvernement propose un plan d'ensemble, à la fois global et ambitieux.
Ce plan de réforme de la protection sociale repose comme le Premier ministre l'a rappelé sur une exigence à laquelle votre commission est très sensible : la justice. Cet objectif sera poursuivi tant au niveau des recettes (recours accru à une CSG élargie notamment) que des dépenses (régime universel d'assurance maladie, réforme des régimes spéciaux, prise en compte des allocations familiales dans l'impôt).
Cet objectif est, de plus, cohérent avec l'état des lieux dressé précédemment. Il impose logiquement et au préalable que les nouvelles fondations du système reposent sur une base saine. L'assainissement de la situation présente passe par un préalable indiscutable : l'apurement de la dette sociale et le retour à l'équilibre des comptes.
Les mesures immédiates à caractère financier seront donc examinées dans une première partie avant d'aborder les mesures structurelles correspondant aux fondations du nouvel édifice.
1. Des mesures financières courageuses
Elles s'articulent autour de deux axes : le traitement de la dette sociale et le rééquilibrage branche par branche du système.
a) Le traitement de la dette sociale
S'agissant de l'apurement de la dette sociale, évaluée à 250 milliards, en 1996, une caisse d'amortissement sera créée pour regrouper l'ensemble des découverts du régime général et l'amortir sur une période de 13 ans. Elle prendra la forme d'un établissement public national à caractère administratif
et se substituera notamment au FSV pour le remboursement des 110 milliards de francs de dette du régime général constaté au 31 décembre 1993.
Comme l'a souligné le Premier ministre « l'argent du FSV doit aller à de vraies dépenses de solidarité, pas à l'apurement du passé ».
Votre commission tient à relever les éléments positifs de cette démarche :
1°) La reprise de dette ainsi opérée s'effectue dans des conditions de clarté plus satisfaisantes que la précédente opération mise à la charge du FSV.
Sur le plan des principes, la commission avait souligné dès l'origine le risque de confusion qu'entraînait la reprise de dette par le FSV par rapport à sa vocation « naturelle » : la prise en charge du non-contributif vieillesse. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle, elle a prévu par amendement de préciser que le FSV a une mission à titre permanent correspondant à sa vocation fondamentale et une mission à caractère temporaire, celle de rembourser les avances faites à l'ACOSS par l'Etat jusqu'au 31 décembre 1993. Il faut préciser que les dépenses du FSV font également, à la suite d'un amendement de votre commission, l'objet de deux sections distinctes correspondant à ces deux missions.
De plus, l'opération de reprise de dette ne s'est pas effectuée dans des conditions de grande transparence. Comme l'a souligné le rapport de la Cour des comptes sur la sécurité sociale déjà cité, la dette réelle a été surévaluée, pour des raisons techniques, d'environ 16,7 milliards, les déficits cumulés finalement constatés ayant représenté moins de 94 milliards. Ce reliquat a été un moment considéré dans son ensemble comme un fonds de roulement utile pour les différentes branches, une fois apurés les comptes des organismes. Mais de cette somme a été retranché le montant nécessaire au financement de la majoration exceptionnelle de l'allocation de rentrée scolaire pour l'année 1993. En définitive, seuls 10,9 milliards ont été réservés à ce fonds de roulement, soit 3,6 milliards à chaque branche.
2°) Il s'agit d'une opération globale qui se présente comme « solde de tout compte ».
En effet, non seulement elle concerne la dette constatée fin 1993 déjà en cours d'amortissement mais elle intègre par anticipation le déficit prévisionnel pour 1996 estimé à 17 milliards.
Cette modalité est cohérente avec le projet de « refondation du système », selon l'expression du Premier ministre, qui se traduit donc ainsi par l'apurement de la situation passée pour reconstruire sur des bases nouvelles.
Votre commission mesure l'importance et le courage de l'engagement ainsi pris par le Gouvernement.
3°) Le financement sera assuré dans des conditions d'équité.
En effet, il sera essentiellement constitué par un nouveau prélèvement appelé RDS, remboursement de la dette sociale. Celui-ci aura une assiette très large à savoir tous les revenus, à l'exception des minima sociaux, des pensions militaires d'invalidité, des rentes d'accidents du travail et des revenus des livrets d'épargne exonérés (livret A et assimilés).
Au taux retenu, volontairement modéré, de 0,5 %, ce prélèvement devrait rapporter 25 milliards de recettes à cette caisse, par ailleurs alimentée par le produit des cessions immobilières des caisses et le remboursement de leurs dettes de sécurité sociale par les pays étrangers.
