B. LE POIDS DÉTERMINANT DES ANNULATIONS DE DETTES

1. Une caractéristique majeure de l'APD depuis le début des années 90

Les mécanismes de rééchelonnement et d'annulation de la dette des pays pauvres se sont multipliés au cours des quinze dernières années : annulations d'échéances décidées au sommet de Toronto en 1988, traitement de Houston en septembre 1990, traitement de Naples en décembre 1994 en faveur des pays les plus pauvres, introduction de l'initiative PPTE au sommet de Lyon en juin 1996, puis de sa version « renforcée » à Cologne en 1999, qui constitue désormais le principal traitement.

Le sommet d'Evian de juin dernier constitue le plus récent avatar de cette politique concertée de réduction du poids de la dette. Ces assouplissements progressifs des modalités de rééchelonnement et d'allègement (jusqu'à 90 % d'allègement pour les pays qui ont mis en oeuvre de façon continue et satisfaisante une politique d'ajustement et de réduction de la pauvreté) ont accru l'activité et les volumes traités par le Club de Paris. La France, en tant que principal bailleur des pays pauvres et interlocuteur privilégié de l'Afrique, a pris une part active à ce mouvement et a réalisé un nombre important d'annulations selon des termes bilatéraux : traitement de Dakar à la suite du sommet de mai 1989, traitement de La Baule en juin 1990 en faveur des quatre pays à revenu intermédiaire de la zone franc, traitement de Libreville en septembre 1992 et mesures dites « Dakar II » en janvier 1994.

Ces mesures, nées du constat du poids paralysant de la dette et des difficultés de paiement que connaissent des pays autres que ceux émergents, ne sont pas principalement motivées par un élan de générosité des créanciers mais par un impératif macro-économique : la restauration de la soutenabilité de la valeur actualisée de l'endettement (à hauteur d'un plafond de 150 % des exportations ou de 250 % des recettes budgétaires dans le cas de l'initiative PPTE) afin que la réduction corrélative du service de la dette permette de dégager des marges de manoeuvre budgétaires pour le développement du débiteur . Le bénéfice du traitement PPTE suppose toutefois d'atteindre dans un premier temps le « point de décision » pour le traitement des flux, ce qui suppose la mise en oeuvre d'un programme du FMI pendant trois ans, puis le « point d'achèvement » pour le traitement du stock. Or si l'application d'un document stratégique de lutte contre la pauvreté, requis pour atteindre le point d'achèvement, paraît possible pour un certain nombre de pays pauvres, la mise en oeuvre d'un programme du FMI est plus difficile, précisément du fait de l'absence de marges de manoeuvre budgétaires, et peut exclure de facto les pays les plus pauvres du bénéfice de l'allègement. S'il est parfaitement légitime de prévoir une conditionnalité et d'exiger une volonté politique pour appliquer ce dispositif, qui ne constitue pas un dû mais un contrat pour restaurer la solvabilité et les capacités il n'en demeure pas moins que cette logique peut dans certains cas s'apparenter à un cercle vicieux.

2. Un vecteur privilégié pour des résultats incertains

La mise en oeuvre de l'initiative PPTE a conduit à 33,3 milliards de dollars d'allègements pour 27 pays ayant aujourd'hui franchi le point de décision, sur une estimation globale de 50 milliards de dollars d'allègements potentiels, et a permis de ramener la dette à un niveau soutenable dans les 8 pays ayant franchi le point d'achèvement. C'est dire si l'effort consenti a été important. Les résultats en termes de développement ne sont toutefois pas encore réellement visibles, et les bénéficiaires demeurent pour la plupart dans une situation de grande fragilité. En outre, les allègements de dette ne constituent pas en soi une garantie de maintien de la soutenabilité dans le temps . On constate néanmoins que l'augmentation des dépenses sociales, notamment pour la santé et l'éducation, est plus que proportionnelle à la réduction du service de la dette, conformément à l'objectif initial. Si au total le bilan apparaît encore assez prématuré, on peut cependant craindre que la politique d'allègement de la dette ne procure qu'un soulagement temporaire pour les pays qui auront franchi avec peine le point d'achèvement, et ne garantisse pas l'accès à une croissance endogène porteuse de développement. On constate en effet que dans 15 pays sur les 27 qui ont franchi le point de décision, les recettes d'exportation enregistrent une augmentation annuelle moyenne largement inférieure à celle escomptée (respectivement 3 % et 11,6 %). En outre ces pays sont souvent obligés de recourir à nouveau à l'endettement pour amortir les conséquences de chocs externes.

Cette évolution traduit bien le fait que la croissance et la diminution pérenne de l'endettement sont avant tout tributaires d'une meilleure insertion dans le commerce international plutôt que d'un processus exigeant (tant pour les débiteurs que pour les créanciers) d'allègement. Ainsi, plutôt que de jouer exclusivement sur le numérateur pour améliorer la soutenabilité de la dette, il conviendrait d'accentuer les efforts d'accroissement du dénominateur, c'est-à-dire des recettes d'exportation et des recettes fiscales. Cet impératif suppose, d'une part, de relancer rapidement le cycle des négociations commerciales multilatérales sans attendre les diverses échéances électorales (européennes, américaines, renouvellement de l'OMC) et avec un objectif de réduction des barrières tarifaires sur les produits de base (avant de libéraliser les investissements et les services), et d'autre part de renforcer l'administration fiscale des pays pauvres (capacités de collecte et de contrôle, recensement des contribuables, informatisation et sécurisation des flux, modernisation de la comptabilité et de la gestion budgétaires...).

Dès lors les annulations de dette ne sauraient constituer le vecteur privilégié de l'APD, mais seulement une composante parmi d'autres. Or force est de constater que les mécanismes d'annulation prennent une part croissante dans le volume d'APD, à commencer par notre pays dont l'aide serait en 2004 constituée pour près de 35 % d'annulations de dettes, ce qui est beaucoup pour un instrument dont les bénéfices sont encore incertains.

Votre rapporteur souhaite donc que le gouvernement s'attache à mieux justifier son effort d'allègement de la dette des pays pauvres et à renforcer leurs capacités de restauration autonome de la solvabilité en prenant une part active à la relance des négociations commerciales et à leur positionnement au bénéfice des pays pauvres, avant celui des économies émergentes. Dans la mesure où le traitement de la dette n'a qu'une incidence très minoritaire sur le budget de l'Etat et donc sur l'autorisation et le contrôle parlementaires, et fait également l'objet d'un traitement comptable pour le moins inacessible au citoyen, il est en outre absolument nécessaire que le ministère de l'économie, des finances poursuive les progrès qu'il a timidement amorcés pour fournir une information plus claire, fiable et complète, à l'image des exigences renforcées pour les engagements hors-bilan des entreprises privées.

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