IV. LE PROJET DE LOI DE FINANCES POUR 2002 PREND ACTE DE L'ABSENCE DE MAÎTRISE DES DÉPENSES DE L'ÉTAT
Dans le
rapport économique, social et financier annexé au présent
projet de loi de finances, le gouvernement présente son objectif en
matière de dépenses de la façon suivante :
«
le financement des priorités du gouvernement reste
assuré dans le cadre d'une maîtrise globale des dépenses de
l'Etat
». Il précise : «
le cadrage des
dépenses pour 2002 s'inscrit dans le cadre d'une maîtrise
raisonnable des dépenses de l'Etat
».
Ces formulations, pour votre commission, mettent en évidence le
caractère paradoxal
du volet dépenses
du
présent projet de loi de finances :
- le gouvernement entend, légitimement, financer ses
priorités ;
- ce financement sera réalisé dans le respect de la
maîtrise des dépenses mais d'une maîtrise
« globale » et « raisonnable »,
c'est-à-dire que
l'évolution des dépenses de l'Etat ne
constitue plus une véritable priorité pour le gouvernement
,
puisqu'il pourrait se satisfaire de quelques accommodements avec le
caractère maîtrisé des dépenses, si des motifs
« raisonnables » l'exigent ;
- or, les priorités gouvernementales sont excessivement coûteuses
et donc peu accessibles à la maîtrise.
En réalité, le volet dépenses du présent projet
de loi de finances s'inscrit dans la continuité d'une forte propension
à dépenser, tout en étant motivé par des
considérations pré-électorales.
A. UNE NORME DE PROGRESSION DES DÉPENSES POUR 2002 PEU CRÉDIBLE
Alors que le gouvernement entend « faire une pause » dans la réduction des déficits, s'affranchissant ainsi des dispositions du Pacte de stabilité et de croissance 12( * ) , et qu'il met l'accent sur le respect de la norme de progression des dépenses, il a délibérément choisi de présenter cette dernière à la hausse.
1. Un objectif d'évolution des dépenses de l'État plus lâche en 2002
a) Une exécution budgétaire 2001 défavorable
En 2001,
la progression des dépenses de l'Etat devait s'établir à
0,3 % en volume, soit + 1,5 % en valeur.
Or,
l'évolution des dépenses de l'Etat en 2001 participe
à la dégradation du solde budgétaire en 2001
, comme en
témoigne l'analyse des situations mensuelles :
Situation mensuelle budgétaire :
les
dépenses à la fin du mois de janvier à septembre, en 1999,
2000 et 2001
(en milliards d'euros cumulés)
Source : ministère de l'économie
Ces résultats évoluent donc dans un sens clairement défavorable : au 30 septembre, les dépenses du budget général atteignent 191,5 milliards d'euros (1.256,2 milliards de francs), au lieu de 185,1 milliards d'euros (1.214,2 milliards de francs) à la même date, l'année précédente, soit une hausse de + 3,5 %, à rapprocher de l'objectif d'une progression de 1,5 % en valeur sur l'année.
b) La norme retenue pour 2002 prend donc acte de cette incapacité à respecter un objectif d'évolution des dépenses « modéré »
L'absence de maîtrise des dépenses qui peut
être
constatée en 2001 a conduit le Premier ministre, dans sa lettre de
cadrage datée du 13 avril dernier, à fixer une
norme de
progression des dépenses de l'Etat de
0,5 % en volume
(2 % en valeur, compte tenu d'une prévision d'inflation de 1,5 %),
soit environ 5,2 milliards d'euros (34,1 milliards de francs)
supplémentaires à structure constante, ce qui correspond à
la moitié, sur une seule année, de l'objectif triennal
d'augmentation des dépenses de l'Etat en volume (+ 1 % dans la
programmation 2002-2004).
