EXAMEN EN COMMISSION
Au cours
de sa
réunion du mercredi 31 octobre 2001
, la commission,
présidée par M. Alain Lambert, président, a
procédé à l'examen des
crédits de l'emploi et de
la solidarité : I. - Emploi
, et des
articles 68 à 70
rattachés
, sur le
rapport de M. Joseph Ostermann, rapporteur
spécial
.
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial
, a indiqué que les
crédits du ministère de l'emploi s'élevaient, dans le
projet de loi de finances pour 2002, à 16,78 milliards d'euros,
alors qu'ils s'établissaient à 17,05 milliards d'euros en 2001,
cette diminution de 1,6 %, après une baisse de 1,9 % l'année
dernière, montrant que le budget de l'emploi ne constituait plus une
priorité pour le Gouvernement, en dépit de ses
déclarations, probablement liées à l'inquiétude sur
les perspectives de l'évolution du marché du travail. Il a
précisé que ces crédits étaient consacrés
aux moyens de fonctionnement à hauteur de 10,6 % (après
9,6 % en 2001 et 8,1 % en 2000), et aux dépenses
d'intervention à 88,9 %.
Il a ensuite souhaité faire part des quatre observations que lui
inspirent les dotations allouées à l'emploi pour 2002.
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial
, a d'abord noté
que l'amélioration de la situation de l'emploi semblait malheureusement
terminée. Alors que, depuis juin 1997, la situation du marché du
travail s'était nettement améliorée, le taux de
chômage étant revenu de 12,3 % à cette date à 8,8 %
en juin dernier, le Gouvernement, probablement grisé par ces bons
résultats de nature conjoncturelle, s'était fixé comme
objectif de parvenir au plein emploi au cours des prochaines années. Les
attentats survenus aux Etats-Unis le 11 septembre dernier ont mis en
évidence le caractère présomptueux de ces
déclarations hâtives. Le rapporteur spécial a en effet
constaté que, depuis le mois de mai dernier, les chiffres du
chômage se détérioraient régulièrement, le
nombre de chômeurs ayant progressé de 5.500 en mai, de 8.500 en
juin, de 39.600 en juillet et de 11.100 en août, soit 64.700
chômeurs supplémentaires en quatre mois. Cette évolution a
ainsi remonté le taux de chômage à 9 % de la population
active, soit le niveau atteint à la fin de l'année 2000. Il a
estimé qu'une analyse fine de la situation de l'emploi montrait que le
Gouvernement n'avait pas de véritables raisons de se gargariser de la
diminution du chômage.
Il a en effet rappelé que le chômage français restait
à un niveau élevé, soit 8,5 % de la population active,
contre 8,3 % dans la zone euro, 7,6 % dans l'Union européenne, 5,1
% au Royaume-Uni, 3,8 % en Irlande, 2,2 % aux Pays-Bas, 5 % au Japon, 4,6 % aux
Etats-Unis. En outre, l'amélioration de la situation de l'emploi est
relativement inégale, les femmes, les jeunes, les non ou peu
diplômés, les salariés précaires, les chômeurs
de longue durée continuant d'être touchés plus
sévèrement que la moyenne nationale par le chômage.
Surtout, un recul important du chômage se heurte au niveau
élevé du chômage structurel. Si le taux de chômage a
reculé de plus de 3 points depuis 1997, ce mouvement se heurte
visiblement au socle du chômage structurel, évalué à
8 % de la population active en France par la Caisse des dépôts et
consignations, mais à 3 % aux Etats-Unis. Notre pays se trouve donc dans
une situation délicate, puisque, hors les effets de la conjoncture sur
l'emploi, qu'ils soient positifs ou défavorables, le chômage ne
diminuerait plus guère en France, le seuil du chômage structurel
ayant été globalement atteint.
