II. AUDITIONS DU MERCREDI 17 JANVIER 2001
M. Jean DELANEAU, président - Nous ouvrons les auditions sur le projet de loi portant sur l'interruption volontaire de grossesse. Nous avons demandé au Docteur Bernard Maria, Président du collège national des gynécologues-obstétriciens français de bien vouloir venir devant la commission. Il se trouve directement concerné par le projet de loi que nous étudions actuellement. Il tentera de nous dire les problèmes que ce projet de loi lui pose et ce qu'il en pense.
A. DOCTEUR BERNARD MARIA, PRÉSIDENT DU COLLÈGE NATIONAL DES GYNÉCOLOGUES OBSTÉTRICIENS FRANÇAIS
Docteur Bernard MARIA - Je vous remercie monsieur le président.
Mesdames et messieurs les sénateurs, c'est en tant que professionnel que je me présente devant vous afin de vous donner mon avis sur le projet de loi. Je suis, depuis deux ans, président du collège national des gynécologues-obstétriciens. A ce titre, je tenterai de représenter la profession qui est amenée à s'occuper de la contraception et de l'interruption volontaire de grossesse ainsi que de la stérilisation tubaire dont nous discuterons ultérieurement.
A titre personnel, je suis, depuis quinze ans, chef d'un service de gynécologie obstétrique dans un h™pital de la banlieue parisienne à Villeneuve-Saint-Georges. Ainsi, je pratique des interruptions volontaires de grossesse depuis de nombreuses années. J'appartiens à cette génération qui a vu se mettre en pratique la loi Veil lorsque j'étais interne. Pour des raisons personnelles, j'ai toujours accepté de pratiquer des IVG. J'en pratique d'ailleurs toujours. Dans mon service de gynécologie-obstétrique, nous pratiquons des IVG au sein de l'ensemble de la spécialité sans être isolés du reste du service.
La présente loi va modifier profondément l'organisation des interruptions volontaires de grossesse. Ce projet de loi comporte trois modifications majeures. La première porte sur l'allongement du délai. La deuxième porte sur la suppression de l'entretien social. Enfin, le dernier point que je souhaiterais aborder porte sur la stérilisation.
La première modification a été celle qui a été le plus largement débattue par les médias. Il s'agit de la prolongation de l'%oge autorisant la pratique de l'interruption de grossesse. Pour utiliser des termes communs, je dirai que le projet de loi souhaite porter le terme de dix à douze semaines de grossesse. En d'autres termes, l'interruption est autorisée jusqu'à douze semaines de grossesse ou quatorze semaines d'aménorrhée.
A titre personnel, je crois que ce point de la loi a un peu occulté la réalité du problème. Le fait est qu'en France la loi n'est pas strictement appliquée. Il existe d'évidentes difficultés dans l'organisation des centres d'IVG et des pratiques. En effet, l'accessibilité des centres n'est pas toujours correctement visible pour les personnes les plus démunies. C'est malheureusement le cas de nombre de ces femmes qui demandent une interruption de grossesse. Aujourd'hui, entre 5 et 7.000 demandes d'IVG ne peuvent être acceptées. Or, à chaque fois que l'on établit des dates butoirs, des personnes parviennent à passer par la porte tandis que d'autres buttent après la barrière. Demain, nous pouvons imaginer que quelques milliers de femmes souhaiteront recourir à une IVG après quatorze semaines de grossesse, ce qui sera toujours impossible. Nous pourrions envisager de repousser encore et encore le délai. Nous pouvons penser que nous serons amenés à faire des commissions, des lois et des décrets pour repousser à nouveau ces limites.
C'est la raison pour laquelle le collège a souhaité prendre position. Nous considérons que la seule augmentation du délai n'est pas une excellente réponse au véritable problème auquel nous devons faire face. Nous pensons que le véritable problème est davantage lié à la bonne organisation de l'interruption volontaire de grossesse et en particulier à son accès. Pourquoi rencontre-t-on tant de difficultés ? A mon sens, je pense que cette situation a une double explication.
Premièrement, elle s'explique par des raisons culturelles. L'interruption volontaire de grossesse est passée dans les mÏurs sans être complètement intégrée par l'ensemble des citoyens, hommes et femmes, comme un recours et une pratique tout à fait légitimes au même titre que d'autres moyens de contraception et de contr™le des naissances. L'IVG n'est pas non plus acceptée comme peuvent l'être d'autres sortes de soins. Je pense en particulier à la chirurgie plastique et reconstructive. Une personne qui demande une IVG n'est pas toujours aussi bien entendue qu'un malade qui se plaint auprès d'un médecin. Cette différence sociologique me semble fondamentale.
Deuxièmement, la loi Veil n'a pas été exécutée dans la pratique par les établissements privés comme publics. En effet, pour certains de ces établissements, l'application de la loi pose des problèmes en termes de moyens. Pour d'autres établissements, elle pose des problèmes d'organisation. Pour d'autres encore, il s'agit d'un problème de lisibilité de l'accès. Force est de reconna»tre que le système actuel souffre d'une absence de publicité. J'entends par ce terme qu'il manque une information visible et lisible pour les femmes les plus démunies. Ce manque d'information rend leur parcours plus difficile. Lorsque ces femmes se retrouvent dans la détresse la plus totale -la majorité d'entre elles se trouvent dans une situation socio-économique relativement critique- trouver un centre d'IVG est un véritable parcours du combattant. Je pourrai vous citer de nombreux exemples issus de mon expérience personnelle. Je me suis fréquemment retrouvé devant de jeunes femmes démunies qui ne savaient pas où s'adresser. Dans de nombreux cas, ces femmes ne pensent pas à se renseigner auprès de l'h™pital public pour que ce dernier puisse leur fournir une adresse d'un centre ou leur donner les modalités d'accès à l'interruption volontaire de grossesse.
