C. LE MAUVAIS NON-FINANCEMENT D'UNE MAUVAISE MESURE
1. Un dispositif inacceptable
Votre
rapporteur pour avis estime inacceptable le dispositif proposé par le
Gouvernement, qu'il s'agisse de son projet initial comme de la
" solution " à laquelle il est parvenu au terme d'un
" bricolage " réalisé dans l'urgence pour sortir de
l'impasse de financement dans laquelle son propre entêtement l'avait
conduit.
Le dispositif initial du Gouvernement portait atteinte à l'autonomie
des organismes de protection sociale, gérés par les partenaires
sociaux sur une base paritaire.
En outre, si les 35 heures créaient réellement de nombreux
emplois, l'amélioration des comptes sociaux aurait dû conduire,
non à un prélèvement, mais à une
baisse du taux
des cotisations sociales.
Enfin, il convient de rappeler que
l'équilibre des comptes sociaux
reste très précaire
, la CNAMTS étant même
déficitaire en 1999 (-12,1milliards de francs) et devant l'être
encore en 2000 (-3,7 milliards de francs).
Surtout, le financement des 35 heures n'est pas assuré, qu'il
s'agisse du dispositif initial du Gouvernement comme de sa nouvelle
proposition.
Droits sur les alcools : comment vider un fonds de réserve en voie de création
La
polémique croissante sur le prélèvement prévu par
le Gouvernement de 5,5 milliards de francs sur les régimes sociaux
l'a contraint, sous la pression des partenaires sociaux, à modifier son
plan de financement et à affecter une partie du produit d'une taxe
supplémentaire au fonds : les droits sur les alcools.
Le nouveau mode de financement des 35 heures pèsera alors sur le fonds
de réserve pour les retraites. En effet, si le Gouvernement a
annoncé qu'il renonçait à prélever sur les
régimes de sécuritésociale, il a indiqué qu'il
remplacerait cette ressource par l'affectation au Fonds de financement des
allégements de charges sociales d'un montant équivalent de droits
de consommation sur les alcools.
Sans aborder la question de la nature du financement du Fonds (ressources
précaires : tabacs, alcools, pollution ; dépenses
pérennes : allégements de charges) ni de son
équilibre en année pleine (100 milliards de francs au moins), il
convient de constater que ce choix se fait non plus au détriment de
l'ensemble des régimes de sécuritésociale mais du fonds de
réserve pour les retraites.
Les droits sur les alcools transférés sont aujourd'hui
attribués au Fonds de solidarité vieillesse première
partie (FSV). Or l'excédent de ce FSV doit aller abonder le fonds de
réserve pour les retraites créé par la loi de financement
pour 1999.
Le nouveau mode de financement des 35 heures viendra donc réduire
l'excédent du FSV et ainsi réduire la ressource disponible pour
le fonds de réserve.
Par ailleurs, comme la répartition de la ponction de 5,5 milliards de
francs entre les régimes n'était pas connue, ce qui faussait
complètement les comptes établis par la Commission des comptes de
la sécuritésociale, il est impossible de savoir quelles seront
les conséquences de sa suppression régime par régime.
Par le biais du financement, le Gouvernement a choisi de privilégier
les 35 heures sur les futures retraites.
2. Des affectations de ressources pleines de risques
Votre
rapporteur pour avis n'entrera pas dans un débat théorique
portant sur la pertinence de l'affectation de recettes - le droit de
consommation sur les tabacs manufacturés - à des dépenses
- l'allégement des charges sociales - dont l'objet est sans lien avec
l'origine des ressources.
Il souhaite s'en tenir à des
considérations
concrètes
, mais pourtant essentielles.
Ainsi estime-t-il que l'affectation d'une part importante du produit du droit
de consommation sur les tabacs manufacturés au fonds de financement de
la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale
comporte le
risque d'une augmentation, soit de la fiscalité des
tabacs, soit de la consommation de tabac.
M. Alfred Recours, rapporteur du présent projet de loi pour la
commission des affaires culturelles, familiales et sociales de
l'Assemblée nationale, écrit dans son rapport
31(
*
)
:
" il apparaît
indispensable que les recettes spécifiques collectées sur les
ventes de tabac soient clairement affectées à la
santé ".
Il poursuit :
" le droit de consommation
sur les tabacs devrait être intégralement affecté à
la sécurité sociale, pour lui permettre de faire face aux
dépenses générées par les pathologies attribuables
au tabac ainsi que de financer des actions de prévention et
d'éducation sanitaire ".
Or, l'affectation proposée n'a rien à voir avec un objectif de
santé publique. Le produit du droit de consommation sur les tabacs
manufacturés servira à financer, non le coût du tabagisme,
mais les " 35 heures ".
En outre, financer la " ristourne dégressive " par une
fraction de la fiscalité des tabacs permet de dégager des
ressources stables au profit du fonds de financement.
Or et compte tenu des nombreuses incertitudes que comporte le dispositif
prévu par le Gouvernement,
il est possible que l'on cherchera
à maximiser ces ressources en cas de tarissement des autres sources de
financement du fonds.
En l'espèce, l'augmentation du produit du droit de consommation sur les
tabacs serait alors une tentation à laquelle il serait bien difficile de
résister si les recettes prévues n'étaient pas au
rendez-vous, et cela notamment par le biais d'une hausse de la
fiscalité.
La même logique est, du reste, à l'oeuvre s'agissant de la TGAP.
