EXAMEN DES ARTICLES
Article premier
(art. L. 122-35, L. 122-45, L. 611-1 et L. 611-6 du code du
travail
et art. L. 225-1 et L. 225-2 du code pénal)
Mesures
discriminatoires et aménagement
du régime de la charge de la
preuve
I - Le texte adopté par l'Assemblée nationale en deuxième lecture
Cet article élargit la définition des discriminations dans l'emploi énoncée à l'article L. 122-45 du code du travail. Son principal apport réside dans un aménagement du régime de la charge de la preuve en cas de litige entre l'employeur et le salarié.
En première lecture, le Sénat avait, sur proposition de sa commission des Affaires sociales, modifié le régime de la charge de la preuve retenu par l'Assemblée nationale afin de « coller au plus près » au texte de la directive européenne du 29 juin 2000 5 ( * ) . Il a ainsi prévu que le plaignant devait établir des faits permettant de présumer l'existence d'une discrimination et non présenter des éléments de faits laissant supposer l'existence de cette discrimination comme le proposait l'Assemblée nationale.
Le Sénat avait également prévu que la partie défenderesse devait prouver que sa décision n'était pas contraire aux principes énoncés par l'article au lieu d'avoir à justifier sa décision par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Le Sénat avait aussi décidé, en première lecture, sur proposition de notre collègue M. Dominique Leclerc, d'introduire l'âge parmi les motifs de discrimination. Il avait enfin adopté un amendement présenté par le groupe communiste républicain et citoyen précisant que la discrimination pouvait reposer également sur « la non-appartenance, vraie ou supposée » à une ethnie, une nation ou une race.
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a rétabli son texte concernant le régime de la charge de la preuve. Elle n'a pas modifié les dispositions introduites par le Sénat concernant l'ajout d'un nouveau motif de discrimination fondé sur l'âge et la précision concernant les discriminations fondées sur la non-appartenance à une ethnie, une nation ou une race.
L'Assemblée nationale a, par ailleurs, adopté un amendement présenté par la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales qui vise à modifier l'article L. 611-9 du code du travail afin de permettre à l'inspection du travail de se faire communiquer tout document utile à la constatation de l'existence de discriminations.
II - La position de votre commission
Votre commission se félicite que l'inscription de l'âge parmi les motifs de discrimination que notre collègue Dominique Leclerc avait proposé au Sénat d'adopter n'ait pas été remise en cause par l'Assemblée nationale.
Elle regrette cependant que la convergence entre les deux assemblées n'ait pu aboutir concernant le régime de la charge de la preuve. Il existe bien une divergence fondamentale entre les deux textes comme le laissait entendre le rapporteur, M. Philippe Vuilque lors du débat en séance publique 6 ( * ) . Cette différence consiste dans le fait que l'Assemblée nationale persiste à s'éloigner du texte de la directive européenne afin de retenir un mécanisme qui encourage le développement des litiges.
Votre commission considère qu'un tel dispositif pourrait finalement s'avérer défavorable à la politique pourtant nécessaire de lutte contre les discriminations puisqu'il permet d'enclencher des poursuites alors même que seuls des « éléments de fait » laisseraient « supposer » l'existence d'une infraction. Le risque est grand dans ces conditions que certains individus indélicats soient tentés d'instrumentaliser ces dispositions protectrices pour obtenir raison de décisions qui leur ont été défavorables sans pour autant reposer sur une discrimination.
Dans ces conditions, votre commission vous proposera d'adopter un amendement rétablissant son texte de première lecture concernant le régime de la preuve.
Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi amendé.
Art.
2
(art. L. 122-45-1 et L. 122-45-2 nouveaux et L. 422-1-1 du code du
travail)
Action en justice des organisations syndicales et des associations
de lutte contre les discriminations
I - Le texte adopté par l'Assemblée nationale en deuxième lecture
En première lecture, le Sénat avait, sur proposition de sa commission des Affaires sociales, modifié cet article afin de prévoir que l'action en justice d'un syndicat en faveur d'un salarié victime d'une discrimination devait être conditionnée à l'accord écrit de l'intéressé et devait pouvoir être interrompue à tout moment par l'intéressé.