Au-delà de l'augmentation du terme autorisant l'IVG, il serait essentiel que nous insistions fortement sur l'organisation et la bonne visibilité du parcours pour les femmes. Il faudrait également définir les moyens qu'il serait nécessaire d'accorder aux centres et aux équipes qui pratiquent les IVG sans que cette pratique ne soit dissoute dans l'ensemble de la pratique de l'établissement. On entend parfois dire que des moyens ont été alloués à des centres d'IVG. Pourtant, lorsque nous interrogeons les gens de terrain nous constatons que le personnel n'est pas plus nombreux dans ces centres. Nous déplorons qu'il n'y ait ni davantage de secrétaires ni davantage de psychologues.
Pour prévenir les IVG, qui sont encore trop nombreuses en France, il est impératif de développer une politique culturelle sur la contraception et l'accès à la prévention des grossesses non désirées. En effet, la contraception n'est pas si automatique que l'on pourrait le supposer. Les sociologues et les psychologues expliquent que le fait de ma»triser sa reproduction pour une femme ou pour un couple n'est pas aussi évident que l'on voudrait le laisser entendre. Par conséquent, il faut sans cesse fournir des efforts d'éducation et d'information afin que cette contraception passe dans les mÏurs. Or ce n'est pas lorsque les femmes se situent au milieu de leur parcours qu'il faut commencer à se préoccuper de leur information. C'est lorsque ces femmes sont jeunes. Il est essentiel de les informer avant qu'elles ne rentrent dans la vie sociale et dans la vie active. Nous citons volontiers l'exemple des Pays-Bas, non pas parce qu'ils bénéficient d'une limite avancée d'IVG, mais parce qu'ils ont un des taux les plus faibles d'IVG rapporté à la population des femmes actives. Ceci s'explique par le fait qu'ils ont mis en Ïuvre, de longue date, une politique de prévention et d'éducation sexuelle. C'est probablement au cours de la scolarité et au début de l'adolescence qu'il faut inculquer un certain nombre de connaissances liées aux risques de la sexualité. Il faut non seulement informer sur les maladies sexuellement transmissibles mais également assurer une information en matière de grossesse non désirée.
Ce deuxième point du projet de loi me semble d'autant plus important qu'il permet de montrer aux jeunes femmes et aux jeunes gens que la contraception est une absolue nécessité pour éviter de se retrouver dans cette issue dramatique qu'est l'interruption volontaire de grossesse.
Le troisième point est peut-être un aparté car il ne figurait pas dans le texte initial présenté par Mme Aubry. Je veux parler de la stérilisation tubaire. C'est une méthode de contraception particulière car définitive. Voilà fort longtemps que les professionnels et le collège militent pour sa reconnaissance ou au moins son autorisation en France. Il est nécessaire que cette méthode soit extraite de ce vide juridique. Il s'agit d'une bataille à la fois entre juristes, légistes et professionnels pour que cette méthode soit raisonnablement accessible comme c'est le cas dans beaucoup de pays occidentaux. Cette méthode est également recommandée par l'OMS et les instances internationales. Il est donc heureux que ce point ait été clarifié par l'article 70 de la loi portant création de la couverture maladie universelle.
Aujourd'hui, il faut que les choses soient encore mieux clarifiées gr%oce à un texte supplémentaire affirmant que l'occlusion tubaire peut être une forme de contraception recevable et utilisable. Cette forme de contraception doit se faire à la demande des patientes sous réserve d'une claire négociation avec les médecins afin d'éviter les dérives et les excès. Dans ces conditions, il est évident que la stérilisation tubaire peut avoir sa place comme mode de contraception proposé aux femmes et aux couples. En France, on pense plus fréquemment à la ligature des trompes qu'à la ligature des canaux déférents alors que dans d'autres pays, si elle n'est pas de 50 %, la répartition est mieux équilibrée.
Voici quels sont les points généraux que je souhaitais porter à votre connaissance sur ces trois aspects de la loi. Je suis désormais prêt à répondre à vos questions qu'elles portent sur les aspects techniques ou professionnels de ce projet.
M. Jean DELANEAU, président - Je vous remercie monsieur le président. Je laisse la parole à monsieur le rapporteur.
M. Francis GIRAUD, rapporteur - Monsieur le président, mes chers collègues, mes chers confrères, ce projet de loi va modifier le délai qui autorise l'interruption de grossesse. Quelles sont, selon vous, les conséquences médicales de l'allongement de deux semaines du délai légal pour une interruption de grossesse ? L'intervention est-elle plus compliquée et plus risquée à douze semaines de grossesse ? Suppose-t-elle une compétence particulière ainsi que des moyens particuliers ?
N'existe-t-il pas un risque de voir diminuer le nombre de médecins pratiquant des IVG si le délai légal est prolongé de deux semaines ? En effet, on nous signale que certains médecins qui pratiquaient des IVG jusqu'à douze semaines d'aménorrhée ont fait part de leur réticence voire de leur farouche volonté de ne pas pratiquer l'interruption de grossesse au-delà du délai de douze semaines.
Une question me semble importante même si vous ne l'avez pas évoquée dans votre intervention. Que pensez-vous de la suppression, par l'Assemblée nationale, du caractère obligatoire qui figurait dans la loi Veil de l'entretien social préalable à l'IVG ?
Quelles réflexions vous inspire la disposition du projet de loi prévoyant la présence d'un adulte référent chargé d'accompagner dans sa démarche la mineure qui n'aurait pas obtenu le consentement parental ? Je regrette d'ailleurs que l'on ne nous donne pas une définition exacte de ce référent. Quelle serait, dans ce cas, la responsabilité juridique d'un médecin qui aurait pratiqué une IVG sur une mineure sans l'accord des parents ?