Le montant brut des dépenses du budget général
s'élève à 331,4 milliards d'euros (2.173,8 milliards
de francs), dont il convient de retrancher les remboursements et
dégrèvements d'impôts ainsi que les recettes en
atténuation des charges de la dette pour en obtenir le montant net :
Passage des dépenses brutes aux dépenses
nettes
dans le projet de loi de finances pour 2002
(en
milliards d'euros)
Montant brut des dépenses du budget
général
|
331,4
|
Dépenses nettes du budget général |
266,0 |
Source : ministère de l'économie
Ce montant de 266,0 milliards d'euros tient compte de changements de
périmètre, toutefois limités dans le projet de loi de
finances pour 2002, puisqu'ils portent sur un montant de - 99,3 millions
d'euros (651,4 millions de francs), contre + 2,4 milliards d'euros
(15,5 milliards de francs) dans le projet de loi de finances pour 2001.
Le tableau suivant présente les modifications prévues en
2002 :
Passage des dépenses brutes aux dépenses
nettes
dans le projet de loi de finances pour 2002
(en
millions d'euros)
Dépenses |
||||||
Budget |
Objet |
Fonds
de
|
Suppression
|
Suppression
|
Relations
|
Relations
|
Justice |
Frais
d'état civil et d'abonnement
|
|
|
|
-1,3 |
|
Emploi |
Exonérations spécifiques contrat
|
|
|
|
|
- 68,6 |
Economie |
Frais des
conservateurs
|
+ 4,3 |
|
|
|
|
Agriculture |
Haras nationaux |
|
+ 31,9 |
|
|
|
Santé et
|
Stages
hospitaliers des médecins
|
|
|
|
|
- 35,4 |
Ecoles
publiques de formation
|
|
|
|
|
- 25,6 |
|
Divers budgets |
Transfert
de compétences
|
|
|
|
-4,6 |
|
+ 4,3 |
+ 31,9 |
|
- 5,9 |
- 129,6 |
||
Totaux |
-99,3 millions d'euros |
Ces
modifications résultent de plusieurs opérations de nature
différente :
- la rebudgétisation de la subvention aux Haras nationaux,
consécutive à la suppression du compte d'affectation
spéciale n° 902-19 « Fonds national des haras et des
activités hippiques », accroît les dépenses du
budget de l'Etat de 31,9 millions d'euros (209,3 millions de
francs) ;
- de même, la rebudgétisation, sur le budget du ministère
de l'économie, des finances et de l'industrie, des frais des
conservateurs des hypothèques entraîne l'accroissement du budget
général de 4,3 millions d'euros (28,2 millions de francs) ;
- en sens inverse, divers mouvements viennent réduire le montant des
dépenses de l'Etat de 135,5 millions d'euros (888,8 millions de
francs) : 68,6 millions d'euros au titre de la suppression des
exonérations spécifiques des contrats initiative-emploi (CIE) et
des contrats de qualification-adultes, avec transferts de charges au fonds de
financement de la réforme des cotisations patronales de
sécurité sociale (FOREC) ; le transfert du financement des
indemnités de stages extrahospitaliers des médecins
résidents, pour 35,4 millions d'euros et celui des écoles
publiques de formation paramédicale, pour 25,6 millions
d'euros ; 4,6 millions d'euros suite au transfert de
compétences à la Corse ; 1,3 million d'euros, au titre
du transfert des frais d'état civil et d'abonnement au Journal officiel.
Ainsi, les dépenses du budget général passeront de
260,9 milliards d'euros (1.711,4 milliards de francs) en 2001
à
266 milliards d'euros
(1.744,9 milliards de francs)
en 2002
, et, à structure constante 1998, de 254,4 milliards
d'euros (1.668,8 milliards de francs) à 259,6 milliards
d'euros (1.702,9 milliards de francs).
Compte tenu de l'excédent de 2 milliards d'euros (13,1 milliards de
francs) dégagé par les comptes spéciaux du Trésor,
les charges budgétaires nettes totales s'élèveront
à 264 milliards d'euros
(1.731,7 milliards de francs)
en 2002
.