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial
, a ensuite
considéré que le projet de budget 2002 apparaissait paradoxal et
adressait un message brouillé aux agents économiques. Il a en
effet constaté que, depuis 1998, le budget de l'emploi n'avait
porté aucune réforme structurelle susceptible d'avoir un impact
sur son montant. Au cours des dernières années, des
économies importantes avaient certes été
réalisées sur les crédits de l'emploi, mais il s'agissait
de simples économies de constatation résultant d'une conjoncture
favorable. Ainsi, par exemple, le nombre total d'entrées dans les
dispositifs de la politique de l'emploi a diminué de plus de 45 % depuis
1997. Il a pourtant relevé que la conjoncture était actuellement
nettement moins bien orientée, alors que le projet de budget de l'emploi
continuait de diminuer, et s'est interrogé sur cette contradiction
apparente. Il a jugé que la prévision de croissance retenue pour
2002 était en fait aléatoire, avec les conséquences que
cela implique notamment sur le niveau de l'emploi l'année prochaine.
Il a dès lors conclu que la budgétisation des crédits 2002
était erronée, la diminution affichée de certaines
dotations budgétaires apparaissant peu crédible, et qu'il
était donc probable que le retournement conjoncturel en cours se
traduirait in fine par une hausse des crédits de l'emploi, notamment du
traitement social du chômage, comme les récentes annonces de la
ministre sur des ouvertures supplémentaires de contrats aidés le
laissaient entendre. A ce propos, il a considéré que le
Gouvernement avait fait un pari risqué sur la poursuite de
l'amélioration de la situation de l'emploi, en inscrivant des
crédits à la baisse, puis avait lui-même ôté
toute crédibilité à ce message, en présentant
quelques jours après le Conseil des ministres un plan renouant avec le
traitement social du chômage, la ministre ayant annoncé des
entrées supplémentaires pour 2001, pour un coût de
180 millions d'euros, en principe supporté par le prochain
collectif. Il a dès lors paru probable au rapporteur spécial que
les dotations pour 2002 ne seraient pas suffisantes.
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial
, a, en troisième
lieu, considéré que le budget de l'emploi avait progressivement
perdu sa cohérence au cours de la législature. Rappelant que la
forte croissance des crédits de l'emploi depuis plusieurs années
résultait essentiellement de la politique de réduction des
charges sociales, engagée en 1993, et donc de leur compensation par le
budget de l'Etat auprès des organismes de sécurité
sociale, il a indiqué que, surtout depuis 1999, le budget de l'emploi
avait subi de multiples modifications de son périmètre,
considérables en montant, qui en avaient fortement restreint la
cohérence et qui nécessitaient de procéder à un
calcul consolidé, afin d'obtenir une vue d'ensemble à peu
près sincère du coût de la politique de l'emploi. Il a
noté que la compensation des exonérations de charges sociales
avait ainsi quasiment disparu du budget de l'emploi, notamment depuis la
création du fonds de financement de la réforme des cotisations
patronales de sécurité sociale, le FOREC, destiné à
financer les 35 heures et les allégements de charges qui leur sont
liés. Dès lors, le budget de l'emploi, suite à cette
débudgétisation massive, a vu son montant diminuer de
façon artificielle, mais, surtout, reflète de moins en moins le
principal axe de la politique de l'emploi : il reste notamment muet sur le
coût des 35 heures. En fait, seuls 39,3 millions d'euros sont inscrits,
en 2002, au budget de l'emploi au titre des aides au conseil dans le cadre des
35 heures, alors que les dotations du FOREC devraient s'établir à
15,55 milliards d'euros : le budget de l'emploi supportera donc seulement
0,25 % du coût total des 35 heures ! Il a
considéré, par conséquent, que le coût total de la
politique de l'emploi, en 2002, devait prendre en compte les crédits du
budget de l'emploi, mais aussi ceux du FOREC, soit un total de
32,33 milliards d'euros, en progression de 2,3 % par rapport à
2001.
