N° 87
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002
Annexe au procès verbal de la séance du 22 novembre 2001
RAPPORT GÉNÉRAL
FAIT
au nom de la commission des Finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la Nation (1) sur le projet de loi de finances pour 2002 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,
Par M.
Philippe MARINI,
Sénateur,
Rapporteur général.
TOME III
LES MOYENS DES SERVICES ET LES DISPOSITIONS SPÉCIALES
(Deuxième partie de la loi de finances)
ANNEXE N° 17
EMPLOI ET SOLIDARITÉ :
I.- EMPLOI
Rapporteur spécial
: M. Joseph OSTERMANN
(1) Cette commission est composée de : MM. Alain Lambert, président ; Jacques Oudin, Gérard Miquel, Claude Belot, Roland du Luart, Mme Marie-Claude Beaudeau, M. Aymeri de Montesquiou, vice-présidents ; MM. Yann Gaillard, Marc Massion, Michel Sergent, François Trucy, secrétaires ; Philippe Marini, rapporteur général ; Philippe Adnot, Bernard Angels, Bertrand Auban, Denis Badré, Jacques Baudot, Roger Besse, Maurice Blin, Joël Bourdin, Gérard Braun, Auguste Cazalet, Michel Charasse, Jacques Chaumont, Jean Clouet, Yvon Collin, Jean-Pierre Demerliat, Eric Doligé, Thierry Foucaud, Yves Fréville, Adrien Gouteyron, Hubert Haenel, Claude Haut, Alain Joyandet, Jean-Philippe Lachenaud, Claude Lise, Paul Loridant, François Marc, Michel Mercier, Michel Moreigne, Joseph Ostermann, Jacques Pelletier, René Trégouët.
Voir
les numéros
:
Assemblée nationale
(
11
ème
législ.) :
3262
,
3320
à
3325
et T.A.
721
Sénat
:
86
(2001-2002)
Lois de finances. |
principales observations
Votre rapporteur spécial est amené à formuler
trois
principales observations
sur le budget de l'emploi pour 2002.
A. UN PROJET DE BUDGET 2002 PARADOXAL ADRESSANT UN MESSAGE
BROUILLÉ
Depuis 1998, le budget de l'emploi n'a porté aucune réforme
structurelle susceptible d'avoir un impact sur son montant.
L'année dernière, votre rapporteur spécial notait que
«
les économies dégagées sur le budget de
l'emploi sont de simples économies de constatation, liées
à la bonne tenue de la conjoncture, et, par conséquent, à
l'amélioration de la situation du marché du travail. En cas de
retournement conjoncturel, et de hausse du chômage, les dépenses
du budget de l'emploi augmenteraient de nouveau
».
Or, le projet de budget de l'emploi pour 2002 se présente en
légère diminution, alors que la situation sur le marché du
travail ne s'améliore plus, connaissant au contraire depuis quelques
mois une dégradation inquiétante. Comment expliquer cette
évolution contradictoire ?
C'est que les crédits prévus pour l'emploi en 2002 sont
fondés, comme l'ensemble du présent projet de loi, sur une
prévision de croissance aléatoire, avec les conséquences
que ce manque de prudence implique, en l'occurrence sur le niveau de l'emploi.
Les dotations allouées à l'emploi sont ainsi mal
calibrées, dans la seule perspective de dégager des
« économies »
, ce poste budgétaire
étant, régulièrement depuis 1998, une source
d'économies de constatation pour le gouvernement.
Or, la situation de l'emploi étant désormais nettement plus
défavorable qu'au cours des années précédentes,
la diminution du montant de certaines dotations paraît peu
crédible.
Il convient en effet de noter que, depuis le début de la
législature, le gouvernement a programmé une diminution
régulière des entrées dans les principaux dispositifs de
l'emploi, comme le montre le tableau ci-après :
Ainsi,
le nombre total d'entrées dans les dispositifs de la politique de
l'emploi aura diminué de plus de 45 % depuis 1997. L'ensemble de ces
dispositifs est concerné, à l'exception des contrats
emploi-consolidé, le nombre des contrats initiative-emploi reculant
même de plus de la moitié. Il n'est donc pas étonnant, dans
ces conditions, que le budget de l'emploi permette la réalisation
d'économies.
Alors que de nombreuses incertitudes demeurent sur l'évolution de
l'emploi au cours des prochains mois, le gouvernement a encore réduit le
nombre de bénéficiaires de ces dispositifs en 2002, de 7 %.