A cet égard, le dernier rapport de la Commission des comptes de la sécurité sociale comporte des développements très intéressants sur le patrimoine des régimes de base de sécurité sociale.
Comme l'indique ce rapport, il peut paraître étonnant, en effet, que des caisses en quasi état de cessation de paiement puissent conserver un important patrimoine de rapport, sous forme notamment de biens immobiliers. Le rapport précise que sont principalement concernées deux caisses du régime général (la CNAVTS et la CNAMTS) et la Caisse nationale de sécurité sociale dans les Mines (CANSSM).
La patrimoine de la CNAVTS provient des anciennes caisses de capitalisation et est évalué à environ 1,4 milliard de francs. Celui de la CNAMTS est estimé à environ 2,5 milliards. Celui de la CANSSM, enfin, avoisinerait environ 2,5 milliards. Au total, selon le rapport de la Commission des comptes, l'ensemble peut être estimé à 6,5 milliards dont environ 4 milliards au titre du régime général.
Ce patrimoine bénéficie d'une rentabilité assez faible que le rapport impute notamment aux retards constatés dans la mise en oeuvre d'une politique volontariste de revalorisation des loyers.
Toutefois, votre commission estime que l'état actuel du marché immobilier, notamment dans la région parisienne, n'est guère propice a la cession dans les meilleures conditions financières, d'importants actifs immobiliers et que la valeur réelle de ce patrimoine est peut-être surévaluées. Par ailleurs, elle relève que l'affectation de produit de la vente du patrimoine de la CANSSM soulève des problèmes juridiques puisqu'il est de nature prive.
b) Le rééquilibrage des comptes
Le Gouvernement souhaite ramener le découvert prévisionnel pour 1996 de 60 milliards à 17 milliards. Le cantonnement de la dette sociale à elle seule permet d'abaisser le déficit à 53,3 milliards. Le Gouvernement propose donc un effort supplémentaire de 36,7 milliards.
Il faut noter que le Gouvernement a prévu, à juste titre, un rééquilibrage branche par branche, compte tenu du principe de gestion séparée des branches posé par la section I de la loi n° 94-637 du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale.
* Branche vieillesse
Pour la branche vieillesse, le rééquilibrage est envisagé sans augmentation des cotisations vieillesse pesant sur les actifs et les entreprises et devrait ramener le déficit à un milliard en 1996 et à un excédent d'environ 300 millions en 1997.
Trois mesures principales sont annoncées pour alléger les charges pesant sur celle-ci :
- le report de l'application de la prestation d'autonomie au 1er janvier 1997 ;
- la prise en charge par le FSV de 11 milliards de dépenses de solidarité actuellement financées par la CNAVTS;
- une contribution des entreprises qui souscrivent pour leurs salariés des contrats de prévoyance et d'assurance maladie complémentaire a hauteur de 2,5 milliards.
Les deux premières mesures sont liées. Le report de la prestation d'autonomie, réclamé par de nombreux parlementaires qui jugeaient inopportune la création d'une nouvelle prestation, au coût potentiellement élevé, dans le contexte actuel de déficit des comptes sociaux, va permettre de réaffecter une partie des ressources libérées par l'externalisation de la dette et jusqu'ici prises en charge par le FSV en direction de la CNAVTS.
En 1996, 11 milliards lui seront ainsi affectés pour le financement des dépenses à caractère non contributif et relevant de la solidarité nationale. Il s'agit en l'occurrence de la validation gratuite des périodes de chômage qui est actuellement calculée sur une base forfaitaire. Le salaire de référence pris en compte pour déterminer le montant de cette prise en charge sera ainsi porté de 60 à 90 % du SMIC.
Votre commission constate qu'ainsi l'essentiel du déficit de cette branche du régime général sera « épongé ». On peut s'interroger toutefois sur l'utilisation du 1,5 milliard restant, libéré par la création de la caisse d'amortissement.
Par ailleurs, le report de la mise en place de la prestation d'autonomie du 1er janvier 1997 a surpris votre commission, le Sénat ayant déjà procédé à la discussion générale de ce texte le 9 novembre dernier. Elle constate qu'entre temps, les phénomènes de dépendance s'accroissent et les dérives de l'allocation compensatrice ne sont pas traitées.