Que pensez-vous des dispositions introduites par l'Assemblée nationale relatives à la stérilisation à visée contraceptive ? Par ailleurs, les modifications que connaissent les couples actuellement, qui sont confirmées par les données statistiques dont nous disposons, ne vous interpellent-elles pas sur le fait de proposer une contraception définitive et irrémédiable ?
M. Jean DELANEAU, président - Je souhaiterais compléter quelque peu les questions du rapporteur. Monsieur Maria, vous avez dit que des interventions se faisaient au-delà de la dixième semaine ne serait-ce qu'à cause des incertitudes qui pèsent sur l'%oge de la grossesse. Il est ainsi nécessaire de procéder à une échographie pour avoir davantage de précision sur le terme de la grossesse. Vous avez évoqué le risque que la date butoir ne soit à nouveau repoussée au bout d'un certain nombre d'années.
Nous avons rencontré ce type de difficultés en 1979. Avez-vous une idée de l'importance des interruptions qui ont lieu au-delà de douze semaines de grossesse par rapport au nombre total d'interruptions de grossesse ? Avez-vous une idée des complications possibles qu'entra»nerait un avortement tardif ?
Docteur Bernard MARIA - Le problème médical lié aux complications de l'acte agite tout le monde et les professionnels en premier lieu. Il est clair que plus la grossesse avance, plus l'embryon est volumineux et plus il sera difficile à évacuer de façon commode sans incident et sans complication. Dans ces conditions, il est plus difficile de pratiquer une intervention avec évacuation par les voies naturelles. Le col de l'utérus n'est pas conçu pour s'ouvrir facilement en début de grossesse. Il faut par conséquent trouver des techniques ou des moyens qui permettront la réalisation de l'interruption de grossesse sans conséquence future pour la femme. Il est certain que nous nous préoccupons de ce sujet. Toutefois, le taux de complication est faible. Ce taux s'élève à moins de 1 % jusqu'à la septième ou la huitième semaine de grossesse. Il peut s'élever à 1,5 % de douze à quatorze semaines de grossesse.
Bien entendu, tout statisticien pourrait nous dire que le taux de complication augmente et qu'il est nécessaire de veiller à ce problème. Nous pouvons estimer également qu'un taux s'élevant à 1,5 % de complication est relativement faible par rapport à d'autres procédures pratiquées par les thérapeutes. L'IVG est à cet égard l'une des procédures qui a le plus faible taux de complication par rapport aux autres techniques appliquées à la médecine humaine.
Néanmoins, ce point reste une préoccupation. C'est peut-être pour cette raison qu'un certain nombre de nos collèges se sentent un peu moins motivés pour faire des interruptions de grossesse entre douze et quatorze semaines d'aménorrhée. A cet égard, un autre point se doit d'être soulevé. La plupart n'ont pas l'habitude d'utiliser de telles techniques. Ils sont craintifs et se posent de nombreuses questions. Par conséquent, il est nécessaire de passer par une première étape. Il faut en effet apprendre, auprès de ceux qui disposent du savoir-faire et de la connaissance, que ces derniers soient français ou étrangers. Certes, il est essentiel d'être volontaire. Nous espérons également que ces techniques d'interruptions tardives seront appliquées à une minorité de femmes et qu'elles ne seront pas une pratique quotidienne.
Ceci pose la question de l'équilibre entre savoir et savoir-faire. En effet, apprendre des techniques utilisées peu fréquemment, est-ce la meilleure manière de procéder ? C'est une question qui peut se poser légitimement. Tous les praticiens qui font des IVG actuellement peuvent-ils faire ou seront-ils autorisés à faire de telles IVG ? L'hypothèse est de savoir s'il faut réserver cette pratique à quelques praticiens qui, pour des raisons de matériels ou parce qu'ils ont l'habitude des interruptions médicales de grossesse, seraient mieux à même d'assurer une sécurité et une compétence technique.
Dans le domaine professionnel, le débat n'est pas du tout tranché. Certaines personnes estiment qu'apprendre une technique n'est pas si difficile. Nous disposons de moult exemples en gynécologie-obstétrique. Certaines techniques, fascinantes au sens médiatique ou technique du terme, sont passées dans les pratiques courantes avant même d'être correctement évaluées car il était à la mode de les pratiquer. Des médecins ont décidé de très vite apprendre ces techniques par désir de briller. Bien entendu, aucun professionnel ne dit que l'on brille en pratiquant des IVG.
Le médecin rend un service. Il rend un humble service qui est plut™t une besogne. C'est peut-être pour cette raison que les professionnels sont peu motivés lorsqu'il s'agit d'apprendre des techniques nouvelles d'IVG.
Personnellement, je souhaiterais rappeler un détail historique récent. Au cours des années 85, nous avons participé à la mise en place des techniques médicamenteuses d'IVG avec le RU 486. Cette technique était également novatrice. Nous souhaitions développer la connaissance et la recherche dans ce domaine et certains médecins se sont lancés dans cette aventure. D'autres ont attendu que ces techniques soient codifiées. Ces nouveautés allaient certes changer les habitudes. Il fallait apprendre de nouvelles procédures et expliquer les choses différemment aux patientes. Il est certain que ces bouleversements ne sont pas toujours faciles à appréhender. Ceci oblige à fournir un effort constant de la part des professionnels. Il est nécessaire de s'adapter à de nouvelles techniques médicales et d'en faire son propre usage. Vous aurez toujours dans tous les domaines cette préoccupation : comment se lancer dans quelque chose de nouveau ? Il faut réfléchir et apprendre avec modestie. Il faut appliquer ces techniques avec conscience pour ensuite pouvoir les proposer aux patients qui en ont besoin.
