TRAVAUX DE LA COMMISSION
Réunie le mercredi 20 juin 2001, sous la présidence de M. Jean Delaneau, président, la commission a procédé à l'examen , en deuxième lecture, du rapport de M. Louis Souvet sur la proposition de loi n° 256 (2000-2001), adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relative à la lutte contre les discriminations.
M. Louis Souvet, rapporteur, a rappelé que la proposition de loi relative à la lutte contre les discriminations, déposée le 13 septembre 2000, était issue du projet de loi de modernisation sociale déposé le 24 mai 2000, dont les articles correspondants avaient été disjoints par lettre en date du 12 décembre 2000 de Mme Elisabeth Guigou, ministre de l'emploi et de la solidarité. Il a précisé qu'elle avait été adoptée en première lecture le 12 octobre 2000 par l'Assemblée nationale et le 9 janvier 2001 par le Sénat, cette première lecture ayant été l'occasion de constater une concordance de vues entre les deux assemblées quant à la nécessité de modifier notre droit pour mieux lutter contre les discriminations.
Il a souligné qu'il avait affirmé, lors de la première lecture, la nécessité de lutter contre les discriminations, dans le souci d'assurer le plein respect de notre pacte républicain et en raison de l'urgence qu'il y avait à envoyer un signal à de nombreux jeunes qui pouvaient ressentir, à juste titre, un sentiment d'exclusion devant des pratiques quelquefois indignes d'une grande démocratie.
Il a considéré que cette nécessité était devenue d'autant plus pressante qu'il incombait à notre pays de transcrire dans le droit national les dispositions prévues par deux directives européennes, dont la plus ancienne comportait une date limite fixée au 1 er janvier 2001.
M. Louis Souvet, rapporteur, a toutefois estimé que cet accord de principe n'avait pu se traduire par une convergence sur la manière de lutter contre les discriminations.
Il a constaté que le Sénat avait, certes, adopté conformes trois articles à l'issue de la première lecture.
Il s'agit de :
- l'article 3, qui intègre l'objectif de lutte contre les discriminations dans la négociation collective, tant au niveau de la branche que dans les travaux de la commission nationale de la négociation collective ;
- l'article 5, qui étend l'aménagement de la charge de la preuve aux litiges relatifs à l'égalité de rémunération entre les femmes et les hommes ;
- l'article 7 relatif à la protection des salariés des établissements sociaux et médico-sociaux ainsi que des salariés employés à domicile en vue d'aider des personnes âgées ou handicapées lorsque lesdits salariés témoignent de faits de maltraitance.
Il a expliqué que le Sénat avait par ailleurs modifié les articles 6 (recevabilité des listes de candidats à l'élection de conseillers prud'hommes et au contentieux de cette élection) et 8 (accueil téléphonique gratuit) et introduit deux nouveaux articles, l'article 9 qui étend les missions du fonds d'action sociale à la lutte contre les discriminations à l'encontre des populations immigrées ou issues de l'immigration et l'article 10 qui améliore la protection des fonctionnaires contre les discriminations.
Il a cependant souligné qu'un désaccord important était apparu entre les deux assemblées concernant la disposition la plus importante de ce texte, c'est-à-dire l'aménagement de la charge de la preuve. Il a expliqué que ce désaccord portait sur l'opportunité d'outrepasser la lettre, voire l'esprit, des directives européennes pour tendre vers un renversement de la charge de la preuve au détriment de l'employeur.
Il a rappelé que l'article 8 de la directive du 29 juin 2000 prévoyait que « dès lors qu'une personne s'estime lésée par le non-respect à son égard du principe de l'égalité de traitement et établit, devant une juridiction ou une autre instance compétente, des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte, il incombe à la partie défenderesse de prouver qu'il n'y a pas eu violation du principe de l'égalité de traitement ».
Il a considéré que ce nouveau régime ne constituait pas une inversion de la charge de la preuve. Il a remarqué que, si dans notre droit, il incombait au plaignant d'établir la preuve de ses dires, la nouvelle procédure cherchait quant à elle à établir un certain équilibre afin d'obliger les parties à présenter chacune leurs arguments pour permettre à une tierce partie de se faire son opinion et de trancher.
Il a néanmoins considéré qu'il s'agissait là cependant d'un changement déjà considérable et qui n'était pas sans risque.
Il a observé que ce changement trouvait toutefois sa justification dans les difficultés que connaissaient les plaignants à prouver leurs dires, comme en témoignaient le faible nombre des recours devant les tribunaux et le nombre encore plus faible des décisions de justice favorables aux plaignants.
Evoquant les risques, il a estimé que l'aménagement de la charge de la preuve, en obligeant l'employeur à se justifier sur sa décision ouvrait la porte à des recours qui pourraient ne pas être tous mus par le désir de réparer une injustice mais, au contraire, par la volonté d'obtenir raison d'une décision défavorable rendue sur des critères légitimes tenant par exemple à une différence de formation, d'aptitude, d'expérience voire même une différence plus subjective tenant au profil, au tempérament ou à la sympathie.
Il a considéré en cela que l'aménagement du régime de la preuve augmentait le contrôle sur les décisions de l'entrepreneur et faisait même peser sur lui comme une présomption de culpabilité.
Il a noté que pour limiter ces risques de dérive, le législateur européen avait fort heureusement prévu que le plaignant devrait « établir (...) des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination ».
Il a rappelé à nouveau qu'un fait, comme un indice, était plus aisé à établir ou à rassembler qu'une preuve mais que, néanmoins, il se distinguait du soupçon, de l'impression, voire de la rumeur. Il a estimé par conséquent que le législateur européen avait trouvé un bon équilibre et qu'il convient de ne pas s'en écarter.