Sur le prélèvement concernant les primes d'assurances de groupe, il convient de rappeler que les versements des entreprises au profit de leurs salariés, réalisés dans le cadre de contrats supplémentaires de prévoyance et maladie résultant d'accords collectifs, bénéficient d'une exonération totale des cotisations sociales, dans la limite de 85 % du plafond de la sécurité sociale.
Les primes versées annuellement au titre de ces contrats sont estimées à environ 52 milliards de francs, dont 25 milliards de francs pour l'assurance maladie complémentaire et 27 milliards de francs pour l'assurance complémentaire prévoyance. La part des primes à la charge des entreprises est estimée à environ 80 % de ces montants.
Cette exonération de prélèvements sociaux crée donc une inégalité de traitement en matière de protection sociale complémentaire au profit des salariés des entreprises qui souscrivent des contrats collectifs et au détriment des salariés ou non salariés qui ne peuvent souscrire qu'à des compléments de couverture sociale facultatifs, sans part patronale et donc assujettis à prélèvements fiscaux et sociaux.
De plus, les contrats collectifs d'assurance maladie complémentaire favorisent la consommation de biens médicaux sans que ceux-ci participent aucunement au financement de notre système de protection sociale.
Afin de remédier partiellement à cette situation, le Gouvernement propose d'instituer, au profit du Fonds de solidarité vieillesse, un prélèvement de 6 %, à la charge des entreprises, assis sur la part patronale des contrats complémentaires de prévoyance et de maladie souscrits auprès des sociétés d'assurance, mutuelles et institutions de prévoyance complémentaire.
Si elle approuve cette décision, votre commission sera également vigilante sur son application qui ne doit pas faire rejaillir sur les salaries le coût du prélèvement ainsi opéré.
* Branche famille
Pour la branche famille, les mesures envisagées visent à ramener son déficit à 4,8 milliards en 1996 et à dégager un excédent de 6.5 milliards en 1997. Elles s'appuient essentiellement sur des efforts d'économie en 1996 et sur des ressources nouvelles en 1997.
En 1996, les économies obtenues sur cette branche résulteront de :
- la non revalorisation de la base mensuelle BMAF (2,6 milliards) en janvier 1996 ;
- diverses mesures de rationalisation des prestations familiales et des aides au logement (pour 2,4 milliards) dont le recentrage de l'allocation pour jeune enfant au profit des familles dont les revenus n'excèdent pas 172.000 F par an et l'aménagement des aides au logement et des modalités d'attribution des prestations familiales sous conditions de ressources ;
- les transferts de la gestion des prestations familiales des régimes-spéciaux à la CNAF, ce qui rapportera 700 millions de francs en 1996 et 1,7 milliard en 1997.
Votre commission se félicite particulièrement de cette dernière mesure.
D'une part, elle permettra de réaliser effectivement l'universalité des modalités de gestion et de versement des prestations familiales. En effet, l'Etat et certaines entreprises publiques (EDF, SNCF, RATP, France Telecom, la Poste, etc.) assurent encore eux-mêmes le service des prestations familiales et, l'action sanitaire et sociale en faveur de leur personnel. Ces employeurs versent à la CNAF une contribution calculée par différence entre les prestations servies à ces personnels et les cotisations qu'ils auraient normalement versées à la CNAF, après déduction des dépenses d'action sanitaire et sociale et des frais de gestion supportés pour le service de ces prestations. A l'avenir, les taux de cotisation de l'Etat et de ces entreprises publiques seront alignés sur les taux applicables à l'ensemble des entreprises et la gestion des prestations familiales transférée progressivement à la CNAF.
D'autre part, cette procédure permettra d'accroître la sincérité des comptes puis qu'auparavant aucun contrôle n'existait sur les dépenses correspondantes de la part de la CNAF et la Commission des comptes de la sécurité sociale s'en alarmait depuis longtemps. Il faut noter toutefois que si cette mesure sera applicable dès 1996 pour les entreprises publiques, elle ne devrait être effective pour l'Etat qu'à partir de 1997.
Votre commission se félicite également de l'engagement pris pour 1997 de faire bénéficier cette branche de l'élargissement de la base de la CSG et relève que le montant ainsi évalué atteint 6,9 milliards.
Quant à la non-revalorisation de la BMAF, si elle s'est interrogée dans un premier temps sur ces effets notamment sur la consommation, le secrétaire d'Etat chargé de la sécurité sociale a bien voulu préciser que les familles ne supporteront pas en contrepartie le remboursement de la dette sociale (RDS) car celui-ci ne s'appliquera qu'« après reprise de l'indexation des prestations familiales ».