A l'heure actuelle, nos collègues étrangers nous regardent avec le sourire car ils estiment que les Français, une nouvelle fois, sont en train de se battre sur de faux problèmes. Certes, des aspects techniques doivent être connus. Dans d'autres pays, on les ma»trise déjà. C'est le cas en Espagne, en Angleterre, aux Pays-Bas ou encore dans d'autres pays européens. Ces pays ne se sont pas posés les mêmes questions que celles qui préoccupent la profession française. Néanmoins, nous insistons sur le fait que plus nous augmentons le terme de l'IVG, plus il faut être attentifs. Le risque de complication peut être plus important. Il relève du devoir professionnel de bien s'organiser et de bien apprendre ces techniques afin de fournir une prestation de qualité.
M. Jean DELANEAU, président - Vous dites qu'il est nécessaire de suivre une formation. Or la plupart des praticiens qui font des IVG sont des vacataires. Qui va prendre en charge leur formation ?
Docteur Bernard MARIA - Vous vous situez au cÏur du problème. En effet, il existe une réelle distinction entre les statuts des médecins. Le statut de médecin titulaire offre une reconnaissance professionnelle et des droits à la formation. Lorsqu'un médecin pratique de façon totalement libérale, les procédures sont plus complexes. Lorsque des médecins bénéficient du statut ambigu d'attaché vacataire, on se retrouve avec une absence totale de statut et de prise en charge. Qui va prendre en charge la formation ? L'h™pital va dire au médecin non titulaire qu'il doit avoir recours à la formation privée. Le médecin va dire qu'il n'a pas le temps et rétorquer que faire des IVG dans les h™pitaux ne relève pas de sa vocation première.
Dans ces circonstances, il faudrait repenser les modalités administratives ou techniques. Peut-être doivent-elles être modifiées, recréées ou reconnues pour l'ensemble des acteurs et non seulement pour les médecins qui pratiquent l'IVG. Ce point doit être éclairci pour que l'ensemble des médecins qui travaillent à l'h™pital, quel que soit leur statut, aient un droit parfaitement défini d'accès à la formation professionnelle et aient la possibilité d'évoluer et d'apprendre des techniques et des pratiques nouvelles. Il ne faut pas que ce droit soit réservé à des médecins bénéficiant d'un statut particulier. Cette asymétrie me semble préjudiciable à l'évolution des techniques et à la qualité des soins.
M. Jean DELANEAU, président - Peut-on reprocher à ce médecin vacataire, notamment par le Conseil de l'ordre, de ne pas avoir utilisé les meilleures techniques qui existent dans l'état actuel des connaissances ?
Docteur Bernard MARIA - C'est possible. En matière de plainte et d'obligation, c'est l'expertise réalisée par le médecin expert qui tranchera sur les techniques utilisées ou sur les précautions prises ou non prises. Au sein de la profession médicale, le code de déontologie nous impose d'utiliser des techniques appropriées et de suivre l'évolution des pratiques.
Au-delà des règles administratives et financières assorties à cette possibilité, il est nécessaire d'appliquer les techniques les plus appropriées à la situation à laquelle le médecin doit faire face. Si ces techniques ne sont pas appropriées et s'il y a complication et plainte, le médecin pourra faire l'objet de sanctions. Il incombe également aux professionnels et aux systèmes de santé de résoudre cette question. Ils doivent se demander comment ils peuvent aider à encadrer la formation professionnelle des médecins quel que soit leur statut, qu'il relève d'un statut privé, public ou qu'ils soient encore vacataires, afin que ces médecins puissent communément évoluer dans leurs pratiques. Cette remarque n'est pas propre à l'IVG.
Pour revenir à la question qui m'était posée portant sur la réticence de certains praticiens, nous avons effectivement été saisis par un certain nombre de nos collègues, de toutes origines et de tous statuts, disant que nous avions une bonne pratique des IVG par aspiration jusqu'à dix semaines de grossesse. Ils étaient embarrassés pour deux raisons. Le problème ne se situe pas uniquement au niveau des nouvelles techniques qu'ils ne ma»triseraient pas. En effet, nous leur répondrions alors qu'il existe bien d'autres techniques récentes qu'ils ne ma»trisent pas encore. L'interruption volontaire de grossesse n'est pas une opération chirurgicale standard. Il ne s'agit pas d'un acte anodin, ni pour les médecins ni pour les femmes. Il s'agit en effet de faire dispara»tre un embryon ou un fÏtus. Au-delà des considérations strictement idéologiques ou éthiques, il faut reconna»tre qu'il s'agit d'un acte particulier.
Une aspiration à huit ou neuf semaines concerne un embryon qui mesure 25 à 30 millimètres de longueur dont l'apparence est relativement floue. En revanche, plus le terme avance, plus l'embryon est gros, plus il est difficile à faire sortir, et plus l'apparence est déterminée. C'est pour cette raison que certains médecins sont réticents. En effet, en allant de plus en plus loin, les professionnels risquent de se retrouver à cette frontière ténue et non écrite. Certes, la femme est enceinte. Toutefois, nous sommes à un stade où la décision de la continuité appartient à la patiente. En revanche, lorsque la grossesse se poursuit, les choses sont différentes. Il est nécessaire de faire la déclaration de grossesse avant quatorze semaines d'aménorrhée, c'est-à-dire avant la douzième semaine de grossesse.
Nous arrivons alors à la frontière où la grossesse acquiert une identité sociale. Je crois que psychologiquement, c'est à ce niveau que se situe la préoccupation principale des médecins.
Je souhaite, bien entendu, que ces interruptions de grossesse avancées ne soient pas trop nombreuses. Il est nécessaire de respecter scrupuleusement le volontariat des professionnels dans la pratique des IVG. Lorsque le professionnel pense ne pas pouvoir réaliser un acte, il doit le confier à un confrère qui bénéficie de l'organisation idoine pour réaliser de telles interventions. Nous retrouvons le système d'organisation de santé en réseaux où des opérations sont effectuées dans des centres spécialisés. Je pense qu'il existe une vraie réticence mais nous disposons des moyens professionnels d'y répondre.