Votre rapporteur spécial souhaite mettre en évidence le
message brouillé
que le gouvernement adresse aux salariés et
aux entreprises, comme à l'ensemble des agents économiques, par
ce projet de budget de l'emploi :
- le gouvernement fait un
pari risqué sur la poursuite de
l'amélioration de la situation de l'emploi
, en inscrivant des
crédits alloués aux principaux dispositifs de la politique de
l'emploi en baisse ;
- puis il a lui-même ôté toute crédibilité
à ce message, en présentant quelques jours après la
présentation en conseil des ministres du projet de loi de finances pour
2002, un
plan qui renoue avec le traitement social du
chômage
: la ministre de l'emploi et de la solidarité a
en effet annoncé au début du mois d'octobre la création de
30.000 CES et 20.000 SIFE supplémentaires pour 2001, pour un coût
de 180 millions d'euros, qui devrait être financé dans le prochain
collectif.
Si une « rallonge » budgétaire est nécessaire
pour 2001, en raison de la détérioration, récente mais
rapide, de l'emploi,
il paraît dès lors probable que les
dotations pour 2002 ne seront pas suffisantes
.
B. LE BUDGET DE L'EMPLOI A PROGRESSIVEMENT PERDU SA COHÉRENCE AU
COURS DE LA LÉGISLATURE
Alors que la forte croissance des crédits alloués à la
politique de l'emploi résulte essentiellement de la politique,
engagée en 1993, de réduction des charges sociales, et donc de
leur compensation par le budget de l'Etat auprès des organismes de
sécurité sociale,
le budget de l'emploi a subi de multiples
modifications de son périmètre qui en ont fortement restreint la
cohérence et qui nécessitent de procéder à un
calcul consolidé, afin d'obtenir une vue d'ensemble et à peu
près sincère du coût de la politique de l'emploi
.
1. La disparition de la compensation des exonérations de charges
sociales du budget de l'emploi
La politique d'allègement des charges sociales pesant en particulier sur
les emplois peu qualifiés a connu une montée en charge
progressive, notamment à partir de la mise en place, en 1993, de la
ristourne dégressive sur les bas salaires, dite « ristourne
Juppé ».
La compensation par le budget de l'Etat de ces exonérations de
cotisations sociales est, en très grande partie, à l'origine de
la croissance du budget de l'emploi, passé de 12,87 milliards d'euros
(84,42 milliards de francs) en 1993 à 22,93 milliards d'euros (150,41
milliards de francs) en 1997, soit une progression de 78,2 % en quatre ans.
Au cours de la même période, en effet, le montant des
exonérations de cotisations sociales compensées est passé
de 1,84 milliard d'euros (12,07 milliards de francs) à 10,17
milliards d'euros (66,71 milliards de francs), en hausse de 452,7 % !
Logiquement, une part croissante des crédits inscrits au budget de
l'emploi était consacrée au financement de ces compensations
d'exonérations de charges sociales, de 14,3 % en 1993 à 44,4 % en
1997.
Toutefois, la politique de réduction uniforme et autoritaire du temps de
travail décidée par le gouvernement à partir de 1997 a
conduit ce dernier à procéder à de multiples modifications
du périmètre du budget de l'emploi.
Certes, la première, intervenue en loi de finances initiale pour 1999,
allait dans le bon sens, puisqu'elle consistait en un transfert des
crédits finançant la « ristourne
Juppé », soit environ 6,10 milliards d'euros
(40 milliards de francs), du budget des charges communes vers le budget de
l'emploi.
Mais, dès l'année suivante, la création du fonds de
financement de la réforme des cotisations patronales de
sécurité sociale (FOREC), destiné à financer les
allégements de charges liés aux 35 heures, s'est traduite par une
débudgétisation massive, le budget de l'emploi se voyant priver,
au profit du FOREC, des crédits destinés à compenser les
exonérations de cotisations sociales. Cette orientation a
été systématisée en 2001.
Dès lors, non seulement le montant du budget de l'emploi a
diminué, mais surtout, il a de moins de moins reflété le
principal axe de la politique de l'emploi, c'est-à-dire la
réduction du coût du travail désormais liée à
la réduction du temps de travail.
Alors que la compensation des exonérations de charges
représentait 38,5 % des crédits du budget de l'emploi en 1999,
elle n'en représentera plus que 14,8 % en 2002.
2. Le
coût total de la politique de l'emploi
Dès lors, le budget de l'emploi a indéniablement perdu en
cohérence, au point d'être devenu peu lisible : il est devenu
muet sur le coût des 35 heures, présentées comme la
principale mesure gouvernementale en faveur de l'emploi.