* Branche maladie
La branche maladie verra son déficit ramené à 12,3 milliards en 1996 et devrait enregistrer un excédent de 3 milliards dès 1997.
Ce redressement résulte de trois séries de mesures :
- la première (7,1 milliards) concerne les recettes. Les cotisations maladie des retraités imposables et des chômeurs indemnisés au-dessus du SMIC seront relevées de 1,2 point en 1996 et 1997 ;
- les deux autres portent sur les dépenses avec des mesures d'économies portant sur 4,3 milliards en 1996 et des mesures de gestion avoisinant 6,4 milliards. Parmi celles-ci figurent la fixation pour l'an prochain d'un objectif quantifié national strictement indexé sur les prix (+ 2,1 %) tant à l'hôpital qu'en médecine ambulatoire et des efforts de solidarité demandés aux médecins et aux laboratoires pharmaceutiques pour 5 milliards environ.
S'agissant du relèvement des cotisations d'assurance maladie des retraités, votre commission admet que le taux actuel très faible (1,4 % contre 6,8 % pour les salariés) n'est plus justifié et relève qu'il ne sera pas procédé à un alignement complet mais à une hausse limitée pour l'instant à 2,4 points sur deux ans.
Sur les autres mesures, elle constate la détermination du Gouvernement sur le freinage des dépenses avec la fixation d'objectifs quantifiés et la mise en place d'un dispositif de sanctions.
Il faut noter que les accords conventionnels pour 1995 prévoyaient une évolution des dépenses de médecine (honoraires, prescriptions, Pharmacie, biologie, indemnités journalières) de 3 % ; elles augmenteront en fait de près de 5,9 %.
Un tel niveau d'évolution, qui ne se traduit pas par une amélioration sensible de la qualité des soins, n'est pas compatible, comme cela est analysé dans le présent rapport, avec les perspectives d'évolution des recettes dont disposera en 1996 et 1997 notre système de protection sociale.
Votre commission sera particulièrement attentive aux conditions d'application de ce dispositif dont le Gouvernement a bien voulu préciser qu'il s'effectuera de la manière suivante : des accords conventionnels devront décliner l'objectif de 2,1 % pour chaque profession. En cas de carence le Gouvernement sera habilité par la loi à le fixer. En outre, des mécanismes visant à assurer le respect de ces objectifs seront mis en place.
De même, le Gouvernement a décidé que le taux d'évolution de la dotation globale hospitalière serait égal à celui des prix tant en 1996 qu' en 1997 Pour faire respecter ces objectifs, le Gouvernement assurera en 1996 un suivi en temps réel de l'évolution des dépenses hospitalières et engagera les contrôles nécessaires en cas de dérive constatée. Ainsi, des 1996, le système de suivi des dépenses hospitalières sera renforcé : une mission nationale d'appui examinera au cas par cas les difficultés rencontrées et proposera des solutions pour que les objectifs soient tenus par les hôpitaux concernes. En outre, aucun déficit 1996 ne sera repris en 1997.
Compte tenu de l'importance de ce dispositif, votre commission a décidé de procéder à de larges consultations et auditions sur le projet de loi d'habilitation sur les ordonnances afin d'approfondir sa réflexion sur ces orientations.
Sur la portée de ces mesures financières, votre commission sera attentive à ce que les efforts soient équitablement répartis comme s'y est engagé le Gouvernement. Elle relève ainsi que :
- les foyers les plus modestes ne seront pas touchés, en particulier ceux qui ont pour seules ressources les minima sociaux (RMI, AAH, API, etc.) ainsi que les retraités non imposables ;
- pour la reprise de dette, le RDS vise à ne pas faire porter sur les générations futures la charge des déficits d'aujourd'hui et il épargnera les prestations familiales.
2. Des mesures de refonte structurelles
Au-delà, le Gouvernement veut mettre en place des mécanismes qui assurent l'équilibre durable du système en prévoyant « une nouvelle architecture » et une « nouvelle chaîne des responsabilités ».
Les mesures institutionnelles et les mesures sectorielles relatives aux futures structures de notre système de protection sociale font l'objet des observations suivantes de la part de votre commission.
a) Les mesures institutionnelles
Présentée comme la « clé de voûte » de la réforme, l'introduction du Parlement au coeur du futur dispositif constitue une innovation d'une portée considérable. Le Gouvernement procédera donc dès janvier prochain à une révision constitutionnelle et à compter de l'exercice 1997, le Parlement pourra ainsi se prononcer, selon les précisions données par le Premier ministre, sur :
- les orientations générales et les objectifs des politiques de protection sociale ;
- les ressources financées par l'impôt ;
- le taux d'évolution de l'ensemble des dépenses qui permettra de garantir l'équilibre du système ;
- les critères de répartition des objectifs quantifiés nationaux ainsi arrêtés.
