D. L'ÉCOLE, POINT DE REPÈRE DE LA SOCIÉTÉ

Dans une société en voie d'évolution rapide, affectant l'équilibre du territoire et certains principes républicains, l'institution scolaire doit garder son rôle de pivot et de repère.

1. La place de l'école en milieu rural

a) La poursuite du moratoire de 1993 suspendant la fermeture des classes en milieu rural

Dans le cadre du moratoire, instauré en avril 1993, suspendant la fermeture ou la réduction des services publics en milieu rural, un processus permettant de maintenir dans une commune la dernière classe qui aurait dû être fermée en fonction de ses seuls effectifs, a été engagé.

Depuis cette date, aucune dernière classe d'une commune n'a été fermée contre la volonté du maire, au seul regard de ses effectifs, le moratoire ayant été appliqué strictement, y compris lorsque le nombre d'élèves de la dernière école à classe unique ouverte dans une commune était très faible. C'est ainsi qu'ont pu être maintenues aux rentrées scolaires :

1993-1994 : 180 écoles à classe unique,

1994-1995 : 320 écoles à classe unique,

1995-1996 : 352 écoles à classe unique.

A la rentrée scolaire 1996-1997, le moratoire a été reconduit, pour la quatrième année consécutive : fin juin 1996 plus de 300 écoles à classe unique, qui auraient dû être fermées, compte tenu de leurs faibles effectifs, ont pu être maintenues, à ce titre, par les inspecteurs d'académie.

Si votre commission se félicite des résultats obtenus, elle estime cependant que le moratoire n'a pas pour finalité de figer la situation actuelle, mais doit permettre au contraire de donner le temps nécessaire à la mise en place d'un dispositif qui garantisse la présence d'un service public d'éducation de qualité en milieu rural.

b) L'expérimentation des observatoires des flux d'élèves du premier degré

Les mesures d'aménagement du réseau scolaire relèvent de la compétence des autorités départementales de l'éducation nationale, qui apprécient les modifications à apporter à la « carte scolaire » en fonction non seulement des priorités recensées dans le département mais aussi des priorités nationales.

Lors de l'examen du projet de loi de programmation du « nouveau contrat pour l'école » au Sénat, les 4 et 5 juillet 1995, l'engagement a été pris de créer, à titre expérimental dans plusieurs départements, un observatoire des flux d'élèves du premier degré.

Installé dans vingt départements, l'Aisne, l'Ariège, l'Aube, le Bas-Rhin, la Côte d'Or, la Creuse, le Doubs, la Drôme, le Gers, la Haute-Marne, les Hautes-Alpes, les Hauts-de-Seine, L'Ille-et-Vilaine, la Loire, la Lozère, le Nord, l'Orne, le Pas-de-Calais, la Vienne et les Vosges, l'observatoire départemental des flux d'élèves du premier degré, présidé par l'inspecteur d'académie, est composé notamment d'élus locaux et de représentants des services départementaux de l'éducation nationale. Il a pour mission d'étudier les flux d'élèves et de prévoir, à moyen terme, les évolutions par secteur, les élus du département apportant, dans cette instance, leur concours direct à cette réflexion.

Au stade actuel de l'expérimentation, les perspectives ouvertes par l'observatoire départemental des flux d'élèves du premier degré apparaissent particulièrement fructueuses.

Indépendamment de la contribution que les travaux de l'observatoire des flux apportent à la politique scolaire départementale du premier degré, cette institution expérimentale va dans le sens d'un véritable partenariat entre les responsables que sont les inspecteurs d'académie, directeurs des services départementaux de l'éducation nationale d'une part, et les élus locaux d'autre part, ce dont votre commission qui est à l'origine de la création des observatoires ne peut que se féliciter.

2. Le rappel du principe intégrateur de l'école : le port du foulard islamique

Les premiers faits significatifs de port de signes religieux -sous la forme du « foulard islamique »- dans des établissements scolaires sont apparus à la rentrée de 1989, et ont conduit le ministre à demander l'avis du Conseil d'État sur la compatibilité du port de signes d'appartenance religieuse avec le principe de laïcité, sur les conditions dans lesquelles ce port pouvait, le cas échéant, être réglementé et sur les sanctions susceptibles d'être appliquées aux élèves qui ne se conformeraient pas aux conditions ainsi énoncées.

a) L'avis du Conseil d'État

Dans sa réponse, donnée le 27 novembre 1989, le Conseil d'État a écarté la possibilité d'une interdiction générale et absolue et indiqué que la liberté d'expression et de manifestation de croyance ou d'opinion reconnue aux élèves ne pouvait leur permettre « d'arborer des signes d'appartenance religieuse qui, par leur nature, par les conditions dans lesquelles ils seraient portés individuellement ou collectivement, ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, porteraient atteinte à la liberté du porteur ou d'autres membres de la communauté éducative, compromettraient leur santé ou leur sécurité, perturberaient le déroulement des activités d'enseignement et le rôle éducatif des enseignants, enfin troubleraient l'ordre dans l'établissement ou le fonctionnement normal du service public. »

b) La circulaire du 12 décembre 1989

S'appuyant sur cet avis, le ministre en a repris les termes dans une circulaire du 12 décembre 1989 qui a également invité les chefs d'établissements à engager le dialogue avec les élèves arborant des signes religieux ainsi qu'avec leur famille, pour les convaincre d'y renoncer lorsqu'un conflit surgissait à propos du port de tels signes. La même circulaire a rappelé les procédures disciplinaires susceptibles d'être mises en oeuvre en cas d'échec.

