2. Des charges transférées insuffisamment compensées
a) Des principes non respectés
Les lois de décentralisation avaient posé des principes clairs en matière de compensations des transferts de compétences : les collectivités locales devaient bénéficier du transfert concomitant par l'Etat des ressources nécessaires à l'exercice de ces compétences ; ces ressources devaient assurer la compensation intégrale des charges transférées ; cette compensation devait en outre être constituée au moins pour la moitié par des ressources fiscales .
Or force est de constater que les recettes transférées ont augmenté beaucoup moins vite que les charges transférées . Alors que les charges transférées étaient 1,4 fois supérieures aux recettes transférées en 1987, elles étaient 2 fois supérieures en 1996. Entre ces deux dates, le coût correspondant aux compétences transférées a augmenté de 111% alors que les recettes transférées n'ont augmenté que de 39,6 %.
Comme l'a mis en évidence le rapport précité de notre collègue Michel Mercier, entre 1985 et 1994, les départements ont globalement bénéficié du mode de compensation des transferts de charges. Toutefois, à partir de 1991, le poids des dépenses d'action sociale s'est accru, notamment sous l'effet des dépenses liées au revenu minimum d'insertion, qui n'ont pas donné lieu à compensation. Sur la même période, le rendement des impôts transférés a décru. Depuis 1995, le coût des compétences transférées est supérieur aux recettes transférées.
Quant aux régions , elles ont toujours été pénalisées par le mode de compensation des compétences transférées, sauf en 1984 et 1985. A la différence des départements, cette situation concerne l'ensemble des régions.
Entre 1987 et 1996, la part des dépenses liées à l'exercice des compétences transférées dans les dépenses totales des collectivités locales est passée de 13,5% à 17,8%. Sur la même période, la part des ressources transférées dans les ressources totales des collectivités a régressé de 9,5% à 8,3%.
Les collectivités locales ont, en conséquence, été amenées à financer sur leurs ressources propres les efforts qu'elles ont accomplis pour mettre à niveau les compétences qui leur ont été transférées, par exemple pour la rénovation, l'entretien et l'équipement des établissements scolaires.
Cette entorse aux principes de la décentralisation semble encore à l'oeuvre, comme l'attestent les modalités prévues par le projet de loi relatif à la solidarité et au renouvellement urbains pour compenser aux régions le transfert de la compétence ferroviaire . Le calcul de la compensation a, en effet, été effectué à partir d'une étude réalisée six ans plus tôt par un cabinet privé et ne prend pas en compte les besoins d'investissements que les régions devront satisfaire.
Ces insuffisances de la compensation s'accompagnent d'une remise en cause du principe du financement prioritaire des transferts de compétences par la fiscalité .
Le financement budgétaire des transferts , qui devait en principe constituer un solde, est progressivement devenu la norme . Les nouveaux transferts ont, en effet, été compensés non pas par des transferts de fiscalité mais par une majoration de la dotation générale de décentralisation. En outre, l'assiette et le taux des impôts transférés se sont progressivement réduits. On citera, en particulier la politique menée depuis la loi de finances pour 1999 consistant à réduire et unifier les taux des droits de mutation. Cette politique a non seulement supprimé le pouvoir des départements de voter le taux de ces impôts mais aussi entraîné une diminution forte de la part de la fiscalité dans les ressources transférées.
b) Des charges nouvelles non compensées
L'alourdissement des charges non compensées constitue une menace grave pour l'équilibre des budgets locaux.
Dans son rapport au Parlement pour 1997, la commission consultative sur l'évaluation des charges pouvait observer que " la stabilisation des budgets locaux et de la fiscalité locale ne peut aller sans une stabilisation des charges. Or, les collectivités locales enregistrent des charges nouvelles sur lesquelles elles n'ont parfois aucune prise . "
Se livrant à un essai de typologie des charges nouvelles non compensées, la même commission, dans son rapport au Parlement pour 1999, a distingué trois catégories :
- les charges résultant des législations ou réglementations de portée générale s'imposant aux collectivités comme aux autres personnes publiques ou privées, charges qui ont généralement pour origine un objectif de sécurité ;
- les charges liées à des prescriptions européennes ou nationales destinées à répondre à des exigences d'intérêt général pour des équipements ou l'exercice de compétences des collectivités locales (ce qui recouvre en particulier la gestion des déchets, l'eau et l'assainissement) ;
- les charges issues de la transposition aux collectivités locales de diverses décisions , notamment les revalorisations de rémunérations pour lesquelles les collectivités locales supportent les conséquences financières de décisions prises par l'Etat seul.
Comme l'a relevé, à juste titre, la mission sénatoriale d'information sur la décentralisation, les ressources des collectivités locales évoluent moins vite que leurs charges nouvelles. Tel est en particulier le cas de la dotation globale de fonctionnement - principale ressource de fonctionnement des communes et départements - qui pendant les trois années d'application de l'accord salarial du 3 février 1998 a augmenté moins vite que le surcoût engendré par cet accord.
L'Etat a lui-même fortement incité les collectivités locales à financer des dépenses relevant de ses propres compétences. Tel fut notamment le cas en matière d'enseignement supérieur avec le plan Université 2000 puis le plan U3M et en matière de voirie. Les contrats de plan ont constitué un vecteur important pour permettre à l'Etat d'orienter les dépenses des collectivités locales tout en se désengageant financièrement .
En outre, l'absence de vision d'ensemble de l'évolution des charges des collectivités locales, notamment au regard de leurs ressources ne permet pas l'établissement d'un véritable contrat de confiance entre l'Etat et les collectivités locales.
Insidieusement cette situation conduit à la réapparition de concours spécifiques , généreusement accordés par l'Etat pour faire face à un problème donné au détriment de la vision globalisée que les lois de décentralisation avaient entendu promouvoir.
Ces différentes atteintes à l'autonomie fiscale et financière des collectivités territoriales mettent en évidence les limites du dispositif constitutionnel.