Ces orientations seront particulièrement importantes puisque c'est sur la base des délibérations de la représentation nationale, que le Gouvernement devra conclure, avec les caisses nationales, des conventions d'objectifs et de gestion.
Auteur d'un rapport et d'une proposition de loi sur ce sujet, votre rapporteur ne peut que se féliciter de cette place nouvelle accordée au Parlement.
Il était, en effet, devenu indispensable de renforcer son rôle pour plusieurs raisons :
- premièrement, la protection sociale est de plus en plus financée par les ressources de nature fiscale et il revient naturellement au Parlement de « voter l'impôt ». Votre commission relève que cette évolution sera encore accentuée avec le RDS (remboursement de la dette sociale) et l'élargissement de l'assiette de la CSG ;
- deuxièmement, le poids des prélèvements sociaux (environ 2.000 milliards, c'est-à-dire plus que le budget de l'Etat !) justifie un arbitrage de la représentation nationale car il réduit d'autant l'effort financier qui peut être engagé au profit d'autres fonctions collectives telles que l'éducation, la recherche, le logement, etc. ;
- troisièmement, le système a besoin d'une instance de régulation entre le Gouvernement et les gestionnaires des régimes en charge des Problèmes quotidiens de la protection sociale ;
- enfin, il est indispensable que le pays se fixe des objectifs à moyen ou long terme avec une vision d'ensemble pour sortir du pilotage « a vue » qui a été effectué jusqu'à présent.
Votre commission souhaite appeler toutefois l'attention sur deux Problèmes particuliers :
1°) Il ne serait pas souhaitable que le rôle du Parlement soit interprété de façon trop comptable et que celui-ci n'apparaisse que comme le « censeur » des autres acteurs du système notamment dans le domaine de la santé. Son contrôle devrait être particulièrement ciblé, parce qu'il est légitime, sur l'ensemble des concours financiers de l'Etat envers la protection sociale Dans ce but, votre commission souhaite que cet agrégat soit plus clairement identifié même s'il recouvre des réalités diverses : subventions aux régimes, prestations prises en charge directement, compensation d'exonérations, concours du FSV, impôts et taxes affectées...
2°) Par ailleurs, le Parlement devra, sans doute, bénéficier de moyens renforcés pour faire face à ses nouvelles responsabilités, sachant que les moyens du ministère des Affaires sociales sont faibles et que ses propres capacités d'expertise sont matériellement limitées.
Ainsi par exemple, le Parlement devrait bénéficier de l'accès aux mêmes « instruments » d'évaluation que le Gouvernement en amont de sa décision. En aval, un contrôle renforcé sur l'exécution de ces orientations serait souhaitable et les relations avec des organismes spécialisés dans ce domaine tels que la Cour des Comptes pourraient être utilement resserrées dans cette perspective.
Le second volet de ses réformes institutionnelles concerne l'organisation des caisses afin de les rendre « plus efficaces et plus resserrées ».
Les principales innovations sont les suivantes :
- au niveau national, la composition des conseils d'administration sera revue de sorte que syndicats, patronat et personnalités qualifiées y trouvent leur place. Les administrateurs ne seront plus élus mais désignés. Les pouvoirs du directeur général seront renforcés de sorte qu'il puisse notamment nommer les directeurs des caisses locales. Un Conseil de surveillance comprenant en particulier sera institué auprès de chaque caisse nationale.
- au niveau local, le réseau des caisses du régime général sera réorganisé avec l'objectif de constituer un seul organisme par département et par branche sans pour autant diminuer le nombre de services de proximité.
Votre commission s'est interrogée sur la nouvelle composition de conseils d'administration des caisses nationales et sur les compétences du nouveau Conseil de surveillance. Aucune élection n'ayant pu être organisée depuis 1983, ce mode de désignation était de fait devenu caduc. De plus, elle note que les partenaires sociaux continueront à proposer leurs représentants au Gouvernement qui les nommera.
