I. DES ORIENTATIONS PUBLIQUES POSITIVES POUR L'OUTRE-MER
L'analyse de la politique gouvernementale en faveur de l'outre-mer fait apparaître des orientations très positives dont votre commission se félicite.
D'une part, conformément à l'engagement pris par le Président de la République, cette politique a pour objet de promouvoir l'égalité sociale active avec la métropole. Comme l'a rappelé M. Jean-Jacques de Peretti, ministre de l'outre-mer lors de son audition devant la commission des Affaires sociales le 17 octobre dernier, cette politique repose sur deux principes essentiels : les habitants des DOM ont les mêmes droits sociaux que les métropolitains ; au-delà de cette égalité, les problèmes spécifiques des DOM en matière de développement économique et social doivent recevoir des solutions adaptées.
D'autre part, le budget de l'outre-mer pour 1996 enregistre un doublement de ses crédits par rapport à l'an dernier. Même si une large partie d'entre eux résulte du rapatriement dans ce budget de sommes précédemment rattachées à d'autres ministères, ces crédits confirment l'existence d'une ambition nouvelle pour l'outre-mer et d'une volonté de clarification des transferts opérés en direction des collectivités concernées.
A. UNE GRANDE AMBITION POUR L'OUTRE-MER : L'ÉGALITÉ SOCIALE ACTIVE
La mise en oeuvre de la politique d'égalité sociale se traduit par une série de mesures dont une partie est déjà entrée en application.
Elle sera complétée à l'issue des Assises de l'égalité sociale qui devrait avoir lieu d'ici au début de l'année prochaine. Dans cette perspective, le ministre de l'outre-mer a entrepris une vaste consultation devant permettre de définir des priorités. Les préfets ont, d'ores et déjà, été chargés d'organiser une consultation avec les élus et les « forces vives » locales. Les Assises devront servir à examiner ces propositions et à retenir les plus appropriées.
1. Les modalités de cette politique
Les principales mesures adoptées ou en cours d'élaboration depuis l'élection présidentielle à l'égard de l'outre-mer visent effectivement à réduire les disparités constatées en matière de protection sociale entre les DOM et la métropole.
Ce volet social est assorti d'un volet économique correspondant à un approfondissement et à des aménagements de la loi du 25 juillet 1994 tendant à favoriser l'emploi, l'insertion et les activités économiques dans les DOM, dite « loi Perben ».
a) Le volet social : les mesures d'alignement du SMIC et des prestations sociales
Le Président de la République s'est engagé à mettre en oeuvre l'alignement complet du SMIC des départements d'outre-mer sur le niveau métropolitain.
Cet engagement sera rempli au 1 er janvier 1996. L'écart sera comblé en deux étapes. La première est intervenue le 1 er juillet 1995 : le SMIC des DOM a été revalorisé de 6,84 %. Une seconde revalorisation aura lieu à nouveau au 1 er janvier 1996, à hauteur de 6,8 %.
En outre, deux ans après le dernier ajustement du minimum garanti à la Réunion et dans les Antilles- Guyane intervenu le 1 er janvier 1993, le Gouvernement a décidé d'opérer un rattrapage du montant de celui-ci en le portant à 16,70 francs au 1 er juillet 1995.
S'agissant des prestations sociales, les mesures concernent la branche famille, à savoir :
• l'allocation de soutien familial : cette
allocation, attribuée aux personnes ou familles qui assument la charge
d'au moins un enfant orphelin ou abandonné, est versée dans les
mêmes conditions dans les DOM et en métropole mais avec des
montants différents.
Dans le cadre de la mise en oeuvre de la politique d'égalité, elle est passée, à compter du 1 er septembre 1995, de 404 francs à 625 francs par mois à taux plein et de 306 francs à 468 francs par mois à taux partiel.
• la prime de déménagement :
cette prime est versée aux familles qui engagent des frais à
l'occasion de l'emménagement dans un nouveau logement ouvrant droit
à l'allocation de logement. Pour la percevoir, la famille doit
déménager à l'occasion de la naissance du troisième
enfant.
