C. LES INCERTITUDES CRÉÉES PAR LA JURISPRUDENCE JUDICIAIRE ET ADMINISTRATIVE
1. La validation juridique des heures de surveillance en chambre de veille
Votre
rapporteur évoque ici pour mémoire cette question qu'il avait
abordée dans son avis de l'année dernière et qui semble
avoir trouvé une solution à travers un amendement
déposé à son initiative et adopté par le
Sénat au cours de la discussion du projet de loi relatif à la
réduction négociée du temps de travail.
Il convient de rappeler que, depuis plus de 20 ans, les conventions
collectives nationales de travail du secteur sanitaire, social et
médico-social privé sans but lucratif, soumises à
agrément ministériel au titre de l'article 16 de la loi
n° 75-535 du 30 juin 1975, contiennent des dispositions
prévoyant une rémunération par équivalence des
périodes de permanence effectuées sur le lieu de travail. Ainsi,
par exemple, la convention collective du 15 mars 1966 prévoit des
mesures spécifiques pour les permanences nocturnes effectuées par
des personnels couchés en chambre de veille : 9 heures de
présence " dormante " sont rémunérées sur
la base de 3 heures au tarif des heures normales de travail
éducatif.
La convention du 31 octobre 1951 prévoit, quant à elle, des
équivalences tant en ce qui concerne les permanences de jour sur les
lieux de travail (1 heure équivaut à 30 minutes de
travail effectif) que pour les permanences à domicile (1 heure de
permanence équivaut à 15 minutes de travail effectif).
Bien entendu, dès que le salarié est amené à
intervenir, il est rémunéré sur la base du salaire horaire
correspondant à des heures de travail effectif.
La Cour de Cassation après avoir, en mars 1999, admis le principe
d'équivalence contenu dans l'une de ces conventions collectives
nationales, a opéré un revirement de jurisprudence par une
décision du 29 juin 1999, en décidant que les conventions
collectives nationale agréées ne pouvaient édicter de
dispositifs d'heures d'équivalences, au motif que cette faculté
dérogatoire était limitée aux conventions ou accords
collectifs étendus ou aux accords d'entreprise ou d'établissement.
La Cour a donc estimé que l'article L. 212-4-2 du code du
travail ne s'appliquait pas au secteur médico-social dans la mesure
où celui-ci est régi par des conventions collectives qui ne sont
pas des conventions étendues mais des conventions agréées.
Il est à noter que la définition des périodes d'inaction
donnant lieu à équivalence aurait pu être effectuée
par décret, aux termes de l'article L. 212-4
précité, ce qui aurait résolu le problème.
Toutefois, ce décret n'a jamais été pris par le
Gouvernement.
La définition d'horaire d'équivalence apparaît
inévitable sauf à réduire à due proportion le
nombre d'heures de travail effectuées auprès des enfants ou des
personnes âgées, handicapées ou inadaptées, usagers
des établissements.
Il reste que l'introduction systématique de contentieux, à titre
rétroactif, par tous les personnels concernés et portant sur une
période de cinq ans,
aurait pu mettre à la charge du budget de
l'Etat, de l'assurance maladie et des budgets des départements, une
somme d'un montant estimé à près de 4 milliards de
francs
par le syndicat national des associations de parents et amis de
personnes handicapées mentales gestionnaires d'établissements et
de services spécialisés (SNAPEI).
Le coût aurait été immédiat puisqu'en ce domaine la
créance étant une créance salariale, le Conseil des
prud'hommes peut demander l'exécution immédiate du jugement,
l'appel n'étant pas suspensif.
A ce jour, des associations condamnées par des décisions de
justice définitives doivent verser des sommes représentant
jusqu'à 30 % de leur budget annuel ; toute
généralisation des contentieux aurait de graves
répercussions budgétaires.