Quant à la création d'un Conseil de surveillance composé notamment de parlementaires, cette mesure semble s'inspirer d'un dispositif introduit (le comité de surveillance) par votre commission des Affaires sociales dans la loi du 22 juillet 1993 et qui a été institué auprès du Fonds de solidarité vieillesse. Celui-ci actuellement présidé par notre collègue Alain Vasselle exerce un rôle de contrôle et de proposition sur les activités du FSV en se réunissant au moins une fois par an.
Votre commission espère par ailleurs que cette création permettra d'assurer enfin la représentation des autres acteurs du système de protection sociale, absents du Conseil d'administration, comme par exemple les professions de santé et les associations d'usagers (associations familiales, retraités, etc.).
b) Les mesures sectorielles
Sur les mesures par secteur, votre rapporteur se limitera à quelques observations. Il vous propose de vous reporter notamment aux excellents avis de nos collègues Louis Boyer (santé et assurance maladie), Jean Chérioux (famille) et Alain Vasselle (personnes âgées).
La commission sera par ailleurs prochainement consultée sur le projet de loi d'habilitation relatif aux ordonnances et pourra alors analyser en profondeur des dispositions qui pour l'instant comportent encore certaines zones d'ombre.
* Sur la maladie
Sur la maladie, trois grands « chantiers » seront prochainement ouverts. Il s'agit du régime universel d'assurance maladie, de la réforme de l'hôpital et du renforcement de la maîtrise médicalisée des dépenses de santé.
Selon les premières informations fournies par les services du Premier ministre, cette généralisation effective de l'assurance maladie se traduira Par « une harmonisation des droits et des efforts contributifs », et par l'ouverture automatique d'un droit à l'assurance maladie pour toute personne âgée de plus de 18 ans, résidant régulièrement sur le territoire français, quelle que soit son activité. La gestion du système actuel par les différentes caisses existantes ne sera pas cependant remise en cause.
Cette mesure répond au diagnostic porté sur les disparités d'accès aux soins. Selon le CREDES (Centre de recherches, d'études et de documentation en économie de la santé), un Français sur cinq renonce à des soins pour des considérations financières, ce pourcentage étant plus élevé encore en ce qui concerne les soins dentaires (plus d'un sur quatre) et l'achat de lunettes. Malgré les mesures d'extension de la couverture maladie notamment sous l'impulsion du Gouvernement Balladur, on sait que certaines Personnes ne bénéficient pas d'une couverture satisfaisante tels certains bénéficiaires du RMI ou des jeunes qui ne sont pas insérés ni dans le système scolaire ni dans un cursus professionnel.
On peut, certes, s'interroger sur le coût de cette réforme en l'absence de statistiques précises sur les personnes ainsi concernées. Au-delà, l'annonce d'une harmonisation des droits et des efforts contributifs soulève des interrogations dans la mesure où beaucoup de catégories disposent a l'heure actuelle soit d'exonérations de cotisations (adultes handicapés, boursiers...), soit de cotisations forfaitaires (par exemple, les étudiants) au titre de la solidarité.
Par ailleurs, on peut se demander comment s'articulera cette généralisation avec le dispositif de l'assurance personnelle dont la complexité est dénoncée dans le dernier rapport de la Cour des Comptes sur la sécurité sociale : celle-ci fait apparaître un déficit de gestion important (de l'ordre de 3,6 milliards en 1994). Or, la Cour des Comptes fait précisément une proposition qui coïncide avec la réforme gouvernementale :
« Sans bouleverser l'économie générale de l'assurance maladie et sans désengager les collectivités de l'aide sociale du rôle traditionnel qui leur incombe, une simplification majeure pourrait être obtenue en confiant à la caisse primaire de la résidence, sans intervention des payeurs dans la gestion et sous réserve, au besoin, de compensations financières globales, la totalité des opérations d'affiliation et de délivrance des titres d'ouverture des droits (carte d'assuré social et éventuellement carte santé départementale) dans tous les cas où la situation sociale des intéressés entraîne de plein droit l'affiliation à l'assurance maladie et la couverture du ticket modérateur et du forfait journalier ».
Votre commission s'interroge donc sur la portée de cette réforme vis-à-vis des collectivités locales mais considère que, sur le principe, celle-ci va dans le sens de la justice et que les « trous » constatés dans la couverture maladie pour certains de nos concitoyens sont inacceptables.
Sur la réforme de l'hôpital, votre commission attend de disposer les propositions définitives du rapport que le Professeur Devulder, Président du Haut Conseil de la Réforme Hospitalière, s'apprête à remettre au Gouvernement.