La troisième question que vous m'avez posée portait sur la place de l'entretien social. Sur le plan historique, je crois que l'entretien social était destiné à rendre service aux patientes afin de les renseigner sur les droits qu'elles pouvaient faire valoir. Aujourd'hui, les choses sont différentes et sont devenues beaucoup moins intéressantes et utiles. Force est de constater que cette étape appara»t comme une étape supplémentaire de la procédure. Plus de 90 % des patientes qui viennent faire une IVG sont fermement décidées dès la première consultation. Or le système actuel leur demande de se rendre à divers entretiens. Je pense que si nous supprimions une étape, les femmes prêtes à subir une IVG seraient tout aussi décidées.
Le c™té obligatoire de l'entretien peut être effectivement discuté. La suppression peut être envisagée pour alléger les procédures. Elle peut permettre également de donner du temps aux conseillères conjugales et aux psychologues de s'occuper plus spécifiquement des véritables problèmes des patients indécis plut™t que de les surcharger de patients qui ne connaissent pas de véritables problèmes. Par conséquent, nous serions volontiers d'accord pour que l'entretien social ne soit plus obligatoire. Il serait préférable qu'il soit à la carte et qu'il soit réservé aux préoccupations les plus criantes.
En ce qui concerne les mineures, vous touchez du doigt un sujet de société qui fait l'objet de moult débats. Lorsque les mineures sont impliquées, nous pouvons nous trouver dans trois cas de figure différents.
Dans le premier cas, la mineure enceinte entretient de bonnes relations avec ses parents. Ses parents sont au courant de la situation. Dans ces conditions, que la mineure obtienne l'autorisation ou non, la relation parents-mineures est claire. La demande d'interruption volontaire de grossesse est alors faite de façon conjointe.
Les deux autres cas de figure sont plus difficiles. Dans le deuxième cas, la mineure n'a jamais osé parler de sa sexualité et de sa grossesse à ses parents. Il est difficile de parler d'IVG à des parents pour lesquels le dialogue autour de la sexualité n'existe pas voire est culturellement impossible. Dans les délais impartis par la loi, les professionnels se doivent en peu de temps de lever tous ces tabous et de pousser les jeunes à des extrémités. Il existe plusieurs solutions. Le professionnel peut remettre une attestation à la mineure et refuser de savoir si c'est effectivement le parent qui la signe. La jeune femme peut faire appel à un adulte de son entourage pour parapher l'autorisation. La responsabilité est alors semble-t-il protégée par cette autorisation. Certains autres médecins exigent que les parents viennent signer l'autorisation en leur présence. Dans la mesure où le professionnel de santé n'a pas mission de police, il ne vérifie pas la pièce d'identité de l'adulte présent. Aucune solution ne semble facile. Il est clair qu'il est nécessaire de trouver une solution.
Le troisième cas me semble encore plus caricatural. C'est lorsque des patientes se trouvent dans des situations extrêmement défavorisées pour lesquelles les parents ne sont pas présents. Leurs parents peuvent vivre en dans un pays étranger. Ils peuvent être déjà décédés. Lorsque la famille se trouve au bout du monde, il est néanmoins nécessaire de prendre une décision pour cette adolescente. Dans ces conditions, l'application stricte du texte est impossible voire impensable. Nous parvenons, dans certains cas, à avoir des communications par fax. Des autorisations parentales nous sont parfois parvenues par fax sous le sceau d'un consulat ou d'une ambassade. Toutefois, force est de reconna»tre que ces procédures sont lourdes.
Toutes ces raisons font que l'autorisation parentale ne devrait pas toujours recouvrir un caractère obligatoire. Cette disposition peut rendre service à ces mineures. D'autres personnes vous diront qu'aucune autorisation parentale n'est requise lorsque les adolescentes souhaitent mener leur grossesse à terme. Elles auront même des droits. Il existe donc une asymétrie. Les adolescentes n'ont pas besoin d'autorisation pour mener leur grossesse à terme. En revanche, elles auraient besoin d'une autorisation pour supprimer la grossesse alors que nous nous trouvons dans un pays où le droit à l'IVG est reconnu pour les majeures. Il faut ainsi réfléchir à la modification de cette obligation.
Mme le professeur Michèle Uzan propose qu'une majorité sanitaire puisse être attribuée. Il serait peut-être bon que cette majorité ne soit pas accessible pour les toutes jeunes filles. Mais elle permettrait pour nombre de jeunes femmes de résoudre leurs problèmes.
Dans le cas où une anesthésie est nécessaire, les anesthésistes ont le droit d'exiger une autorisation parentale, qu'il s'agisse d'une IVG ou d'une autre intervention chirurgicale. Nous nous retrouvons devant les mêmes difficultés. Certes, la procédure peut revêtir un cadre moins rigide. On peut faire signer une demande d'anesthésie pour une intervention que l'on peut baptiser d'un terme différent. Cependant, si les parents ne sont pas présents, l'opération n'est pas plus simple.
La question de la responsabilité est un large débat. La proposition qui nous a été faite est de définir un adulte référent. Je partage tout à fait votre opinion lorsque vous vous interrogez sur ce qu'est la définition d'un adulte référent. J'ai été saisi par le personnel à ce sujet. En effet, si l'adulte référent peut être une personne du personnel, il y aura engagement de responsabilités de personnes qui se trouvent des deux c™tés de la barrière, l'infirmière qui reçoit, l'assistante sociale qui mène l'entretien, le médecin qui décide. Tous ces acteurs professionnels peuvent-ils être des référents ?