Le tableau ci-après illustre les conséquences pratiques de cette
débudgétisation massive :
le coût de la
réduction du temps de travail comme celui des allégements du
coût du travail n'ont plus aucune signification à la lecture du
budget de l'emploi :
Cet
indicateur de coût montre bien que le budget de l'emploi ne finance plus
les dispositifs de réduction du temps de travail qu'à hauteur de
39,33 millions d'euros (258 millions de francs) en 2002, soit le montant des
aides au conseil, alors que le coût des 35 heures devrait
s'établir en 2002 à 15,55 milliards d'euros (102 milliards de
francs), c'est-à-dire 0,25 % du total...
Votre rapporteur spécial considère, dans ces conditions, que
le budget de l'emploi n'est pas sincère, et estime que le coût de
la politique de l'emploi, en 2002, doit prendre en compte les crédits du
budget de l'emploi mais aussi ceux du FOREC, soit 32,33 milliards d'euros
(212,07 milliards de francs), après 31,60 milliards d'euros
(207,26 milliards de francs) en 2001, soit une
progression de 2,3 %
.
3. Comme prévu, les 2,29 milliards d'euros de l'UNEDIC ne seront pas
affectés à l'emploi
Conformément à la loi portant diverses dispositions d'ordre
social, éducatif et culturel,
l'UNEDIC doit procéder, à
la suite de la nouvelle convention d'assurance-chômage, au versement
à l'Etat de 2,29 milliards d'euros
(15 milliards de francs), soit
1,07 milliard d'euros (7 milliards de francs) rattachés à
l'exercice 2001, et 1,22 milliard d'euros (8 milliards de francs)
rattachés à l'exercice 2002.
Ces recettes non fiscales viendront abonder le budget général,
et, dès lors, ne seront pas affectées, comme l'avait
démontré le Sénat, à des mesures en faveur de
l'emploi
, conformément aux souhaits exprimés par les
partenaires sociaux à l'occasion de la conclusion de la nouvelle
convention d'assurance-chômage, mais aussi aux précisions du
gouvernement qui, dans l'exposé des motifs du projet de loi
susmentionné, donnait de claires indications dans ce sens.
Une fois encore, le gouvernement a volontairement cherché à
tromper la représentation nationale.
C. LES EMPLOIS-JEUNES : UN DOSSIER LAISSÉ AU PROCHAIN
GOUVERNEMENT
1. Des crédits importants mais traditionnellement mal calibrés,
finançant un nombre d'emplois-jeunes incertain
Pour la première fois depuis le lancement du dispositif, les dotations
allouées aux emplois-jeunes diminuent, de 3,6 %, s'établissant
à 3,23 milliards d'euros (21,19 milliards de francs).
Il convient toutefois de noter que ce chapitre budgétaire fait
traditionnellement l'objet d'une
importante surdotation, puis d'une
régulation non moins importante en cours d'exercice
. Ainsi, la Cour
des comptes, dans son rapport sur l'exécution des lois de finances pour
2000, note que «
les dépenses nettes ont été
inférieures de plus de 610 millions d'euros (4 milliards de francs)
aux crédits ouverts en LFI 2000
».
De surcroît, selon des informations communiquées à votre
rapporteur spécial par le ministère de l'emploi et de la
solidarité, la gestion 2000 s'est soldée par 53,40 millions
d'euros (environ 350 millions de francs) de crédits non utilisés,
reportés sur 2001. En outre, les versements effectués au CNASEA
en 2000 ont dégagé un reliquat de 4,24 millions d'euros (27,81
millions de francs).
L'année 2001 ne fait pas exception à la règle, puisque,
jusqu'à présent, environ 230 millions d'euros n'ont pas
été consommés.
Cette surdotation régulière suscite une double interrogation, la
première sur la capacité du gouvernement à atteindre les
objectifs qu'il s'est fixés en matière d'embauches
d'emplois-jeunes, la seconde sur le nombre réel d'emplois-jeunes.
En effet, le gouvernement a régulièrement modifié ses
objectifs en matière d'emplois-jeunes. Au départ, notamment lors
de l'examen de la loi du 16 octobre 1997, il avait affiché
l'ambition de parvenir, à la fin 2002, au recrutement de 350.000
emplois-jeunes. Puis cet objectif a été avancé à la
fin 2000, puis de nouveau repoussé, en renvoyant la réalisation
à la date initialement fixée, soit fin 2002 ! Il convient de
rappeler que, l'année dernière, le gouvernement avait
affirmé qu'il parviendrait à atteindre son objectif de 350.000
emplois-jeunes à la fin 2001...
Désormais, son objectif a changé de nature : il ne s'agit
plus de mesurer le dispositif en stock mais en flux.
