C. UNE POLITIQUE PUBLIQUE À RENFORCER

La loi du 21 août 2003 a fait le choix de recentrer les mesures d'âge autour de deux dispositifs : un dispositif visant à prendre en compte la pénibilité du travail, dans le cadre des cessations anticipées d'activité des travailleurs salariés, et un dispositif « plans sociaux ».

Quatre autres mesures doivent par ailleurs permettre d'infléchir le taux d'emploi des seniors. Il s'agit :

- de promouvoir le maintien dans l'emploi des salariés âgés, en élargissant les cas d'exonération de la contribution Delalande à la rupture du contrat de travail d'un salarié âgé de plus de quarante-cinq ans (et non plus de plus de cinquante ans) à son embauche. Cette contribution est due à l'Assedic par les entreprises qui licencient un salarié âgé. Son montant dépend de la taille de l'entreprise et de l'âge du salarié.

- d'instituer une contribution spécifique à la charge des employeurs sur les préretraites d'entreprise, au taux de 23,85 % qui peut être réduit, à titre transitoire jusqu'au 31 mai 2008, dans les conditions du décret n° 2003-1316 du 30 décembre 2003 ;

- d'inciter à la tenue de négociations triennales sur les questions de l'accès à la formation professionnelle et du maintien dans l'emploi des salariés âgés ;

- d'améliorer le régime de la retraite progressive 8 ( * ) .

1. S'inspirer de l'exemple finlandais

En Finlande, la stratégie visant à enrayer la logique du retrait précoce d'activité est un succès grâce au plan national pour l'emploi des plus de quarante-cinq ans. Le taux d'emploi des seniors s'est ainsi accru de 25 % en seulement cinq années et l'âge médian de sortie du marché du travail est passé de 58,2 ans en 1996 à 59,3 ans en 2001.


Le modèle finlandais : un plan national en six volets
pour l'emploi des plus de 45 ans

1. Un effort pédagogique important entrepris par l'Etat :

- une campagne publique d'information et de formation, pour changer les mentalités et l'image du vieillissement ;

- des campagnes ciblées en direction des employeurs pour mettre en valeur les atouts des salariés âgés et les manières d'en tirer profit pour l'entreprise.

2. Des actions concernant la santé et la protection au travail : l'objectif est l'amélioration des conditions de travail et la prévention des inaptitudes. Une approche intégrée du vieillissement au travail est privilégiée. Elle vise toutes les dimensions du bien-être au travail : environnementales, psychologiques et sociales. Elle a donné lieu, chaque fois, à une étroite collaboration au sein des entreprises, entre direction, représentants du personnel, experts et autorités publiques.

3. La formation professionnelle : ciblées sur les salariés de quarante-cinq ans ou plus, les actions visent à combler le fossé des niveaux de formation entre jeunes et vieux. Il s'agit d'un programme à long terme (dix à quinze ans), qui s'intègre dans une stratégie nationale pour promouvoir « l'éducation tout au long de la vie ».

4. La réhabilitation des chômeurs âgés : un suivi individualisé des demandeurs d'emploi âgés a été mis en oeuvre dans le cadre de l'action spécifique de retour à l'emploi. A noter que cette action « curative » en faveur des chômeurs âgés n'a pas apporté tous les résultats escomptés. Ce qui prouve la supériorité de la stratégie préventive adoptée, intervenant dès la mi-carrière.

5. Le passage graduel et choisi à la retraite : l'accent est mis sur la promotion du temps partiel : le seuil d'âge ouvrant droit à une retraite partielle est abaissé de cinquante-huit à cinquante-six ans et les droits à pension sont maintenus en cas d'activité partielle. La possibilité d'alterner périodes d'emploi et de congés est offerte.

6. Etudes, recherches et expérimentations : le programme comporte un volet très important d'études et de recherches. Un outil d'évaluation spécifique, « le baromètre du maintien de la capacité au travail » (TYKY) est mis en place. Il permet d'évaluer l'impact du programme national sur les salariés dans les entreprises. D'autres programmes de recherche concernent les attitudes et les pratiques des travailleurs en fin de carrière, l'âge, la santé et les compétences au travail, les pratiques discriminatoires à l'embauche, l'âgisme au travail, la formation professionnelle et les nouvelles méthodes de formation continue.

Le coût total du programme a été de 4,2 milliards d'euros pour le seul financement public sur cinq ans.