Il a également observé que, comme le Sénat l'avait
pressenti, les 2,29 milliards d'euros de l'UNEDIC ne seraient pas
affectés à l'emploi. Il a rappelé que, dans le cadre de la
nouvelle convention d'assurance chômage, l'UNEDIC devait procéder
au versement à l'Etat de 2,29 milliards d'euros, soit 1,07 milliard
en 2001 et 1,22 milliard en 2002. Il a précisé que ce versement
serait toutefois traité comme une recette non fiscale de l'Etat venant
abonder le budget général : il ne sera donc pas
spécifiquement affecté à des dispositifs de la politique
de l'emploi, en dépit des déclarations rassurantes, mais
finalement fausses, du Gouvernement sur ce point.
Enfin,
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial
, a
considéré que les emplois-jeunes constituaient un dossier que le
prochain gouvernement devrait traiter. En 2002, le coût des
emplois-jeunes diminue de 3,6 %, pour la première fois depuis le
lancement du dispositif, s'établissant à 3,23 milliards d'euros.
Il a toutefois noté que ce chapitre budgétaire faisait
traditionnellement l'objet d'une importante surdotation, puis d'une
régulation non moins importante en cours d'exercice, comme l'avait
d'ailleurs relevé la Cour des comptes dans son rapport relatif à
l'exécution des lois de finances pour 2000. En outre, jusqu'à
présent, environ 230 millions d'euros n'auraient pas
été consommés en 2001.
Il a noté que cette surdotation récurrente suscitait une double
interrogation, la première sur la capacité du Gouvernement
à atteindre les objectifs qu'il s'était fixés en
matière d'embauches d'emplois-jeunes, la seconde sur le nombre
réel de ces derniers. Le Gouvernement a en effet
régulièrement modifié ses objectifs en ce qui concerne les
emplois-jeunes. Il s'agissait d'abord de parvenir à recruter 350.000
jeunes dans ce dispositif à la fin 2002, puis cet objectif a
été avancé à la fin 2000, puis de nouveau
repoussé ! Par ailleurs, cet objectif a changé de
nature : il ne s'agit plus de mesurer le dispositif en stock mais en flux,
le nombre de jeunes ayant bénéficié de ce programme depuis
sa création devant s'élever à 360.000 à la fin
2002. Il a précisé que le budget de l'emploi ne regroupait pas
l'ensemble des crédits destinés au financement des
emplois-jeunes, les budgets de l'éducation nationale, de
l'intérieur, de la justice, et de l'outre-mer étant
également sollicités. Le coût total du dispositif
s'établirait donc à 3,67 milliards d'euros en 2002. Sur
l'ensemble de la législature, il s'est élevé à plus
de 13 milliards d'euros. Enfin, il a déploré que la question de
l'avenir des emplois-jeunes n'était toujours pas réglée,
en dépit de l'annonce, le 6 juin dernier, du plan gouvernemental de
« consolidation » du dispositif : si les emplois
seront pérennisés, on ne sait toujours pas ce que deviendront les
jeunes qui les occupent.
Un large débat s'est ensuite instauré.
M. Gérard Miquel
a noté que la conjoncture
économique se dégradait, notamment, depuis les attentats
perpétrés au Etats-Unis le 11 septembre dernier, et a voulu
savoir l'analyse qu'en faisait le rapporteur spécial sur l'emploi. Il a
estimé que l'effort supplémentaire annoncé par le
Gouvernement en matière de contrats aidés devrait être
encore amplifié. Il a noté que le Gouvernement s'employait
à assurer l'avenir des jeunes engagés dans le dispositif des
emplois-jeunes, considérant que cette expérience avait de toute
manière été particulièrement intéressante
car elle a permis a ses bénéficiaires de s'insérer dans le
monde du travail. Enfin, il a jugé qu'il était indispensable
à l'avenir de développer le volet insertion du revenu minimum
d'insertion (RMI).