Ainsi les documents
budgétaires pour 2002 indiquent-ils que ce dispositif doit viser
à «
porter à 360.000 à la fin 2002, le nombre
des jeunes qui auront bénéficié du programme depuis sa
création
»
1(
*
)
.
Le tableau ci-dessous indique le nombre d'emplois-jeunes embauchés au 30
juin dernier, sans que l'on ne sache plus très bien s'il s'agit d'un
stock ou d'un flux :
Il convient par ailleurs de garder à l'esprit que le budget de
l'emploi ne regroupe pas l'ensemble des crédits destinés au
financement des emplois-jeunes.
Le tableau ci-dessous récapitule l'ensemble des sections
budgétaires qui supportent le coût des emplois-jeunes en
2002 :
Le coût total des emplois jeunes en 2002 s'élève donc
à 3,67 milliards d'euros (24,05 milliards de francs).
Encore ne s'agit-il là que du coût supporté par le budget
général. Il conviendrait d'y ajouter les diverses sources de
cofinancements.
Sur l'ensemble de la législature, ce dispositif aura
coûté plus de 13 milliards d'euros (près de 86
milliards de francs).
2. La question toujours non réglée de l'avenir des emplois-jeunes
La question essentielle concerne toutefois le devenir des jeunes ainsi
recrutés.
Le 6 juin dernier, le gouvernement a annoncé un plan de
« consolidation » visant à pérenniser le
dispositif.
Différentes mesures sont prévues en fonction des secteurs
concernés : les associations, les collectivités
territoriales, les entreprises et les établissements publics.
Il s'agit généralement d'accorder des aides modulables au cas par
cas en fonction des besoins des services et des activités, plus ou moins
solvabilisables. D'une manière générale, ces dispositions,
visiblement non finalisées, sont d'une grande complexité, et vont
très certainement se traduire par une intense activité
administrative...
En outre, certaines de ces mesures d'aides financières,
entraîneront des dépenses nouvelles, non pas en 2002 mais à
compter de 2003.
Bref, les emplois seront consolidés - et les dépenses
pérennisées ! - mais on ne sait toujours pas ce que
deviendront les jeunes.
Il faut d'ailleurs probablement voir dans cette
incertitude quant à leur avenir la raison de la récente
manifestation des aides-éducateurs...
Votre rapporteur spécial en vient donc une fois encore à
s'inquiéter de la
probable intégration d'une part
conséquente des emplois-jeunes dans la fonction publique
, d'autant
plus que de très fortes pressions syndicales ne manqueront probablement
pas de s'exercer en ce sens. Du reste, dans la fonction publique territoriale
notamment, il est déjà prévu que les cadres d'emploi
seront adaptés afin d'offrir un débouché statutaire aux
emplois-jeunes, tandis que des concours spécifiques, dits de
« troisième voie », seront organisés dans le
même but.
UN RETOURNEMENT DURABLE
DU MARCHÉ DU TRAVAIL ?
I. LA
FIN DE L'AMÉLIORATION DE LA SITUATION DE L'EMPLOI
A. LA PERSPECTIVE DU PLEIN EMPLOI S'ÉLOIGNE
Depuis juin 1997, la situation du marché du travail s'est nettement
améliorée, le taux de chômage passant de 12,3 % à
cette date à 8,8 % en juin dernier, soit un recul de 3,5 points en
quatre ans.
Par ailleurs, le nombre de demandeurs d'emploi en fin de mois inscrits à
l'ANPE (catégorie 1) a suivi la même tendance : ils
étaient 3,14 millions en juin 1997, et 2,08 millions en juin 2001
(2,33 millions en juin 2000).
Le gouvernement, sans doute quelque peu grisé par ces bons
résultats de nature conjoncturelle, s'était alors fixé
comme objectif de parvenir au plein emploi. La forte incertitude
économique consécutive aux attentats du 11 septembre dernier
aux Etats-Unis a mis en évidence le caractère présomptueux
de ces déclarations hâtives.
En effet, depuis le mois de mai dernier, les chiffres du chômage se
détériorent régulièrement
, le nombre de
chômeurs ayant progressé de 5.500 en mai, de 8.500 en juin,
de 39.600 en juillet, de 11.100 en août, de 13.100 en septembre et
de 26.900 en octobre.
La France a donc vu le nombre de ses chômeurs
croître de 104.700 en six mois
, alors que l'amélioration des
chiffres du chômage avait été quasiment ininterrompue
depuis l'été 1997.