C'est pourquoi, conformément à la jurisprudence du Conseil
constitutionnel qui a admis la procédure de validation pour
" éviter que ne se développement des contestations dont
l'aboutissement pourrait entraîner, soit pour l'Etat, soit pour les
collectivités territoriales, des conséquences
dommageables "
, votre rapporteur a fait adopter avec l'avis favorable
du Gouvernement un amendement tendant à valider à titre
rétroactif les rémunérations versées au titre des
heures de permanence nocturne en chambre de veille dans le secteur social et
médico-social.
S'il se félicite de la solution ainsi dégagée, votre
rapporteur souligne que la question aurait pu être résolue, avant
le revirement de jurisprudence de la Cour de Cassation, si un décret
avait été pris par le Gouvernement pour conforter la base
juridique des stipulations des conventions collectives relatives au
régime d'équivalence dans le secteur social et
médico-social où les conventions collectives sont des conventions
agréées et non pas des conventions étendues au sens du
code du travail.
Par ailleurs, votre rapporteur sera attentif aux mesures qui seront prises pour
l'avenir en matière de définition des horaires
d'équivalence dans le secteur, conformément aux nouvelles
dispositions prévues dans la loi relative à la réduction
négociée du temps de travail.
2. La remise en cause du dispositif financier des foyers à double tarification (FDT)
Les
foyers à double tarification (FDT) ont été mis en place
à titre expérimental par deux circulaires des
14 février 1986 et 3 juillet 1987. Alors que le dispositif
fonctionne maintenant depuis plus de dix ans, le support juridique des FDT est
resté le même.
Dans le dispositif, la tarification comporte deux éléments :
- le premier, relatif aux soins, est arrêté par le
Préfet, les frais de soins étant pris en charge par la
sécurité sociale ;
- le second, concernant l'hébergement, est fixé par le
Président du Conseil général dans la mesure où les
frais d'hébergement sont assumés au titre de l'action sociale
départementale.
Par un arrêt du 30 juin 1999
(CE, Association de gestion de
l'Institut universitaire et socioprofessionnel pour handicapés physiques
(AGI) et département de Meurthe-et-Moselle)
le Conseil d'Etat a
estimé que les circulaires des 14 février 1986 et
3 juillet 1987 étaient
illégales
car elles avaient un
caractère réglementaire et étaient, par conséquent,
entachées d'incompétence. Il résulte que les
arrêtés de tarification pris en application de ces circulaires
sont également illégaux.
Dans une note de la DAS en date du 25 août 1999, il est
précisé que, de ce fait, le foyer à double tarification de
l'AGI a été requalifié en foyer d'hébergement
à la charge du Conseil général,
" les soins
pouvant être financés selon les principes de l'assurance maladie
ou de l'aide médicale (c'est-à-dire à l'acte) "
.
En requalifiant ainsi le FDT en " foyer d'hébergement ", le
ministère remet en cause les engagements pris, dans les deux circulaires
précitées, par l'Etat et par l'assurance maladie pour le
financement des soins, au détriment des départements.
En l'état actuel, ce sont plus de 5.000 places d'accueil en FDT qui
sont mises à disposition des adultes handicapés lourds et de
leurs familles, souvent à défaut de places en maisons d'accueil
spécialisées, et pour lesquels l'ensemble du dispositif global de
prise en charge se trouve compromis.
Mme Martine Aubry a pris l'engagement en commission de prendre un
décret permettant de régulariser la situation des FDT sur la base
du
statu quo
actuel.
Votre rapporteur souligne l'urgence de la consolidation des engagements pris en
1985 et en 1987 dans un cadre juridique mieux adapté.
3. La question du régime des jeunes adultes maintenus en IME au titre de l'amendement Creton
L'amendement " Creton " -qui devrait être
appelé amendement " Gillibert " du nom du ministre qui en
avait accepté l'adoption- résulte du I
bis
de
l'article 6 de la
loi d'orientation en faveur des handicapés du 30
juin 1975,
introduit par la
loi n° 89-18 du 13 janvier 1989 portant
diverses dispositions d'ordre social.