Il avait également supprimé, sur proposition de votre commission, le « droit d'alerte » reconnu aux associations en considérant que rien n'empêchait en l'état actuel du droit une association de saisir un syndicat d'une discrimination qu'elle aurait constatée. Votre commission avait en effet observé que « la véritable novation aurait consisté à reconnaître aux associations le droit de saisir directement la justice » et ayant rappelé que « cette possibilité était d'ailleurs reconnue par l'article 7 de la directive du 29 juin 2000 » 7 ( * ) .
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a rétabli son texte concernant le droit d'action en justice des syndicats en faveur de salariés victimes de discriminations et a supprimé une modification rédactionnelle introduite par le Sénat.
Elle a, par ailleurs, modifié son texte relatif au « droit d'alerte » des associations en le transformant en véritable droit d'action en justice lorsqu'elle bénéficie de l'accord du salarié, suivant en cela les remarques faites par votre commission.
II - La position de votre commission
Votre commission vous propose de rétablir son texte concernant l'encadrement du droit d'action des syndicats afin de réaffirmer la nécessité d'un accord écrit du salarié et la possibilité pour celui-ci de mettre un terme à tout moment à cette action. Elle vous proposera également de rétablir la modification rédactionnelle introduite en première lecture.
Elle se félicite par ailleurs des modifications apportées par l'Assemblée nationale à la disposition prévoyant le « droit d'alerte » des associations qui s'inspire directement des réflexions développées au Sénat sur ce sujet comme le remarque le rapporteur de l'Assemblée nationale 8 ( * ) . Elle estime néanmoins nécessaire de compléter cette rédaction par coordination avec ses propositions concernant le droit d'action des syndicats afin de prévoir que le salarié peut à tout moment mettre un terme à l'action de l'association.
Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.
Art. 2 bis (nouveau)
(art. L. 122-45-3 nouveau du code du
travail)
Différences de traitement fondées sur l'âge
I - Le texte adopté par l'Assemblée nationale en deuxième lecture
Cet article, introduit par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, a pour but de préciser les conditions d'application du principe de non-discrimination en matière d'âge introduit par le Sénat en première lecture.
Le nouvel article L. 122-45-3 prévoit ainsi que les discriminations fondées sur l'âge doivent être « objectivement et raisonnablement justifiées par un objectif légitime, notamment par des objectifs de politiques de l'emploi » .
Ces différences peuvent notamment consister en :
- l'interdiction de l'accès à l'emploi ou la mise en place de conditions de travail spéciales en vue d'assurer la protection des jeunes et des travailleurs âgés ;
- la fixation d'un âge maximum pour le recrutement, fondée sur la formation requise pour le poste concerné ou la nécessité d'une période d'emploi raisonnable avant la retraite.
II - La position de votre commission
Votre commission considère que cet article additionnel permet de préciser utilement le principe de non-discrimination fondé sur l'âge introduit en première lecture par le Sénat sur proposition de notre collègue Dominique Leclerc. Il s'agit là d'un exemple encore trop rare d'enrichissement du texte à l'occasion de la navette parlementaire que permet le non-recours à l'urgence.
Votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.
Art.
4
(art. L. 123-1 et L. 123-6 du code du travail)
Aménagement du
régime de la charge de la preuve
et égalité
professionnelle
I - Le texte adopté par l'Assemblée nationale en deuxième lecture
En première lecture, le Sénat avait modifié cet article par coordination avec les modifications adoptées à l'article premier afin de faire « coller au plus près » de la directive européenne du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe , le régime de la charge de la preuve prévu par l'article L. 123-1 en cas de discrimination fondée sur le sexe ou la situation de famille.