Cette évolution a ramené le taux de chômage à 9
%
2(
*
)
de la population active,
soit le niveau atteint à la fin de l'année 2000, tandis que de
nombreux économistes prévoient un taux de chômage de 9,5 %
à la fin du 1
er
semestre 2001.
B. EN FAIT, LA SITUATION DE L'EMPLOI EN FRANCE N'A JAMAIS
ÉTÉ AUSSI BONNE QUE LE GOUVERNEMENT A BIEN VOULU LE DIRE
1. Le chômage français reste à un niveau
élevé
Selon Eurostat, l'office statistique des Communautés européennes,
le taux de chômage au mois d'août dernier était de 8,5 % de
la population active en France.
Il reste donc supérieur tant au taux de chômage dans l'Union
européenne, 7,6 %, qu'à celui de la zone euro, 8,3 %.
Au sein de la zone euro, la France a le taux de chômage le plus
élevé, juste derrière l'Espagne (13 %) et la Finlande (9
%), tandis que certains Etats-membres ont de bien meilleurs
résultats : 7,9 % en Allemagne, 6,8 % en Belgique, 3,8 % en
Irlande, 2,2 % aux Pays-Bas. Au Royaume-Uni, le taux de chômage est de
5,1 %, et de 4,8 % en Suède. Or, dans tous ces pays, les gouvernements
n'ont ni créé des emplois-jeunes, ni imposé la
réduction du temps de travail.
Hors d'Europe, le Japon bénéficie d'un taux de chômage de 5
%, et les Etats-Unis de 4,6 %, bien que la tendance, dans ces deux pays, soit
à la remontée du chômage.
Le graphique ci-dessous illustre bien la position de la France en
matière d'emploi au sein de l'Union européenne,
c'est-à-dire « en fin de classe », devançant
seulement la Finlande et l'Espagne :
2.
L'amélioration de la situation de l'emploi est relativement
inégale
En effet, si le taux de chômage s'établissait, en moyenne,
à 9 % de la population active en août dernier, celui des hommes
s'élevait à 7,5 % mais celui des femmes à 11 %. Les femmes
de 25 ans à 49 ans, avec un taux de chômage de 110,6 % à
cette époque, connaissaient également une situation plus
défavorable que la moyenne.
Par ailleurs, si le chômage des jeunes a diminué, grâce
à la création massive d'emplois-jeunes en particulier, il reste
plus élevé que la moyenne nationale : 16,8 % pour l'ensemble
des moins de 25 ans, 15,2 % pour les hommes de la même tranche
d'âge, et 18,8 % pour les femmes, soit plus du double de la moyenne.
Comme l'a lui-même indiqué le ministère de l'emploi et de
la solidarité, à l'occasion de la présentation des
chiffres du chômage en août 2001, «
le chômage
de longue durée cesse de diminuer
», le nombre de
demandeurs d'emploi inscrits depuis un an ou plus à l'ANPE ayant
augmenté de 0,8 % entre la fin juillet la fin août 2001.
L'analyse du Conseil économique et social :
relativiser l'amélioration de la situation de l'emploi
Dans son
rapport sur la conjoncture au 1
er
semestre 2001, le Conseil
économique et social, sur les conclusions de M. Pierre Gadonneix,
considérait que «
ce récent retournement de
tendance, toutefois, ne doit pas faire illusion : plus de 80 % des emplois
créés depuis 1997 dans le secteur marchand l'ont
été à un niveau de salaire inférieur à 1,3
fois le SMIC
[...]
. Par ailleurs, la précarité de l'emploi
reste un phénomène très préoccupant, qui se
transforme sans doute plus qu'il ne se résorbe. En témoigne,
notamment, la constitution progressive d'une catégorie de
« travailleurs pauvres », pour la plupart titulaires d'un
emploi à temps partiel, que la croissance a sauvés du
chômage, mais pas du dénuement
».
De surcroît, le rapport insistait sur le fait que «
le recul
simultané du chômage et de la précarité de l'emploi
ne doit pas faire oublier la persistance d'un chômage de
masse
», avec l'existence de plus de 2 millions de chômeurs.
Le rapport mettait également en évidence «
l'ampleur
du phénomène de sous-activité en France
».
En effet, le taux d'activité demeure à un niveau faible en
France, soit 68,8 % de la population active totale en 1999, contre 80,6 % au
Danemark, 75,1 % au Royaume-Uni, 74 % aux Etats-Unis, 72,6 % aux Pays-Bas.