Source : Anne-Marie Guillemard, Les sociétés à l'épreuve du vieillissement -
Revue Futurible n° 299, juillet 2004

La réussite de cet exemple étranger peut inspirer utilement notre pays : il témoigne du fait qu'il n'existe pas de fatalité et qu'il est possible de parvenir à des résultats significatifs en partant d'une situation aussi défavorable que celle de la France.

2. Un signe positif : l'accord national interprofessionnel du 13 octobre 2005

L'accord national interprofessionnel (ANI) du 13 octobre 2005 relatif à l'emploi des seniors, en vue de promouvoir leur maintien et leur retour à l'emploi, marque la volonté des partenaires sociaux de sortir de l'impasse actuelle.

Il fait suite à trois autres accords : celui du 5 décembre 2003 relatif à l'accès des salariés à la formation tout au long de la vie professionnelle, celui du 1 er mars 2004 relatif à la mixité et à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et celui du 5 avril 2005 relatif à la convention de reclassement personnalisé.

L'objectif de cet ANI est ambitieux : « concourir à une progression du taux d'emploi des 55-64 ans afin de passer du taux actuel de 36,8 % à 50 % à horizon 2010, soit une progression de l'ordre de deux points par an ». Il envisage notamment :

la mise en oeuvre d'un plan national d'action pour l'emploi des seniors impliquant l'Etat et les partenaires sociaux ;

la sécurisation des parcours professionnels ;

le développement des entretiens professionnels de deuxième partie de carrière et des bilans de compétences ;

l'aménagement du contrat à durée déterminée : pour le retour à l'emploi des seniors, « un contrat à durée déterminée d'une durée maximum de dix-huit mois renouvelable une fois peut être conclu avec un salarié de plus de cinquante-sept ans, inscrit comme demandeur d'emploi depuis plus de trois mois ou en convention de reclassement personnalisé, afin de lui permettre d'acquérir, par son activité, des droits supplémentaires en vue de la liquidation de sa retraite à taux plein. »

l'étude sur les effets de la contribution Delalande : « Il est demandé aux pouvoirs publics, sur la base d'une étude des effets de la contribution Delalande sur l'emploi des seniors, d'apporter à cette contribution, après consultation des partenaires sociaux, les correctifs éventuels qui pourraient favoriser l'emploi des seniors . »

la retraite progressive : « Afin de faciliter l'adoption de modes d'organisation du travail adaptés à la situation des seniors (...), et, en particulier, d'encourager la mise en place de dispositifs destinés à permettre la prolongation de l'activité en facilitant la transition entre la vie professionnelle et la retraite tout en améliorant les droits à pension des intéressés, il est demandé aux pouvoirs publics d'accélérer la publication des textes d'application de l'article 30, relatif à la retraite progressive, de la loi du 21 août 2003. »

La promotion de l'emploi des personnes âgées de plus de cinquante-cinq ans exigera de prendre de nouvelles mesures législatives et réglementaires.

Mais trois chantiers majeurs, susceptibles de produire des effets positifs sur le taux d'activité des seniors, dépendent surtout des partenaires sociaux : l'amélioration de la santé au travail, la mise en oeuvre de la formation professionnelle tout au long de la vie et la modification urgente des habitudes en matière de gestion des âges dans les entreprises, pour les salariés âgés de plus de quarante-cinq ans.

3. Les pistes nouvelles à explorer

La question de l'emploi des seniors a donné lieu, au cours de la période récente, à de nombreuses propositions émanant aussi bien des partenaires sociaux que d'universitaires ou d'organismes officiels français et internationaux. Parmi celles-ci, on retiendra notamment :

a) Les solutions préconisées par l'OCDE

Dans un rapport publié en 2005, intitulé « vieillissement et politiques de l'emploi » et consacré à la situation de la France, l'OCDE développe trois axes de réflexion.

Promouvoir le maintien en activité après soixante ans

- en engageant une réforme de la dispense de la recherche d'emploi car elle « valide l'idée que le marché du travail est fermé aux travailleurs âgé s » ;

- en relevant l'âge légal minimal de départ à la retraite au-delà de soixante ans ;

- en rendant la retraite progressive « attrayante et plus accessible » , laquelle « permet, contrairement au cumul emploi-retraite, de se constituer des droits supplémentaires à pension » ;

- en encourageant le développement de la surcote auprès des assurés sociaux. L'OCDE estime que « les pouvoirs publics doivent s'assurer que les possibilités de continuer de travailler après avoir atteint le taux plein et de bénéficier de la surcote ne soient pas limitées ».