M. René Trégouët
, notant que l'Institut national des
statistiques et des études économiques (INSEE) venait de changer
son mode de calcul du chômage, s'est interrogé sur
l'opportunité de cette modification au moment même où la
situation de l'emploi se retournait. Il a également souhaité
obtenir des informations supplémentaires sur le calcul du nombre des
emplois-jeunes, en stock et en flux.
M. Alain Joyandet
a regretté que le Gouvernement, depuis 1998,
ait diminué les crédits relatifs aux contrats
emploi-solidarité (CES) ou aux contrats emploi consolidés (CEC),
un nombre important des bénéficiaires de ces contrats
aidés devant alors de nouveau s'inscrire au RMI.
M. Jacques Oudin
a noté que les résultats de la politique
de l'emploi en France n'étaient guère favorables en comparaison
des politiques entreprises à l'étranger. Il a d'ailleurs
considéré qu'il était indispensable de réaliser des
comparaisons internationales sur ce point. Enfin, il s'est interrogé sur
les conséquences en termes d'amélioration de la situation de
l'emploi, de la forte augmentation des effectifs de l'agence nationale pour
l'emploi (ANPE), rappelant par ailleurs que les départements
conduisaient des actions essentielles en faveur de l'emploi, par exemple par la
création de maisons de l'emploi.
M. Alain Lambert, président
, a souhaité savoir si, selon
le rapporteur spécial, le Gouvernement avait pris en
considération ses observations suite aux rapports de contrôle
qu'il avait effectués sur les personnels du ministère de l'emploi
et sur les 35 heures. A ce titre, il a regretté que le Parlement ne
dispose pas des instruments nécessaires à l'évaluation de
l'impact de la réduction du temps de travail en termes de
création d'emplois, cette carence appauvrissant nécessairement le
débat budgétaire, faute de chiffres valables.
En réponse aux différents intervenants,
M. Joseph Ostermann,
rapporteur spécial
, a dû constater que ses rapports n'avaient
guère été pris en compte par le Gouvernement, la ministre
de l'emploi s'étant contentée de lui adresser un courrier prenant
acte de la publication de ces travaux. Il a noté que les 35 heures
avaient surtout pour conséquence d'être à l'origine de
délocalisations de production à l'étranger. Il a lui aussi
estimé qu'il était préférable de financer des
contrats aidés plutôt que de laisser de nombreuses personnes
toucher le RMI, et a ajouté que la question de fond était celle
du caractère incitatif du travail. S'agissant des emplois-jeunes, il a
noté que le Gouvernement, n'ayant pu atteindre son objectif initial de
350.000 jeunes recrutés dans ce dispositif, affichait désormais
un objectif en flux, donnant une impression plus favorable. Il a
précisé que le changement statistique apporté au calcul du
taux de chômage visait notamment à exclure les intérimaires
des chiffres du chômage, mais que cette modification n'avait pas de
véritable impact sur l'appréciation du niveau de l'emploi, ni sur
l'évolution en tendance de ce dernier, d'autant plus que l'office des
statistiques de l'Union européenne, Eurostat, retraitait les
différents chiffres nationaux pour les harmoniser. Les 35 heures
constituent une parfaite illustration de l'extrême difficulté
à évaluer les performances de la politique de l'emploi en France
puisque cette mesure, dont le coût est exorbitant, ne peut donner lieu
à la distinction par les services du Gouvernement entre les emplois
créés et les emplois préservés par les
35 heures. Il a confirmé que les actions des collectivités
territoriales en matière d'emploi étaient essentielles, d'autant
plus que celles-ci nouent très souvent des relations avec les
entreprises.
A l'issue de ce débat, la commission a décidé de
réserver son vote sur les crédits du budget de l'emploi, ainsi
que sur les articles 68, 69 et 70 rattachés
, jusqu'à
l'audition de la ministre de l'emploi et de la solidarité.