Les taux d'activité «
apparaissent particulièrement
bas aux âges de transition entre activité et inactivité,
c'est-à-dire au début et à la fin de la vie
active
». Ainsi, en 1999, le taux d'activité
s'établissait à 36 % chez les 15-24 ans. Pour les 55-64 ans, il
était de 40 % chez les hommes et de 25 % chez les femmes, contre 63 % et
49 % aux Etats-Unis.
3. Le niveau élevé du chômage structurel en France
Si le taux de chômage a reculé de plus de trois points depuis
1997, il semble que ce mouvement se heurte au socle du chômage
structurel, évalué à 8 % de la population active en
France par la Caisse des dépôts et consignations, contre 3 % aux
Etats-Unis.
Le taux de chômage structurel en France
Le taux
de chômage structurel est une notion difficile à définir
ainsi qu'à mesurer. Dans la plupart des cas, le chômage structurel
est assimilé au NAIRU
3(
*
)
, c'est-à-dire la taux de
chômage qui ne provoque ni fortes tensions salariales ni
accélération de l'inflation. Son évaluation s'appuie sur
des estimations économétriques de salaires en fonction de
l'inflation et du taux de chômage.
Le tableau suivant récapitule les estimations récentes du NAIRU
pour la France. On s'aperçoit qu'elles se situent dans une fourchette
relativement large, allant de 8 % à 12 %.
Estimation récente du NAIRU en France
Cotis (1997) |
10 % |
Heyer (1999) |
9,1 % |
FMI (1999) |
10 % |
Irac (1999) |
10/11 % |
L'Horty-Rault (1999) |
12 % |
Artus (2000) |
8 % |
Richardson (2000) |
10,1 % |
L'OCDE, sous la direction du professeur Richardson, a réalisé des comparaisons internationales en matière de NAIRU. Si les comparaisons internationales sont toujours délicates à manier, elles présentent pourtant le mérite d'indiquer une tendance. Or, il apparaît que le NAIRU, en France, se situe à un niveau bien plus élevé que celui d'autres pays industrialisés :
Japon |
États-Unis |
Allemagne |
France |
Italie |
Espagne |
3,9 % |
5,2 % |
7,8 % |
10,1 % |
10,4% |
15,4 % |
Ainsi,
la baisse actuelle du chômage serait de nature conjoncturelle, la
croissance permettant des créations d'emplois jusqu'au seuil de 8 % de
chômage. En deçà, le chômage ne diminuerait plus.
En revanche, comme le montre la situation actuelle, il peut de nouveau
croître, en cas de ralentissement de la croissance.
II. LES 35 HEURES : QUELS EFFETS SUR L'EMPLOI ?
A. DES PROCÉDÉS MÉTHODOLOGIQUES TRÈS
CONTESTABLES
Le rapport économique, social et financier, accompagnant le projet de
loi de finances pour 2002, comporte une fiche intitulée « les
effets de la réduction du temps de travail entre 2000 et
2002 ».
Cette fiche comporte quatre points, dont un consacré aux emplois
créés par les 35 heures. Or, ce point, s'il indique que
«
la RTT permettrait de créer plus de 300.000 emplois sur
la période 1999-2000
», est rédigé en termes
extrêmement généraux.
La même fiche souligne que, «
en glissements annuels, la
baisse de la durée effective du travail serait de 1,7 % en 2000, 0,8 %
en 2001 et 0,7 % en 2002
».
Par ailleurs, elle chiffre les effectifs (en millions) des entreprises
passées aux 35 heures de la façon suivante :
Il convient toutefois de rappeler que, au cours de l'année 2001, votre
rapporteur spécial a effectué un contrôle sur pièces
et sur place relatif aux modalités de financement, aux effets sur
l'emploi et à la mise en oeuvre par les services de l'Etat de la
réduction du temps de travail
4(
*
)
.
Il a notamment montré que le « bilan » des 35
heures présenté par le gouvernement est sujet à caution.
Un mode de calcul invérifiable
Votre
rapporteur spécial, dans son rapport précité, portait le
jugement suivant sur la comptabilisation des emplois liés aux 35
heures :
«
En réalité, cette belle architecture
technocratique dissimule une réalité beaucoup plus simple,
tellement simple que votre rapporteur pourrait la qualifier d'
artisanale
.
En effet, si le ministère de l'emploi et de la solidarité ne
parvient pas à distinguer les emplois créés et les emplois
préservés par la réduction du temps de travail, c'est que
ce décompte ne repose, contrairement à ce qu'il voudrait faire
croire, sur rien de scientifique.
Au contraire, le bilan dressé chaque mois par le ministère
s'appuie sur le dénombrement des accords et des conventionnements
intervenus au sein des entreprises. Or, ce recensement n'aboutit qu'à
additionner des données administratives telles qu'elles apparaissent
dans les accords conclus au sein des entreprises entre la direction et les
syndicats.