A compter du 1 er septembre 1995, un ménage de trois enfants remplissant ces conditions percevra 4.990 francs contre 1.800 francs antérieurement et la majoration pour enfant au-delà du troisième sera de 416 francs contre 229 francs actuellement.
Deux autres prestations devraient bénéficier du même traitement à compter du 1 er janvier 1996. Il s'agit de :
l'allocation parentale d'éducation : la quote-part prévue par la loi du 25 juillet 1994 sera supprimée à l'exception des mesures annoncées en faveur du logement déjà engagées sur cette quote-part.
l'allocation pour jeune enfant : celle-ci se substituera à la prime pour la protection de la maternité, au complément familial pour des enfants de 0 à 3 ans et à l'allocation f a miliale au premier enfant de 0 à 3 ans. En revanche, au-delà de 3 ans, le versement du complément familial et de l'allocation familiale au premier enfant sera maintenu dans les conditions actuelles.
b) Le volet économique : l'approfondissement de la loi Perben.
Les mesures d' exonération de charges sociales réservées à certains secteurs par la loi Perben (agriculture - industrie - commerce - artisanat -hôtellerie - restauration - presse) sont étendues à tous les autres secteurs et sont complétées par extension des mesures nationales concernant les bas salaires.
Ainsi, depuis le 1 er septembre 1995, les charges sociales ont été réduites de 12,8 % au niveau du SMIC et de façon dégressive jusqu'à 1,2 SMIC soit un allégement de 749 francs par mois et par salarié payé au SMIC. Elle concerne 750.000 salariés pour un coût de 700 millions de francs.
Par ailleurs, les dispositions du contrat d'accès à l'emploi (CAE) destinées à favoriser l'embauche des Rmistes et des chômeurs de longue durée dans les entreprises ont été alignées sur celles du contrat initiative emploi (CIE) qui prévoit, au-delà des exonérations de cotisations sociales, une prime de 2.000 francs par mois pendant 2 ans.
Cet alignement intervenu grâce au Sénat, à la suite d'un amendement déposé notamment par votre rapporteur, au projet de loi ayant instauré le CIE, n'est toutefois pas encore entré dans les faits. Le décret d'application qui doit le rendre effectif n'est en effet toujours pas paru.
Le ministre a tenu néanmoins à indiquer aux membres de la commission des Affaires sociales que, pour 1996, l'enveloppe prévue pour les CAE sera quasiment doublée puisque les crédits du Fonds sur l'emploi dans les départements d'outre-mer (FEDOM) prévoient la réalisation de 17.500 CAE. Il s'est également engagé à apporter, en cours d'année, avec les élus et en fonction des réalités locales, les inflexions qui s'avéreraient nécessaires pour la gestion de ce Fonds.
Enfin, à compter de 1996 les mesures prévues par la loi Perben en faveur de l'insertion devraient donner leurs premiers résultats, notamment à travers le développement des contrats d'insertion par l'activité (CIA).
Il convient de rappeler que la loi Perben a créé les agences d'insertion dont les missions s'organisent autour de trois axes majeurs : le fonctionnement du dispositif d'insertion (services instructeurs de l'allocation, commissions locales d'insertion et cellules d'appui), la mise en oeuvre du programme départemental d'insertion dont une des priorités sera l'effort en faveur du logement des plus démunis et le développement des contrats d'insertion par l'activité dans le cadre du programme annuel des tâches d'utilité sociale.
Ce programme, qui décrit les activités confiées aux allocataires du RMI bénéficiant d'un contrat d'insertion par l'activité, devra répondre à des besoins collectifs non satisfaits, tout en étant distinct et complémentaire des tâches confiées aux bénéficiaires des contrats emploi-solidarité.
Quant aux contrats eux-mêmes, il faut préciser qu'il s'agira de vrais contrats de travail, l'agence étant l'employeur de l'ensemble des bénéficiaires de ces derniers.
Le ministre a confirmé aux membres de la commission que cette réforme sera menée à son terme.
2. Les souhaits de votre commission
Ces mesures appellent, de la part de votre commission, trois séries d'observations.
D'abord, il serait exagéré de voir dans cette politique une rupture complète par rapport aux actions menées antérieurement.
