II. LA CONCILIATION RAISONNABLEMENT PROPOSÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
Confrontée aux nombreuses poursuites en diffamation engagées contre certains témoins ayant déposé devant ses commissions, l'Assemblée nationale a donc adopté un système qui s'attache à concilier les différents intérêts en cause : d'une part, les garanties dues aux personnes déposant sous la contrainte, d'autre part, la préservation des droits des tiers qui s'estimeraient lésés par les propos tenus, ce dans le respect des pouvoirs des commissions qui doivent librement mener leurs investigations et donc, notamment, recueillir les éléments d'information nécessaires à leur mission.
Le dispositif retenu par les députés s'inspire de l'immunité prévue par l'article 41, alinéa 3, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, au bénéfice des acteurs des procès devant les tribunaux (magistrats, parties à l'instance et leurs avocats, témoins).
Ces dispositions interdisent toute action en diffamation, injure ou outrage pour « les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux », interprétés par les juridictions dans leur acception la plus large (Cass. Crim. 4 juin 1997). La jurisprudence a précisé la notion en y intégrant tout à la fois les juridictions d'instruction et de jugement, les deux ordres juridictionnels -judiciaire et administratif- et les juges financiers -Cour des comptes et chambres régionales des comptes. La même exemption s'étend aux comptes rendus fidèles faits de bonne foi des débats.
Si elle est admise, l'immunité « juridictionnelle » supprime la responsabilité pénale comme la responsabilité civile.
En revanche, elle ne s'applique pas aux faits diffamatoires étrangers à la cause (article 41, dernier alinéa).
Cette même réserve qui ne figurait pas dans le texte de la proposition de loi déposée par le président de l'Assemblée nationale, y a été introduite par les députés sur la proposition de leur commission des lois.
Le texte aujourd'hui soumis au Sénat peut s'analyser comme suit : - objet : création d'une immunité personnelle. - bénéficiaires : les personnes convoquées par les commissions d'enquête parlementaires auxquelles s'ajoutent les auteurs des comptes rendus des réunions publiques des commissions (rappelons, à cet égard, que l'article 41, alinéa 2, de la loi de 1881 n'étend le bénéfice de l'immunité parlementaires qu'aux seuls comptes rendus des séances publiques des assemblées ). - actes protégés : l'ensemble des éléments -oraux ou écrits- portés à la connaissance des commissions dans la mesure où ils correspondent à l'objet de l'enquête ; les comptes rendus de bonne foi des réunions publiques des commissions, qui apparaît comme le corollaire de la publicité voulue par la législateur de 1991. En l'espèce, l'immunité ne s'appliquerait donc pas aux auditions tenues à huis-clos non plus qu'aux autres délibérations tenues dans le même cadre, notamment celles conduisant à l'adoption du rapport de la commission : dans ce cas, l'auteur du compte rendu, outre qu'il s'exposerait, le cas échéant, à des poursuites pour diffamation, tomberait également sous le coup des sanctions prévues par le dernier alinéa de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 en cas de divulgation ou de publication, dans un délai de trente ans, d'une information relative aux travaux non publics d'une commission à moins que le rapport de celle-ci en ait fait état. - infractions couvertes : il s'agit des diffamation, outrage et injure définis par la loi de 1881, dont le juge n'exige pas la commission par voie de presse pour les réprimer 4 ( * ) , ainsi que des autres outrages prévus par le code pénal (cf. articles 433-5 et 434-24, c'est-à-dire envers une personne chargée d'une mission de service public ou dépositaire de l'autorité publique) 5 ( * ) . |
Ainsi délimitée, la proposition ne semble donc pas contraire au principe d'égalité devant la loi pénale, constitutionnellement protégé qui implique, pour le Conseil constitutionnel, que « pour des infractions identiques, la loi pénale ne saurait (...) instituer au profit de quiconque une exonération de responsabilité à caractère absolu » (décision n° 89-262 du 7 novembre 1989).
Le champ d'intervention de l'immunité proposée est strictement circonscrit aux trois types d'infraction précédemment évoqués et aux faits se rapportant à l'objet de l'enquête.
* 4 Cf Cass. crim. 3 mars 1949.
* 5 Ces infractions sont inclues, par la jurisprudence, dans le champ de l'immunité devant les tribunaux (cf Cass. crim. 13 février 2001).