Lever les obstacles au maintien dans l'emploi et au recrutement après cinquante ans

- en revoyant les pratiques salariales fondées sur l'âge ou l'ancienneté. L'OCDE considère en effet que « les partenaires sociaux devraient tirer les leçons des conséquences, dommageables pour l'emploi des travailleurs âgés, de grilles qui lient le salaire uniquement à l'âge ou à l'ancienneté » ;

- en assurant la diffusion des bonnes pratiques des entreprises offrant des emplois de qualité aux seniors et qui « devraient être capitalisées et diffusées plus largement sur Internet par le patronat, comme cela se fait dans d'autres pays » ;

- en mettant en oeuvre ces bonnes pratiques dans le secteur public par la mobilité interne et externe à mi-carrière et par la suppression des limites d'âge à l'entrée. Cela suppose aussi de « reconsidérer les âges très bas de départ à la retraite pour certaines catégories » ;

- en réformant, voire en supprimant la contribution Delalande « dont les effets sont controversés » .

Maintenir le salarié en activité ou permettre son retour dans l'emploi

- en améliorant le taux d'accès des travailleurs à la formation professionnelle continue ;

- en encourageant « les reprises d'activité à temps partiel avec maintien éventuel de tout ou partie des allocations de chômage » ;

- en améliorant les conditions de travail : « les négociations sur la pénibilité devraient privilégier, dès le départ, un traitement préventif des conditions de travail pénibles en évitant d'encourager les départs anticipés ».

b) Les suggestions de l'Igas

Dans son rapport annuel pour 2004 « Gestion des âges et politiques de l'emploi » , l'Igas part du constat que les politiques publiques actuelles sont insuffisantes pour lever les obstacles à l'emploi des seniors et propose l'élaboration d'un plan national d'action. Il s'agit :

- d'entreprendre des démarches contractuelles associant les collectivités locales et les branches professionnelles en matière de développement de la formation, de stratégies de validation des acquis de l'expérience et d'actions sur les conditions de travail et la santé au travail ;

- de relancer les Pare pour les personnes âgées de plus de quarante-cinq ans ;

- d'expérimenter, dans le cadre d'une stratégie plus offensive de formation des seniors et d'aide à la mobilité, des parcours de reconversion ;

- d'assouplir les comptes d'épargne-temps en fin de carrière ;

- de recentrer les exonérations de charges liées au temps partiel sur les débuts et les fins de carrière ;

- de faciliter l'activité après la retraite par une remise à plat du plafond de revenus applicable au cumul emploi-retraite ;

- de promouvoir un débat national sur la gestion des âges, en créant à cet effet un forum rattaché au Conseil d'orientation des retraites.

c) Durcir les conditions de cessation précoce d'activité

Votre commission propose aussi deux amendements en ce sens :

- le premier amendement souhaite conforter le principe suivant lequel c'est uniquement à partir de 65 ans qu'un salarié peut être mis d'office à la retraite par son employeur. Ce point mérite un rappel : la loi portant réforme des retraites avait admis que cet âge puisse être ramené à soixante ans si l'entreprise propose des créations d'emplois, dans des conditions d'ailleurs bien confuses. Or, à la date du 1 er octobre 2005, 73 branches professionnelles s'étaient déjà engagées dans cette brèche vidant sur ce point de sa substance la réforme des retraites. La commission propose de réduire les effets pervers de cette disposition en prévoyant que les futures conventions collectives dérogatoires ne pourront produire d'effets juridiques postérieurs à la date du 1er janvier 2008. Il s'agit ici d'éviter de « préempter » le débat de 2008.