Elle ne peut qu'approuver les orientations générales déjà présentées par le Gouvernement et qui reprennent largement des suggestions présentées notamment dans le Livre Blanc sur la réforme de l'assurance maladie.
Mais, elle sera très attentive aux modalités qui seront proposées. Beaucoup de questions restent en effet en suspens : quelle sera la composition des agences régionales, comment leurs actions seront-elles articulées avec les unions régionales des caisses d'assurance maladie et les directions régionales d'action sanitaire et sociale, par exemple ?
En ce qui concerne le renforcement de la maîtrise médicalisée des dépenses (RMO, codage des actes, incitations à la réorientation des médecins, formation continue obligatoire, généralisation du carnet médical, mise en place de la carte santé), les dispositions présentées constituent un « catalogue » très complet des mesures souhaitables dans ce domaine mais conduisent votre commission à s'interroger sur la manière dont le Gouvernement pourra rapidement faire « adhérer » les professions de santé, qui sont au coeur du dispositif, au coup de frein brutal ainsi opéré.
* Sur les retraites
S'agissant des retraites, deux grands chantiers vont être également mis en route : la mise en place d'un système d'épargne-retraite et une reforme des régimes spéciaux.
Le Gouvernement s'est engagé, pour le premier, il faut le souligner, à organiser une discussion commune des propositions de loi déjà déposées en ce sens sur le bureau des Assemblées et du projet qu'il élabore.
Votre commission des Affaires sociales rappelle que notre collègue Philippe Marini, lorsqu'il comptait parmi ses membres, avait déposé une Proposition sur ce sujet à laquelle la majorité d'entre elle avait apporte son soutien.
Elle a relevé, par ailleurs, l'engagement très ferme du Premier ministre afin que les régimes par répartition ne fassent l'objet d'aucune remise en question.
Par contre, elle note que les partenaires sociaux doivent à partir du 30 novembre rouvrir des négociations sur l'avenir des régimes paritaires de retraites complémentaires AGIRC-ARRCO et que les résultats de celles-ci devront certainement être pris en compte par le Gouvernement dans le dispositif de sa réforme.
Quant au second, votre commission comprend, par souci d'équité, les mesures qui vont toucher les modalités de calcul des retraites des régimes spéciaux et, par souci de transparence, la création de la caisse ces fonctionnaires.
Elle note que le Gouvernement a déjà procédé à la nomination du Président de la Commission de réforme des régimes spéciaux qui sera concrètement chargée dans les quatre mois suivant son installation :
- d'analyser très précisément la situation des régimes de retraite concernés ;
- de préciser les mesures nécessaires à l'équilibre de ces régimes et notamment les modalités d'allongement de 37,5 ans à 40 ans de la durée de cotisations requise pour bénéficier d'une retraite a taux plein ;
- de définir les modalités de création d'une Caisse de retraite des agents de la fonction publique de l'Etat, comme il existe une Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales.
Toutefois, il paraît souhaitable que cette Commission, qui va être mise en place pour proposer d'importantes réformes, s'attache également au problème des compensations inter-régimes (surtout au mécanisme dit « de surcompensation » qui ne concerne que les régimes spéciaux et qui est à l'origine des ponctions énormes sur la CNRACL). Le Ministre du Travail et des Affaires sociales. M. Jacques Barrot, a d'ailleurs indiqué que pour lui ces aspects étaient liés, le 16 novembre dernier au Sénat.
Par ailleurs, il est important de souligner, à la suite du rapport du Commissariat général du Plan consacré aux perspectives à long terme des retraites que la situation financière de ces régimes va connaître une très forte dégradation au cours des prochaines années.
Ainsi, le rapport démographique (nombre de cotisants par rapport au nombre de retraités) se dégradera entre 1995 et 2015 de 45 % pour les fonctionnaires de l'Etat et de 63 % pour les agents des collectivités locales.
La réflexion proposée par le Gouvernement est donc indispensable pour l'avenir même de ces régimes, d'autant que celui-ci s'est engagé à la mener en concertation avec les organisations représentant les personnels concernés.
* Sur la famille
Pour la famille, le principal « chantier » sera l'assujettissement des allocations familiales à l'impôt sur le revenu à partir de 1997 qui sera proposé non pas dans le cadre de cette réforme de la protection sociale mais, comme le Président Fourcade l'a demandé, dans le cadre de la réforme des prélèvements obligatoires.