Ensuite, de nombreuses spécificités devraient néanmoins être maintenues dès lorsqu'elles paraissent plus adaptées aux réalités locales.
Enfin, la mise en application des dispositions de la loi Perben et des contrats d'accès à l'emploi enregistre des retards aux effets préjudiciables.
a) Égalité contre parité : un faux débat
Si au thème de la parité s'est substitué celui de l'égalité dans les objectifs définis par le gouvernement Juppé, on constate de nombreux éléments de continuité.
L'alignement des allocations familiales, par exemple, est effectif depuis le 1 er juillet 1993. Il avait été prévu par la loi du 31 juillet 1991 portant diverses mesures d'ordre social mais celle-ci avait parallèlement maintenu à la suite d'un amendement présenté par les sénateurs d'outre-mer, les allocations familiales au premier enfant ainsi que les majorations par âge correspondantes qui n'existent pas en métropole.
La loi du 25 juillet 1994 relative à la famille a, pour sa part, étendu aux DOM l'allocation pour garde d'enfant à domicile (AGED) avec application au 1 er janvier 1995.
Votre commission considère donc qu'il est exagéré de voir une rupture brutale dans la politique menée depuis six mois en faveur de l'outre-mer. Ceci, d'autant plus que le ministre a déjà annoncé qu'un certain nombre de mesures spécifiques aux DOM ne sera pas remis en cause.
Il convient toutefois de souligner une difficulté liée au changement de politique à l'égard de l'outre-mer et qui concerne l'allocation parentale d'éducation (APE).
Comme cela a été rappelé, l'APE devrait être alignée à partir de 1996. Or, lors de l'adoption de la loi famille, il avait été décide de réserver une quote-part du versement qui aurait été effectué si les conditions d'application de ce dispositif avaient été identiques en métropole ou dans les DOM et de l'affecter à des actions collectives en faveur des familles. Des mesures pour le logement social de celles-ci ont aussi été gagées ; sur cette quote-part. Or l'État n'a toujours pas versé les sommes correspondantes aux collectivités territoriales qui ont mené des actions diversifiées en faveur du logement social, ce qui constitue un préjudice financier considérable pour celles-ci. La quote-part pour 1994 avoisine en effet 260 millions de francs.
Votre commission considère qu'i l serait particulièrement choquant pour l'État de renier cet engagement sous prétexte de l'alignement qui sera opéré en 1996 et espère que les régularisations afférentes seront réalisées avant la date du 1er janvier 1996.
Par ailleurs, le ministre de l'outre-mer a bien voulu indiquer aux membres de votre commission des Affaires sociales que certaines spécificités seront maintenues, spécificités auxquelles les élus des DOM sont particulièrement attachés. Ce sera notamment le cas de la créance de proratisation du RMI et de la prestation de restauration scolaire.
La créance de proratisation est une conséquence de l'extension de la loi du 1 er décembre 1988 relative au revenu minimum d'insertion aux départements d'outre-mer. Dans la mesure où le niveau de développement économique et social des DOM est encore loin d'atteindre celui de la métropole, il en a été tenu compte dans la mise en place du RMI, afin d'éviter des conséquences inopportunes, en particulier une éventuelle désincitation au travail.
L'article 51 de la loi du 1 er décembre 1988 a donc prévu l'application aux départements d'outre-mer du revenu minimum d'insertion « selon les modalités particulières d'application... dans le respect des principes mis en oeuvre en métropole ». Tel a été l'objet du décret du 20 janvier 1989 qui a prévu que le montant du RMI dans les DOM serait égal à 80 % du montant fixé en métropole, afin de tenir compte du rapport moyen existant entre les SMIC des DOM et celui de la métropole.
Cependant, contrairement à la métropole, l'État participe, dans ces départements, au financement des actions nouvelles d'insertion dans la limite de la somme représentant la différence entre le montant total des allocations qui seraient versées en métropole aux bénéficiaires et le montant total des allocations qui leur sont versées dans leur département de résidence au cours de la même année.
Cette différence appelée créance de proratisation représente aujourd'hui un poids important. En 1994, elle s'est élevée à 750 millions de francs.