Le tableau ci-dessous retrace l'évolution, à structure constante,
des dépenses entre 2000 et 2002 :
2. De fortes interrogations quant au respect de cette norme de progression des dépenses
Il
convient de s'interroger sur la crédibilité de cette norme de
progression des dépenses.
Elle avait, en effet, été initialement prévue à
0,3 % : l'arbitrage du Premier ministre semble tirer les
conséquences de l'extrême difficulté du gouvernement
à maîtriser l'évolution des dépenses, tant dans le
passé que dans l'exercice en cours.
Du reste, le gouvernement n'a jamais respecté, par le passé, la
norme de progression des dépenses qu'il s'était fixée,
comme le montre le graphique ci-dessous :
Si le gouvernement paraît avoir atteint son objectif en matière de dépenses en 2000, il convient d'apprécier cet affichage à l'aune des observations qu'a faites la Cour des comptes dans son rapport relatif à l'exécution des lois de finances pour 2000.
Les réserves de la Cour des comptes sur la présentation par le gouvernement de la norme de progression des dépenses de l'Etat en 2000
Dans son
rapport préliminaire relatif à l'exécution des lois de
finances pour 2000, la Cour indique que «
la hausse moyenne des
prix ayant été de 1,6 %, la progression des dépenses
brutes du budget général, soit 1,6 % en valeur, correspond
à une stabilité en volume
», et que
«
dans la présentation faite par le MINEFI
13(
*
)
, le calcul d'un montant de
dépenses nettes conduit au même résultat
».
Ainsi, pour la première fois depuis 1998, le gouvernement aurait
respecté la norme de progression des dépenses de l'Etat qu'il
avait annoncée en loi de finances initiale.
Toutefois, la Cour des comptes, par ses trois observations, apporte de
sérieux tempéraments à cette présentation faite par
le ministère de l'économie, des finances et de
l'industrie :
- elle s'interroge sur les recettes relatives à la dette, puisqu'il est
procédé à une contraction entre des recettes et des
dépenses, qui, le plus souvent, n'ont pas lieu au cours des mêmes
exercices ;
- surtout, elle «
note que c'est grâce à l'inflation
que le résultat de 0 % en volume a pu être
affiché
», le taux d'inflation constaté en
exécution, soit 1,6 %, étant « moins bon »
que celui annoncé en loi de finances initiale, soit 0,9 % ;
- enfin, elle pose la question de la sincérité de la
présentation retenue par le ministère : «
les
résultats peuvent être présentés de
différentes manières, relativement techniques, avec des
« ajustements » divers et variés, qui peuvent
alimenter, au plan interne, le débat récurrent sur
l'opacité des comptes de l'Etat, consolidés ou
non
», la Cour déplorant «
l'absence
dommageable d'un « référentiel » de normes
comptables applicables à l'Etat, qu'il paraît impératif
d'élaborer sans délai
».
Plus généralement, elle note que «
la lenteur de
l'amélioration
[de la situation budgétaire]
s'explique
aussi par des dépenses de l'Etat qui résistent à la
baisse
», et souligne «
la difficulté
à diminuer structurellement les dépenses de
l'Etat
».
Le respect de l'engagement fixé pour 2002 obligerait le gouvernement
à ne pas dépenser davantage en 2003 et 2004 qu'en 2002 !
Le gouvernement manque donc, une fois de plus, de sincérité
lorsqu'il écrit, dans le dossier de presse de présentation du
projet de loi de finances pour 2002, que «
la dépense
globale de l'Etat est maîtrisée, avec une norme d'évolution
de 0,5 % en volume pour l'année 2002 comparable aux années
précédentes
».
En effet, les normes d'évolution des années
précédentes étaient les suivantes :
- 1998 : stabilisation en volume ;
- 1999 : progression de 1 % en volume ;
- 2000 : stabilisation en volume ;
- 2001 : progression de 0,3 % en volume.
Si l'on retient l'hypothèse que le gouvernement alternait jusqu'à
présent stabilisation et légère progression des
dépenses,
l'année 2002 constitue une rupture puisque les
dépenses augmenteront également, et que leur progression à
venir est même déjà programmée !