Il convient de rappeler que les principales conséquences de cette mesure ont été analysées dans le rapport de Foucauld déjà mentionné dont les principales conclusions sont les suivantes :
- au plan macro-économique, son rendement est évalué à près de 6 milliards ;
- au plan micro-économique, une telle réforme rendrait imposable à l'impôt sur le revenu plus de 500.000 nouveaux ménages, surtout des familles de plus de deux enfants ;
- enfin, ses effets redistributifs sont calqués sur ceux de l'impôt sur le revenu et en reproduisent les inconvénients.
Votre commission considère donc qu'il faudra être très attentif aux effets du barème de l'IRPP et que cette mesure ne peut qu'être liée à une réforme de ce dernier.
Par ailleurs, elle regretterait que la moitié seulement, soit 3 milliards des recettes ainsi obtenues, soit réaffectée à la branche famille alors que dans son discours du 15 novembre dernier, le Premier ministre avait évoqué un réemploi intégral.
Enfin, elle s'interroge sur les modalités de la grande politique familiale annoncée pour 1998 par le Gouvernement.
* Sur le financement
Enfin, sur le financement, l'élargissement de l'assiette de la CSG et le basculement progressif d'une partie des cotisations maladie des salaries correspondent à des orientations souvent souhaitées par notre commission.
Il est clair toutefois, pour votre commission, que la CSG ne pourra pas couvrir l'ensemble des dépenses de santé du régime général qui s élèvent à environ 600 milliards. Un point de CSG équivaut en effet à environ 40 milliards actuellement. Même avec l'élargissement de l'assiette, il faudrait affecter 12 points de CSG à cette branche, ce qui paraît impensable.
Il convient de rappeler, par ailleurs, les principales observations du rapport de Foucauld sur ce point :
1°) La contribution sociale généralisée (CSG) est surtout un impôt sur les revenus du travail (à hauteur de 28,7 milliards de francs : par point en 1994) et, secondairement, un impôt sur les revenus du capital (2 7 milliards de francs par point en 1994) et les revenus de remplacement (6,8 milliards de francs par point en 1994).
2°) La CSG touche aussi les revenus du capital, mais, selon l'assiette actuelle, seuls ceux qui sont déjà soumis à l'impôt sur le revenu Une hausse de son taux augmente donc le taux marginal d'imposition des dividendes et loyers, déjà élevé, et donc le coût marginal du capital au détriment de l'investissement. Elle augmente aussi la taxation des intérêts susceptible d'entraîner des sorties de capitaux dans la mesure où le gain lié a un prélèvement plus faible à l'étranger surpasse le risque lié à la non-déclaration en France de ces revenus.
3°) L'avantage principal de la CSG par rapport à des cotisations sociales est cependant qu'elle augmente moins le coût relatif du travail par rapport au capital en raison d'une assiette plus large, et d'ailleurs susceptible d'être encore accrue.
4°) Le poids de CSG est plus largement réparti que celui des cotisations sociales puisqu'elle touche les épargnants, les retraités et les chômeurs imposés à l'impôt sur le revenu (les cotisations d'assurance maladie aussi, mais à un taux réduit). Elle a aussi une assiette beaucoup plus large que l'impôt sur le revenu pour ce qui concerne les salaires, qu'elle frappe en totalité. Mais la CSG comme les cotisations sociales et contrairement à l'impôt sur le revenu, ne tient pas compte des charges de famille.
5°) En tant qu'« impôt » prélevé aussi sur les revenus non professionnels, la CSG est peu adaptée au financement de prestations dont on souhaite conserver le lien avec les revenus professionnels tels que celles d'assurance-vieillesse. La CSG apparaît donc mieux appropriée au financement des dépenses dites de solidarité. Par rapport aux autres impôts, elle a toutefois pour avantage de figurer sur les bulletins de paye ce qui peut sensibiliser les salariés au problème de la maîtrise des dépenses sociales.
Votre commission estime que ce plan constitue par son ampleur, non pas un énième programme de sauvegarde financière dont l'expérience a montré la fragilité, mais une véritable refonte structurelle de notre système de protection sociale.
Elle considère comme absolument essentielle l'exigence placée au coeur de cette réforme à savoir la justice et c'est notamment dans cet objectif d'équité qu'elle compte au cours des prochains mois participer au travail législatif de mise en oeuvre de ce plan.
Sous le bénéfice de ces observations, votre commission des Affaires sociales vous propose d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits relevant de la protection sociale dans le projet de loi de finances pour 1996. |