Si ces accords mentionnent la création ou la préservation d'un
certain nombre d'emplois, ces informations purement indicatives seront
avancées par le ministère comme autant de résultats
à mettre au compte des 35 heures.
Mais jamais la
réalité du contenu des accords n'est vérifiée, car
elle ne peut pas l'être, sauf à soumettre les entreprises à
de multiples contrôles tatillons : à la limite, les emplois
dont la création est prévue par les accords pourraient ne jamais
être effectivement créés.
Comme l'a indiqué un haut-fonctionnaire auditionné par votre
rapporteur,
le bilan ministériel des 35 heures
« ne
donne que des chiffres apparents de créations
d'emplois » : en réalité, il
ne résulte
pas de l'observation mais de la « spéculation ».
Il a d'ailleurs expliqué que ce phénomène était
davantage marqué pour la « loi Aubry II », dont le
suivi statistique est plus indicatif encore que celui de la première loi.
Il a ainsi pu conclure : « dans les faits, la réduction
du temps de travail est moindre que dans les chiffres ».
Et il est à craindre qu'il n'en soit de même pour ses effets
sur l'emploi...
D'ailleurs, le ministère de l'économie, des finances et de
l'industrie, dans ses hypothèses de travail, réduit de
moitié le nombre des emplois apparemment créés ou
préservés, pour approcher la connaissance des effets nets de la
réduction du temps de travail.
Ainsi, pour une entreprise de 100
salariés qui conclut un accord de réduction du temps de travail
prévoyant la création de 6 emplois, Bercy considère que
l'effet des 35 heures n'est pas de 6 %, mais de
3 % !
».
B. LE RECUL DU GOUVERNEMENT SUR LE CAS DES PETITES ENTREPRISES
Un débat s'était engagé, y compris au sein du
gouvernement, sur la nécessité d'assouplir le passage aux 35
heures des entreprises de 20 salariés. Il convient de rappeler que le
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Laurent
Fabius, a été le porte-parole de ceux qui militaient en faveur
d'un tel assouplissement
5(
*
)
.
Le Premier ministre a finalement arbitré en ce sens. En effet, le
décret n° 2001-941 du 15 octobre 2001 précise le dispositif
transitoire dont bénéficie les entreprises de 20 salariés
et moins, soumises aux « lois Aubry » au
1
er
janvier prochain.
Désormais, pour ces entreprises, le décret relève, de
façon transitoire, le contingent auquel elles sont soumises
(actuellement 130 heures).
Ce contingent est fixé, sauf accord collectif étendu fixant un
contingent inférieur ou supérieur :
- pour 2002, à 180 heures ;
- pour 2003, à 170 heures ;
- à compter de 2004, à 130 heures.
Le tableau ci-après récapitule l'application des 35 heures dans
les petites entreprises :
III.
LE PROJET DE LOI DE MODERNISATION SOCIALE
En premier lieu, le projet de loi de modernisation sociale vise à mettre
fin au recours de travailleurs temporaires ou de travailleurs sous contrat
à durée déterminée comme mode permanent de gestion
des effectifs. On observe en effet des situations prolongées de recours
excessif à l'emploi temporaire qui se traduit par le fait que 10 %
des entreprises de plus de 20 salariés ont en permanence plus de
20 % de leurs effectifs occupés sous une forme temporaire d'emplois.
Le projet de loi vise à prévenir cet abus et à favoriser
l'accès à des emplois durables de salariés en situation
précaire : calcul plus strict du délai de carence entre deux
contrats sur un même poste ; relèvement du taux de
l'indemnité de précarité pour les contrats à
durée déterminée de 6 à 10 % ;
amélioration de l'égalité de traitement entre travailleurs
permanents de l'entreprise et travailleurs précaires ;
possibilité pour un salarié en contrat limité de rompre
avant le terme pour être embauché en contrat à durée
indéterminée ; information du salarié sur les emplois
permanents disponibles dans l'entreprise.
Il est enfin prévu de donner aux institutions représentatives du
personnel la possibilité de saisir l'inspecteur du travail en cas d'abus
afin d'engager l'employeur dans un plan de résorption de l'emploi
précaire établi avec le comité d'entreprise.
En second lieu, le projet de loi de modernisation sociale comprend un important
volet relatif à la prévention des licenciements et au traitement
des restructurations économiques et sociales. Il propose des solutions
conformes au projet de la directive européenne sur l'information et la
consultation des travailleurs.