Celui-ci prévoit qu'un jeune adulte handicapé peut être
maintenu dans l'établissement d'éducation spéciale
au-delà de l'âge réglementaire s'il ne peut être
admis immédiatement dans un établissement pour adultes
handicapés désigné par la
commission technique
d'orientation et de reclassement professionnel
(COTOREP) ;
cette
décision s'impose à l'organisme ou à la
collectivité compétente pour prendre en charge les frais
d'hébergement et de soins dans l'établissement pour adulte
désigné par la COTOREP (...) ".
Bien que procédant d'une intention généreuse, -qui
était de limiter les ruptures de prise en charge des jeunes adultes-,
le dispositif n'a pas eu les effets attendus
dans la mesure où,
loin de susciter automatiquement la création de nouvelles places de CAT,
il a entraîné de véritables situations
" d'embouteillage " dans les établissements d'éducation
spécialisée. Ces derniers ont dû prendre en charge des
personnes handicapées adultes, que les personnels n'étaient pas
toujours prêts à encadrer, au détriment d'enfants
handicapés plus jeunes qui ne pouvaient accéder aux structures
qui leur étaient destinées.
La situation a été aggravée par les
multiples
contentieux
survenus entre les départements et les caisses
d'assurance maladie sur la nature des dépenses devant être prises
en charge.
Dans son avis de l'année dernière, votre rapporteur avait
mentionné un arrêt du Conseil d'Etat du 9 juillet 1997 qui
avait remis en cause les modalités de compensation par les
départements du coût du maintien de l'adulte handicapé.
Il convient de préciser que la Cour de Cassation (
Chambre sociale,
30 mai 1996)
estime, s'agissant des bénéficiaires de
l'amendement " Creton " orientés en foyer de vie, qu'il n'y a
pas lieu de distinguer selon la nature de la prestation et qu'il incombe au
département d'assumer à la fois les dépenses relatives aux
soins et celles relatives à l'hébergement.
Or, le Tribunal des conflits, à l'occasion d'un litige relatif au
financement de l'amendement " Creton ", a estimé qu'il
s'agissait d'un différend
" relatif à l'application des
législations et réglementations de sécurité
sociale "
et a estimé, en conséquence, qu'il appartenait
aux juridictions compétentes de l'ordre judiciaire de juger à qui
il appartient de prendre en charge les frais de soins inclus dans les frais de
séjour
(décision n° 3103 du 25 mai 1998,
Préfet de Meurthe-et-Moselle c/Tribunal des affaires de
sécurité sociale de Nancy)
.
Dans la mesure où la Cour de Cassation estime traditionnellement qu'il
appartient aux départements d'assumer l'intégralité des
frais relatifs au maintien des bénéficiaires de l'amendement
" Creton " orientés en établissement
d'hébergement, cette décision est de nature à remettre en
cause les modalités de financement jusqu'alors admises par
l'administration.
Votre rapporteur souligne l'urgence d'une disposition réglementaire
adéquate pour stabiliser la situation des personnes maintenues en
établissement au titre de l'amendement " Creton " sans
fragiliser la situation des départements.
*
* *
Votre
commission constate que face à l'augmentation persistante des effectifs
et du coût du RMI et à l'accroissement continu du nombre de
titulaires de l'AAH, que font ressortir les évolutions
budgétaires, le Gouvernement n'a pas décidé des
réformes qui seraient nécessaires pour rendre plus efficace
l'utilisation des crédits concernés.
Par ailleurs, les dépenses sociales et médico-sociales
apparaissent sous la menace d'un retournement du cycle actuel de la tendance
à la baisse des dépenses, retournement qui risque d'être
aggravé par la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail
et par les incertitudes générées par la jurisprudence.
Compte tenu des analyses et observations exposées ci-dessus, votre
commission a décidé d'émettre un avis défavorable
à l'adoption des crédits de la solidarité pour 1999.