Pourtant, la solution para»t simple. Lorsque l'adolescente a un bon contact avec un professionnel, il peut para»tre logique que cet individu joue le r™le de l'adulte référent. Lorsque cette décision part d'un bon sentiment, on peut penser que cette situation convient. Toutefois, si un problème survient, ces personnes engageront une responsabilité qui va au-delà de leur r™le stricto sensu . Le mélange des responsabilités entre d'une part celle du professionnel organisant ou réalisant l'IVG et d'autre part celle du professionnel ayant accordé l'autorisation à la mineure, autorisation qui pourrait par la suite être contestée en cas de complications, induit une préoccupation sensible. C'est pour ces raisons que nous souhaiterions que la loi détaille les applications de cette mesure. Il est souhaitable que la loi définisse plus précisément ce point afin que nous sachions quelle est la définition exacte de l'adulte référent et que celui-ci soit parfaitement défini par rapport à la personne mineure. Néanmoins, le mélange des genres est difficile. Il me para»t logique que les membres du personnel bienveillants pour les IVG fassent des restrictions au niveau de cette demande. Ils peuvent se sentir déchirés entre le sentiment de ne pas laisser la jeune fille seule avec ses difficultés et le fait de ne pas pouvoir décider pour elle. Le risque est alors de devenir des personnes qui jugent et autorisent les pratiques pour toutes les mineures, ce qui serait excessif.
La dernière question que vous m'avez posée porte sur la stérilisation tubaire. La stérilisation tubaire est un mode de contraception particulier car définitif. C'est sur ce point qu'il est nécessaire de porter toute l'information nécessaire. Indépendamment des arguties historiques et juridiques, la stérilisation tubaire se pratique en France. Depuis longtemps, le collège, l'ordre des médecins comme diverses autres sociétés savantes, distribuent et éditent des règles de bonne conduite qui permettent d'accepter ou de refuser la demande d'occlusion tubaire.
Bien entendu, des paramètres doivent être pris en considération. Il s'agit en premier lieu de l'%oge de la patiente. Il est évident que nous ne pouvons procéder à une stérilisation tubaire sur une femme jeune. Il faut savoir si le couple ou la femme a déjà donné naissance à des enfants. Il est également nécessaire de vérifier si la femme a des contre-indications ne lui permettant pas de faire appel aux autres méthodes de contraception. L'étude de ces paramètres doit être assortie d'une information claire et nette. Il est également nécessaire que la patiente exprime son consentement en signant une autorisation. Des études démontrent qu'il existe fréquemment des remords après une stérilisation. Ceci est une réalité quel que soit l'%oge auquel on procède à une stérilisation tubaire.
Néanmoins, les professionnels français persistent à penser que ce droit doit être proposé et être accessible. Il incombe aux professionnels de le régler de façon harmonieuse, efficace et intelligente. Nous sommes parfois étonnés de voir que ces pratiques, dans des pays étrangers, sont extrêmement laxistes et aboutissent parfois à des décisions étonnantes. A ce propos, j'ai souvenir d'avoir rencontré une jeune femme américaine qui était venue pour pratiquer une IVG en France au début de l'utilisation du RU 486. Cette jeune femme avait déclaré qu'après cette grossesse non désirée, elle allait demander une ligature des trompes. Elle n'avait que 24 ans et n'avait pas d'enfant. Sans considérer qu'elle pouvait prendre la pilule et qu'elle pouvait avoir recours à un stérilet, elle demandait une stérilisation définitive. Cette décision est aberrante. Ceci relève d'une autre culture. Cette décision nous surprend considérablement. Je pense que les professionnels français sont très sensibles au fait que la stérilisation tubaire ne se manie qu'avec beaucoup de précaution et beaucoup d'informations et requiert un délai de réflexion. Un temps est nécessaire entre la demande et la réalisation de la stérilisation afin que toutes les informations soient parfaitement comprises par la femme ou le couple.
M. Lucien NEUWIRTH - Je souhaite vous poser une question portant sur la création des centres spécialisés pour des IVG au-delà du délai de dix semaines de grossesse. Pensez-vous qu'il est possible de spécialiser suffisamment de centres pour répondre à la demande ? De plus, je considère que vous avez parfaitement raison en ce qui concerne la situation des médecins vacataires. Nous pouvons peut-être résoudre ce problème au travers de la création de ce type de centres.
M. Claude HURIET - Pouvez-vous confirmer que le nombre d'interruptions volontaires de grossesse est plus important dans notre pays que dans d'autres pays ? Si oui, comment expliquez-vous cette situation ? Par ailleurs, en ce qui concerne, les 4 à 6.000 femmes qui dépassent le délai, avez-vous une idée du motif de retard ? Ceci est-il lié au nombre de centres ? Quelle a été l'évolution du nombre des centres d'interruptions volontaires de grossesse au cours des cinq ou six dernières années ?
En conclusion et selon vous, l'allongement de deux semaines du délai est-il la réponse que vous souhaiteriez donner en fonction de votre réponse aux deux premières questions ?
M. Guy FISCHER - Nous voyons la nécessité d'avoir un temps de dialogue. Par rapport au problème d'information et la visibilité, vous avez insisté sur ce volet pour les personnes démunies. Certes, le prolongement du délai peut constituer une réponse. Vous avez d'ores et déjà esquissé des pistes de réflexion. Que faudrait-il entreprendre de manière très concrète ?
M. Paul BLANC - Si effectivement dans notre pays il y a davantage d'interruptions volontaires de grossesse que dans d'autres, pensez-vous que le fait d'avoir adopté la loi sur la pilule du lendemain est susceptible de faire diminuer le nombre d'interruptions volontaires de grossesse ?
Docteur Bernard MARIA - Je vais tenter de répondre à vos questions en procédant dans l'ordre.