Il s'agit, en effet, d'un impôt qui n'a qu'un prétexte
écologique puisque sa principale motivation est de fournir des recettes
pour financer le passage aux " 35 heures ".
Le Gouvernement n'a
donc pas intérêt à voir l'assiette de cet impôt se
réduire, afin d'assurer le financement de dépenses
pérennes.
3. Des incertitudes juridiques
Votre
rapporteur pour avis estime que le dispositif prévu par le
présent article est entaché d'incertitudes juridiques.
Il souhaiterait notamment attirer l'attention sur deux points.
a) La taxation des heures supplémentaires, prélèvement obligatoire
L'article 2 du projet de loi relatif à la
réduction
négociée du temps de travail prévoit, pour les entreprises
qui ne sont pas encore passées aux " 35 heures ", une
taxation, à hauteur de 10 %, des quatre premières heures
supplémentaires (de 35 à 39 heures).
Le produit de cette taxation est affecté au fonds de financement de la
réforme des cotisations patronales de sécurité sociale.
Outre des évaluations divergentes du rendement de cette taxation, que
votre rapporteur pour avis a rappelées plus haut, il convient de noter
que son régime juridique est incertain.
Dans le projet initial du Gouvernement, le produit de cette taxation devait
être affecté à la constitution d'une réserve de
trésorerie au sein du fonds de financement. M. Alfred Recours, dans son
rapport précité, la qualifie d'ailleurs de
" recette de
poche ".
Toutefois, cette contribution a désormais, dans la nouvelle proposition
du Gouvernement, un rôle crucial puisqu'elle doit permettre de
" boucler " le financement du fonds pour 2000. On notera, par
conséquent, que les "35 heures " sont financées
grâce à une
" recette de poche ".
Surtout, le rendement de cette taxation des heures supplémentaires n'a
pas vocation à être pérenne, puisque, à partir du
1
er
janvier 2002, l'ensemble des entreprises devrait être
passé aux " 35 heures ".
Cette contribution ne permet donc
pas d'assurer le financement du fonds au-delà de cette date.
Enfin, il convient de préciser que, d'après les informations
communiquées par le département des comptes nationaux de l'INSEE,
à la demande de votre rapporteur pour avis,
la taxation des heures
supplémentaires devrait être comprise dans la définition
des prélèvements obligatoires.
b) Quel périmètre pour la loi de financement de la sécurité sociale ?
Le
Gouvernement a décidé de ne pas intégrer les ressources du
fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de
sécurité sociale parmi les prévisions de recettes de la
sécurité sociale présentées à l'article 6 du
présent projet de loi.
M. Jérôme Cahuzac, dans son avis précité sur le
présent projet de loi, estime que ce choix
" pose un réel
problème au regard de la rédaction de la loi organique du 22
juillet 1996 ".
En effet, l'article LO. 111-3 du code de la sécurité sociale, qui
est issu de cette loi, dispose que la loi de financement
" prévoit, par catégorie, les recettes de l'ensemble des
régimes obligatoires de base et des organismes créés pour
concourir à leur financement ".
Le fonds de solidarité vieillesse entrant dans la catégorie des
" organismes créés pour concourir à leur
financement "
, et la similitude juridique entre le FSV et le fonds de
financement dont le présent article propose la création
étant grande, il semble évident que
ledit fonds entre dans la
même catégorie des
" organismes créés pour
concourir à leur financement "
, et, par conséquent, dans
le périmètre de la loi de financement de la
sécurité sociale.
Alors que la sincérité du budget de l'Etat est
altérée par les transferts de crédits considérables
décidés par le Gouvernement pour financer les
" 35 heures ", celle de la loi de financement de la
sécurité sociale l'est aussi par une comptabilisation
incomplète de ses ressources.
4. Les effets incertains d'une réduction autoritaire de la réduction du temps de travail sur les créations d'emplois
Il
semble, en effet, que la réduction autoritaire du temps de travail ne
soit pas aussi créatrice d'emplois que la ministre de l'emploi et de la
solidarité l'affirme.
Les effets incertains des " 35 heures " sur les créations
d'emplois ont en effet été relevés fort
opportunément par les services du ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie.
Les hésitations du ministre de l'économie quant au nombre d'emplois créés par les 35 heures
Selon
une étude conjointe de l'INSEE, de la DARES
32(
*
)
et de la Direction de la
prévision du ministère de l'économie, des finances et de
l'industrie, seuls 7 % environ des 560.000 emplois créés
entre juin 1997 et juin 1999 dans le secteur marchand sont dus
à la réduction du temps de travail, comme le montre le graphique
ci-après :
Ainsi, selon la Direction de la Prévision, la réduction du temps
de travail n`a créé que 40.000 emplois, soit 7,20 % du
total.
Il convient de rappeler que Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la
solidarité, annonçait, pour la même période,
" 100.000 emplois créés ou
préservés "
grâce à la réduction du
temps de travail.
Votre commission ne peut que déplorer l'approche Gouvernementale de
la question essentielle de l'aménagement du temps de travail, qui ne
repose ni sur la discussion ni sur l'argumentation, mais seulement sur des
présupposées idéologiques.
En définitive, votre rapporteur vous propose de supprimer cet article
et, à travers lui, le non-financement sur prélèvements
obligatoires d'une mesure qui handicapera notre économie, fragilisera le
paritarisme et aura un effet très limité sur les créations
d'emplois.