Il avait également, par coordination, prévu la nécessité d'un accord écrit pour permettre à un syndicat de mener une action en justice ainsi que le maintien de la possibilité reconnue au salarié de mettre à tout moment un terme à l'action du syndicat.
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale a intégralement rétabli son texte de première lecture.
II - La position de votre commission
Votre commission vous propose de rétablir le texte adopté par le Sénat en première lecture.
Elle vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.
Art.
10
(article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983
portant droits
et obligations des fonctionnaires)
Discriminations dans la fonction
publique
I - Le texte adopté par l'Assemblée nationale en deuxième lecture
En première lecture, le Sénat avait adopté un amendement présenté par le groupe socialiste et sous-amendé par votre commission qui prévoyait d'étendre aux fonctionnaires les dispositions relatives à la lutte contre les discriminations telles qu'elles résultent de la nouvelle rédaction de l'article L. 122-45 du code du travail.
En deuxième lecture, outre des précisions d'ordre rédactionnel, l'Assemblée nationale a précisé les modalités d'application du principe de non-discrimination fondée sur l'âge par coordination avec les dispositions adoptées à l'article 2 bis (paragraphe II).
Elle a également prévu qu'aucune disposition préjudiciable à l'évolution de la carrière d'un fonctionnaire ne pouvait être prise du fait qu'il a formulé un recours hiérarchique ou juridictionnel motivé par une discrimination ou qu'il a témoigné ou relaté des faits y afférents (paragraphe III). Ce dernier paragraphe prévoit également qu'est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé à de tels agissements.
II - La position de votre commission
Votre commission se félicite de l'enrichissement de cet article introduit par le Sénat, permis par la poursuite de la navette qui permet d'étendre aux fonctionnaires le bénéfice des nouvelles dispositions relatives à la lutte contre les discriminations. Elle remarque cependant que l'Assemblée nationale n'a pas été jusqu'à aménager le régime de la charge de la preuve, ce qui a pour conséquence de laisser subsister une différence de taille entre le droit applicable aux fonctionnaires et aux salariés.
Sous réserve de cette remarque, votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.
Intitulé de la proposition de loi
I - Le texte adopté par l'Assemblée nationale en deuxième lecture
En première lecture, le Sénat avait complété l'intitulé de cette proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations par les mots « dans l'emploi » après avoir observé que les discriminations concernaient également par exemple le logement et l'accès aux loisirs, autant d'aspects qui n'étaient pas directement concernés par le présent texte.
En deuxième lecture, et bien que le rapporteur ait reconnu que « cette proposition de loi concerne à 90 % l'emploi et l'embauche » 9 ( * ) , l'Assemblée a rétabli l'intitulé initial de la proposition de loi.
II - La position de votre commission
Votre commission vous propose de rétablir et de compléter encore l'intitulé de cette proposition en ajoutant les mots « à l'embauche et dans l'emploi » à l'intitulé de cette proposition de loi afin de bien préciser que celle-ci ne saurait prétendre à résumer à elle seule la politique de lutte contre les discriminations.
On peut rappeler, à cet égard, que le projet de loi de modernisation sociale comprend par exemple des dispositions relatives à la lutte contre les discriminations dans l'accès au logement.
* 5 On peut rappeler que l'article 8 de la directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique prévoit que : « dès lors qu'une personne s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l'égalité de traitement et établit , devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement ».
* 6 JO débats AN - 3 ème séance du 3 avril 2001, p. 1726.
* 7 Rapport n° 155 du Sénat (2000-2001) fait au nom de la commission des Affaires sociales sur la proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations, M. Louis Souvet, rapporteur, p 28.
* 8 Rapport n° 2965 de l'Assemblée nationale fait au nom de la commission des Affaires culturelles, familiales et sociales sur la proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations dans l'emploi, M. Philippe Vuilque, rapporteur, p. 11.
* 9 JO Débats AN - 3 ème séance du 3 avril 2001, p. 1738.