b) Le modèle européen en question
Le défi auquel est confronté aujourd'hui le vieux continent est de résoudre le conflit entre, d'une part, la production de gains de productivité qu'exige la lutte contre les délocalisations, ce qui implique une faible création d'emplois, et , d'autre part, la mise en oeuvre de remèdes efficaces contre le chômage de longue durée qui gangrène les sociétés européennes.
La solution ne résiderait-elle pas dans un scénario à l'américaine (déréglementations, libre-échange et "flexibilisation" du travail) ? Les performances de l'économie américaine, redevenue la plus compétitive du monde devant le Japon, Hong-Kong et Singapour, et qui a réussi à créer 7,3 millions d'emplois en quatre ans (dont la plus grande part dans le secteur privé) paraissent, en effet, valider le modèle libéral.
Les deux modèles de croissance envisageables dans les pays riches (libéralisme à l'américaine ou "économie sociale de marché" à l'européenne) ont précisément fait l'objet de débats au cours des deux sommets du G7 de 1996 (celui de Lille, en avril, sur l'emploi, et celui des chefs d'Etat, à Lyon, en juin). En dépit de la "troisième voie" à l'européenne, entre les modèles américain et asiatique, défendue par le chef de l'Etat français lors du Sommet du G7 sur l'emploi, on constate que même les pays européens les plus attachés à l'Etat-providence et à l'économie sociale - Allemagne, France et Suède - ont engagé des plans de déréglementation dans certains domaines, encouragés d'ailleurs par la Commission de Bruxelles.
L'une des missions de la Conférence intergouvernementale est donc d'arbitrer entre, d'une part, le maintien des acquis sociaux, au prix de performances économiques modestes, de déficits publics importants et d'une augmentation du chômage, et, d'autre part, l'ouverture des marchés européens à la concurrence, le redimensionnement de l'Etat-providence et la privatisation des entreprises publiques, au prix d'une aggravation de la "fracture" sociale et de vastes mouvements sociaux.
Les choix qui seront arrêtés dans les années à venir détermineront donc les contours de l'Europe du XXIe siècle. Il est clair que la reformulation d'un modèle social européen est aussi essentielle, pour rénover le projet européen, que l'effort d'intégration économique ou que l'approfondissement de la coopération politique.