Concernant la création des centres spécialisés, pour des raisons techniques et pour des raisons de volontariat des professionnels, nous pouvons admettre qu'il faudrait réserver cette pratique à certains centres. Il faut également faire en sorte que ces centres soient répartis de façon harmonieuse sur le territoire afin d'être accessibles. Cette solution me para»t raisonnable et possible. Cependant, je souhaite émettre deux réserves. Premièrement, il faut accorder les moyens nécessaires. Les missions de service public doivent être clairement définies jusque dans les détails. Il ne suffit pas de dire aux professionnels " il faut ", " il n'y a qu'à ", " vous avez des obligations ". Il est aussi nécessaire de dessiner un contour, d'allouer du personnel et d'accorder du temps. Ce personnel se rémunère. Il utilise quelques moyens même s'ils restent modestes par rapport à d'autres techniques médicales. Nous ne pouvons pas nous permettre de rester dans le flou. Un service de gynécologie-obstétrique est plus ou moins défini dans un h™pital. Les pratiques prennent de plus en plus de temps. Il faut du temps pour diffuser l'information. Il faut accorder quelques moyens pour que ces médecins aient le temps d'effectuer correctement les missions qui leur sont confiées. Faire des centres spécialisés me para»t possible. Il me semble que cette solution doit être envisagée. Il faut penser que ces centres doivent être harmonieusement répartis dans les régions et les départements de France. Il faut certes parfois secouer les pesanteurs historiques et administratives car les h™pitaux et les cliniques ne se déménagent pas aisément.
La deuxième question portait sur le nombre d'IVG pratiquées en France. Il est vrai que, par rapport à certains pays, il existe des divergences. Dans certains pays, le taux d'IVG est relativement élevé. C'est le cas de la France ou de l'Angleterre. Dans ces pays, le taux est environ de 15 % d'IVG par rapport au nombre de grossesses déclarées et au nombre de grossesses persistantes. Dans un autre groupe de pays, le taux d'IVG est de 7 %. C'est le cas de l'Allemagne ou des pays scandinaves. Cela étant dit, je n'ai pas personnellement vérifié ces sources. Par conséquent, je ne saurais vous dire quelle est la précision de ces données statistiques. Vous savez fort bien qu'en matière de comptabilité de santé, selon la rigueur et la définition des registres, il est possible de faire considérablement varier les résultats. Ce fut le cas en matière de mortalité maternelle. En effet, le taux de mortalité maternelle anglaise paraissait remarquable par rapport au taux français. Toutefois, celui-ci a changé de façon sensible et significative lorsqu'ils se sont aperçus qu'avec un petit détail de définition comptable, il fallait rentrer dans une autre formule. Tout d'un coup, leur taux de mortalité maternelle est passé de 9 o / oooooo à 13 o / oooooo . Dans la mesure où le taux français s'élevait à 13 o / oooooo , nous étions soudainement devenus aussi bons que les Anglais dans ce domaine alors que quelques années auparavant on pensait que nous étions en deçà. Par conséquent, cet exemple illustre qu'il faut se méfier des comparaisons h%otives.
Néanmoins, je reconnais qu'il existe des pays dans lesquels il y a moins d'IVG. Il est fréquent de citer en exemple le cas des Pays-Bas. Ce pays mène depuis fort longtemps une politique active en matière d'éducation sexuelle et sanitaire. Cette information est délivrée aux adolescents dans le cadre scolaire. Il est nécessaire de tirer des leçons de cet exemple hollandais. En effet, tant que nous ne fournirons pas un effort d'éducation, nous ne pourrons réduire ce taux. Je pense que les débats sur l'IVG ne doivent pas être menés au niveau du ministère de la Santé mais au niveau du ministère de l'Education. C'est au niveau de l'éducation primaire, voire au début de l'éducation secondaire, qu'il faut aborder ces questions. Traiter de l'IVG en classe de 3 ème ou de 4 ème me semble déjà trop tard. Il serait préférable d'en parler avant la puberté. Comme on inculque des principes de précaution ou de sécurité, la sexualité devrait être apprise. Par ailleurs, cette information ne doit pas uniquement être adressée aux filles.
Enfin, concernant la pilule du lendemain, nous sommes en droit de penser que dans tout développement de la contraception, que celle-ci soit d'urgence ou définitive, l'objectif est de réduire le taux de grossesses non désirées. Plus la contraception est visible, moins nous aurons de grossesses non désirées. Cela étant dit, lorsque vous discutez avec des psychologues, ils vous parlent de l'ambiguïté de la situation. Il y a une ambiguïté des femmes face à la grossesse. Néanmoins, si nous améliorons l'accessibilité à la contraception, nous devons inévitablement voir se réduire le nombre de grossesses non désirées.
M. Jean DELANEAU, président - Que pensez-vous de la suppression de la prescription médicale nécessaire pour la délivrance des contraceptifs hormonaux ?
Docteur Bernard MARIA - Personnellement, je parlerai peut-être davantage en mon nom qu'en celui du collège. Je pense qu'il est nécessaire d'alléger le plus possible les procédures de distribution des contraceptifs. Toutefois, nous pouvons dessiner deux limites. Premièrement, nous devons nous demander si le produit fait l'objet de complications. Plus les contraceptifs d'urgence seront accessibles, mieux ils pourront être utilisés. Si le parcours est compliqué et s'il faut demander une ordonnance, les contraceptifs d'urgence ne seront pas utiles.
En dehors de la contraception d'urgence, certains ont des préoccupations sur la contraception orale, c'est-à-dire la pilule, qui est la plus employée des méthodes de contraception. Dans les milieux professionnels, nous sommes frappés de voir une certaine résistance qu'ont les médecins généralistes ou spécialistes à prescrire cette contraception orale. Il y a un effort à faire au niveau du corps professionnel pour expliquer que la contraception est une nécessité de la vie courante.