Il a observé que l'Assemblée nationale et le Gouvernement avaient souhaité s'inspirer plus de l'évolution de la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation que du texte des directives européennes et qu'il en résultait des dispositions qui étaient soit floues, soit excessives, mais qui avaient en commun de placer le juge en position d'arbitre.
Il a relevé que, dans cette rédaction, en cas de litige, le plaignant se devrait simplement de présenter « des éléments de fait laissant supposer l'existence » d'une discrimination directe ou indirecte et que, par ailleurs, la partie défenderesse aurait alors à prouver que sa décision « est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ».
M. Louis Souvet, rapporteur, a remarqué qu'en première lecture, le Sénat avait suivi les propositions de sa commission qui considérait que cette rédaction n'était pas assez rigoureuse juridiquement et avait pour conséquence de laisser le juge seul décideur de l'existence d'une discrimination, puisque la nécessité de présenter des faits était pour le moins assouplie.
Il a souligné que le Sénat avait, dans ces conditions, décidé de modifier le régime de la charge de la preuve afin de « coller au plus près » du texte des directives en prévoyant que le plaignant aurait à établir « des faits qui permettent de présumer l'existence » d'une discrimination directe ou indirecte, la partie défenderesse devant prouver que sa décision « n'est pas contraire aux dispositions » légales énoncées.
Il a constaté qu'un autre désaccord concernait le rôle reconnu aux syndicats et aux associations pour agir en justice.
Il a expliqué qu'en deuxième lecture, l'Assemblée nationale avait rétabli son texte concernant l'aménagement du régime de la charge de la preuve, le rapporteur ayant considéré comme « fondamentale » la différence entre les deux textes.
Il a observé que l'Assemblée nationale avait maintenu, en revanche, plusieurs dispositions adoptées par le Sénat, comme :
- l'ajout de l'âge dans la liste des motifs de discrimination, dont elle a par ailleurs précisé la mise en oeuvre (article 2 bis nouveau) ;
- l'affichage obligatoire des coordonnés du service d'accueil téléphonique gratuit dans les établissements privés et publics (article 8) ;
- l'extension de la compétence du fonds d'action sociale pour les travailleurs immigrés et leurs familles (article 9) ;
- et l'extension à la fonction publique du principe de lutte contre les discriminations (article 10), dont elle a précisé les modalités concernant les discriminations fondées sur l'âge.
Il a noté que, si elle avait rétabli son texte concernant le droit d'action des syndicats sans l'accord exprès de la victime (article 2), l'Assemblée nationale avait cependant tenu compte des remarques du Sénat concernant le « droit d'alerte » des associations, celles-ci se voyant maintenant reconnaître le droit d'agir directement comme les directives européennes en ouvrent la possibilité.
Il a précisé que l'Assemblée nationale avait enfin rétabli le texte initial de l'intitulé de la proposition de loi en supprimant les mots « dans l'emploi » ajoutés par le Sénat qui permettaient pourtant de clarifier son objet comme sa portée.
En deuxième lecture, pour les articles restant en navette, M. Louis Souvet, rapporteur, a proposé de rétablir l'ensemble des dispositions adoptées par la commission en première lecture concernant en particulier l'aménagement du régime de la charge de la preuve et la nécessité d'un accord exprès du salarié pour permettre l'action d'un syndicat en justice concernant une discrimination dont il aurait été victime. Il a invité la commission, par coordination, à étendre cette disposition aux associations de lutte contre les discriminations.
Il a proposé également de modifier à nouveau l'intitulé de la proposition de loi afin d'y ajouter les mots « à l'embauche et dans l'emploi » afin de préciser que cette proposition de loi ne couvrait pas l'ensemble du champ de la lutte contre les discriminations qui concernait aussi le logement et les loisirs par exemple.
Il a rappelé que le projet de loi de modernisation sociale comportait en effet parallèlement un important dispositif relatif à la lutte contre les discriminations dans l'accès au logement et qu'il était, à cet égard, regrettable que le Gouvernement ait choisi d'aborder une même problématique dans deux textes discutés parallèlement et simultanément et de prendre le risque d'une incohérence entre eux.
M. Louis Souvet, rapporteur, a considéré que le texte qu'il proposait d'adopter ainsi modifié devrait permettre des progrès sensibles dans la lutte contre les discriminations sans pour autant compromettre la nécessaire marge de manoeuvre des entreprises dans la gestion de leur personnel.
En réponse à une question de M. Alain Vasselle , il a précisé que le texte adopté à l'Assemblée nationale était compatible avec les directives européennes, même s'il allait au-delà des modifications de notre droit qu'elles imposaient.
Présentant ses amendements, M. Louis Souvet, rapporteur, a déclaré qu'ils avaient pour objet de rétablir le texte adopté par le Sénat aux articles premier, 2 et 4 du projet de loi. Il a observé qu'il proposait à l'article 2, par coordination avec ce qui avait été fait concernant les syndicats, de prévoir qu'une association de lutte contre les discriminations devait nécessairement requérir l'accord écrit du salarié pour lequel elle souhaitait agir et que celui-ci devait pouvoir mettre un terme à tout moment à son action. Il a proposé de modifier à nouveau l'intitulé de la proposition de loi en ajoutant les termes « à l'embauche et dans l'emploi » afin de préciser le contenu et la portée de ce texte.
La commission a alors adopté successivement les dix amendements présentés par le rapporteur et la proposition de loi ainsi amendée .