Alors que le nombre de litiges relatifs au foulard islamique restait faible, le Conseil d'État a été conduit, dans un arrêt du 2 novembre 1992, à confirmer au contentieux la position prise dans son avis de novembre 1989.

Depuis lors, cette jurisprudence, faisant appel à une appréciation des faits et des circonstances au cas par cas, s'est maintenue.

c) La circulaire du 20 septembre 1994

La recrudescence en 1993-1994 du nombre d'élèves portant un foulard, dans un contexte marqué de poussées intégristes, a conduit le ministre à prendre une nouvelle circulaire, datée du 20 septembre 1994, ne remettant pas en cause la précédente mais précisant les orientations à suivre, en s'inscrivant dans le cadre juridique existant.

Cette circulaire, après avoir rappelé le principe intégrateur de l'école républicaine, a souligné qu'il n'était pas possible d'accepter dans les établissements scolaires la présence et la multiplication de signes si ostentatoires que leur signification était précisément de séparer certains élèves des règles de vie commune de l'école. Afin de guider les collèges et les lycées dans l'édiction de leur règlement intérieur, la circulaire comportait en annexe une proposition d'article insérable dans celui-ci. S'y trouvait posée la distinction déjà abordée dans l'avis du Conseil d'État entre les signes discrets, admis et licites et les signes ostentatoires, de ce fait même interdits. L'appréciation, dans chaque cas d'espèce, du caractère ostentatoire ou non des signes arborés continuait toutefois de relever des autorités responsables des établissements.

Sur la base des indications de cette circulaire du 20 septembre 1994 -dont le Conseil d'État a reconnu la validité dans un arrêt du 10 juillet 1995-de nombreux règlements intérieurs d'établissements scolaires ont été modifiés. Leur mise en oeuvre a conduit un nombre important de jeunes filles à adopter un comportement conforme aux prescriptions desdits règlements et donc à ôter leur foulard.

d) Un fléchissement du nombre des exclusions

Alors qu'environ 2.000 ports de foulard étaient signalés à la rentrée de 1994, une centaine de décisions individuelles d'exclusion, prises par référence aux règlements intérieurs modifiés des établissements, ont fait l'objet d'un recours contentieux durant l'année scolaire 1994-1995.

A la fin d'octobre 1995, toutes ces affaires étaient jugées par les tribunaux administratifs. Pour 45 d'entre elles, le juge avait confirmé la validité des décisions d'exclusion prises. Les 54 autres exclusions ayant donné lieu à jugement -dont 40 dans la seule académie de Strasbourg- avaient été annulées, soit pour vice de procédure, soit parce que les décisions prises n'avaient pas été étayées par des justifications suffisantes quant aux troubles apportés. Ces jugements d'annulation ont fait l'objet d'appel systématique de la part du ministre.

Sur les 54 appels ainsi interjetés, 13 ne sont pas jugés à ce jour. Les 41 autres ont été rejetés au motif que les arguments tirés du comportement des élèves et des circonstances dans lesquelles ce comportement s'était inscrit avaient été développés trop tard, généralement après l'application des sanctions.

L'année scolaire 1995-1996 a été marquée par un net fléchissement du nombre des exclusions disciplinaires pour port ostentatoire de foulard islamique.

Cette décrue tient sans doute, pour une large part, au travail de dialogue et de persuasion accompli dans les établissements et à l'écho provoqué par les procédures engagées.

Il convient enfin de rappeler que les élèves exclues sont automatiquement scolarisées, en tout état de cause, auprès du Centre national d'enseignement à distance (CNED).

e) L'évolution récente de la jurisprudence du Conseil d'État

Dans ses décisions les plus récentes, le juge administratif annule fréquemment les décisions d'exclusion prononcées par les chefs d'établissement.

Le Conseil d'État justifie ainsi sa décision d'annuler l'exclusion d'une lycéenne voilée de Strasbourg, intervenue en 1995, après que le tribunal administratif ait annulé cette exclusion et que le ministre ait saisi la haute juridiction : « le seul port du foulard ne saurait être considéré comme un signe présentant par nature un caractère ostentatoire ou revendicatif, ni un acte de pression, de prosélytisme ou de propagande ».

Dans une décision devant intervenir prochainement, le Conseil d'État devrait confirmer les limites du port du foulard islamique dans les établissements scolaires, en estimant, selon les conclusions d'ores et déjà publiées du commissaire du gouvernement, qu'il n'y a pas lieu à exclusion lorsque ce port n'est pas lié à un trouble de l'ordre public ni à un manque d'assiduité des élèves.

Votre commission ne peut qu'exprimer sa perplexité devant les perspectives ouvertes par une telle jurisprudence, qui lui semble faire peu de cas de notre tradition laïque et républicaine ; elle souhaiterait ainsi recueillir l'avis du ministre sur cette évolution de la jurisprudence administrative et lui demander s'il ne juge pas opportun de modifier le contenu de sa circulaire ou de déposer un projet de loi pour clarifier une situation aujourd'hui particulièrement confuse pour les chefs d'établissement.

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