Le projet de loi de modernisation sociale tend à améliorer la
prise en compte des conséquences des restructurations sur l'emploi
à travers deux orientations :
créer les conditions d'une concertation accrue dans
l'entreprise à la hauteur des enjeux soulevés par les
restructurations
, ce qui conduit à préciser le droit
d'information et d'intervention des salariés et de leurs
représentants.
Les compétences des instances représentatives du personnel sont
renforcées, puisque le comité d'entreprise doit être
informé préalablement à toute annonce publique et
consulté sur le motif économique d'un projet de restructuration
et de compression d'effectifs, puis sur la qualité du plan de sauvegarde
de l'emploi. Ainsi, au cours de la consultation préalable, le
comité d'entreprise peut formuler des propositions alternatives en
étant assisté d'une expertise. L'employeur doit fournir une
argumentation motivée sur ces propositions. Lorsque le projet concerne
plus de 100 salariés, le comité d'entreprise peut saisir un
médiateur pour appuyer par un avis les organes de direction de
l'entreprise, dont le chef gardera toute la responsabilité, et
établir une étude d'impact social et territorial. L'entreprise
est, en outre, dans l'obligation d'informer immédiatement les
sous-traitants de tout projet de restructuration.
étendre la responsabilité sociale des chefs d'entreprise
et la protection de l'emploi des salariés
L'idée force du projet de loi de modernisation sur cette question des
restructurations est :
- d'une part, qu'il convient de renforcer la logique de prévention
en amont : dispositions relatives à la validation des acquis de
l'expérience ou dispositions visant à favoriser en continu le
comportement d'anticipation de l'évolution des compétences,
collectives au niveau des branches et des entreprises ou individuelles, pour
assurer le maintien de l'employabilité et encourager le
développement professionnel de chaque salarié (gestion
prévisionnelle des emplois et des compétences) ;
- d'autre part, qu'il convient de proposer et d'étudier toutes les
solutions alternatives aux suppressions d'emploi. Les licenciements
économiques constituent l'ultime recours. Il s'agit notamment d'engager
les employeurs à conclure ou négocier un accord sur la
réduction du temps de travail, préalablement à tout plan
social.
Le projet de loi renforce par ailleurs la responsabilité des entreprises
à l'égard des salariés et des territoires affectés
par les restructurations.
La définition du licenciement économique est resserrée.
Celle-ci prend en compte les difficultés économiques et admet
également pour l'entreprise la nécessité de s'adapter aux
évolutions technologiques et de se réorganiser pour assurer son
activité et la sauvegarder à court et à moyen terme.
Le projet de loi vient donner plus de force au droit au reclassement des
salariés pour motif économique. Le devoir de formation et
d'adaptation de l'employeur est accru, et le droit au reclassement se traduit
par une proposition d'accès au congé de
« reclassement » d'une durée maximale de 9 mois
pour les salariés des entreprises de 1.000 salariés ou plus,
financé par l'employeur. Dans les petites et moyennes entreprises, les
salariés pourront engager, avec l'aide de l'ANPE et de l'UNEDIC, des
actions de préparation au reclassement, pendant la durée de leur
préavis, leur permettant de démarrer les bilans
nécessaires d'évaluation de compétences et un
accompagnement personnalisé au cours de cette période. Ce dernier
aspect a été introduit après discussion avec les
partenaires sociaux lors du dernier examen du projet de loi au Sénat. Il
autorise ainsi une mise en oeuvre anticipée du PARE favorable à
un retour plus rapide à l'emploi.
Le doublement de l'indemnité minimum légale de licenciement en
cas de licenciement économique renforce également les
responsabilités des entreprises.
Enfin, l'entreprise doit apporter une contribution à la
réactivation du bassin d'emploi frappé par des fermetures totales
ou partielles de sites de production et d'emploi, soit directement, soit au
travers d'une participation financière auprès d'organismes
s'engageant à respecter un cahier des charges.
Au total, ce projet de loi va considérablement allonger les
procédures de licenciement, sans rien changer sur le fond,
c'est-à-dire la situation économique des entreprises, et va se
traduire par une « judiciarisation » accrue des relations
du travail. Ses conséquences seront donc inverses de celles qui sont
poursuivies par le gouvernement, puisqu'il va rendre plus complexes et plus
longues les mesures de redressement de l'entreprise.
C'est d'ailleurs pour cette raison, que le projet de loi de modernisation
sociale a fait la quasi-unanimité contre lui, non seulement de la part
des chefs d'entreprise, mais aussi d'un grand nombre de responsables
politiques, à commencer par le ministre de l'économie, des
finances et de l'industrie.