En 1995, cette créance fixée à 771 millions de francs a été déléguée à hauteur de 557 millions de francs, soit 72 %. Une quatrième délégation de 185 millions de francs doit intervenir au cours de ce dernier trimestre de 1995. Un reliquat, avoisinant 28 millions de francs, sera enfin délégué aux agences d'insertion en 1995 après déduction de la part logement en faveur des allocataires du RMI.
De même, une autre spécificité -dont chacun reconnaît le bien fondé devrait être préservée : la prestation de restauration scolaire.
Celle-ci a été mise en place à compter le 1 er janvier 1993 pour compenser l'augmentation de la participation des familles de 7 à 25 % au prix des repas décidée parallèlement à l'alignement des allocations familiales résultant de la loi du 31 juillet 1991 portant diverses mesures d'ordre social et à prendre le relais du FASSO (fonds d'action sanitaire et sociale obligatoire) qui assurait une quasi-gratuité des cantines avant cette réforme. Depuis 1994, l'érosion des crédits de ce Fonds semble stoppée et, pour 1996, le montant de la dotation globale serait même en progression pour s'établir à 293 millions de francs.
La mise en oeuvre de l'égalité sociale aurait pu compromettre celle-ci. Mais, dans le cadre des mesures d'égalité sociale décidées par le Gouvernement en juillet dernier, cette prestation a été maintenue à la demande de tous les partenaires concernés (élus, caisses d'allocations familiales).
Votre Commission approuve cette démarche qui tend vers l'égalité sociale tout en procédant à une appréciation au cas par cas.
Elle note en particulier que le Gouvernement n'a pas prévu d'aligner le montant de l'allocation de parent isolé. Son sort semble lié aux décisions qui seront prises concernant l'allocation de libre choix et doit faire l'objet d'une expertise approfondie compte tenu de l'importance du nombre de familles monoparentales en outre-mer.
b) La nécessité d'une clarification comptable
Votre commission a souvent regretté l'absence de sincérité du budget de l'outre-mer (anciennement des départements et territoires d'outre-mer) en raison de l'importance des annulations de crédits intervenant en cours d'exercice même si certaines améliorations ont été apportées en 1994 et 1995.
Elle se félicite donc que le ministre de l'outre-mer se soit engagé fermement à remédier à l'avenir à cette situation. Il a ainsi déclaré, le 28 octobre dernier, aux députés :
« Qu'a-t-on fait au cours de la décennie écoulée ? On a inscrit des autorisations de programme, mais pour des montants qui dépassaient l'entendement. Si bien qu'aujourd'hui, nous n'avons plus les crédits de paiement correspondants ! Des factures auprès de collectivités locales, de conseils généraux, de régions, qui datent de trois à quatre ans, ne sont toujours pas réglées, car s'il y a eu des autorisations de programme, je n'ai pas en face les crédits de paiement. Qu'est-ce que j'essaie de faire aujourd'hui ? Je négocie -et une négociation reste une négociation, même avec mes collègues du Gouvernement- en diminuant les autorisations de programme, mais en essayant à l'inverse d'augmenter les crédits de paiement afin de répondre à des situations urgentes. Lorsque nous aurons remis un peu d'ordre, nous pourrons alors aborder une nouvelle ère et nous projeter peut-être un peu plus sur l'avenir. Je le dis d'autant plus que le Premier ministre, lors de l'arbitrage budgétaire, a confirmé qu'à notre demande il y aurait avec nos collègues des finances et du budget un examen contradictoire de la réalité de ces crédits de paiement. Et croyez-moi, il ne s'agit pas de petites sommes : 1 milliard, 1,5 milliard, 2 milliards ! Après cette réunion contradictoire, qui ne saurait tarder puisqu'elle doit avoir lieu avant la fin de l'année, il faudra mettre en place un plan -que j'appelle, lui, plan de rattrapage- parce que, dans les périodes précédentes, en face des autorisations de programme, n'avaient pas été inscrits les crédits de paiement correspondants. Nous avons donc un exercice comptable à faire, impérativement, car sans cela, je ne saurai pas répondre aux demandes ».