- le second amendement propose d'assujettir l'ensemble des préretraites d'entreprise à la contribution créée en 2003 en faveur de Fonds de solidarité vieillesse, alors que seule une partie d'entre elles le sont aujourd'hui. Ce mode transactionnel de cessation précoce d'activité est en effet contradictoire avec l'objectif de remontée du taux d'emploi des seniors. Il semble illégitime de le faire bénéficier d'un traitement privilégié sur le plan social.

d) Prendre la juste mesure de la pénibilité de certains emplois

La loi du 21 août 2003 a invité les partenaires sociaux à engager, dans un délai de trois ans, « une négociation interprofessionnelle sur la définition et la prise en compte de la pénibilité ». Ces négociations ont débuté le 23 février 2005 et sont en cours. L'exercice est complexe car il faut tout à la fois prendre en compte la réalité - incontestable - de la pénibilité de certaines activités tout en évitant une définition trop large susceptible de servir d'alibi à de nouveaux dispositifs de cessation précoce d'activité.

La notion même de pénibilité est d'une approche objective difficile. Dans son rapport « pénibilité et retraite », remis au COR en avril 2003, Yves Struillou a ainsi suggéré de retenir « l'espérance de vie sans incapacité », critère qu'il juge à la fois « cohérent et pertinent ».

Par ailleurs, le traitement de la pénibilité requiert non seulement une politique de réparation - nécessairement de court terme - visant à compenser ses effets néfastes, mais aussi et surtout une politique plus ambitieuse de prévention, tendant à prévenir l'usure prématurée au travail et à améliorer les conditions de travail des salariés, notamment ceux âgés de plus de cinquante ans.

e) Assouplir les règles de cumul emploi-retraite

On estime à 300.000 le nombre des personnes cumulant une retraite et un emploi rémunéré. Cette estimation résulte de l'enquête budget des familles, réalisée par l'Insee en 2001. Ce chiffre est stable depuis 1995, ce qui confirme que le cumul emploi-retraite reste marginal en France. Il ne concerne que 3 % des retraités de plus soixante ans.

En revanche, la moitié des retraités de moins de cinquante ans, les anciens militaires notamment, exerce une activité rémunérée. Cette proportion est d'une personne sur dix parmi les autres retraités de moins de soixante ans qui relèvent des régimes spéciaux et des catégories actives des fonctions publiques.

Il y a en réalité deux groupes de « cumulants » distincts : les jeunes retraités des régimes spéciaux et les autres.

Au total, 111.000 « cumulants » ont moins de soixante ans : ce sont, pour l'essentiel, des anciens militaires, des fonctionnaires de catégorie active (policiers, infirmiers) ou salariés des régimes spéciaux (SNCF, RATP, ...). Ils sont le plus souvent salariés (dans 87 % des cas), à temps plein (84 %) et perçoivent des revenus d'activité plus élevés. Ainsi, 94 % des militaires retraités de moins de cinquante-cinq ans percevaient un salaire supérieur à 1.500 euros en 2001. Pour ces professions qui peuvent bénéficier d'une retraite à taux plein avant soixante ans, le cumul est fréquent (39 % des militaires retraités de cinquante-quatre à cinquante-neuf ans ont aussi un emploi rémunéré et 6 % des retraités des régimes spéciaux, comme la SNCF et RATP.

Les retraités de plus de soixante ans ont un profil différent : ils perçoivent des revenus plus faibles et sont plus souvent non salariés (45 % chez les 65-74 ans). S'ils sont salariés, ils sont plus souvent à temps partiel, surtout les femmes. Il convient enfin de relever que le revenu de l'activité s'ajoutant à la retraite perçue est le plus élevé pour les hommes et pour les retraités de moins de soixante ans. Ainsi, 70 % des cumulants hommes perçoivent un revenu supérieur à 1.000 euros par mois, mais seulement 18 % des femmes.

Votre commission observe qu'un quart des Français souhaiterait ou envisagerait de poursuivre une activité professionnelle après leur retraite (cf. sondage Ipsos - Notre Temps des 8-9 septembre 2004). Elle propose un amendement réécrivant les dispositions du code du travail applicables aux assurés du régime général (article L. 161-22), d'une part, aux artisans et commerçants (article L. 634-6), d'autre part, en reprenant autant que possible les termes du code des pensions civils et militaires de retraite applicables à la fonction publique. Cela doit permettre d'abandonner la règle actuelle du cumul de la pension et du revenu d'activité qui ne peut dépasser le dernier salaire.

*

* *

Sous réserve des observations qui précèdent et des amendements qu'elle propose dans le tome VI du présent rapport, la commission vous demande d'adopter les dispositions relatives à l'assurance vieillesse du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 .

* 8 Cette disposition n'est pas encore applicable en l'absence de publication de décret d'application.

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