Il faut reconna»tre que la contraception actuelle présente peu de risques pour la population générale. Il est nécessaire de repérer les patientes qui ont des problèmes et pour lesquelles il faudra faire des choix particuliers. La prescription devrait être simple. Je ne vais pas jusqu'à dire qu'elle pourrait se faire hors de la prescription médicale. Certains groupes professionnels se penchent sur la question. La demande de renouvellement est parfois automatique tous les six mois. Plus la contraception sera accessible et plus probablement les grossesses non désirées tendront à diminuer.
Mme Gisèle PRINTZ - Au début de votre intervention, vous disiez que les lieux où se pratique l'IVG sont peu connus. Pensez-vous que ceci est dú au fait que les centres ont peur des représailles des commandos anti-IVG ?
Docteur Bernard MARIA - Sur le plan historique, ce ne sont pas les commandos anti-IVG qui sont responsables. En fait, la publicité sur la contraception et sur l'avortement n'est toujours pas autorisée. Il est évident qu'il est impossible de mettre de grands panneaux à l'entrée de l'h™pital. Nous avons alors utilisé d'autres termes comme celui d'orthogénie. Toutefois, ce terme n'est pas toujours bien compris des jeunes femmes. Il est donc nécessaire de trouver d'autres moyens.
Je suis membre de la commission régionale des naissances d'Ile-de-France. Nous avons été sollicités à la fois par les autorités et les utilisatrices pour nous pencher sur l'organisation des IVG. La première des réponses qui s'impose est de trouver un numéro vert. Comment une femme dans la détresse peut-elle obtenir des renseignements simples ? Comment peut-elle obtenir des renseignements accessibles ? Si un numéro vert existe et qu'il est connu de la population, il sera possible d'obtenir des renseignements tels que la liste des centres. Ainsi, l'information sera accessible sans être complètement publique. Nous sommes en train d'envisager de créer un numéro vert sur l'Ile-de-France. Je suis étonné de voir que lorsque les femmes sont dans la détresse, elles n'ont pas le réflexe de s'adresser à l'h™pital public. Or, tous les jours, les urgences sont remplies de patients qui ne sont pas de vraies urgences hospitalières.
Concernant les militants anti-avortement, leur action me semble loin d'être anodine. Toutefois, je ne suis pas certain que ce soit cela qui motive les responsables et les autorités pour ne pas afficher clairement les endroits où l'on pratique les IVG. De plus, dans la mesure où la loi autorise l'interruption volontaire de grossesse, il s'agit d'une mission de service public. Probablement, nous tournons autour du pot. Nous n'osons pas utiliser le terme d'avortement. Nous parlons plus volontiers d'une interruption volontaire de grossesse ou d'orthogénie. L'appellation utilisée est empreinte d'un peu de flou ce qui contribue à ne pas rendre les choses totalement lisibles pour les patientes. Nous n'avons pas honte d'utiliser les termes de maternité ou de centre d'accouchement. Pour l'avortement ou l'interruption volontaire de grossesse, les choses sont à l'évidence plus difficiles.
M. Francis GIRAUD, rapporteur - Les renseignements que vous nous avez donnés sont particulièrement précis. Les opinions que vous avez exprimées sont également parfaitement claires. Ma question est la suivante. L'académie de médecine a donné un avis écrit sur nombre de sujets de sociétés. Y a-t-il toujours débat au niveau du collège national sur ces problèmes ou au contraire, avez-vous une idée parfaitement exprimée et consignée dans un texte écrit ? Il semble que certains praticiens faisant partie de votre société n'expriment pas exactement les mêmes opinions que les v™tres.
Docteur Bernard MARIA - Premièrement, lorsque les premières rumeurs sur les modifications législatives se sont fait jour, les professionnels qui pratiquent les IVG nous ont demandé si ces modifications allaient passer de façon simple, de façon critique ou de façon rigide au sein du conseil d'administration du collège qui rassemble toutes les tendances. Les plus anciens avaient souvenir des difficultés rencontrées au moment de la loi Veil. A notre étonnement, ou à notre satisfaction, cette question n'a pas été un sujet de crispation. Nous avons pris l'information comme étant une évolution technique et une volonté politique, peut-être discutable, comme je vous l'ai dit, mais qui ne méritait pas que nous levions des boucliers en affirmant qu'il s'agissait d'une loi scélérate, criminelle ou scandaleuse. Globalement, même si quelques collègues avaient quelques réticences, cette réticence était davantage d'ordre intellectuel ou confessionnel qu'une réticence d'ordre professionnel. La tendance actuelle est de dire que la loi sur l'IVG évolue. Des arguments politiques sont contestés. Néanmoins, c'est à nous qu'il incombe de définir de bonnes pratiques professionnelles.
Deuxièmement, plusieurs spécialistes, dont des membres du collège, ont été saisis par l'ANAES pour participer à un groupe de réflexion sur des recommandations relatives à la pratique de l'IVG. Ces recommandations sont sur le point d'être publiées au cours des prochaines semaines. Le collège a été saisi par l'ANAES avec d'autres associations professionnelles. C'est un ancien président du collège, le professeur Michel Tournaire, qui dirige le groupe de réflexion. Le collège est pleinement partie prenante dans l'écriture des recommandations pratiques et techniques de la pratique des IVG.
Nous avons commis deux textes relativement simples et courts. L'un était un communiqué de presse qui a été édité au moment où la proposition de loi a été faite par Mme Aubry. Nous avons voulu prendre date auprès des médias. L'allongement du terme de la grossesse n'est peut-être pas la meilleure réponse à nos difficultés. Deux autres points méritent d'être développés. Il s'agit de l'information sur la contraception et sur la sexualité.
Nous avons également publié un communiqué de presse commun avec l'Académie de médecine et l'ordre des médecins. Mon ma»tre, le professeur Sureau, nous a invités à une rédaction commune d'un communiqué afin de préciser nos intentions. Je pense donc que le collège s'est clairement prononcé sur la place publique.
M. Jean DELANEAU, président - Je vous remercie.